M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré les 6 000 kilomètres qui séparent ma ville de Martel, dans le nord du Lot, de Fort-de-France, malgré les 9 000 kilomètres jusqu’à Saint-Denis de la Réunion et les quelque 15 000 kilomètres jusqu’à Papeete, nous sommes peut-être moins éloignés qu’il n’y paraît. (Sourires.)

Les habitants des territoires ruraux peuvent en effet partager avec les ultramarins le sentiment d’être victimes d’une fracture territoriale qui ne se résorbe pas, et même, parfois, s’aggrave. Les handicaps structurels et géographiques ne sont, certes, pas les mêmes, mais ils sont bien réels dans les deux cas.

C’est pourquoi je plaide pour l’intercompréhension entre métropolitains et ultramarins, afin de faire en sorte qu’aucun territoire de la République ne soit exclu du développement économique, de la croissance, de l’emploi, pas plus que de l’accès aux services publics : éducation, transport, énergie...

Le groupe CRC nous invite aujourd’hui à débattre de la situation des outre-mer. Il me semble difficile d’aborder en quelques minutes tous les aspects économiques, sociaux, sanitaires, sécuritaires des territoires ultramarins, dans la diversité de leurs situations.

Aussi, à la lumière de l’actualité récente des outre-mer, je me contenterai de vous interroger, monsieur le ministre, sur les perspectives de renforcement du développement économique de ces territoires, les autres enjeux étant, me semble-t-il, interdépendants de ce développement.

Je commencerai par la question de la sécurité. Comme l’a déclaré le Président de la République lors de son déplacement à Cayenne au mois de décembre dernier, la sécurité est le « préalable à tout développement économique ». La Guyane est confrontée à des problèmes de sécurité spécifiques, liés notamment à l’orpaillage et à la pêche illégale.

Cela étant, les autres territoires ultramarins ne sont pas non plus épargnés par la violence : une campagne intitulée « Déposez les armes », incitant les habitants à remettre les armes ou munitions en leur possession aux services de police et de gendarmerie se poursuit actuellement en Martinique. La Guadeloupe a déjà mis en œuvre des opérations similaires.

Notre collègue Jacques Cornano avait d’ailleurs interrogé au mois d’octobre dernier le ministre de l’intérieur, au cours d’une séance de questions d’actualité, sur la situation de la Guadeloupe, où ont été perpétrés une trentaine d’homicides au cours de l’année 2013. Le Gouvernement avait alors promis des renforts de policiers en Guadeloupe et en Martinique. J’aimerais vous interroger sur les évolutions de la situation depuis la fin de l’année 2013, monsieur le ministre. Les renforts sont-ils arrivés ?

J’en viens à un autre sujet, qui a occupé l’actualité ces derniers mois : le blocage des stations-service qui a précédé la publication des décrets réglementant la fixation par l’État des prix des produits pétroliers. Ces événements sont venus rappeler aux métropolitains que la question de la « vie chère » outre-mer restait extrêmement importante. On se souvient que le niveau élevé des prix a été à l’origine de plusieurs mouvements sociaux ces dernières années.

Monsieur le ministre, dès votre arrivée, vous avez fait de cette question un axe prioritaire de votre action.

Nous avons ainsi adopté la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, qui devait permettre de changer durablement la situation en s’attaquant aux rentes et aux concentrations. Ce texte comporte des mesures structurelles de long terme, mais aussi des dispositions d’application plus immédiates, comme le bouclier qualité-prix. Certains effets positifs se sont déjà manifestés, par exemple dans les domaines de la téléphonie ou des frais bancaires.

Je pense aussi à l’essence. Les décrets et les arrêtés de méthode réformant les modalités de fixation par l’État des prix des carburants dans les départements d’outre-mer, récemment publiés, devraient également permettre de redonner plus de pouvoir d’achat aux consommateurs ultramarins.

