M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.

M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons enfin ce soir en séance publique de ce projet de loi, tant attendu, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Je tiens tout d’abord à saluer le travail accompli par nos deux rapporteurs, MM. Guillaume et Leroy, qui ont su être vraiment à l’écoute des organisations dont nous avons auditionné les représentants et des sénateurs. Grâce à eux, nous avons pu aborder l’examen du texte très sereinement et travailler dans un climat de dialogue et d’ouverture, ce qui nous a déjà permis de trouver plusieurs points d’accord.

Avant d’évoquer le contenu du projet de loi, je souhaiterais faire à mon tour un point sur le contexte actuel et les situations très contrastées que l’on rencontre dans le monde agricole.

De nombreux agriculteurs sont dans une situation de désespérance absolue. Telle est la réalité ! Crise de l’élevage, déficit d’installations, terrible déprise agricole dans certaines zones, particulièrement de montagne : la liste des aspects de la situation gravissime que nous connaissons est très longue. Dans certains cas, y compris s’agissant d’ateliers industriels, nous avons même atteint un point de non-retour. Je pense notamment à la production laitière.

Devant ce constat dramatique, vous nous annoncez, monsieur le ministre, une grande loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. L’intitulé du texte pouvait nous donner quelques espoirs, mais j’ai le regret de vous dire que son contenu nous déçoit. On n’y trouve vraiment pas l’élan, le souffle nouveau que nous attendions, eu égard au vocabulaire employé : l’emballage est beaucoup plus brillant que le contenu !

Le texte comporte certes des améliorations des dispositifs existants, mais il s’agit beaucoup plus d’un toilettage que d’une véritable loi d’avenir, monsieur le ministre ! Je reviendrai un peu plus tard sur les grands sujets oubliés dans ce projet de loi et dont le traitement aurait pu, de notre point de vue, faire de ce texte une réelle loi d’avenir.

Au-delà de ce manque d’élan, je souhaite évoquer l’orientation globale qui a été choisie et, surtout, le déséquilibre marqué entre dimension économique et dimension environnementale.

Bien entendu, il faut un juste équilibre entre la recherche de performances économiques et l’orientation vers une agriculture « verte », agroenvironnementale. S’il est évident que l’environnement doit avoir sa place dans l’agriculture, cela ne doit pas être au détriment de la performance économique. Or, dans ce projet de loi, si l’écologie est bien présente, la place de l’économie n’est pas suffisante. Mon collègue Daniel Dubois le démontrera tout à l'heure.

Pourtant, renforcer la compétitivité de la France dans le domaine agricole est primordial. Il est nécessaire de toujours innover, en s’appuyant sur de nouveaux outils économiques, en explorant de nouvelles pistes. Surtout, il nous faut stabiliser et sécuriser la situation financière des agriculteurs.

Sur le fond, le travail effectué ne nous inspire pas que des critiques : nous notons aussi quelques avancées.

À cet égard, je pense notamment à la « clause miroir ». Il faut dire que nous revenons de loin : à la suite de nombreuses discussions, un compromis semble avoir été trouvé. Je m’en réjouis et je salue le travail des rapporteurs.

Je pense aussi aux débats sur le foncier, lesquels se sont déroulés sereinement, monsieur le président de la commission des affaires économiques. Sur ce sujet très délicat, il convient d’avancer très prudemment, les points de vue étant extrêmement éloignés les uns des autres. Grâce à ce projet de loi, nous avons pu convenablement en débattre et évoquer certaines pistes.

Il en va de même pour le registre de l’agriculture, qui vient renforcer le statut d’agriculteur, auquel est lié l’octroi de certaines aides. Certes, les mesures proposées ne sont peut-être pas parfaites, mais le débat devrait permettre d’améliorer le dispositif, pour aboutir probablement à un contenu satisfaisant.

Malheureusement, à côté de plusieurs avancées notables, on note l’omission de nombreux sujets dans ce projet de loi. Cette situation est regrettable, car, sans cet oubli de questions primordiales pour le futur de l’agriculture, on aurait réellement pu faire de ce texte une vraie loi d’avenir.

Je pense, par exemple, aux organismes génétiquement modifiés. Comment est-il possible que le Gouvernement préfère inscrire à l’ordre du jour de nos travaux l’examen en procédure accélérée de propositions de loi portant spécifiquement sur une variété d’OGM plutôt que d’aborder ce grand sujet d’avenir dans un projet de loi qualifié justement « d’avenir » ? Monsieur le ministre, avec les OGM,…

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Les PGM, les plantes génétiquement modifiées !

M. Jean-Jacques Lasserre. … nous sommes en plein dans l’avenir, et la recherche en la matière est capitale ! Le présent projet de loi aurait pu être le véhicule adéquat pour traiter ce sujet, selon une perspective beaucoup plus globale. Il est dommage que vous n’ayez pas saisi cette occasion. Nous n’allons tout de même pas élaborer une proposition de loi pour chaque nouvelle variété d’OGM ! Il serait regrettable de passer à côté du rendez-vous que constitue l’examen de ce texte.

