compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx,

Mme Odette Herviaux.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions cribles thématiques

devenir des élections prud'homales

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur le devenir des élections prud’homales.

Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe.

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, je profite de mon intervention pour vous souhaiter une bonne année 2014, au cours de laquelle nous allons – c’est du moins ce que j’ai cru comprendre – « accélérer ». Pour notre part, nous sommes prêts à faire face à une telle accélération !

Le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale prévoit d’autoriser le Gouvernement à agir par ordonnance pour déterminer le mode de désignation des conseillers prud’hommes. En réalité, cette ordonnance doit permettre au Gouvernement de supprimer l’élection de ces conseillers.

Vous proposez de remplacer cette élection au suffrage universel, profondément ancrée dans l’histoire sociale de notre pays, depuis 1806, par une désignation des conseillers prud’homaux au prorata des résultats obtenus par les partenaires sociaux aux élections professionnelles. Vous avez évoqué, dans une lettre aux partenaires sociaux datée de novembre 2013, les raisons de cette suppression : ces élections coûtent trop cher et ne mobilisent pas assez les électeurs.

Néanmoins, une telle évolution pose plusieurs problèmes, notamment pour ce qui concerne le corps électoral. En effet, si les chômeurs involontairement privés d’emploi peuvent voter aux élections prud’homales lorsqu’ils en font la demande, ils sont en revanche totalement exclus des élections professionnelles, qui concernent les seuls salariés. Cette mise à l’écart du processus électif contribuera à les éloigner encore plus du monde du travail. La légitimité des organisations syndicales pourrait également se trouver affaiblie du fait d’une telle exclusion.

Le même problème se pose pour les précaires : pour voter aux élections professionnelles, il faut avoir travaillé au minimum trois mois dans l’entreprise, tandis que, pour les élections prud’homales, il suffit de relever du droit du travail ou d’en avoir relevé, si l’on est chômeur. À cet égard, le corps électoral pour les élections prud’homales est également restreint.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous intégrer ces différents éléments, à savoir la prise en compte des chômeurs et des précaires, dans le cadre de la suppression d’une élection d’envergure nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de répondre à la série de questions que vous vous apprêtez à me poser. Je compléterai mes propos au fur et à mesure, ce sujet comportant un grand nombre de facettes.

Tout d’abord, monsieur Desessard, l’avant-projet de loi que vous évoquez n’a pas encore été adopté en conseil des ministres. Ces sujets sont donc sur la table, mais ne correspondent pas à une décision gouvernementale, et encore moins à un projet de loi.

Ensuite, il n’est absolument pas envisagé de remettre en cause l’existence même des juridictions prud’homales, qui sont extrêmement utiles. La présence aussi bien des employeurs que des représentants des salariés constitue un élément fondamental de l’équilibre des jugements de ces juridictions. Il est donc question non pas de remettre en cause le paritarisme, mais, au contraire, d’éviter que ces conseils ne se dévaluent dans l’esprit des salariés et de ceux qui sont censés participer aux élections.

Par ailleurs, même si la question du coût n’est pas mineure, je préfère m’attarder sur celle de la participation, qui n’a jamais cessé de se dégrader d’une élection à l’autre. Il s’agissait peut-être d’une élection populaire il y a trente ans, mais le dernier scrutin a donné lieu à une participation inférieure à 25 %, ce qui marque une dégradation très profonde par rapport aux consultations antérieures. Ainsi, quels qu’aient été les efforts des uns et des autres pour populariser cette élection – ils ont été très importants lors du dernier scrutin –, le problème reste aujourd'hui entier. Une juridiction aussi importante conserve-t-elle sa légitimité quand aussi peu de monde participe à l’élection des représentants des salariés ?

Monsieur le sénateur, vous abordez également la question du corps électoral, qui se pose en effet. Permettez-moi d’y répondre en quelques secondes. Les organisations syndicales sont légitimes pour représenter aussi bien les salariés que les chômeurs. Vous ne pouvez leur ôter cette légitimité ! Leur seule présence au sein des conseils de prud’hommes permet de prendre en compte les intérêts de toutes les catégories de personnes, que celles-ci travaillent ou soient à la recherche d’un emploi.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour la réplique.