En outre, dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises à l’Assemblée nationale, les députés ont adopté un amendement pour limiter à l’avenir le blocage des stations-service dans les outre-mer, qui constitue bien évidemment un handicap majeur pour les citoyens et les entreprises de ces territoires.

Malgré ces avancées, la situation économique et sociale des territoires ultramarins reste préoccupante. Le chômage y est toujours deux à trois fois plus élevé qu’en métropole, avec toutefois des situations assez variées d’un territoire à l’autre.

En 2012, le taux de chômage atteignait 28,5 % à la Réunion, 22,5 % en Guadeloupe et en Polynésie française et 21 % en Martinique. Entre décembre 2012 et décembre 2013, la Guyane a connu une augmentation du chômage de plus de 10 %, tandis que le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de façon plus limitée à la Réunion et aux Antilles.

Le Gouvernement s’attelle à la tâche pour redresser la situation du pays. De nombreuses mesures ont été prises pour aider les entreprises à dénicher des financements, à retrouver des marges et, ainsi, à monter en gamme et à devenir plus compétitives. Toutes ces dispositions ont un seul objectif : favoriser l’emploi.

Faudra-t-il compléter ces dispositifs par d’autres mesures, spécifiques, pour les outre-mer ? Le député de la Réunion Patrick Lebreton vous a remis, monsieur le ministre, un rapport sur la régionalisation de l’emploi outre-mer. Il y fait, notamment, plusieurs propositions concernant l’éducation et la formation professionnelle outre-mer. Comment analysez-vous ces propositions et quelles suites pensez-vous leur donner ?

Enfin, si les territoires ultramarins ne sont pas privés d’entrepreneurs et d’entreprises innovantes, vecteurs de croissance et d’emplois, la question des secteurs-clés pour l’économie ultramarine se pose. Dans son récent rapport annuel, la Cour des comptes dresse un constat sévère sur le tourisme outre-mer, qui pourrait se résumer ainsi : il existe de forts potentiels, mais ils sont insuffisamment ou inefficacement exploités.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré que la contribution du tourisme au développement des outre-mer était au cœur de vos réflexions dans le cadre du plan d’action pour la compétitivité auquel vous travaillez actuellement. La ministre de l'artisanat, du commerce et du tourisme, Sylvia Pinel, planche, quant à elle, sur une redéfinition de la stratégie touristique de la France.

Les outre-mer ont certainement aussi un fort potentiel à développer en matière d’énergies renouvelables. Actuellement très dépendants des énergies fossiles, ces territoires ont indéniablement des atouts à faire valoir – solaire, éolien, biomasse, notamment – pour que les énergies renouvelables et la transition énergétique deviennent un secteur de pointe, porteur de croissance.

Monsieur le ministre, vous avez insisté à diverses reprises sur la nécessité pour les outre-mer de développer une stratégie économique de filières. Vous préparez actuellement un projet de loi relatif au développement et à la modernisation de l’économie des outre-mer. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les grandes lignes de ce projet ? Quels seront, selon vous, les secteurs-clés pour la compétitivité ultramarine de demain ?

Il en est de l’outre-mer comme de la ruralité et de l’hyper-ruralité en France hexagonale : il est urgent de mettre un terme au sentiment d’abandon qui touche les populations de ces territoires. (Mme Karine Claireaux applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la délégation à l’outre-mer, monsieur Paul Vergès, chers collègues, puisque mon temps de parole est compté, je centrerai mon intervention sur trois points.

Premièrement, je tenais, monsieur le ministre, à vous remercier d’avoir tenu tête au lobby pétrolier dans votre action contre la vie chère outre-mer.

Le chantage que vous avez subi – je veux parler de la grève des gérants de station-service instrumentalisés en sous-main par quelques compagnies pétrolières soucieuses de préserver leur rente de situation dans les outre-mer – n’était pas acceptable.

Au final, la date du 1er janvier 2014 pour la publication des décrets suivant la promulgation de la loi relative à la vie chère a bien été tenue, ce qui a entraîné une baisse du prix de l’essence à la pompe allant de 3 centimes d’euro en Martinique à 8 centimes d’euro à Mayotte.

