M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Au cours de ce débat approfondi, de nombreux points de vue ont été exposés ; pour ma part, je me bornerai à présenter quelques observations.

Mme Benbassa a souligné à juste titre la fragilité constitutionnelle de certaines dispositions de la présente proposition de loi ; combinées au déséquilibre entre devoirs et droits des gens du voyage, celles-ci risqueraient de fragiliser le pacte républicain.

Madame la sénatrice, vous avez eu bien raison de signaler qu’un certain nombre de tensions existent aujourd’hui ; on peut se demander s’il est opportun de les raviver.

M. Carle a rappelé que de nombreux amendements ont été déposés sur la proposition de loi : c’est la preuve que le débat est vivant et le problème complexe. Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que, sur toutes les travées, vous ayez cherché à améliorer la situation et à aboutir à une proposition de loi raisonnable et acceptable.

M. Delahaye m’a demandé si le Gouvernement entendait déposer un projet de loi. En l’état actuel des choses, il n’en a pas l’intention.

M. Vincent Delahaye. C’est dommage !

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Cela étant, comme plusieurs orateurs l’ont indiqué, le député Dominique Raimbourg a beaucoup travaillé pour résoudre les problèmes qui se posent. Il a le soutien de nombreuses associations et peut compter sur l’appui des services des ministères. Le Gouvernement suit avec beaucoup d’intérêt son travail, qu’il juge sérieux et tout à fait propre à répondre aux difficultés rencontrées. Dans ces conditions, il n’est peut-être pas nécessaire d’entreprendre une initiative parallèle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez rassurés : le Gouvernement veillera à ce que la proposition de loi de M. Raimbourg soit examinée par le Parlement.

Monsieur Delahaye, vous avez décrit ce qui se fait à Massy, en soulignant que cette commune respecte ses obligations. Loin de moi l’idée de prétendre que seuls les sénateurs siégeant sur un côté de cet hémicycle font preuve d’humanité et sont attachés au respect des droits des gens du voyage ! Reste que, malheureusement, de nombreux élus ne sont pas sensibles à ce problème, de sorte que le nombre des aires d’accueil pour les gens du voyage est insuffisant.

Le Gouvernement a exprimé son engagement non seulement dans les textes qu’il a fait parvenir à Bruxelles, mais aussi dans sa décision de charger un préfet de traiter de la question des gens du voyage, ce qui démontre l’existence d’une action interministérielle.

Mme Cukierman a confirmé l’analyse du Gouvernement en ce qui concerne la nécessité d’améliorer la situation actuelle sans créer de nouvelles tensions. Elle a rappelé un certain nombre d’épisodes douloureux de notre passé, notamment les persécutions dont les gens du voyage ont été victimes.

Il faut aussi souligner, comme l’a fait Jean-Pierre Michel, que, dans les villages d’autrefois, la figure du bohémien faisait partie du paysage. Elle a inspiré des poèmes qui restent dans nos mémoires, en particulier celui de Baudelaire, qui a été mis en musique. En vérité, ces personnes font partie de notre vie depuis toujours ! Il est d’autant plus injuste que, aujourd’hui, elles soient parfois stigmatisées.

Peut-être les élus locaux ont-ils le sentiment de ne pas toujours faire ce qu’il faudrait et de ne pas parvenir à appréhender le problème comme ils le souhaiteraient. En tout cas, ils doivent savoir que nous sommes extrêmement attentifs à leurs besoins et que nous essayons de trouver des solutions pour les aider.

Trouver des solutions satisfaisantes pour tout le monde suppose que les gens du voyage respectent leurs devoirs et qu’ils parviennent à organiser un peu mieux, en liaison avec les préfectures, les grands déplacements ; mais il faut aussi que, de leur côté, les élus mesurent la nécessité de respecter leurs obligations en matière d’aménagement d’aires, notamment pour le grand passage.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tout ira mieux si, de part et d’autre, on essaie de rendre la société vivable pour tous, quelles que soient les différences de modes de vie ! (Mme Esther Benbassa et M. Richard Yung applaudissent.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage
Articles additionnels avant l’article 1er (interruption de la discussion)

Articles additionnels avant l’article 1er

M. le président. Je suis saisi de dix amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les quatre premiers sont identiques.

L'amendement n° 1 est présenté par M. Dilain, au nom de la commission des affaires économiques.

L'amendement n° 7 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

L'amendement n° 27 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 40 est présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Avant l'article1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogée.

La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l’amendement n° 1.