M. Jean Desessard. Les élections prud’homales sont organisées simultanément, le même jour, sur l’ensemble du territoire. Elles peuvent donc susciter une mobilisation médiatique. Vous nous dites, monsieur le ministre, qu’on va les supprimer parce qu’il n’y a pas assez de participants ! Quel pourcentage de participation est-il nécessaire pour maintenir les élections européennes ? Vous le voyez, on ne peut pas raisonner ainsi.

La question posée, c’est celle de la mobilisation de l’ensemble des salariés, y compris des précaires, et des chômeurs. On ne peut pas invoquer l’abstention pour supprimer une élection ! Si l’on décide de raisonner ainsi, on est conduit à remettre en cause certaines élections, notamment celles des conseillers généraux.

Mme Nathalie Goulet. Ou les élections sénatoriales ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Par ailleurs, nous avons toujours une divergence de vues concernant le statut, qui ne devrait pas en être un, je vous l’accorde, des chômeurs de longue durée et des précaires. Selon vous, leur situation n’est pas normale et ils n’ont donc pas à être enfermés dans un « statut ». Certes ! Toutefois, dans la mesure où ces chômeurs existent, et où ils restent parfois longtemps dans cette situation, il convient de leur donner des droits, comme à tous. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question s’inscrira dans le même esprit que la précédente.

Monsieur le ministre, la participation citoyenne à la démocratie sociale est un fondement de notre République auquel les Français sont particulièrement attachés. Aussi, votre intention de supprimer les élections prud’homales, pour les remplacer par un système de désignation des conseillers prud’homaux, nous inquiète fortement.

Vous estimez que l’élection prud’homale rencontre aujourd’hui ses limites. Vous mentionnez notamment le coût élevé du scrutin. Néanmoins, la démocratie sociale a-t-elle un prix ?

Vous invoquez également un taux de participation particulièrement faible, vous venez de le répéter. Malheureusement, ce ne sont pas les seules élections à connaître des taux d’abstention record. Faut-il pour autant les supprimer toutes ? Il est évident que l’abstention aux élections de décembre 2008 est préoccupante, puisque la participation n’était que de 25 %, contre 63 % en 1979. Mais peut-être faudrait-il plutôt s’interroger sur les causes de cette désaffection.

S’agit-il d’un désintérêt de la part des salariés ? Je ne le crois pas. En 2008, seuls ceux qui travaillaient sur Paris pouvaient voter par internet ; pour les autres, seul le vote par correspondance ou dans un bureau de vote était autorisé. Nous le savons bien, l’éloignement entre le lieu de travail et le bureau de vote, l’impossibilité pour les salariés de s’absenter pour aller voter et le manque d’information sont déterminants. Bien des pressions, vous le savez, peuvent également s’exercer. Il est très intéressant de relever que, dans les entreprises où des bureaux de vote ont été installés, la participation a été très satisfaisante.

Le collège électoral des élections prud’homales se compose des salariés du privé en emploi et au chômage. Avec un système de désignation sur la base des élections professionnelles, le corps électoral serait, de fait, amputé de cinq millions de personnes, car en seraient exclus les chômeurs et les salariés des entreprises où ne sont pas organisées d’élections.

Monsieur le ministre, les conseils de prud’hommes, spécificité française unique en Europe, constituent un outil formidable pour faire respecter le droit des travailleurs. Supprimer leur élection affaiblira et discréditera cette institution qui n’en a vraiment pas besoin.

Dès lors, pourquoi tout simplement ne pas faciliter et simplifier les modalités d’organisation du scrutin, afin d’enrayer la chute de la participation ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Il ne s’agit pas pour moi d’une question de principe ou d’un dogme. J’essaie de me déterminer d’un point de vue pratique. Est-ce qu’une institution, à laquelle nous sommes tous attachés, est valorisée ou dévalorisée par une participation en constante baisse ? Je crains que, à un moment donné, ces conseils ne soient quelque peu dévalorisés aux yeux des Français, ce qui conduirait à remettre en cause leur légitimité.

