compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Carle

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Boyer,

Mme Odette Herviaux.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Débat sur le bilan des 35 heures à l’hôpital

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le bilan des 35 heures à l’hôpital, organisé à la demande du groupe UDI-UC.

La parole est à M. Jean Arthuis, pour le groupe UDI-UC.

M. Jean Arthuis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’hôpital est au cœur de notre système de santé. Son coût annuel, 65 milliards d’euros, est toujours l’objet d’interrogations, notamment à l’occasion des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Nous savons bien que les frais de personnel y prennent une place prépondérante. C’est pour cette raison que le groupe UDI-UC a souhaité dresser le bilan des 35 heures à l’hôpital. Plus globalement, il est peut-être temps de faire le point sur les 35 heures dans la fonction publique. La situation est suffisamment grave pour rompre avec les conventions de langage habituelles et sortir des clivages traditionnels qui nous ont cantonnés dans l’absence de décision et de réforme structurelle.

Il est symptomatique que nous débattions aujourd’hui des 35 heures à l’hôpital au moment où le Président de la République entend réduire de 50 milliards d’euros les dépenses publiques. Au surplus, nous devons avoir à l’esprit que les frais de personnel représentent de 65 % à 75 % du budget des hôpitaux et des établissements médicosociaux. Il n’y a là rien de comparable avec les autres secteurs.

C’est dans ce contexte exigeant que nous tentons enfin d’évaluer les bienfaits attendus et supposés de la grande réforme mise en œuvre par le gouvernement de Lionel Jospin dès son arrivée aux affaires : partager le travail, comme on partage un gâteau, pour que chacun trouve un emploi. Sans doute aussi pour tirer profit des gains de productivité. Ce faisant, nous braquons les projecteurs sur le régime de travail des seuls agents de la fonction publique hospitalière, c’est-à-dire 1,15 million de personnes sur un effectif global de 6 millions de personnes employées directement ou indirectement par des institutions publiques.

S’agissant de l’hôpital, la situation est alarmante – madame la ministre, vous le savez bien – tant les dysfonctionnements sont multiples. Si l’industrie et le numérique ont vocation à libérer les hommes d’une partie du temps qu’ils consacrent à leur travail à proportion des avancées technologiques et de l’amélioration de la compétitivité qui en résulte, il n’en va pas de même dans le secteur de la santé et de l’assistance aux personnes. La présence, la disponibilité, l’attention et la relation humaine n’ont rien de commun avec les mécanismes qui traitent la matière.

Le constat est aujourd’hui aveuglant. Les agents des hôpitaux sont en souffrance, le malaise est profond et affecte avec la même acuité les établissements sanitaires, notamment ceux qui accueillent des personnes âgées dépendantes. La sécurité, dans nombre de services, est en danger. Les plaintes, les doléances se multiplient de la part des résidents et de leurs familles. Faute de temps, les agents espacent le rythme des toilettes corporelles, et le nettoiement des chambres devient sommaire. Le patient voit sa condition largement dégradée. Aurait-on oublié le facteur humain ?

L’heure est venue de prendre la mesure des conséquences de l’utopie qui a inspiré la réduction du temps de travail, véritable pari intellectuel destiné au secteur concurrentiel pour lutter contre le chômage. Il est éclairant de rappeler que certains économistes, ceux de l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, avaient estimé qu’en réduisant la durée du temps de travail il deviendrait possible de créer 2 millions d’emplois. Leurs travaux avaient inspiré la proposition phare des candidats socialistes lors des élections législatives de juin 1997. C’est donc la loi qui met fin à toute démarche conventionnelle. Pari démagogique, convenons-en, puisque les salaires ne subissent aucune correction à la baisse. C’est « travailler moins pour gagner autant ».