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. Comme plusieurs orateurs l’ont signalé au cours de la discussion générale, la proposition de loi de notre collègue Pierre Hérisson est incomplète.

La commission des affaires économiques propose l’abrogation de la loi du 3 janvier 1969. Celle-ci a remplacé la loi du 16 juillet 1912, qui obligeait certains, parmi les gens du voyage, à posséder un carnet anthropométrique. Je le rappelle pour vous faire sentir, mes chers collègues, à quel état d’esprit correspond la loi de 1969.

Le caractère discriminatoire de cette loi ne fait aucun doute. D’ailleurs, elle a été critiquée par plusieurs organismes non seulement nationaux, mais aussi internationaux.

C’est ainsi que, dans son rapport du mois de février 2006 sur le respect effectif des droits de l’homme en France, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a dénoncé en ces termes l’obligation de détenir un livret de circulation : « L’obligation de détenir un tel document ainsi que celle de le faire viser régulièrement constituent une discrimination flagrante. En effet, il s’agit de la seule catégorie de citoyens français pour laquelle la possession d’une carte d’identité ne suffit pas pour être en règle. »

Par ailleurs, au mois d’avril 2009, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, a critiqué les dispositions de cette loi relatives aux inscriptions sur les listes électorales.

Du reste, le 5 octobre 2012, à l’occasion de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a abrogé une large partie des dispositions de ce texte.

Malheureusement, certaines de ses dispositions sont encore en vigueur ; c’est le cas, en particulier, de l’obligation faite aux gens du voyage d’être munis d’un titre de circulation. La commission des affaires économiques a estimé, à l’unanimité, qu’il convient aujourd’hui de les abroger.

Dans le rapport qu’il a publié au mois de juillet 2011 en tant que parlementaire en mission, notre collègue Pierre Hérisson appelait de ses vœux l’alignement des règles relatives au droit de vote des gens du voyage sur celles de droit commun, ainsi que la suppression des titres de circulation. Du reste, sa proposition de loi du mois de juillet 2012 prévoyait, dans son article 19, l’abrogation de la loi de 1969.

Puisse le Sénat exaucer notre collègue à une large majorité !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 7.

Mme Esther Benbassa. Le présent amendement, identique à celui que vient de présenter notre collègue Claude Dilain, a pour objet d’abroger la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe.

Je tiens à souligner que l’espèce de stigmatisation dont sont victimes les gens du voyage n’est pas nouvelle. En effet, du 18 mars 1908 au 31 juillet 1909, les brigades mobiles de police créées par Clemenceau ont photographié 7 790 nomades. Cette pratique a trouvé son prolongement naturel dans la loi du 16 juillet 1912, qui a institué le carnet anthropométrique des nomades, fondé sur la méthode d’Alphonse Bertillon.

Je n’ai pas le temps de rappeler dans le détail toute l’histoire de ces stigmatisations. Dans tous les cas, on a cherché à surveiller les gens du voyage parce que, étant nomades, ils ne se laissaient pas encadrer. C’est pour cette raison qu’on a toujours voulu les brimer par des législations de contrôle.

Au mois d’octobre 2012, comme l’a rappelé M. Dilain, le Conseil constitutionnel a abrogé une partie des dispositions de la loi du 3 janvier 1969.

Ainsi, c’est seulement le carnet de circulation, imposant aux plus démunis, c'est-à-dire aux personnes sans ressources et bénéficiaires du RSA, un contrôle très strict – visa trimestriel des autorités, délit de circuler sans titre –, qui a été déclaré inconstitutionnel. Les personnes considérées comme « du voyage » doivent tout de même être en possession d’un livret de circulation. Celui-ci est valide cinq ans et doit être visé annuellement par les autorités. Les conditions sont donc assouplies, mais le livret de circulation reste en vigueur.

Par ailleurs, l’exigence de trois ans de rattachement ininterrompu à une commune pour s’inscrire sur les listes électorales a certes disparu, mais les dispositions relatives à la commune de rattachement, dont les gens du voyage n’ont la liberté ni de choix ni de changement, restent en vigueur.

Cette décision était importante, certes, sur le plan symbolique, mais son principal apport était de nous rappeler que le législateur doit mettre fin à ce régime discriminatoire et contraire au principe d’égalité que subissent les gens du voyage. Je rappelle qu’ils sont français et que l’on ne doit pas les confondre avec les Roms, même si, parmi les gens du voyage, certains appartiennent à l’ethnie rom. En effet, « rom » est le nom que l’on donne en France aux gens nomades venus, notamment, de Roumanie.