Un autre sujet oublié me semble important : la politique agricole commune. Monsieur le ministre, votre texte n’y fait que très peu référence. Or je pense que certains problèmes auraient dû être évoqués, concernant notamment ce qui est laissé à l’appréciation des États membres, en particulier la marge de manœuvre dont nous disposons sur le volet « verdissement » et les obligations d’assolement, qui seront véritablement catastrophiques pour certaines régions de monoculture.

Troisième point oublié : la relation avec la grande distribution. Le médiateur de la coopération agricole pourra intervenir, mais il manque, à mon sens, dans la définition de ses attributions, un cadre contractuel beaucoup plus précis, beaucoup plus resserré, permettant de mieux garantir le secteur de la production.

Un autre thème, primordial à mon sens, n’est pas évoqué dans le projet de loi : la couverture des risques. Cette dernière année, des catastrophes météorologiques se sont produites dans presque toutes les régions de France, à commencer par mon département. Devant ces désastres, les agriculteurs sont désemparés, et nous en connaissons tous qui ne pourront pas s'en relever.

Des dispositifs existent certes en matière de gestion de crise ou d'après-crise à la suite d’inondations, par exemple, mais je crois que nous devons pointer ces lacunes. Cela engendrera d'autres réflexions, par exemple sur l'articulation des rôles des différentes collectivités ou sur les obligations auxquelles les collectivités devraient souscrire : assurance ou pas, création de fonds spécifiques… Cet aspect est un des grands oubliés de ce projet de loi.

Dernier point sur lequel nous attendions au moins un débat : la simplification administrative en agriculture. Je pense notamment à l’application de la loi sur l’eau. Des régions entières, en particulier les zones humides, marécageuses, souffrent terriblement d’une mauvaise interprétation de cette loi ou de son application irréfléchie. En matière de simplification administrative, nous aurions pu accomplir quelques belles avancées…

Vous l’aurez compris, notre position sur ce projet de loi est mitigée. L’avenir de l’agriculture n’est, de toute évidence, pas suffisamment esquissé dans ce que nous considérons être un texte de toilettage, monsieur le ministre. L’intitulé de votre projet de loi suscitait des espoirs, mais nous restons un peu sur notre faim, car nombre de sujets importants ne sont pas abordés. La suite des débats déterminera notre vote. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC – M. Didier Guillaume, rapporteur, applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.

M. Alain Bertrand. Je dirai d’emblée qu’il s'agit à mes yeux d’un bon texte. Je me félicite que M. Le Foll ait été reconduit au ministère de l’agriculture, car il est un bon ministre ! (Sourires.) Je salue le travail des rapporteurs. J’ai particulièrement apprécié les propos de Philippe Leroy sur la forêt.

J’aurais préféré pour ma part que l’examen de ce projet de loi intervienne encore plus tard, après la fin des discussions sur la PAC. Les enjeux fondamentaux sont bien pris en compte. Sur plusieurs points essentiels, ce texte apporte des réponses opportunes, mais il suscite aussi beaucoup d’inquiétudes. Je l’ai dit au ministre Stéphane Le Foll, ce projet de loi fait la promotion de l’agroécologie, or cette notion choque tous nos agriculteurs.

M. Rémy Pointereau. Très bien !

M. Alain Bertrand. Dans les campagnes, ce mot ne veut rien dire : quand on retourne un champ, ce n’est pas écologique puisqu’on ne lui conserve pas son caractère naturel, quand on épand un pesticide, ce n’est pas non plus écologique, pourtant ce sont là des pratiques agronomiques absolument indispensables. Ainsi, monsieur le ministre, l’élu de la campagne que je suis aurait plutôt parlé, tout simplement, d’agriculture raisonnée.

M. Rémy Pointereau. Très bien !

M. Alain Bertrand. Cela aurait évité de choquer nos agriculteurs, et les choses, monsieur Guillaume, seraient beaucoup mieux passées dans nos milieux très ruraux, sans qu’il soit besoin de les expliquer en permanence…

Je suis d’accord avec Joël Labbé (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.) : je ne souhaite pas que l’on bousille tout, que l’avenir de l’agriculture se résume à une production idiote, que les prairies naturelles disparaissent, que l’on multiplie les épandages de pesticides ! Pour autant, je le répète, il aurait été préférable de parler d’agriculture raisonnée, plutôt que d’agroécologie.

Joël Labbé veut aller beaucoup plus loin, et incite le ministre à le suivre ; quant à moi, j’en appelle à faire preuve de plus de bon sens, et l’on verrait où cela nous conduit.