La prévision mirifique a bien vite été revue à la baisse. Je me souviens à cet égard des propos tenus par le directeur de l’OFCE, le 7 janvier 1998, devant la commission d’enquête créée au Sénat, à ma demande, pour mesurer les conséquences prévisibles de la décision de réduire à 35 heures la durée hebdomadaire du travail. Voici ce que déclarait Jean-Paul Fitoussi lors de son audition : « En elle-même l’idée est généreuse. Elle revient à partager de façon beaucoup plus équitable le fardeau du chômage, sans le réduire globalement. On sent percer chez les économistes de l’OFCE qui ont procédé à l’étude une pointe de regret. La loi sur les 35 heures est crédible parce qu’elle est réaliste. Mais précisément pour cela, le partage du travail ne décrit plus l’utopie d’une société devenue si solidaire qu’elle fournit un travail à chacun et à laquelle ils avaient rêvé dans un précédent travail. En devenant loi, l’utopie devient réaliste, mais divise par presque cinq leurs espérances : 400 000 emplois au lieu des 2 millions auxquels ils avaient rêvé lors d’une précédente simulation. » Dans cet exercice, les emplois publics n’étaient pas visés, il s’agissait exclusivement du secteur concurrentiel.

Faisant fi de tous les arguments économiques et sociaux, ignorant les enjeux de compétitivité liés à la mondialisation, réfutant les risques de délocalisation d’activités et d’emplois, niant les signes d’accélération de la désindustrialisation, la majorité de l’époque a voté les 35 heures. Le gouvernement d’alors, tenant les promesses des candidats en campagne – c’était à son honneur –, a promulgué sa loi, faisant naître l’espoir de réduire significativement le chômage. La suite, hélas ! est connue : après une baisse éphémère, le chômage ne cesse de progresser et la France se marginalise. Les données publiées hier soir ne font que confirmer la tendance.

Mais revenons-en à 1998. Dans un premier temps, suivant en cela l’arbitrage du ministre du travail, Mme Martine Aubry, il n’était pas question d’étendre le dispositif aux agents de la sphère publique. Il est vrai que les simulations utopistes de l’OFCE, comme je viens de le rappeler, n’avaient pas pris en compte l’application des 35 heures dans la fonction publique. C’est par un décret d’août 2000 que la réduction du temps de travail a été étendue aux trois fonctions publiques. Les effectifs ont rapidement progressé, passant de 4,83 millions en 1998 à 5,36 millions à la fin de 2011.

La fonction publique hospitalière a suivi cette tendance, mais plus rapidement : aux mêmes dates, le nombre d’agents évolue de 930 000 à 1 130 000, soit une augmentation de 21,5 %. Depuis 2011, la progression se maintient. Dès l’extension des 35 heures, les effectifs avaient bondi et les charges de personnel avaient progressé significativement.

Sur le terrain, les réponses ont été diverses, selon les cultures locales et la nature du dialogue social. Dans le centre hospitalier de Château-Gontier, en Mayenne, que je connais bien pour en présider depuis quelques années le conseil de surveillance, le directeur et les représentants du personnel avaient fait preuve d’un réalisme responsable. Le Gouvernement ayant alloué un supplément de ressources de 5 %, les recrutements ont été régulés à cette hauteur, ce qui a nécessité la mobilisation de toutes les marges de progression pour économiser de 5 % à 6 % du budget. Au même moment, le gel implicite des salaires, discrètement imposé, a permis de tenir à peu près le cap.

S’agissant de l’organisation du travail, il n’a pas été possible de réduire la durée quotidienne du temps de travail dans la proportion de 39 heures à 35 heures. Les 8 heures sont devenues 7 heures 45, afin de permettre la transmission des informations entre les équipes de soignants, pour faire le point sur la situation des malades pris en charge. Ce dispositif a abouti à la multiplication des journées de RTT, créant des perturbations dans les services du fait de la succession des interlocuteurs, au détriment des personnes hospitalisées et des agents eux-mêmes, dont les plannings sont bien souvent totalement bouleversés et peu cohérents.

Au-delà des hôpitaux, dans les maisons de retraite et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, dans les établissements sanitaires relevant de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, opérateurs de l’État ou des départements, accueillant des personnes handicapées ou âgées, dans les foyers d’hébergement de jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, les prix de journée ont atteint des niveaux difficilement supportables par les pensionnaires ou leurs familles.

Corrélativement, le recours aux finances publiques s’est considérablement alourdi.