Bien sûr, au cours des auditions que nous avons menées, certains se sont déclarés sinti, d’autres roms, et d’autres encore tsiganes. Mais, distinction importante, les gens du voyage dont nous parlons aujourd'hui sont français depuis plusieurs générations, et même depuis la nuit des temps.

Plus d’une année après la décision du Conseil constitutionnel, il est temps que ces concitoyens entrent enfin dans le droit commun, comme M. Hérisson le préconisait dans le titre de son rapport de 2011.

M. le président. La parole est à Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 27.

Mme Cécile Cukierman. L’objet de notre amendement est également de supprimer la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe.

Cela fait plusieurs siècles qu’il existe en France un régime spécifique pour ceux que l’on appelle aujourd’hui les « gens du voyage ». Cet euphémisme ne désigne pas une ethnie particulière ; c’est un terme purement administratif, apparu dans des textes officiels dès 1972, qui concerne les personnes visées par la loi du 3 janvier 1969. Il a remplacé ceux de « forains » et de « nomades », issus d’une loi de 1912 qui remplaçaient celui de « saltimbanques ».

Ces réglementations successives ne se sont pas contentées de singulariser des citoyens français qui ont simplement choisi un mode de vie différent. Elles ont créé des outils pour contrôler leurs mouvements et leurs activités, avec des sanctions et amendes spécifiques en cas de manquement aux règles édictées. Elles ont abouti aux titres de circulation, dont nous avons débattu précédemment.

Fortement décriée aussi bien par les associations que par la HALDE, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la loi de 1969 doit être abrogée, afin que le droit commun s’applique à tous de la même manière.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour présenter l’amendement n° 40.

M. Jean-Pierre Michel. Tout ou presque a été dit. Il s’agit de poursuivre le travail du Conseil constitutionnel, qui a invalidé le carnet de circulation, sans censurer le livret de circulation. C’est très subtil, et bien dans la manière du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, celui-ci a maintenu l’obligation de rattachement à une commune, ainsi que la disposition instaurant un quota maximal de gens du voyage par commune de rattachement correspondant à 3 % de la population.

On le constate, les dispositions de la loi du 3 janvier 1969 restant en vigueur après la censure partielle du Conseil constitutionnel continuent de soumettre les gens du voyage à un statut dérogatoire du droit commun, alors qu’ils sont français depuis de nombreuses générations, comme vient de le rappeler ma collègue Esther Benbassa.

Le rapport du préfet Hubert Derache préconise des évolutions en ce sens.

Notre collègue député Didier Quentin, membre de l’opposition actuelle, dans le rapport de la mission d’information sur le bilan et l’adaptation de la législation relative à l’accueil et l’habitat des gens du voyage, suggère lui aussi de supprimer tous les titres de circulation.

Dans son rapport intitulé Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun, notre excellent collègue Pierre Hérisson propose la suppression de l’obligation de détenir un titre de circulation et la suppression de la loi de 1969, ainsi que des dispositions relatives à la commune de rattachement. Il a d’ailleurs traduit ces préconisations dans la proposition de loi qu’il a déposée au mois de juillet 2012.

Par cet amendement, nous proposons de poursuivre l’œuvre du Conseil constitutionnel et de faire le travail que notre collègue Pierre Hérisson n’a pas voulu faire aujourd'hui.

M. le président. L'amendement n° 41, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 2 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.

L'amendement n° 42, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les articles 3 et 4 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe sont abrogés.

L'amendement n° 43, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 6 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Il s’agit d’amendements de repli. En effet, si les amendements précédents, qui visent à supprimer totalement la loi de 1969, ne sont pas adoptés, nous proposons de procéder par division et de supprimer d’abord l’article 2, puis les articles 3 et 4 et, enfin, l’article 6 de cette loi.

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Avant l’article 1e

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les articles 7 à 10 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe sont abrogés.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Il s’agit également d’un amendement de repli, visant uniquement à abroger la disposition relative à la commune de rattachement de la loi du 3 janvier 1969, laquelle, je le précise, succéda à la loi anthropométrique du 16 juillet 1912.

M. le président. L'amendement n° 44, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 7 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 45, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 8 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Il est également défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. La commission est défavorable aux amendements identiques nos 1, 7, 27 et 40, ainsi qu’aux amendements nos 41, 42, 43, 8, 44 et 45, lesquels visent à procéder à des abrogations partielles de la loi de 1969, par articles.