Sur les 100 millions d’euros de bénéfices nets annuels qu’encaisse la filière pétrolière en outre-mer, ce sont au total 23 millions d’euros qui seront rendus aux consommateurs ultramarins, soit 60 à 70 euros par consommateur, ce dont nous nous félicitons.

Deuxièmement, je voulais évoquer un second lobby, celui des industries chimiques, plus précisément des producteurs de produits phytosanitaires.

En effet, les Français sont les plus grands consommateurs de pesticides en Europe, et les Antilles utilisent trois fois plus de pesticides par unité de surface que la métropole. Pourtant, en 2010, la loi Grenelle II a posé le principe, sauf dérogations exceptionnelles, de l’interdiction des épandages aériens. Force est pourtant de constater que, sur ce point, outre-mer, l’exception est la règle !

En Martinique, par exemple, une nouvelle dérogation à l’interdiction d’épandage aérien de pesticides a été signée par le préfet le 20 novembre 2013, alors que le tribunal administratif de Fort-de-France, deux semaines plus tard, annulait les deux précédentes dérogations, suite aux recours d’associations. Cette dernière dérogation a heureusement été de nouveau annulée le 3 février dernier.

On veut nous faire croire que de telles dérogations à l’interdiction d’épandage sont indispensables au développement économique de la Caraïbe. Mais comment expliquer que les bananeraies guadeloupéennes se portent bien et vivent, depuis presque un an, sans épandage aérien de pesticides, grâce aux trois annulations de dérogations préfectorales ?

Pourquoi s’obstiner à nier qu’il est bel et bien possible de faire autrement, notamment en embauchant du personnel via les aides européennes pour effeuiller de manière sévère les feuilles des bananiers ? Pourquoi ne pas encourager la diversification de l’agriculture locale en l’orientant vers d’autres cultures, telles que celle de l’avocatier, qui ne nécessite aucun pesticide et résiste aux cyclones ? Pourquoi ne pas vendre les bananes dans la Caraïbe, ce qui réduirait le temps de transport et ne nécessiterait pas de traitement contre les moisissures ? Pourquoi ne pas investir davantage dans la recherche pour trouver des solutions afin d’aller vers une agriculture sans pesticide ?

Dans ce dossier comme dans d’autres, le chantage à l’emploi existe, mais les arguments employés sont fallacieux. Par exemple, l’effeuillage manuel, ou d’autres pratiques, créerait plus d’emplois, et surtout des emplois ne mettant pas en danger les travailleurs.

Par ailleurs, cette succession de dérogations met en péril d’autres secteurs de l’économie caribéenne. Je pense à la pêche et à l’aquaculture, qui subissent les conséquences de l’empoisonnement phytosanitaire jusqu’à mille mètres des côtes. Cela a entraîné, vous le savez, des interdictions de pêche.

Nous sommes très soucieux de l’emploi local, mais il est insensé de faire croire que la santé des bananeraies dépend de l’épandage aérien. De plus, il n’est vraiment pas raisonnable d’opposer aujourd'hui emploi, développement économique et santé de la population, alors que des solutions existent pour concilier ces différents paramètres.

M. Philippe Bas. Tant mieux !

Mme Aline Archimbaud. Plus de 1 200 médecins, dont de nombreux Ultramarins, ont d’ailleurs signé très récemment une pétition nationale pour que tous les produits phytosanitaires qui ne sont pas répertoriés en agriculture biologique et ceux qui sont des perturbateurs endocriniens ne soient plus utilisés, ni par voie aérienne ni par épandage terrestre, afin de respecter le droit à un environnement sain et à une eau saine. Toute la population française a droit à la santé !

Troisièmement, le groupe écologiste, monsieur le ministre, souhaite attirer votre attention sur le projet de loi-cadre pour la biodiversité, qui sera présenté en mars en conseil des ministres.