Les gestionnaires de ces établissements tentent de contenir la masse salariale. C’est ainsi que se multiplient les contrats précaires : emplois d’avenir et contrats jeunes, sorte de sous-fonction publique dont souffrent nombre de jeunes. Faute de réforme du statut de la fonction publique ou de certaines conventions collectives – je pense à celle de l’UNIOPSS –, un espace de précarité s’est largement développé dans les établissements du secteur sanitaire.

Face aux impératifs de maîtrise des dépenses, les pressions se font vives pour réduire le nombre des journées de RTT. Il en résulte un climat de tension, d’incompréhension et de stress. Madame la ministre, si tous les droits acquis au titre des RTT – des millions d’heures – étaient comptabilisés dans les dettes des établissements, nombre de ceux-ci seraient déficitaires ou plus déficitaires encore qu’ils ne le sont en apparence. Autrement dit, la réalité des charges est masquée parce que les provisions qui devraient être constituées à la fin des exercices ne sont pas inscrites dans les bilans.

L’utopie des 35 heures n’a en aucune façon répondu à l’objectif de ses concepteurs dans le secteur marchand. La désindustrialisation s’est poursuivie, les délocalisations d’activités et d’emplois se sont accélérées et le chômage de masse explose. Je le répète, les données publiées hier soir confirment malheureusement cette tendance.

Non prévue à l’origine, l’extension à la fonction publique du dispositif des 35 heures a incontestablement créé des emplois : sans doute plus de 650 000 en tenant compte des effectifs des opérateurs de l’État et des opérateurs des départements dans le secteur médicosocial.

Toutefois, elle n’a fait qu’aggraver la dérive budgétaire ; faute, à mes yeux, accablante et comble de l’hypocrisie politique. Pis, les conditions de travail en milieu hospitalier et dans les établissements médico-sociaux se sont dégradées au point de mettre en péril la sécurité et le respect dû aux personnes. Bref, c’est à mes yeux un fiasco !

L’heure est venue pour le Gouvernement de sortir enfin du déni de réalité. Notre devoir impératif, nous l’avons bien compris, est de réduire de 50 milliards d’euros le montant des dépenses publiques. Nous devons également maintenir au meilleur niveau la qualité tant des soins dans les hôpitaux que de l’accueil dans les établissements sanitaires et sociaux.

Dès lors, les 35 heures ne peuvent rester en l’état. C’est une évidence à l’hôpital, mais la question doit être posée plus globalement pour l’ensemble de la fonction publique, à savoir également la fonction publique territoriale et la fonction publique d’État (Mme Laurence Cohen s’exclame.). L’enjeu global, madame la ministre, peut être évalué à une vingtaine de milliards d’euros. Le diagnostic étant posé, je souhaite que nous puissions renoncer au dogmatisme habituel, faire taire l’esprit partisan et avancer courageusement vers les réformes structurelles qui conditionnent le redressement de la France. Sans remise en cause des 35 heures, les 50 milliards d’euros d’économies annoncées par le Président de la République ne sont qu’un mirage.

Avant de conclure, je veux interroger le Gouvernement à propos de son projet de loi sur l’autonomie des personnes âgées, qualifié de « grand chantier du quinquennat », et dont l’examen et le vote sont annoncés pour la fin de l’année 2014. Les attentes sont vives et légitimes. Pour y répondre, de nouveaux moyens vont devoir être mobilisés. Combien de milliards ? Quel plan de financement ?

L’extension des 35 heures dans la fonction publique hospitalière est un échec, madame la ministre. Il convient donc d’y porter remède sans plus attendre. Le retour aux 39 heures ne peut plus être différé. Les modalités doivent faire l’objet de dialogues et de négociations. C’est désormais une affaire de lucidité et de courage, pour les responsables politiques comme pour les partenaires sociaux, qui doivent aussi penser à ceux qui n’ont pas de travail.

L’utopie, c’est l’idée que les 35 heures pouvaient résoudre le problème du chômage, et le mirage, c’est de croire que nous pourrons réduire de 50 milliards d’euros les dépenses publiques sans remettre en cause cette utopie des 35 heures. Eh bien ! l’utopie et le mirage ne peuvent plus longtemps masquer ce qui ne tardera pas à apparaître comme une marque de lâcheté politique. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai entendu le réquisitoire incisif que vient de prononcer Jean Arthuis sur l’application des 35 heures dans la fonction publique hospitalière, et vous comprendrez que je n’en partage pas la teneur.