Je me permettrai toutefois de formuler quelques rapides commentaires sur ce sujet. La révision constitutionnelle de 2008 a permis l’examen, par le Conseil constitutionnel, d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la loi de 1969. Dans sa décision, le Conseil a enfin censuré les éléments les plus discriminatoires de cette loi. Toutefois, les Français itinérants ne peuvent, aujourd'hui, élire domicile selon les procédures de droit commun, ce qui leur pose un certain nombre de problèmes. Les notions de commune de rattachement et de limitation d’inscription sur les listes électorales existent toujours. Je rappelle également que ces personnes ne pouvaient pas exprimer leur devoir civique de la même manière que les autres, parce qu’il fallait qu’elles soient rattachées pendant trois ans à la même commune pour pouvoir le faire.

Il est tout de même assez étonnant que, dans une République aussi assise que la nôtre, certains citoyens ne soient pas des citoyens à part entière. En commission des lois, j’ai entendu l’argument selon lequel, puisqu’ils sont des gens du voyage, ils n’habitent pas dans la commune en question et ne peuvent donc pas voter. Cependant, il existe beaucoup d’autres conditions permettant d’être inscrit sur les listes électorales d’une commune et d’y voter, sans y habiter en permanence. Je ne vois pas pourquoi une catégorie particulière de personnes serait privée de ce droit.

M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. C’est vrai !

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Or, aujourd'hui, il leur est refusé. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de l’examen de ces amendements, j’estime que tous les Français, y compris les Français itinérants, doivent avoir les mêmes droits civiques et la même capacité d’élire domicile, dans des conditions identiques.

Ce soir, ce serait tout à la fois l’honneur et le devoir du Sénat que d’abroger, au début de l’examen du présent texte, cette loi de 1969 et de rappeler les principes républicains, en disposant que tous les Français sont reconnus de la même manière par la République. À titre personnel, je voterai ces amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Une première série d’amendements a pour objet l’abrogation de la loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe. Une seconde série vise à abroger certains des articles de ce texte.

Tout d’abord, j’estime que M. Jean-Pierre Michel est un peu sévère à l’égard du Conseil constitutionnel (Sourires.), qui a tout de même censuré partiellement des dispositions qui semblaient inacceptables ! Je vous le rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, pour ce qui concerne le carnet de circulation, le Conseil constitutionnel a établi clairement la discrimination, en démontrant que la différence de traitement n’était pas en rapport avec les faits civil, social, administratif ou judiciaire poursuivis par la loi, ce qui a permis de supprimer la disposition en question.

Le Conseil a également estimé que la peine d’un an d’emprisonnement encourue par les personnes circulant sans avoir obtenu de carnet de circulation portait atteinte à l’exercice de la liberté d’aller et venir et était disproportionnée à l’égard de la finalité de la loi.

Il a en outre affirmé que l’obligation de justifier de trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune, parce qu’elle porte atteinte à l’exercice des droits civiques par les citoyens, n’était pas une disposition satisfaisante et devait être considérée comme ne respectant pas les prescriptions constitutionnelles.

Le Gouvernement, qui est attentif aux droits effectifs des gens du voyage, prend en compte, d’une part, cette décision du Conseil constitutionnel et, d’autre part, les réflexions des parlementaires qui estiment qu’il faut supprimer la loi de 1969.

Je pense comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette loi n’est pas adéquate. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée pour ce qui concerne sa suppression.

Les amendements tendant à une abrogation partielle de ce texte soulèvent une autre interrogation. Si les articles visés ne semblent pas répondre à des nécessités au regard de l’égalité et de la situation des personnes, la suppression de certaines dispositions de cette loi me semble peu satisfaisante, car elle aboutirait à un résultat quelque peu déséquilibré.

Permettez-moi de formuler une observation. Chaque orateur l’a bien précisé, il s’agit de gens du voyage français, qui n’ont rien à voir avec les autres populations du voyage. Toutefois, les textes européens ne nous facilitent pas toujours la tâche, l’Europe ayant tendance à mettre dans le même sac, sous la dénomination de « rom », des populations différentes, soumises, dans notre pays, à des régimes distincts.

Quoi qu’il en soit, nous prônons le respect de l’égalité des droits à laquelle ces populations, même si elles ont choisi de se déplacer, ont droit. Tout ce qui peut contribuer à supprimer des discriminations illégitimes doit, à mon sens, être encouragé par le Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 1,7, 27 et 40.

M. Pierre Hérisson. On fait référence à ce que j’ai pu dire et écrire depuis un certain nombre d’années, mais seulement jusqu’à aujourd'hui. En commission des affaires économiques, à laquelle j’appartiens, nous avons évoqué le principe de l’abrogation de la loi de 1969. Je vous ai écoutée, madame la ministre.