Nous avons le souci de préserver l’environnement, tout en permettant de produire. Le monde agricole, c’est tout de même des milliers de personnes qui travaillent dur pour parvenir à vivre de leur métier. En Lozère, certains agriculteurs touchent moins de 10 000 euros de primes par an… Certes, d’autres, en particulier des céréaliers, peuvent toucher jusqu’à 200 000 ou 300 000 euros, mais il s'agit en tout cas de gens qui travaillent dur, et il faut donc d’abord leur parler de leur revenu, de leurs difficultés, souligner qu’ils sont une des forces vives du pays. Le Premier ministre, cet après-midi, nous disait que la France était un grand pays, pouvant s’appuyer sur des savoir-faire remarquables. La France peut notamment compter sur son agriculture, qui contribue à améliorer nos comptes extérieurs, souvent déséquilibrés. Il faut en tenir compte.

J’aurais aimé que l’on envisage une revalorisation des indemnités compensatoires de handicaps naturels et des droits à paiement unique, même si je n’ignore pas que cela ne relève pas d’un texte de cette nature.

La création des groupements d’intérêt économique et environnemental est une bonne chose. Dans certaines filières, on devrait pouvoir faire beaucoup mieux, en réfléchissant à une plus grande échelle, en promouvant les labels quand cela est possible, en favorisant la création d’ateliers de transformation de taille importante, en mettant en place de vraies stratégies industrielles. Cela est par exemple nécessaire pour le lait.

Certaines questions sont bien traitées, comme celle de la protection des terres agricoles. Si je comprends la réserve du ministre et des commissions quant à l’extension du droit de préemption des SAFER,…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Elles sont pourtant renforcées dans le texte !

M. Alain Bertrand. … je fais confiance, pour ma part, à ces outils qui marchent bien et sont pilotés par des gens efficaces et proches du terrain. J’aurais donc préféré que l’on aille plus loin. Ainsi, le texte prévoit qu’une SAFER pourra acquérir, en vue de l’installation d’exploitants, des bâtiments ayant été utilisés pour l’exercice d’une activité agricole au cours des cinq dernières années. Or, dans le milieu rural, beaucoup de bâtiments agricoles sont abandonnés depuis bien plus longtemps. On ne pourra donc pas y installer de jeunes agriculteurs, alors que ces bâtiments ne sauraient avoir d’autre vocation qu’agricole, sauf à être transformés, le cas échéant, en maisons de campagne.

M. Didier Guillaume, rapporteur. Là, il a raison !

M. Alain Bertrand. En matière de défrichements, on entend des histoires de cornecul, comme dit mon préfet… (Rires.)

Je suis maire de Mende, petite ville de 14 000 habitants. On a décidé de créer une zone d’activité, avec deux plateformes d’une trentaine hectares. Cela fait sept ans que nous y travaillons ! Pour pouvoir déboiser trente-trois hectares de mauvais pins sylvestres sur la première plateforme – déjà retenue à 80 % et où plusieurs centaines de personnes travailleront à terme –, on a dû batailler un an avec la direction départementale des territoires ! De telles situations ne sont plus acceptables.

Quant au loup… (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean Desessard. Quand il y a un loup, il y a du flou !

M. Alain Bertrand. Je ne crois pas au déclassement du loup au titre de la convention de Berne. De même, les cormorans pillent toutes les rivières de France et sont en train de faire disparaître les truites fario sauvages, dans l’indifférence générale. Ces oiseaux, que l’on compte par millions chez nous, en Afrique ou en Asie, sont pourtant toujours protégés par l’Europe !

Là aussi, le bon sens doit prévaloir. Concernant le loup, il faut prendre des mesures pour éviter que la situation ne dégénère. Je suis sûr que Joël Labbé et M. le ministre seront d’accord avec moi.

M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de conclure.

M. Jean-Vincent Placé. Non, qu’il continue !

M. Alain Bertrand. Je voterai ce projet de loi avec plaisir, monsieur le ministre, mais nous devons encore l’améliorer ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard César.

M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais remercier particulièrement les rapporteurs de la commission des affaires économiques, Didier Guillaume et Philippe Leroy, de nous avoir fait bénéficier de toute leur expertise.

Contrairement aux apparences, la majorité et l'opposition ne défendent pas des visions antagonistes de l’agriculture.

Bien sûr, le débat autour de ce projet de loi est accaparé par la promotion de l'agroécologie et de l'ensemble des dispositions devant conduire à un verdissement de notre politique agricole.

Dans ce texte, le Gouvernement redouble d'efforts sémantiques pour satisfaire toutes les composantes de sa majorité. Cela n'a rien de surprenant.

Cependant, il ressort des débats à l'Assemblée nationale qu'il y aurait deux visions irréconciliables de l’agriculture française, avec, d'un côté, une majorité désireuse d’incarner une rupture écologique, et, de l'autre, une opposition hostile au développement de l’agriculture biologique.

Mes chers collègues, je ne crois pas à ce clivage, largement artificiel. Il existe, j'en suis certain, des dénominateurs communs.

Le premier d’entre eux est, selon moi, la satisfaction de notre demande intérieure. Oui, il est incompréhensible que la France importe la moitié de ses fruits et de ses légumes. Oui, il est incompréhensible que la France importe 20 % de sa consommation de viande bovine ou la majeure partie de sa consommation de viande ovine.