M. Jean Arthuis. Parlons-en !

Mme Catherine Génisson. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaite, ayant accompagné récemment une personne soignée, porter témoignage du fonctionnement de l’hôpital public. À rebours du constat délétère que vous avez dressé, mon cher collègue, je tiens à souligner la compétence professionnelle de l’ensemble des personnels tant médicaux que paramédicaux, associée à des conditions d’accueil de grande qualité.

Mais je veux aussi signaler la demande très forte de reconnaissance de la part de ces personnels et leur souhait de retrouver les repères de leur parcours professionnel à l’intérieur de la communauté hospitalière. À cet égard, il est important d’agir, et c’est là une des priorités du futur projet de loi de réforme du système de santé.

Traiter du sujet de l’application des 35 heures à l’hôpital – et je m’en tiendrai à ce sujet – suppose de dissocier, d’une part, les médecins, d’autre part, le personnel paramédical et administratif. La réduction du temps de travail résulte de deux protocoles d’accord : celui du 27 septembre 2001, qui concerne l’ensemble de la fonction publique hospitalière, et celui du 22 octobre de la même année, relatif plus particulièrement au personnel médical.

Pour le personnel paramédical, il s’est agi le plus souvent de réduire le temps de travail quotidien à 7 heures 30, avec en outre l’attribution de quinze jours de repos compensateurs par an intégrés dans les cycles de travail. Une organisation plus rationnelle des soins était ainsi visée. Néanmoins, force est de constater que la mise en place de cette réforme n’a pas été évidente. Fin 2002-début 2003, participant à une mission parlementaire sur l’organisation interne des hôpitaux, présidée par René Couanau, alors député-maire, j’ai très souvent entendu le personnel hospitalier nous faire part des difficultés qu’il rencontrait dans la mise en place du nouveau dispositif d’organisation du travail.

Deux raisons, me semble-t-il, étaient à l’origine de ces difficultés.

La première tient à l’inadéquation entre, d’une part, les besoins, y compris quand des postes étaient créés, et, d’autre part, la demande, dès lors que les écoles d’infirmières, en particulier, ne formaient pas le nombre de personnel nécessaire.

La seconde raison est peut-être la plus déterminante : une demande d’application rapide de la réforme n’a pas permis une mise en œuvre qualitative qui, après évaluation fine du fonctionnement d’un service, aurait dû permettre de formuler des propositions prenant en compte une nécessaire complémentarité entre les différents professionnels.

Trop souvent, la réduction du temps de travail a été appliquée par filière pressionnelle, ce qui a pu engendrer des dysfonctionnements. Pour les personnels médicaux, la réduction du temps de travail a été mise en place de façon concomitante à la transposition de la directive européenne relative à leur temps de travail. Ainsi, depuis 2002, dans le cadre de mise en œuvre de la réduction du temps de travail, les praticiens bénéficient d’une réduction forfaitaire de la durée annuelle de travail de vingt jours ; ils peuvent ouvrir un compte épargne-temps et y affecter congés ou jours de RTT non pris ou jours de compensation des plages de temps de travail additionnel non indemnisées.

En effet, la transposition de la directive européenne sur le temps de travail a eu pour conséquence de comptabiliser les gardes comme du temps de travail effectif – cela me semble extrêmement important pour la prise en compte du parcours professionnel des praticiens hospitaliers –, de créer l’indemnité de sujétion versée pour chaque période de garde intégrée dans les obligations de service, de recourir à du temps de travail additionnel sur la base du volontariat, de considérer le temps de soins accompli durant les périodes d’astreinte à domicile comme du temps de travail effectif et indemnisé forfaitairement, et enfin de confirmer l’obligation de repos quotidien, au moins 11 heures consécutives par période de 24 heures. Ce dernier point est très important, et je parle en connaissance de cause pour avoir longtemps exercé comme praticien hospitalier anesthésiste dans un centre hospitalier : il était évidemment dangereux, après 48 heures de garde passées debout quasiment sans interruption, de reprendre son poste de travail, après le week-end, à 8 heures du matin.