L’abrogation de la loi précitée a sa place dans la proposition de loi Raimbourg, qui rétablit les équilibres ou supprime les déséquilibres qui m’ont été reprochés. Arrêtons de dire qu’il faut supprimer ou rétablir le carnet de circulation : il n’existe plus depuis que le Conseil constitutionnel l’a déclaré inconstitutionnel, même si je ne souscris pas du tout aux commentaires qui ont été formulés ni sur le Conseil constitutionnel et encore moins sur les propos qu’a tenus tout à l’heure notre collègue Jean-Claude Carle quand il dénonçait cette pratique consistant à modifier l’intitulé d’un texte quitte à complètement le dénaturer.

Mes chers collègues, je veux vous placer face à vos responsabilités à l’égard de l’ensemble des maires de France. Ceux-ci ont bien « intégré » la décision qu’a prise le Conseil constitutionnel à la suite de la question prioritaire de constitutionnalité dont il a été saisi. Pourquoi ce dernier n’a-t-il pas fait droit à la demande d’abrogation totale de la loi de 1969 ? Il a supprimé le carnet de circulation et mis également fin à l’obligation pour les gens du voyage de justifier de trois ans de rattachement ininterrompu dans la même commune pour leur inscription sur les listes électorales, rétablissant ainsi le droit commun et mettant fin à une discrimination. Pour ma part, cela faisait des années que je réclamais cette mesure : le Conseil constitutionnel, en lieu et place du Parlement, a réglé le problème.

En revanche, après de longs débats, il a maintenu l’obligation de rattachement à une commune ainsi que la disposition instaurant un quota maximal de gens du voyage par commune de rattachement de 3 % de la population. Pour cette raison, il n’est pas possible d’abroger la loi de 1969 dans sa totalité.

La sagesse voudrait que nous ne rejetions pas purement et simplement cette disposition, mais que nous la renvoyions à la proposition de loi Raimbourg, de manière à inscrire dans ce texte des mesures visant à éviter que les collectivités locales ne puissent être submergées par des flots d’inscriptions sur leurs listes électorales, sur le modèle de ce que j’avais écrit dans la proposition de loi que j’ai déposée en 2011.

Je vous rappelle que, sur les 36 767 communes que compte notre pays, 10 700 ont moins de 500 habitants. Si nous ne fixons pas un plafond et ne limitons pas la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales de sa commune de rattachement, alors que c’est le droit commun qui va s’appliquer, il serait fort possible que, dans certaines communes, ce soient ces électeurs « rattachés » – je vise ici non pas la population des gens du voyage, mais tout citoyen de notre République française – qui deviennent majoritaires. C’est là un point fondamental.

En l’absence de toute garantie, nous ne pouvons pas abroger totalement la loi de 1969 sans avoir préalablement réfléchi à des mesures permettant d’éviter un tel écueil et sans les avoir adoptées.

D’autres dispositions de cette loi mériteraient également d’être réécrites, au nom de la lutte contre les discriminations, cependant que l’abroger totalement reviendrait à en créer de nouvelles.

Tout à l’heure, certains orateurs ont fait référence au colloque organisé à l’Assemblée nationale sur le sujet. Pour ma part, j’ai, à plusieurs reprises, longuement discuté de cette question. Avant d’abroger la loi précitée, il faut au préalable rédiger un nouveau texte qui non seulement veille à supprimer toute discrimination, mais également apporte un certain nombre de précisions sur les points que j’ai évoqués à l’instant.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera contre ces quatre identiques amendements visant à abroger la loi de 1969.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Monsieur Hérisson, vous nous expliquez que les maires ont « intégré » l’existence de ce livret. En tant qu’historienne de formation, permettez-moi de vous faire remarquer que, au cours de leur histoire, les peuples ont intégré bien des choses. Est-ce à dire qu’il deviendrait impossible de supprimer ce qui a été intégré ? Ce n’est pas un argument, pardonnez-moi de vous le dire !

Par ailleurs, ce livret de circulation date du carnet anthropométrique mis au point dans les années 1880 selon une méthode de signalement définie par Alphonse Bertillon, alors chef du service de l’identité judiciaire, destinée à retrouver les criminels récidivistes. Aujourd’hui, au XXIe siècle, pourrions-nous conserver un tel texte compte tenu de cette histoire et continuer à stigmatiser, à discriminer des Français qui sont nos frères et nos sœurs, qui vivent dans le même pays que nous ? Cela pose un problème eu égard à notre pacte républicain.