Dans le même temps, la France est passée, en quelques années, du deuxième au cinquième rang mondial pour les exportations agroalimentaires, derrière les États-Unis, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Brésil.

Certes, notre agriculture affronte de nouveaux concurrents redoutables, mais nous ne profitons pas suffisamment des marchés des pays émergents, qui, eux, parviennent à pénétrer les marchés européens.

Tout le monde peut faire le constat suivant : nous avons un potentiel énorme, largement sous-exploité, et lorsqu'il ne l'est pas, notre offre est inadaptée parce que mal organisée.

Pourtant, si l’on regarde de près la part de chaque production dans l’agriculture française, on observe que l'élevage arrive en première position, avec 26 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour 2012, suivi par l'activité céréalière, qui a rapporté 15 milliards d'euros. En troisième position, on trouve le secteur des fruits et légumes, avec plus de 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Nous sommes donc face à un immense gâchis. Nous avons un terroir, un savoir-faire, des produits, une valeur ajoutée incomparables par rapport à ceux de nos concurrents, même européens, mais nous sommes incapables de valoriser notre offre, que ce soit pour répondre à la demande intérieure ou à celle des pays émergents.

Par conséquent, il n'est pas utile de se quereller sur le point de savoir si la réponse à apporter à ce défi doit être biologique, écologiquement responsable ou propre à conjuguer rentabilité et préoccupations environnementales. Tous les leviers devront être activés pour reconquérir des parts de marchés.

Alors oui, je déplore un recours abusif au champ lexical de l'écologie, comme si l'agriculteur français n'avait que faire de ces préoccupations.

Cela étant, je me dois de souligner une omission. Monsieur le ministre, vous fondez une part substantielle de votre texte sur la notion d'agroécologie. Pourquoi pas, mais encore aurait-il fallu en donner une définition précise, qui ne se limite pas à évoquer « une diminution de la consommation d'énergie, d'eau, d'engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques ».

En ce qui concerne la création des GIEE, nous sommes, là encore, perplexes. Notre critique portera non pas sur la mesure elle-même, mais sur sa mise en œuvre. Monsieur le ministre, quelles sont ces majorations d’aides publiques dont pourront bénéficier les exploitants agricoles concernés ? L'article 3 est pour le moins silencieux sur ce point.

Quoi qu'il en soit, il s'agit de promouvoir des modes de production agricole de manière incitative, et non pas coercitive. Or l’article 4 va précisément à l’encontre de cette démarche.

Cet article introduit notamment le bail environnemental. D'un point de vue opérationnel, on se rend très vite compte que ces dispositions réduiront l'accessibilité du foncier agricole. Fort heureusement, l’examen en commission a conduit à l'adoption d'un amendement de notre rapporteur Didier Guillaume, visant à n'étendre le bail environnemental que s'il s'agit, pour le bailleur, de nouvelles pratiques ne marquant pas de régression par rapport à l'existant.

Malheureusement, tous les exploitants agricoles ne seront pas en mesure de satisfaire aux clauses inscrites dans le bail, même si elles ont été respectées par un autre exploitant.

Une autre difficulté doit être mentionnée : qu’adviendra-t-il pour les agriculteurs qui s’étaient engagés à respecter des clauses très contraignantes et qui, par manque de viabilité économique, veulent changer de production ?

En conséquence, notre groupe reste opposé à cet article 4, car il traduit, selon nous, une conception punitive de l’écologie qui restreindra l’accès au foncier agricole. Pour cette raison, nous défendrons un amendement visant à supprimer ce qu’il reste du bail environnemental.

J’en viens maintenant aux « clauses miroirs » introduites à l’article 6.

L’alinéa 11 de cet article prévoit que, pour les sociétés coopératives agricoles, l’organe chargé de l’administration détermine les critères relatifs aux fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires affectant significativement le coût de production de ces produits. En réalité, il s’agit bien du conseil d’administration, qui traite des marchés, et donc de tout ce qui concerne l’activité de la coopérative.

Je profite de cette occasion pour vous demander, monsieur le ministre, où en est la médiation sur la mise en œuvre de la clause miroir que vous avez proposé de mettre en place en décembre dernier. De la même manière, quid du refus de Bruxelles de faire bénéficier les coopératives agricoles du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE ?

Monsieur le ministre, l’engagement que vous aviez pris à l’occasion des états généraux de l’agriculture, le 21 février dernier, de solliciter le Premier ministre, en contrepartie de votre refus de poursuivre les négociations sur le CICE avec Bruxelles, « pour que soit accordée aux coopératives, par anticipation, la suppression des charges liées aux cotisations familiales que le Gouvernement envisage » est-il toujours valable ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je l’ai dit dans mon intervention.

M. Gérard César. Si tel est le cas – je ne voudrais pas avoir l’air de douter de votre parole –, ces aides seront-elles intégrées au pacte de responsabilité, et selon quelles échéances ? Seront-elles accompagnées d’autres allégements de charges ?