La principale modification du temps de travail des médecins à l’hôpital ces dernières années est donc moins la mise en place de la réduction du temps de travail que l’intégration des gardes dans le temps de travail, associée à l’obligation de repos quotidien et à l’interdiction de cumuler des gardes successives.

Par ailleurs, la réduction du temps de travail a conduit à introduire de nouveaux outils de gestion, notamment le compte épargne-temps, déjà mentionné, dont le format s’est adapté au fil du temps. Ce compte a été créé pour permettre aux agents de la fonction publique hospitalière d’y porter une partie des jours de congés annuels non pris, ainsi qu’une partie des jours accordés et non pris au titre de la réduction du temps de travail, et des heures supplémentaires non récupérées et non indemnisées. Il permet également au personnel médical, je viens de l’indiquer, d’y porter une partie des jours de congés ou de temps additionnel non pris dans l’année.

Il faut reconnaître que le personnel paramédical a peu recours à cet outil. Les bilans successifs de l’application des 35 heures ont montré la nécessité de revoir le dispositif d’accumulation des jours de congé et des jours de réduction du travail non consommés. D’où le décret du 6 décembre 2012, qui prévoit notamment qu’un maximum de dix jours peut-être intégré chaque année dans le compte épargne-temps, avec un plafond maximal de soixante jours, le compte épargne temps ayant une durée illimitée.

Aujourd’hui, quel constat pouvons-nous tirer ? L’instauration des 35 heures dans la fonction publique hospitalière est unanimement plébiscitée, quel que soit le personnel concerné : médical, paramédical ou administratif. Pour autant, on ne peut ignorer les tensions qui existent, en particulier au regard de l’intensification des rythmes de travail. Celle-ci relève de facteurs internes mais aussi externes à l’hôpital.

Parmi les causes endogènes, on peut citer la nécessité pour les personnels d’adapter en permanence leur travail aux progrès de la médecine et celle de s’adapter aux changements d’organisation du travail à l’hôpital, avec, par exemple, le développement de la chirurgie ambulatoire, de l’hôpital de jour ou de l’hôpital de semaine.

À cela s’ajoute la demande qui est faite à l’ensemble du personnel de travailler sur tous les postes de travail, le matin, l’après-midi et la nuit, ce qui auparavant était principalement réservé aux services de soins intensifs. Ce mode d’organisation du travail est favorable à la prise en charge du patient quand ses temps de vie sont différents, le matin, l’après-midi et la nuit, mais il entraîne une pénibilité accrue pour le personnel, puisque les postes de jours et de nuits étaient antérieurement dissociés.

Les causes de tension sont aussi externes à l’hôpital. En effet, si celui-ci sert ordinairement de recours en cas de défaillance du système de santé, il lui est difficile d’en absorber les conséquences en permanence.

Je prendrai le seul exemple de la permanence des soins. Le constat des difficultés d’organisation du système de santé libéral conduit à l’augmentation continue de la fréquentation des services d’urgence, qui, par ailleurs, connaissent en aval des difficultés à admettre les patients dans des services de plus en plus spécialisés.

Madame la ministre, vous travaillez bien sûr activement à trouver des solutions à ces problèmes, et en particulier à la réorganisation de la médecine des premiers recours. Vous avez notamment proposé qu’une personne régule les entrées dans les services selon l’urgence des situations.

Pour remédier aux tensions résultant des problèmes de disponibilité des personnels, il est important d’établir un diagnostic fin, entre, d’une part, le manque structurel de personnel hospitalier, conséquence de réorganisations lourdes – et il faut dire que, depuis dix ans, on a subi de telles réorganisations –, et, d’autre part, l’obligation d’assumer les dysfonctionnements de l’organisation de notre système de santé.

Au nom de mon groupe politique, je veux exprimer notre attachement à l’application des 35 heures dans la fonction publique hospitalière, sans néanmoins méconnaître les difficultés réelles qui découlent de leur mise en place.