Une désignation des conseillers par les organisations syndicales non seulement ne met pas en cause leur légitimité, mais, de mon point de vue, renforce cette dernière. Car nous cherchons, notamment par le texte qui vous sera proposé, mesdames, messieurs les sénateurs, à consolider la mission dévolue aux organisations syndicales, afin d’instaurer un dialogue social de qualité.

Ne tentons pas d’opposer la légitimité de l’organisation syndicale à celle d’une autre modalité de désignation. Restons vigilants en la matière ! Sinon, nous aboutirons à un résultat contraire à celui que nous souhaitons au regard de l’importance des partenaires sociaux et syndicaux.

M. Desessard a fait une comparaison, que d’autres reprendront peut-être, avec les élections européennes, arguant d’une faible participation à ce scrutin. Or le taux le plus faible qui ait jamais été atteint aux élections européennes est de 40 %, soit le taux de participation aux élections prud’homales de 1992. Pour ces dernières, nous sommes aujourd’hui à moins de 25 %. Comme vous pouvez le constater, les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes. En outre, il ne s’agit pas du même type d’élection.

Aux uns et aux autres, je demande d’être dans le concret : quel mode d’élection ou de désignation par les organisations syndicales appliquer à ces juridictions fondamentales de manière à les renforcer aux yeux de tous, en particulier aux yeux des futurs justiciables, et comment leur éviter tout risque de dévalorisation ?

Ce raisonnement n’est pas celui du seul Gouvernement. Ce sujet, je ne l’ai pas inventé. Beaucoup d’organisations syndicales ne sont pas du tout défavorables au mode de désignation que propose le Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Robert Hue, pour la réplique.

M. Robert Hue. Monsieur le ministre, j’entends votre réponse ; je mesure la complexité des problèmes qui se posent. Nous ne sommes pas dénués de tout réalisme. Simplement, puisque vous avez évoqué les organisations syndicales, pourquoi ne pas écouter certaines de leurs propositions, celles qui font l’objet d’un accord majoritaire ?

La conférence de presse d’avant-hier du Président de la République est importante. Dans ce moment nouveau qui commence, il ne faut pas seulement écouter les chefs d’entreprise. Il faut aussi entendre les syndicats. Écoutez-les, monsieur le ministre !

Puisque vous avez été parlementaire, imagineriez-vous un seul instant que ce soient les partis qui désignent directement les députés, sans qu’on en passe par le suffrage universel ? C’est une question de légitimité. (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Monsieur le ministre, vous avez récemment annoncé aux partenaires sociaux votre intention de supprimer les élections prud’homales.

L’ancienne majorité avait elle-même décidé d’engager une réflexion sur un mode de désignation des conseillers prud’hommes plus pertinent et à la fois moins complexe à organiser, moins coûteux et susceptible de mobiliser les salariés comme les employeurs.

Ma question portera sur le contenu et la mise en place de la réforme que vous avez retenue.

Alors qu’un rapport remis au gouvernement précédent préconisait l’élection au suffrage universel indirect des conseillers prud’hommes par un collège composé de délégués du personnel et des employeurs, vous semblez faire le choix d’une désignation par les organisations de salariés et d’employeurs en tenant compte de leur représentativité mesurée.

Or cette solution présente un risque élevé d’inconstitutionnalité en raison de l’impossibilité pour les candidats non syndiqués de constituer une liste, créant de fait un monopole de présentation syndicale.

Par ailleurs, le Conseil supérieur de la prud’homie doit rendre ses conclusions sur la suppression des élections prud’homales, alors même que vous allez nous demander de nous prononcer sur cette suppression dans le cadre du projet de loi sur la formation professionnelle, dont vous souhaitez l’adoption en urgence avant les élections municipales. Le Gouvernement préciserait ensuite le nouveau dispositif par voie d’ordonnance.