Dans le même esprit, je voudrais savoir, monsieur le ministre, où en sont les négociations entre l’Union européenne et les États-Unis sur le volet agricole du traité de libre-échange transatlantique. Il serait curieux que le Gouvernement, dans le même temps qu’il fait la promotion de l’agroécologie et des circuits courts, accepte un traité de libre-échange conduisant notre pays à admettre l’entrée sur son territoire de produits alimentaires qui ne répondent pas au quart de nos exigences.

J’évoquerai maintenant l’article 7 du projet de loi, relatif à la contractualisation, aux contrats et autres accords interprofessionnels.

Vous consacrez au travers de cet article le médiateur des contrats. L’intention est louable, mais comment pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que celui-ci ne jouera pas un simple rôle de spectateur ?

J’en viens aux points qui vont nous rassembler. Je pense en particulier à l’article 10 bis, prévoyant que les organismes chargés des appellations d’origine protégée, les AOP, ou des indications géographiques protégées, les IGP, ainsi que l’Institut national de l’origine et de la qualité, l’INAO, puissent s’opposer à l’enregistrement d’une marque s’il y a un risque d’atteinte au nom et à l’image, y compris pour les produits similaires – c’est une innovation introduite par la commission.

Nous nous réjouissons de cette mesure, ainsi que de l’avancée des discussions, au sein de la commission des affaires économiques unanime, sur la classification du vin comme élément du patrimoine culturel, gastronomique et paysager de la France. Je vous remercie de votre concours et de votre précieux soutien dans cette affaire, monsieur le ministre.

J’ajoute à ce sujet que cette classification doit être circonscrite aux produits phares de notre patrimoine, et donc aux emplois directs et indirects qu’ils représentent. En résumé, ce n’est pas en banalisant la classification que nous protégerons ces produits d’excellence.

En ce qui concerne les SAFER, pourquoi prévoyez-vous que deux associations agréées de protection de l’environnement au minimum devront être représentées au sein de leur conseil d’administration ? À quel titre y siégeront-elles ?

M. le président. Veuillez conclure, monsieur César.

M. Gérard César. Enfin, votre texte prévoit d’interdire la publicité pour les produits phytosanitaires. Cette mesure me semble à terme dangereuse.

M. Gérard César. En conclusion, au lieu d’une écologie incitative, vous promouvez une écologie punitive.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Allons !

M. Gérard César. Au lieu d’un choc de simplification, vous mettez en place de nouvelles normes, de nouvelles contraintes. Au lieu d’un abaissement des charges, vous instaurez des charges supplémentaires.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas objectif, ça !

M. Gérard César. Je suis agriculteur, monsieur Raoul, je sais de quoi je parle ! Je vous montrerai mes factures de produits phytosanitaires : vous verrez quel sera le montant des taxes !

Les mesures proposées me semblent éluder les questions de fond, en particulier en matière d’innovation et de recherche, dimension essentielle pour le futur de nos jeunes agriculteurs.

Comment permettre à notre agriculture de rendre notre pays souverain ? Comment armer notre agriculture pour qu’elle puisse lutter à égalité avec ses concurrents européens et ceux des pays émergents ? Nous pensons que ce projet de loi ne répond pas à ces questions, aussi réservons-nous notre vote, qui sera fonction du sort réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le président, je demande une suspension de séance de quelques minutes.

M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le ministre.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures trente-cinq, est reprise à vingt-trois heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt dont nous allons débattre pendant plusieurs jours est en lui-même un sujet passionnant. Notre assemblée porte d’ailleurs toujours un intérêt particulièrement soutenu à tout ce qui touche à l’agriculture et à la ruralité.

C’est à dessein que, au cours de mon intervention, je partirai du local pour aller vers le mondial, afin de bien montrer que les solutions au défi mondial alimentaire doivent partir d’en bas, et non répondre à une mondialisation colonisatrice et destructrice en marche depuis plusieurs décennies.

Récemment réélu maire d’une très grande commune rurale costarmoricaine comptant plus de 6 000 hectares et plus de quatre-vingts exploitations, j’ai eu à cœur de proposer d’instaurer une aide à l’installation d’un montant de 3 000 euros, venant en complément de l’aide de la communauté de communes, soit un montant total d’aide de 6 000 euros pour tout agriculteur qui s’installe, mais aussi pour tout artisan ou commerçant. À cela vient s’ajouter l’exonération des taxes foncières pour les jeunes agriculteurs. Il ne s’agit pas de cadeaux, mais de la nécessité impérative d’apporter un soutien à la structuration de l’économie locale, pour éviter que, demain, nos bourgs ne soient dépeuplés et nos campagnes réduites à quelques estancias à la sauce bretonne.

Cela m’amène à confirmer la nécessité de maintenir la clause de compétence générale pour les communes et à dénoncer les ponctions envisagées au détriment des collectivités locales, dans le cadre du financement du pacte de responsabilité. Après les 4,5 milliards d’euros annoncés, on parle maintenant d’amputer de 10 milliards d’euros le budget des collectivités locales. Monsieur le ministre, il s’agit tout simplement d’une grande erreur politique et économique : quand un gouvernement fait les poches des communes, il met en danger les élus qui le soutiennent, il met en danger le Sénat de gauche, il met en danger l’économie et l’emploi local.