M. Jean Arthuis. On peut le dire, en effet !

Mme Catherine Génisson. J’ai envie de dire que, aujourd’hui, les 35 heures ne sont plus le sujet. S’il y a bien un secteur où elles sont légitimes, c’est celui de la fonction publique hospitalière, quand en particulier elles constituent l’une des réponses à la pénibilité tant physique que psychologique de l’ensemble des métiers hospitaliers.

Dans l’immédiat, nous avons à nous mobiliser sur la réorganisation des soins de santé primaires, sur la démocratie sanitaire, sur l’obligation de redonner sens et cohérence au service public hospitalier et d’adapter la gouvernance à l’hôpital.

Dans le rapport d’information sur la coopération entre professionnels de santé qu’Alain Milon et moi-même avons rédigé, nous proposons notamment de développer les possibilités d’évolution de carrière de soins afin de valoriser les professions socles. Les infirmières, par exemple, outre les promotions au statut de cadre administratif, pourraient se voir offrir la possibilité d’évoluer dans les métiers du soin, avec la création annoncée du statut d’infirmière-clinicienne.

De telles réformes, madame la ministre, sur lesquelles vous travaillez dans le cadre de la préparation du projet de loi relatif à la santé publique, sont attendues avec intérêt. Nous savons pouvoir compter sur votre engagement et votre détermination, comme vous pouvez compter sur notre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean Arthuis. Et les 50 milliards d’économies, madame Génisson ?

Mme Laurence Cohen. La suppression des allégements de charges pour les entreprises suffira !

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout comme Mme Génisson, je ne suivrai pas le réquisitoire que nous venons d’entendre contre les 35 heures à l’hôpital. Les écologistes ont toujours été et demeurent pour la réduction du temps de travail tout au long de la vie. Nous préconisons d’ailleurs qu’une négociation sociale soit organisée d’urgence à ce sujet, afin d’encourager les employeurs et les salariés à progresser sur cette question.

M. Jean-François Husson. C’est consternant !

Mme Aline Archimbaud. L’hôpital est l’un des lieux de travail au sein desquels cette réforme peut prendre tout son sens. La charge physique et émotionnelle des personnes qui y travaillent est énorme, quel que soit leur poste, et les horaires y sont atypiques, car les patients doivent faire l’objet d’une attention continue.

De surcroît, les personnels hospitaliers ne peuvent pas un instant baisser la garde sur la qualité de leur travail, qu’il s’agisse de l’accueil des patients, de l’écoute qui doit leur être accordée ou, bien sûr, des soins qui leur sont prodigués, car ces trois aspects du travail à l’hôpital ont un impact direct sur l’état de santé des personnes qui sont amenées à y consulter ou à y séjourner. C’est bien pourquoi la réforme des 35 heures, qui est l’une des avancées sociales majeures du gouvernement de Lionel Jospin, avait un sens particulier à l’hôpital.

Cette réduction du temps de travail y a été mise en œuvre sur la base de deux protocoles, le premier, en date du 27 septembre 2001, qui concernait les personnels non médicaux, le second, en date du 22 octobre 2001, qui concernait les personnels médicaux.

Le protocole visant les personnels non médicaux prévoyait notamment d’améliorer les organisations de travail et les conditions de vie au travail, avec une durée hebdomadaire moyenne de 35 heures et de 32 heures 30 pour les personnels travaillant de nuit, des heures supplémentaires limitées à 20, puis à 15 et enfin à 10 heures par mois. Il prévoyait aussi la création de 45 000 emplois non médicaux, répartis entre le secteur sanitaire – 37 000 –, et le secteur social et médico-social – 8 000.

Quant au protocole visant les personnels médicaux, il prévoyait le financement de l’intégration des gardes dans le temps effectif de travail, la rémunération d’une partie des plages additionnelles et la création de 3 500 emplois médicaux, ce qui correspondait à un objectif réaliste compte tenu des capacités de recrutement et de la démographie médicale, mais qui nécessitait un effort de rationalisation dans l’utilisation du temps médical.

Par la suite, au mois de janvier 2003, un contrat d’assouplissement a été conclu, qui introduisait la possibilité de payer des jours de congés non pris du fait de la montée en charge de la RTT, et élargissait les conditions d’utilisation des comptes épargne-temps.