Ce texte prévoit, notamment, de soumettre l’exploitation de toutes les espèces sauvages et la recherche sur ces spécimens à l’autorisation de l’État ou des collectivités régionales. Seuls ceux qui justifieront de capacités techniques et financières suffisantes recevront ces autorisations, des sanctions étant prévues pour les hors-la-loi.

Le problème est que presque toutes les plantes locales, comestibles, médicinales, aromatiques et utilitaires, dans les outre-mer, sont considérées comme sauvages. Il y a donc un risque pour que cet « or vert » ne bénéficie pas au développement des territoires et pour que les populations locales ne profitent pas de ses retombées financières. Cette richesse en termes de biodiversité ne doit pas être accaparée par quelques grands laboratoires au détriment du reste de la population.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, nous comptons sur votre vigilance particulière dans ce dossier. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu.

M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier notre collègue Paul Vergès d’avoir pris l’initiative de ce débat. Il offre aux élus ultramarins la possibilité de s’exprimer et de partager avec l’ensemble des sénateurs leurs attentes, ainsi que leurs espoirs.

Notre collègue nous permet, aussi, de montrer que, contrairement aux préjugés, l’outre-mer n’est pas un poids, mais est un formidable atout pour notre pays, lequel est grâce à ses collectivités lointaines, présent dans tous les océans du monde.

Il n’en demeure pas moins que, du fait de notre éloignement de l’Hexagone, de notre insularité, de nos histoires et de nos traditions, nous avons des spécificités que la France a su respecter. Nous avons aussi des faiblesses structurelles que la France s’efforce de combler.

À Wallis-et-Futuna, le territoire le plus éloigné de la métropole, nous cumulons tous les handicaps.

Il y a vingt ans, dans l’euphorie de la prospérité occidentale, nous rêvions de la possibilité d’un développement fulgurant, autour de la pêche et du tourisme. Puis la réalité économique et sociale nous a rattrapés. D’autres puissances mondiales ont émergé et, surtout, la crise a surgi.

Dans un environnement mondialisé, loin de tout, mais dans une vaste Océanie où la plupart des pays ont un niveau de vie inférieur au nôtre, nous ne pouvions être compétitifs. Nos exportations seraient forcément trop chères. Mal desservi par une seule compagnie aérienne qui pratique des prix prohibitifs, notre développement touristique était mort-né.

Des monopoles d’importation rendent la vie terriblement chère à Wallis-et-Futuna, tandis que seulement 10 % de la population a un emploi rémunéré, dont les deux tiers dans le secteur public.

Et ce qui devait arriver arriva, hélas ! Nous sommes entrés dans une phase de décroissance démographique qu’il sera difficile d’enrayer.

Nous voilà donc revenus aux dures réalités, auxquelles il faut s’adapter sans délai.

Il y a une douzaine d’années, j’avais plaidé pour la mise en place d’une stratégie de développement, et cette notion, qui inclut la prospective, me semble plus que jamais d’actualité.

Tout en s’adaptant régulièrement, il faut apprendre à réfléchir sur le long terme ; concernant Wallis-et-Futuna, cette réflexion commence par un axiome de base, qui est l’importance géostratégique accrue du Pacifique et le basculement des États-Unis vers la zone Asie-Pacifique.

L’annonce de la visite du Président de la République dans la région à l’automne, ainsi que la récente visite du président du Sénat en Australie et en Nouvelle-Calédonie semblent montrer une évolution importante, et la prise de conscience par la France de cette nouvelle donne géopolitique. Je m’en réjouis, d’autant que l’année dernière, malgré la demande que j’avais formulée auprès du ministre des affaires étrangères, la France n’avait pas été représentée au niveau ministériel au Forum du Pacifique, alors que Mme Clinton, Secrétaire d’État à l’époque, avait fait le déplacement.

M. Bruno Sido. Lamentable !

M. Robert Laufoaulu. Cette absence avait été remarquée, et déplorée : je suis heureux que nos autorités s’en soient rendu compte !