En Bretagne, l’écotaxe a été le détonateur d’une crise agricole profonde, qui comporte de multiples causes : les prix à la production insuffisamment rémunérateurs, la baisse des volumes produits, parfois une gestion capitalistique à court terme des outils de transformation, la concurrence allemande et européenne, mais aussi les rythmes d’enfer et les bas salaires imposés dans le secteur agroalimentaire. À titre d’exemple, il faut savoir que six secondes suffisent pour abattre et transformer un porc, soit un rythme de 600 porcs à l’heure : Les Temps modernes de Charlie Chaplin ne sont pas une fiction, mais bien une triste réalité !

Le pacte d’avenir breton, que nous avons soutenu au conseil régional, apporte un début de réponse aux difficultés de notre région : 1 milliard d’euros pourrait engendrer 5 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2020 ; c’est mieux que rien. Notre région est l’un des principaux « garde-manger » du pays, sa remise en route est indispensable.

Au plan national, si l’agriculture apporte un excédent de 11 milliards d’euros à la balance commerciale, elle perd chaque jour des agriculteurs, victimes le plus souvent d’une politique des prix désastreuse. De nombreuses productions sont en baisse, les questions sanitaires et environnementales sont toujours pendantes, la course à l’agrandissement des exploitations se poursuit inexorablement…

Si le revenu annuel moyen des agriculteurs se situe autour de 36 500 euros, des disparités importantes existent, le rapport étant de 1 à 5 entre céréaliers et éleveurs. En effet, un éleveur d’ovins ou de bovins à viande gagne en moyenne 15 000 euros par an, contre 79 800 euros pour un producteur de céréales, de pommes de terre ou de betteraves. Par ailleurs, le temps de travail consacré à l’exploitation est inversement proportionnel au revenu, ce qui n’est pas sans poser des problèmes en matière de choix opérés par les jeunes agriculteurs.

Au-delà, c’est la conception même de l’agriculture, des pratiques culturales, du niveau des productions destinées à la consommation nationale ou réservées à l’export qui reste à définir et à mettre en œuvre. Ce projet de loi introduit l’agroécologie et vise à la fois les volets économique, écologique et social de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la consommation. C’est pourquoi nous le soutenons, même s’il n’apporte qu’une réponse partielle à l’avenir de l’agriculture.

Au niveau européen, les discussions sur la PAC, assez prometteuses dans leurs prémices, accouchent au final d’un projet plutôt décevant. Le verdissement promis est devenu un greenwashing, selon de nombreux observateurs. Hormis les compétences transmises aux États, la PAC reste dans la droite ligne de l’économie de marché et de la mondialisation, laissant libre cours à la dérégulation, à la fin des quotas, à la spéculation alimentaire. Et ce ne sont pas les accords transatlantiques en cours de négociation qui vont arranger les choses pour l’agriculture française.

Enfin, à l’échelon mondial, nourrir 9 milliards de bouches à l’horizon 2050 constitue un véritable défi : chaque pays doit apporter sa contribution pour le relever. Chaque jour, 219 000 nouvelles bouches à nourrir s’invitent à la table du monde. Plus d’un milliard d’individus souffrent actuellement de la faim, en particulier les populations agricoles en activité et celles ayant migré vers les banlieues des grandes villes.

Si nous laissons faire le marché et la spéculation au profit des plus nantis, nous courons à la catastrophe humanitaire et environnementale. Nos sociétés doivent impérativement promouvoir socialement et politiquement d’autres choix, à l’instar de ce projet de loi. À titre d’exemple, les États-Unis ont consacré l’an passé 130 millions de tonnes de céréales à la production de carburants, sur une production totale de 400 millions de tonnes. Des réorientations sont donc possibles. Les modes de consommation, entre protéines animales et protéines végétales, vont également être amenés à évoluer très rapidement. L’aide alimentaire sauve les vies, mais ne règle pas les problèmes au fond. Il est également urgent d’investir des milliards, aujourd’hui consacrés à l’industrie de la mort, dans l’irrigation et la mise en œuvre de technologies culturales économes en énergie, afin que chaque pays puisse tendre vers l’indépendance alimentaire.

J’en viens à présent aux principales dispositions qui nous sont présentées.

Le titre préliminaire du projet de loi fixe des objectifs ambitieux pour la politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation. Il le fait selon une dimension triple : européenne, nationale et territoriale. La dimension internationale n’apparaît pas. Pourtant, les réglementations, les accords commerciaux internationaux emportent des conséquences importantes sur les politiques agricoles et les modèles agricoles dans le monde.

La France est représentée au sein de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Même si la compétence exclusive de l’Union européenne en matière de politique commerciale commune pèse sur les choix des États, la France devrait, en toute cohérence, défendre dans ces instances internationales les mêmes ambitions que celles qui sont affichées dans le titre préliminaire du présent texte.