Nous confirmez-vous vos annonces, ainsi que la procédure et le calendrier retenu, qui impliqueraient que nous nous prononcions sur le principe de suppression des élections sans pouvoir étudier le dispositif à venir ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Madame la sénatrice, vos propos attestent de votre grande expertise de la question des élections prud’homales. Je suis moi-même ce dossier avec attention. Vous avez rappelé quelles étaient les orientations suivies par le Gouvernement, et nous aurons l’occasion d’en débattre de nouveau dans cet hémicycle.

Je ne reviens pas sur ma volonté de renforcer la légitimité des conseils de prud’hommes, laquelle, c’est ma crainte, pourrait être altérée par l’affaiblissement de la participation aux élections prud’homales.

Monsieur Hue, j’ai non seulement écouté l’ensemble des organisations syndicales, mais je les ai également toutes consultées. La proposition que je fais aujourd’hui tient compte des opinions qui ont été exprimées par une majorité d’entre elles. Certes, l’une de ces organisations est opposée à cette réforme – ce n’est pas la moindre d’entre elles, puisqu’il s’agit de la CGT –, mais je vous invite aussi à prendre connaissance des avis qu’ont exprimés les autres. Si vous souhaitez que j’entre davantage dans le détail, monsieur le sénateur, je le ferai bien volontiers.

Quel est le meilleur mode de désignation ? D’autres voies ont été proposées – vous en avez d’ailleurs cité une, madame la sénatrice –, qui peuvent être versées au débat. Cela étant, les organisations syndicales ne souhaitent pas un mécanisme de désignation à deux étages ; elles préfèrent un mécanisme plus simple, qui renforce de surcroît leur légitimité.

Vous prétendez que ce mode de désignation pourrait être anticonstitutionnel. Nous aborderons ce sujet au cours du débat. En tout cas, ce n’est pas ce que nous dit le Conseil d’État, qui est actuellement consulté sur le sujet, et ce n’est pas ce qu’a posé le Conseil constitutionnel lui-même, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, au sujet d’une autre juridiction dont les membres étaient naguère élus, mais, aujourd’hui, ne le sont plus. Le Conseil constitutionnel a très clairement répondu que ce mode de désignation était conforme à la Constitution. À tout le moins, le débat juridique vaut d’être mené et nous le mènerons.

Le plus important, c’est de définir les modalités de désignation des conseillers prud’homaux par les organisations syndicales en fonction de leur représentativité sur le territoire concerné. Pourquoi procéder par ordonnance ? Non parce que nous avons quoi que ce soit à vous cacher, mais parce que la multitude d’articles extrêmement techniques nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme ne vous aurait sans doute pas véritablement passionnée.

En définitive, le principe – il peut être contesté –, c’est la désignation par les organisations syndicales ; la modalité, c’est la représentativité sur le ressort du tribunal concerné.

Telles sont les grandes lignes de la réforme dont nous aurons à débattre ici même, madame la sénatrice.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour la réplique.

Mme Isabelle Debré. Notre groupe s’oppose à ce que cette réforme soit menée au moyen d’un projet de loi qui, d’une part, est examiné selon la procédure accélérée, et, d’autre part, habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance, dessaisissant ainsi totalement le Parlement.

Je persiste et je signe, monsieur le ministre : pour moi, comme pour d’autres d'ailleurs, le fait que seuls les salariés pourraient constituer une liste contreviendrait, je le crains, au principe constitutionnel d’égal accès aux emplois publics.

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement envisage de supprimer les élections prud’homales.

En vertu du projet de loi sur la démocratie sociale, dont nous serons prochainement saisis, les conseillers prud’hommes seraient non plus élus, mais désignés. Cette évolution découle très naturellement de la loi du 20 août 2008, qui a fait du résultat des élections professionnelles le critère central de la représentativité syndicale.

Cette réforme a démocratisé la représentativité syndicale et, en conséquence, marginalisé l’intérêt pour la démocratie sociale de l’élection prud’homale, un scrutin au fort taux d’absentéisme, qui en affaiblit la représentativité et souligne le peu d’intérêt des personnes concernées. Il faut aussi en rappeler le coût anormalement élevé : 100 millions d’euros.