J’en profite pour vous suggérer, monsieur le ministre, l’idée de relancer les sommets France-Océanie tels qu’ils se pratiquaient à l’époque du Président Chirac.

M. Philippe Bas. Très bien !

M. Bruno Sido. C’était le bon temps !

M. Robert Laufoaulu. Dans ce grand ensemble océanien, l’isolement de Wallis-et-Futuna est relatif. Certes, nous sommes à 2 000 kilomètres de la Nouvelle-Calédonie, à 3 000 kilomètres de la Polynésie française et à 20 000 kilomètres de la métropole. Mais nous ne sommes qu’à 400 kilomètres de Samoa, à 800 kilomètres de Fidji, à 1 000 kilomètres de Tonga.

Pour autant, cette proximité géographique n’entraîne que trop peu d’échanges. L’histoire du XXsiècle nous a coupés de ces voisins anglophones, désormais éloignés de nous psychologiquement.

Pourtant, dans la pratique antérieure, il existait des liens forts avec ces pays, car des intérêts commerciaux, voire familiaux, étaient en jeu entre les Wallisiens et les Futuniens, d’une part, et plusieurs pays voisins, d’autre part. Si je prends mon propre exemple familial, un de mes oncles directs a été pendant de très longues années l’un des principaux ministres de Tonga.

Ces liens peuvent de nouveau être mobilisés aujourd’hui dans le cadre des relations politiques et commerciales, et ce levier devrait être utilisé par la diplomatie française.

Le renforcement des liens entre Wallis-et-Futuna et les pays de la région doit être une action à promouvoir. Cela se fera-t-il dans un cadre de coopération ou d’intégration ? Cette question fait, bien sûr, débat, mais je pense qu’une intégration n’est pas encore envisageable si on comprend dans ce vocable la participation à des actions de grande ampleur comme, par exemple, un marché commun tel que celui auquel se prépare la région anglophone à travers, notamment, le PICTA et le PACER, respectivement Pacific Islands Countries Trade Agreement et Pacific Agreement on Closer Economic Relations.

Les îles Wallis et Futuna doivent entrer dans une politique de coopération au travers de projets communs à mettre en place dans différents domaines, comme celui que le Fonds Pacifique vient de lancer, sur les transports.

C’est par de tels projets que nous réussirons peut-être, par une sorte de mutualisation, à faire par exemple baisser le coût du transport d’énergies fossiles, ou à mettre en place une desserte aérienne supplémentaire pour développer un peu de tourisme de circuit.

Cette logique de la coopération commande un renforcement et une intensification des liens, par exemple la participation au Forum comme membre associé, au même titre que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

Cette insertion ne peut se faire qu’avec l’implication des élus, qui doivent être les relais avec les pays de la région, comme le Président Jacques Chirac l’avait dit.

M. Joël Guerriau. Encore lui ! (Sourires.)

M. Bruno Sido. Toujours lui !

M. Robert Laufoaulu. Certes, dans notre statut de 1961, le préfet est le chef de l’exécutif, mais cette mainmise est mal ressentie par nos populations et plus encore par nos voisins, qui y voient comme un relent colonial.

Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes très conscient de la nécessité de l’intégration régionale ; vous connaissez bien ce problème, vous aussi, dans l’environnement caraïbe.

Cela n’a rien à voir avec le lien affectif qui nous lie à la mère patrie. C’est simplement le réalisme qui doit nous guider, plus encore d’ailleurs dans ce contexte de crise.

La crise, cela veut aussi dire des restrictions budgétaires. Vous vous battez courageusement, monsieur le ministre, pour maintenir le soutien de l’État aux outre-mer. Grâce à votre volontarisme et à votre enthousiasme, auxquels je tiens à rendre vraiment hommage aujourd’hui, nous ne sommes pas laissés de côté.