Pour imposer ce nouveau modèle de l’agroécologie, il faut le soustraire au périmètre des négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange. Il faut le faire non seulement pour protéger nos terroirs, nos filières agricoles, tout particulièrement l’élevage, mais également pour assurer à nos concitoyens une alimentation saine et de qualité.

Comment atteindre l’objectif « de contribuer à la protection de la santé publique, de veiller au bien-être et à la santé des animaux, à la santé des végétaux » si l’on accepte la fin des barrières non tarifaires et un nivellement par le bas des normes sanitaires et environnementales ?

Autre exemple, dans le cadre de la PAC, la France a fait du soutien à l’élevage l’un des axes forts de sa politique. Or les professionnels du bétail et des viandes ont exprimé les inquiétudes que leur inspire le futur accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, qui prévoit des quotas d’exportation de viandes canadiennes vers l’Union européenne. Ils ont souligné que cet accord serait d’autant plus déséquilibré que, au Canada, les exigences en termes de normes de production en matière environnementale, sanitaire et de bien-être animal sont bien inférieures aux nôtres et en inadéquation complète avec les exigences des consommateurs français et européens. Sans rupture avec les politiques de libéralisation et de déréglementation, l’agroécologie risque de rester une belle idée, sans traduction concrète au-delà de quelques expériences.

Atteindre les objectifs énoncés à l’article 1er nécessite également un changement radical de politique générale. Assurer l’ancrage territorial de la production et de la transformation des produits agricoles, c’est prendre des mesures fortes pour mettre en place des circuits de production, de distribution, et de consommation qui soient le plus courts possible. Cela passe, par exemple, par la sécurisation de l’abattage dans les filières locales. Le passage à l’agroécologie nécessite en réalité de changer plus profondément notre modèle économique et social.

J’en viens maintenant aux outils proposés pour renforcer nos filières agricoles et agroalimentaires.

Nous saluons la création, à l’article 3, des groupements d’intérêt économique et environnemental, désormais fondés sur un triple objectif associant la dimension sociale. Cet ajout est un gage essentiel, qui permet de mettre au cœur de nos débats la juste rémunération du travail et la protection sociale des salariés et des exploitants agricoles.

Pour renforcer cet outil novateur, nous souhaitons également garantir aux exploitants agricoles un accompagnement, à travers une offre de conseils diversifiée et gratuite. Afin de faire écho aux dispositions du titre II du projet de loi, nous proposerons de préciser que le regroupement foncier doit être un des objectifs des GIEE.

Enfin, nous devons nous assurer que les majorations d’aide publique profitent en priorité aux exploitants agricoles, et non aux différentes personnes morales susceptibles de les capter. L’examen de ce texte doit être l’occasion de donner des gages forts aux agriculteurs.

L’article 4, relatif à la déclaration de l’azote commercialisé et à l’extension du bail environnemental, participe au verdissement nécessaire du secteur agricole. Cependant, là encore, il est nécessaire de trouver un juste équilibre, afin de ne pas faire peser des contraintes disproportionnées sur les exploitants, en particulier les fermiers. Il s’agit toutefois d’une bonne idée, que nous soutiendrons.

L’article 6 comporte des avancées en matière de transparence des contrats au sein des coopératives agricoles. Ces dernières doivent être des acteurs phares de l’agroécologie. À cet égard, leur ancrage territorial doit être une exigence forte. De cette manière, elles participeront à la relocalisation des filières agricoles. Nous vous proposerons également de renforcer la participation des salariés du secteur aux organes de décision des coopératives agricoles et de revenir, dans le cadre des organisations de producteurs, à la version initiale du projet de loi, afin d’assurer une meilleure représentation des syndicats agricoles.

Enfin, dernier point clé du titre Ier, l’article 7, relatif aux relations commerciales et au médiateur, apporte des réponses timides à la problématique des relations commerciales déséquilibrées au sein des filières agricoles et industrielles.

La loi relative à la consommation n’est pas allée bien loin. Les producteurs attendent aujourd’hui des mesures fortes pour garantir une répartition juste de la valeur ajoutée au sein des filières agricoles et agroalimentaires. Il ne faut pas que cette loi d’avenir soit une occasion manquée quant au traitement de la question centrale des prix et des revenus. La volatilité des marchés fragilise les exploitations agricoles. Afin d’endiguer la baisse du revenu agricole, on peut agir sur les prix. Il fut un temps, pas si ancien, où les parlementaires de gauche soutenaient l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi à tous les produits agricoles périssables.

Nous proposerons également qu’une conférence bisannuelle sur les prix, rassemblant producteurs, fournisseurs et distributeurs, soit organisée pour chaque production agricole par l’interprofession compétente, afin que la négociation puisse aboutir à la fixation d’un prix rémunérateur indicatif. C’est dans ce sens que nous demandons que l’on revoie à la hausse le seuil de revente à perte, que l’on encadre les pénalités imposées par les distributeurs, ainsi que les conditions du déférencement, épée de Damoclès planant au-dessus de la tête des producteurs. Si nous n’y arrivons pas, monsieur le ministre, il faudra que l’Observatoire des prix et des marges puisse fixer des prix indicatifs.