Dans ces conditions, la réforme s’inscrira dans une évolution cohérente et donc naturelle, à ceci près qu’elle sera menée par ordonnance. Monsieur le ministre, vous qui avez toujours protesté avec véhémence contre les ordonnances, quelle conversion ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

En revanche, et plus fondamentalement, la vraie question nous semble porter moins sur le devenir de l’élection prud’homale que sur celui de l’institution prud’homale elle-même.

La nouvelle organisation pourrait s’inspirer du rapport de M. Didier Marshall, Premier président de la cour d’appel de Montpellier, qui préconise, d’une part, le regroupement du conseil de prud’hommes et du tribunal des affaires de la sécurité sociale en un tribunal social unique, et, d’autre part, la fin du caractère paritaire de ces juridictions, avec un recours beaucoup plus systématique à l’échevinage.

Monsieur le ministre, envisagez-vous de mettre en œuvre ces préconisations ? Dans l’affirmative, à quelle échéance, et qu’en attendre en termes d’efficacité de l’institution ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. Monsieur le sénateur, je le dis très clairement : ce qui vous sera proposé, c’est de modifier le mode de désignation des conseillers prud’homaux en mettant fin à l’élection. Il n’est pas question d’autre chose dans ce texte : ni de fusion ni d’évolution. Seule la garde des sceaux, dans la plénitude de ses compétences, pourrait vous répondre sur ces sujets, qui sont soulevés par ailleurs.

Je veux conforter les prud’hommes, qui sont un lieu fondamental de régulation sociale lorsque surviennent des conflits au travail.

Depuis la création des conseils de prud’hommes et la mise en place de l’élection des représentants des salariés dans ces conseils – vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, ce dont je vous remercie –, a été votée la loi de 2008, qui a créé un mode de calcul de la représentativité des organisations syndicales extrêmement efficace et pertinent, lequel a permis à chacune d’entre elles de connaître son poids. Il m’est d’ailleurs revenu la responsabilité de mener jusqu’à son terme la réforme introduite par cette loi.

Pendant très longtemps, les élections prud’homales étaient le seul moyen pour les organisations syndicales de connaître leur importance respective. C’est l’une des raisons pour lesquelles elles y étaient très attachées. Aujourd’hui, tout cela est fini ; il existe un moyen que toutes considèrent comme beaucoup plus pertinent, plus efficace, plus fidèle à la réalité. Tout cela explique que l’attachement que pouvaient avoir certains pour les élections prud’homales n’a plus autant de raison d’être aujourd’hui, même si on peut parfaitement rester fidèle au principe lui-même.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons faire évoluer le mode de désignation des conseillers prud’homaux.

Reste la question de la forme. Monsieur le sénateur, je ne me suis aucunement converti aux ordonnances ; simplement, elles font partie des mécanismes prévus par la Constitution la Ve République. En ce qui me concerne, peut-être en raison de mon âge, qui, s’il avance, n’est pas encore canonique (Sourires.), j’ai toujours considéré que notre Constitution n’était pas forcément un mauvais outil pour permettre à notre pays de faire vivre sa démocratie. Je conçois néanmoins que cela puisse donner lieu à débat.

Les ordonnances sont nécessaires en raison de la très grande complexité des mécanismes à mettre en œuvre. Le principe, vous le connaissez, c’est la désignation par les organisations syndicales en fonction de leur représentativité sur les territoires concernés.

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour la réplique.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, le fait est suffisamment rare pour que je souligne la convergence de nos analyses…

Mme Éliane Assassi. Ce sera de plus en plus fréquent !

M. Aymeri de Montesquiou. … sur l’importance de ces élections prud’homales et sur la démocratisation de la représentation syndicale. Néanmoins, j’aurais souhaité que vous me répondiez plus précisément sur l’échevinage, sur l’efficacité espérée du nouveau système et sur la date d’entrée en vigueur de cette réforme.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à préciser que les propos que je tiendrai dans ma question n’engagent que moi, et aucunement le groupe auquel j’appartiens.