M. Joël Guerriau. Un ministre chiraquien ! (Nouveaux sourires.)

M. Robert Laufoaulu. Mais l’outre-mer prend aussi sa part de l’effort budgétaire national, et c’est vrai que, pour le dernier cyclone à Wallis, nous avons eu moins de fonds destinés à la reconstruction que pour le précédent cyclone à Futuna.

Nous devons chercher des ressources propres pour alimenter le budget du territoire. À l’occasion de sa dernière mission à Paris, l’assemblée territoriale a rencontré les conseillers de Bercy, afin d’ouvrir une réflexion sur la mise en place d’une éventuelle fiscalité territoriale, puisque, je le rappelle, nous avons l’autonomie fiscale.

Il faut aussi absolument et vous l’avez encore dit récemment, monsieur le ministre, relancer le registre de Mata-Utu, qui est une composante du pavillon français. Tous les enregistrements que nous avons perdus l’ont été non pas au bénéfice du RIF, le registre international français, mais au bénéfice d’autres pavillons.

Je remercie le député Arnaud Leroy de m’avoir auditionné, dans le cadre de son rapport, et d’avoir proposé d’autoriser les casinos embarqués pour les navires enregistrés à Mata-Utu, qui sont essentiellement des navires de croisière touristique.

Nous avons besoin de votre soutien, monsieur le ministre, pour obtenir du ministère de l’intérieur cette autorisation. Aidez-nous à être compétitifs et attractifs ! Plus de navires enregistrés, c’est plus de ressources pour le territoire. Une taxation des casinos embarqués, c’est aussi plus de ressources pour le territoire et c’est, en conséquence, moins de pression sur le budget de l’État.

J’espère une autre source de revenus dans l’avenir, pour le territoire, avec la probable exploitation de nos fonds sous-marins. Les campagnes d’exploration menées sous la direction de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, conjointement avec le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, Technip et Eramet, semblent très prometteuses. Mais nous sommes pour le moment trop peu associés aux négociations menées entre l’État et ces entreprises. Il faut absolument que le territoire, ses élus, sa chefferie, soient pleinement intégrés dans les décisions qui seront prises et dans la réflexion sur le volet outre-mer du code minier.

Certes, à l’inverse de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, nous ne sommes pas des décisionnaires indépendants aux termes du statut de 1961.

Pour autant, rien, absolument rien ne saurait se faire dans le dos de nos populations. L’environnement doit être respecté et notre mode de vie préservé. Bien sûr aussi, nous devons être les premiers bénéficiaires de l’exploitation de nos fonds marins, que ce soit en termes financier ou en termes de création d’emplois.

En attendant d’avoir ces développements et ces ressources futures, nous devons prioriser notre action. Nous devons, dans le cadre de l’accord particulier, poursuivre avec la Nouvelle-Calédonie un fructueux et permanent dialogue.

Je partage les préoccupations exprimées par Pierre Frogier au sujet du moment difficile que traverse aujourd'hui la Nouvelle Calédonie, qui demeure notre partenaire naturel ; nos liens sont anciens, une importante communauté wallisienne et futunienne y est installée depuis trois générations.

Aujourd’hui, la dette que l’agence de santé de Wallis-et-Futuna a contractée à l’égard de la Nouvelle-Calédonie empoisonne nos relations.

La santé étant de la compétence de l’État, cette dette doit être apurée par l’État. Il faudrait vraiment que cet apurement intervienne sans attendre, conformément à ce que le Président de la République a affirmé en novembre, lorsqu’il a reçu la délégation de Wallis-et-Futuna.

Nous devons aussi faire baisser le coût de la vie sur le territoire. Quand 10 % seulement de la population a un emploi rémunéré, comment peut-on avoir une des électricités les plus chères du monde ?

Vous l’avez bien compris, monsieur le ministre, et vous avez pris le problème à bras-le-corps. La lutte contre la vie chère est une priorité dans tous les outre-mer, et c’est avec beaucoup de courage que vous vous êtes attaqué au problème. Les populations ultramarines vous en sont reconnaissantes.