En énumérant les conséquences de la réforme, on mesure l’avancée sociale qu’elle a constituée pour tous les personnels hospitaliers. Toutefois, pour être complet, il faut avouer que tout n’a pas été si simple ni si fluide.

De fait, les créations d’emplois non médicaux n’ont pas pu être effectives dès le mois de janvier 2002 : elles se sont étalées, du point de vue des autorisations notifiées aux établissements, entre 2002 et 2004. À ces délais s’est ajouté un laps de temps plus ou moins important, selon les établissements et les régions, en fonction du contexte de pénurie de personnel, avant que le recrutement soit achevé.

Par ailleurs, il semble que le nombre des emplois créés ait été inférieur aux chiffres initialement avancés : par exemple, au lieu des 37 000 emplois non médicaux supplémentaires prévus dans le secteur sanitaire, seuls 35 000 ont été créés. En outre, alors que la création de 3 500 postes médicaux était prévue pour combler les RTT des professionnels de santé, la totalité de ces postes n’a pas été pourvue, faute de candidats et surtout faute de crédits accordés aux établissements pour embaucher et compenser l’effet de la mesure.

De toute manière, la Cour des comptes a indiqué, dans son rapport de mai 2006 sur les personnels des établissements publics de santé, que le nombre de postes annoncés était déjà insuffisant pour compenser la baisse du temps de travail.

Au-delà des créations d’emplois, les 35 heures, associées à une maîtrise des effectifs, étaient supposées amener les services à effectuer des gains de productivité pour compenser la perte de volume horaire, grâce à la réduction, par exemple, des chevauchements d’équipes et la mise en commun des moyens. Au lieu de cela, la réforme a débouché, c’est vrai, sur une dégradation du service public à l’hôpital.

Pour limiter les dégâts et assurer la continuité du service public, un certain nombre de personnels, principalement les médecins, ont dû repousser la prise de leurs RTT. Entre 2002 et 2012, ce sont ainsi plus de 2 millions d’heures de RTT qui ont été stockées. Or les RTT ne peuvent être prises que dans un délai maximal de dix ans. En 2012, le choix a donc été laissé aux personnes concernées d’être payées au titre de ces RTT, de les convertir en points de retraite ou de prendre des congés, ce qui a engendré un surcoût pour les hôpitaux de près de 600 millions d’euros.

Les hôpitaux n’ayant pas tous provisionné les sommes nécessaires au financement de ces RTT retardées, des problèmes budgétaires se sont posés à un certain nombre d’entre eux. En 2012, les comptes épargne-temps ont, en conséquence, été modifiés de façon que la possibilité de stocker des congés soit réduite.

Quel bilan tirer finalement de la mise en œuvre des 35 heures dans les hôpitaux publics ? L’idée était bonne et salvatrice, mais sa mise en œuvre, forcément complexe, a connu des failles, des difficultés, parfois importantes, dont nous devons tirer les leçons rapidement afin de dégager des propositions.

Ce qui est sûr, c’est qu’il est vain, pour les gouvernements qui se sont succédé depuis la mise en place des 35 heures, de se rendre mutuellement responsables des problèmes qui ont surgi. En vérité, l’insuffisance de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie – ONDAM – figurant dans les projets de lois de financement de la sécurité sociale successifs ainsi que le déficit persistant des comptes sociaux ont, eux aussi, considérablement compliqué l’application de la réforme.

À nos yeux, la mise en place des 35 heures à l’hôpital n’était ni une utopie ni un objectif démagogique. Certes, sa mise en œuvre a entraîné de graves difficultés, mais les débats que nous aurons prochainement lors de l’examen du projet de loi de santé publique devraient nous permettre d’intégrer cette question dans le sujet plus vaste de la réforme de notre système de santé publique. Ils seront l’occasion d’articuler l’objectif de la réduction du temps de travail à 35 heures à l’hôpital, qu’il faut toujours chercher à atteindre, avec la diminution des déficits de l’assurance maladie, la lutte contre les inégalités dans l’accès aux soins, la volonté de placer davantage la prévention au cœur de notre politique, ainsi que l’amélioration du fonctionnement général de l’hôpital public, tout en développant la démocratie sanitaire.(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)