Les conseils de prud’hommes, cela a été rappelé, ont été créés en 1806, et c’est en 1848 que l’institution est devenue paritaire.

Monsieur le ministre, vous souhaitez modifier le mode de désignation des conseillers prud’homaux par voie d’ordonnance. Cette évolution s’appuierait sur la loi du 20 août 2008 sur la représentativité des syndicats. On peut s’étonner de cette éventuelle évolution, car si la représentativité donne la capacité de signer des accords, il en va tout autrement de l’exercice prud’homal, qui est un exercice de justice rendue au nom du peuple français. Son accès à tous doit être maintenu.

Limiter le panel de représentativité pourrait affaiblir la légitimité des prud’hommes. Monsieur le ministre, est-il judicieux de prendre le risque de voir se créer un corps de conseillers quasi inamovibles nommés par leurs organisations ?

M. Robert Hue. Très bien !

M. Jean-Pierre Godefroy. Par ailleurs, comment sera évaluée la représentativité patronale, notamment dans la phase intermédiaire ? Il en résultera – jusqu’en 2017, si j’ai bien compris – une disparité des modes de désignation entre les deux collèges.

Quel serait l’échelon de référence pour le calcul de la représentativité, qui, à mon sens, doit rester au plus près du ressort de chaque conseil de prud’hommes ?

Monsieur le ministre, comme l’a fait Jean Desessard, j’attire votre attention sur le fait que les demandeurs d’emploi ne sont pas pris en compte dans le cadre de la loi du 20 août 2008, alors qu’ils peuvent actuellement participer aux élections et être élus au conseil de prud’hommes. Vous risquez ainsi de mettre à l’écart de ce processus démocratique toute une partie de la population particulièrement concernée.

On nous dit que les élections prud’homales n’ont pas mobilisé. C’est vrai : en 2008, on a compté 4,8 millions d’électeurs. Toutefois, pour les élections qui ont déterminé la représentativité des différentes organisations syndicales, on n’en a compté que 5,4 millions. Par conséquent, cet argument peut être retourné : entre 2008 et 2013, l’écart de participation est faible.

Aussi, monsieur le ministre, je me pose cette question : est-il judicieux, s’agissant d’un sujet qui touche à notre démocratie sociale et qui mérite de faire l’objet d’un large débat, de procéder par ordonnance ? Ne serait-il pas plus judicieux, car l’urgence n’est pas manifeste, que cette réforme fasse l’objet d’un projet de loi débattu par le Parlement ? Ce dernier ne doit pas être dessaisi sur un sujet aussi important que la justice au travail. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Jean Desessard. Quand on a besoin d’une ordonnance, c’est qu’on est malade ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre. L’avantage de ce système des questions cribles thématiques, c’est que j’ai le sentiment d’avoir progressé dans mon argumentation. (Sourires.) Néanmoins, les questions étant écrites à l’avance, elles ne peuvent pas tenir compte des réponses que j’ai déjà apportées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que vous avez avancé dans la compréhension de la volonté gouvernementale, qui bien sûr n’est absolument pas de délégitimer les conseils de prud’hommes à la suite d’un taux de participation de 25 % qui est trop faible ; c’est même tout le contraire !

Monsieur Desessard, la participation des chômeurs que vous évoquiez n’est que de 5 %, c’est-à-dire qu’elle est très basse. C’est bien la preuve que les chômeurs se sentent en quelque sorte exclus de la communauté de travail.

Je souhaiterais maintenant revenir sur un point que j’ai développé en répondant à M. Hue. Confier un tel pouvoir aux organisations syndicales représentatives – ou patronales, dès lors que le système de mesure de la représentativité patronale que je vous proposerai dans la loi aura été mis en place –, c’est montrer la confiance que nous manifestons à leur égard.

Vous craignez l’instauration d’une sorte de corps indépendant ou inamovible. Toutefois, par qui sont désignés les conseils de prud’hommes ? Pensez-vous que, à chacun de leur renouvellement, ce soit le chamboulement général ? Pas du tout !