Où en sommes-nous, monsieur le ministre, dans la rédaction des ordonnances qui doivent être prises pour l’application à Wallis-et- Futuna de la loi de régulation outre-mer ?

Concernant le coût de l’électricité à Wallis-et-Futuna, des pistes ont été ouvertes grâce au rapport de la Commission de régulation de l’énergie. Un avenant a été préparé par l’entreprise concessionnaire, qui devrait entraîner une légère baisse. Mais on peut et on doit mieux faire. Surtout, à terme, nous devons être moins tributaires des énergies fossiles.

Lors d’un colloque que je parrainais il a quinze jours, au Sénat, sur l’autonomie énergétique dans le Pacifique Sud, j’ai rappelé que notre voisin Tokelau était devenu l’an dernier la première nation au monde dont l’électricité provient intégralement du photovoltaïque.

Vous avez ouvert de très utiles pistes de réflexion avant-hier sur les dispositifs fiscaux à trouver pour les collectivités d’outre-mer ressortissant à l’article 74 de la Constitution. Je souscris pleinement à ce que Brigitte Girardin a dit à l’occasion cette réunion que vous présidiez. Il faut un système adapté à chaque collectivité.

La défiscalisation du logement social est pour Wallis-et-Futuna sans objet. En revanche, un dispositif, qui reste à inventer, permettant de favoriser la transition énergétique doit être mis en place pour notre territoire. La fin de la défiscalisation du photovoltaïque nous a pénalisés, mais ne peut-on trouver un dispositif fiscal en faveur des énergies marines renouvelables ?

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Robert Laufoaulu. J’ai, semble-t-il, dépassé mon temps de parole… (Exclamations amusées sur diverses travées.)

M. le président. À peine…

M. Robert Laufoaulu. Je peux donc continuer ! (Rires et exclamations sur la plupart des travées.)

M. le président. J’applique le principe de tolérance en fonction du nombre de kilomètres parcourus pour gagner l’hémicycle, mais n’en abusez pas ! (Sourires)

M. Éric Doligé. M. Chirac vous aurait certainement autorisé à terminer votre intervention. (Nouveaux sourires.)

M. Robert Laufoaulu. Je conclurai donc en disant qu’il faut nous aider à développer les filières agricoles, monsieur le ministre.

En vous remerciant de votre patience, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tel est l’essentiel de mon propos. Je reverrai M. le ministre pour lui chuchoter à l’oreille ce qu’il me restait à dire ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Karine Claireaux.

Mme Karine Claireaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous dire toute ma satisfaction quant à la tenue de ce débat sur la situation des outre-mer au sein de la Haute Assemblée, un débat qui témoigne de l’intérêt que le Sénat et vous-même, monsieur le ministre, ainsi que votre ministère portez à tous les outre-mer.

Cet intérêt, vous l’avez démontré lors de votre venue à Saint-Pierre-et-Miquelon, en février 2013, au cœur de l’hiver. Ce déplacement chez nous quelque huit mois seulement après votre nomination vous a permis de vous confronter aux réalités de notre territoire.

Vous avez pu mesurer les sérieuses difficultés auxquelles mon archipel doit faire face : une économie en berne, une continuité territoriale inefficace, une politique de santé balbutiante.

Si la période que nous traversons est synonyme d’incertitudes, il faut malgré tout garder espoir. Il nous faut rester mobilisés, inventifs, solidaires. La situation exige des réponses et des solutions innovantes que nous devons rechercher collectivement.

La pêche doit redevenir une activité porteuse pour l’archipel. Il faut la penser autrement. Une diversification s’impose. Il nous faut transformer et proposer des produits avec de la valeur ajoutée. Pour cela, il faut identifier et quantifier toutes les espèces dont nous disposons pour déterminer celles qui peuvent être exploitées localement. Il faut aussi des outils de travail performants et correctement dimensionnés.