Le titre II, consacré à la politique foncière et au renouvellement des générations, apporte des outils intéressants pour la relocalisation de l’activité agricole et l’installation.

Les outils fonciers et de contrôle des structures destinés à lutter contre le changement d’affectation des sols et la concentration des exploitations sont indispensables. La volonté politique locale est fondamentale pour les faire vivre.

Il est important de ne pas oublier le rôle des collectivités locales. L’article 12, qui tend à renforcer l’arsenal de protection des terres non urbanisées contre la pression foncière, répond à un objectif que nous partageons tous. Cependant, il ne faudrait pas qu’il serve de prétexte pour dessaisir les collectivités locales de l’administration de leur territoire et donner des pouvoirs exorbitants à des commissions n’ayant aucune légitimité démocratique. Là encore, soyons vigilants sur les équilibres.

L’article 13, relatif aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, élargit les missions de ces dernières et conforte leurs prérogatives. Il leur permet de faire jouer leur droit de préemption pour acquérir l’usufruit de terres agricoles ou la totalité de parts de sociétés à objet agricole. Cela va dans le bon sens. Nous avions déposé, en commission des affaires économiques, des amendements qui se sont vu opposer l’article 40 de la Constitution ; ils visaient à élargir le droit de préemption à l’acquisition de la nue-propriété ou de la majorité des parts sociales.

L’article 15 du projet de loi s’inscrit dans la même logique et place à l’échelon régional le schéma directeur départemental des structures agricoles, le SDDSA. Il est important que les orientations définies tiennent compte des réalités agricoles, qui peuvent être très différentes d’un département à l’autre. Nous y reviendrons dans la suite des débats.

L’article 14, quant à lui, porte sur l’installation, l’un des enjeux majeurs pour l’avenir : il s’agit des femmes et des hommes qui travaillent pour nous nourrir. Nous saluons des dispositions positives, comme le nouveau dispositif de contrat de génération-transmission ou le renforcement du répertoire à l’installation. La viabilité économique des projets et la capacité professionnelle sont des dimensions déterminantes. Cependant, nous devons aider financièrement les personnes qui, pour diverses raisons, s’installent après 40 ans ou n’ont ni emploi ni diplôme mais se sont engagées dans des formations.

De plus, au regard de la réalité économique très dure du secteur, ne serait-il pas possible d’adapter le dispositif d’installation progressive, afin qu’il favorise la transmission générationnelle et la consolidation économique progressive des exploitations agricoles ?

Pour terminer sur le titre II du projet de loi, nous souhaitons garantir un haut niveau de protection sociale pour tous les actifs et les retraités du secteur agricole, en métropole comme en outre-mer. Le projet de loi modernise les conditions d’affiliation à la Mutualité sociale agricole. Les pluriactifs sont enfin reconnus par notre commission.

Le titre III, relatif à la politique de l’alimentation et à la performance sanitaire, ouvre des pistes intéressantes pour diminuer la consommation de produits phytopharmaceutiques et d’antibiotiques, ainsi que pour renforcer l’indépendance des contrôles sanitaires. Encore faut-il que les budgets suivent !

En revanche, nous sommes opposés au transfert à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail de la compétence de délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires et des matières fertilisantes. Nous considérons en effet que l’État doit garder la maîtrise en ce domaine. Nous demanderons donc la suppression de cet article.

Sur le titre IV, relatif à la formation et la recherche, nous partageons les inquiétudes de Mme la rapporteur pour avis de la commission de la culture, et nous demanderons la suppression de la création de l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, dont le statut, le périmètre, les missions, le financement demeurent trop flous.

J’achèverai mon propos en évoquant les dispositions relatives à la forêt.

Nous approuvons les outils mis en place par le projet de loi, notamment le groupement d’intérêt économique environnemental forestier, pour garantir une gestion des forêts de particuliers allant dans le sens de la durabilité et de la multifonctionnalité.

Cependant, à plusieurs égards, ce volet mérite d’être précisé. Je pense ici au rôle de l’Office national des forêts et à la dénaturation des missions des agents, en raison d’une gestion marchande de la forêt publique, ainsi qu’à la place et au rôle des chasseurs.

Monsieur le ministre, les sénateurs du groupe CRC partagent la philosophie de ce projet de loi d’avenir, tendant à faire de l’agroécologie le cœur d’un nouveau modèle agricole et économique. Cependant, pour défendre le droit à une alimentation de qualité pour tous les citoyens, à un revenu décent pour les salariés et les exploitants agricoles, pour mettre en place une agriculture relocalisée faisant vivre nos territoires, il nous semble nécessaire d’adopter des mesures plus ambitieuses. Nous nous efforcerons de vous en convaincre dans la suite de la discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)