Quand les volontés et les projets structurants émergent, il faut les encourager, les accompagner. Si nous sommes tous bien conscients que l’on ne retrouvera jamais l’activité d’autrefois, il y a malgré tout suffisamment de ressources pour faire vivre un pôle pêche sur chaque île.

La question du plateau continental mérite également d’être abordée ici aujourd’hui. Le Président François Hollande s’est engagé à déposer un dossier en avril pour l’extension de la zone économique exclusive de Saint-Pierre-et-Miquelon dans le cadre du programme EXTRAPLAC, extension raisonnée du plateau continental.

Vous avez vous-même réaffirmé, monsieur le ministre, la détermination du Gouvernement sur ce dossier lors de la résolution adoptée il y a quelques jours à l’Assemblée nationale. Mes concitoyens et tous les élus sont mobilisés sur ce dossier. Nous sommes très attentifs car, vous l’avez bien compris, cette revendication d’un plateau continental étendu reste l’ultime alternative si l’on veut reconstruire un avenir économique pour les Saint-Pierrais et les Miquelonnais. Il y va aussi de la place de la France sur toute la surface du globe en tant que deuxième puissance mondiale de par ses outre-mer.

Je suis aussi de celles et ceux qui pensent que l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon a un rôle déterminant à jouer en tant que porte d’entrée de l’Europe en Amérique du Nord. C’est une occasion à saisir, tout comme l’est sa position géographique dans le cadre de l’ouverture de la route du Nord-Ouest.

Dans cette optique, le projet Grand port, qui englobe la création d’un terminal à conteneurs à Saint-Pierre et une nouvelle vision de la desserte maritime régionale, ouvre bien des perspectives de développement économique. Nos ports, en tant que ports d’intérêt national, doivent aussi être modernisés tant pour la pêche que pour la plaisance.

Dans ce cadre aussi, je reste très inquiète des conséquences de l’accord économique entre l’Union européenne et le Canada. Cet accord sera préjudiciable à mon archipel, car il ne tient pas compte de ses intérêts économiques et il mettra en péril son positionnement comme « tête de pont » de l’Europe en Amérique du Nord.

Le tourisme pourrait être l’un des axes de développement intéressants au vu des richesses naturelles, historiques et culturelles de l’archipel. Mais, tant que les problèmes de desserte ne seront pas réglés, et malgré toute la bonne volonté des acteurs sur le terrain, nous ne pourrons mettre en place une réelle économie touristique. Le prix du billet d’avion pour venir sur l’archipel est prohibitif et venir en bateau depuis Terre-Neuve reste très aléatoire.

Chez nous, nous devons mobiliser les énergies à tous les niveaux pour jeter les bases d’un développement économique nouveau, cohérent, réfléchi, avec des projets ancrés sur le territoire, des projets créateurs d’emplois.

Mais nous avons aussi encore besoin de l’écoute et de l’appui du Gouvernement.

S’agissant des collectivités, l’État nous aide beaucoup. J’en veux pour preuve la toute récente annonce concernant la dotation du Fonds exceptionnel d’investissement, qui permettra de sécuriser l’approvisionnement en eau potable de la ville de Saint-Pierre et d’avancer sur le dossier important du traitement des déchets au niveau de l’archipel. Pour la commune de Saint-Pierre et son modeste budget directement lié à l’activité économique et à la répartition, particulièrement inégale, des richesses de l’archipel – le statut met les communes sous la tutelle financière du conseil territorial –, cette aide est précieuse, et je vous remercie, monsieur le ministre.

Les Saint-Pierrais et les Miquelonnais ont besoin que vous continuiez à les aider à appréhender les « spécificités » de notre archipel, non pas comme des handicaps mais bien comme des richesses, des défis à relever, des atouts à valoriser.

Je crois au soutien sans faille du gouvernement de gauche pour nous accompagner, pour nous aider à mener à bien des projets qui redonnent espoir aux jeunes afin qu’ils deviennent des hommes et des femmes libres, créatifs et capables de participer à l’avenir de Saint-Pierre-et-Miquelon. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)