M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à vous faire part à mon tour de la satisfaction que j’éprouve à voir ce projet de loi débattu au Sénat, alors que, à l’Assemblée nationale, il a été adopté sans être discuté sur le fond.

Mme Laurence Cohen. Pour les sénateurs de mon groupe – et aussi pour d’autres, comme je me réjouis de le constater –, ce projet de loi revêt un caractère important.

Important, il l’est d’abord sur le plan de la procédure, puisque nous devons ratifier la convention que la France a signée en 2011. Au 23 avril dernier, trente-deux États l’avaient signée et onze l’avaient ratifiée, de sorte qu’elle pourra entrer en vigueur dès le 1er août prochain. C’est une très bonne nouvelle !

Important, il l’est ensuite sur le plan de la thématique, car les violences faites aux femmes, dans la sphère publique comme dans la sphère privée, constituent toujours un fléau malheureusement universel. Ces violences prennent différentes formes, de la plus insidieuse à la plus visible ; mais, toutes, elles reflètent, poussée à son paroxysme, la domination masculine exercée sur les femmes.

Bien entendu, nous ne nions pas que les hommes puissent eux aussi être victimes de violences. Reste que les chiffres sont sans appel : ils témoignent d’un phénomène de masse dont les femmes sont les principales victimes.

Pour ne donner que quelques chiffres illustrant cette réalité en France, je signalerai, en m’inspirant de l’étude d’impact, que, au cours des deux dernières années, 300 000 femmes ont été victimes de violences sexuelles et 160 000 autres de viol ou de tentative de viol. Au cours de la même période, une femme sur sept a été insultée, victime le plus souvent de propos sexistes. Une femme sur vingt a subi des gestes déplacés, très souvent sur son lieu de travail.

Tout féministe, mais également tout démocrate, se doit de rappeler ces chiffres, ces faits. En effet, nous sommes souvent confrontés à une certaine banalisation de cette violence, intégrée par la société et, parfois, intériorisée par les femmes elles-mêmes.

Comme la convention le prévoit dans plusieurs de ses articles – plusieurs de nos collègues viennent de le rappeler –, il ne faut pas oublier que, parmi les violences infligées aux femmes, figurent aussi les mariages forcés, le harcèlement sexuel, les mutilations génitales et les crimes dits d’honneur, sans oublier le viol utilisé comme arme de guerre, auquel la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a consacré un rapport d’information.

Ces phénomènes ne sont ni rares ni isolés. Une fois entrée en application, cette convention constituera le premier outil permettant la mise en œuvre, à l’échelle internationale, d’actions visant à éradiquer ces violences. C’est une prise de conscience et une volonté communes qui s’expriment à travers elle !

Certes, plusieurs textes ont déjà été adoptés dans le cadre des Nations unies, notamment la Déclaration de 1993 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, mais ces instruments n’ont pas de portée contraignante. La convention d’Istanbul présente, avec cette portée, un atout supplémentaire.

De même, le fait que le groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, le GREVIO, soit chargé de contrôler la mise en œuvre effective de la convention constitue, comme l’a souligné notre rapporteur, une garantie de voir éradiquée la violence infligée aux femmes.

Autant dire que l’entrée en vigueur de la convention d’Istanbul va marquer un moment important pour les femmes. C’est d’autant plus vrai que le champ d’application de cette convention est assez large : il comprend, outre les quarante-sept pays membres du Conseil de l’Europe, les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Japon et d’autres pays encore !

De plus, ce débat tombe à point nommé à la veille des élections européennes. Je crois que les questions de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences et les discriminations devront occuper une place importante dans les programmes des différentes listes. C’est en tout cas ce que j’espère, d’autant plus vivement que nous traversons une période où les forces conservatrices, rétrogrades et – n’ayons pas peur des mots – dangereuses pour notre vivre ensemble attaquent de toutes parts, en Europe et ailleurs, comme le montre notamment le rejet au Parlement européen, en décembre dernier, du rapport Estrela sur les droits sexuels et génésiques.

Ces forces tentent d’imposer leur vision moraliste et traditionnelle de la société, de la famille, du couple et du rôle de la femme, en agissant notamment contre le mariage pour tous et toutes et contre le droit à l’avortement. Je pense en particulier à ce qui se passe actuellement en Espagne,…

Mme Laurence Cohen. … mais, malheureusement, plusieurs autres pays européens sont concernés par une remise en cause, voire par une interdiction, de l’avortement : c’est le cas, entre autres pays, de la Pologne, de l’Irlande, de Malte et de Chypre.

En France et en Europe, des actions de solidarité sont menées par des progressistes, pour défendre le droit des femmes à choisir d’avoir ou non un enfant.

À cet égard, ne pensons pas, mes chers collègues, que la France ne connaisse pas de difficultés. Nous savons, au contraire, que ce droit chèrement acquis reste fragile, tant des groupuscules extrémistes s’efforcent, par tous les moyens, d’empêcher les femmes d’accéder à des centres d’interruption volontaire de grossesse.

Sans compter que les restrictions budgétaires, année après année et, hélas, gouvernement après gouvernement, entraînent la fermeture de certains de ces centres. Comme je l’ai fait observer dans la discussion de notre proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé ou leur regroupement, qui a malheureusement été rejetée, cent trente de ces centres ont été fermés en dix ans, selon un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes paru en novembre dernier.

Au vu des engagements du Gouvernement en la matière et de ses projets d’économies touchant essentiellement les dépenses publiques, je crains que le nombre de fermetures ne s’arrête pas là. Or, faute de structures suffisantes, il devient de plus en plus difficile d’obtenir un rendez-vous dans le délai prévu par la loi pour la réalisation d’une interruption volontaire de grossesse.

Cette remise en cause des acquis de ces dernières années et ces attaques récurrentes menées un peu partout en Europe prouvent que nous avons fort à faire pour que l’égalité entre les femmes et les hommes reste un droit fondamental et passe des déclarations d’intention aux actes. Si la convention d’Istanbul traite de la question de l’avortement, il est regrettable que son article 39 ne fasse pas mention des attaques et des remises en cause que je dénonce.

De même, je dois dire que mes collègues du groupe CRC et moi-même ne comprenons pas que la prostitution soit, en tant que telle, absente de la convention. Si l’expression de « violence sexuelle » est bien présente dans plusieurs articles, jamais le terme de « prostitution » n’est mentionné. C’est une lacune plus que regrettable, dont il résulte que la prostitution n’est pas reconnue comme une violence. Or si certains voudraient faire croire à un métier, à un choix, nous sommes nombreuses et nombreux à penser que c’est bien une violence extrême que subissent celles et ceux qui sont victimes des réseaux de proxénétisme. Les auditions menées actuellement par la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel en témoignent.

À ce sujet, permettez-moi de donner rapidement quelques chiffres. En France, 85 % des personnes qui se prostituent dans la rue sont des femmes et, parmi elles, 90 % sont des femmes étrangères ; preuve que la mondialisation de ce fléau s’amplifie et que, pour le combattre, les États doivent disposer d’outils communs.

D’un côté, notre Parlement s’apprête à adopter une proposition de loi destinée à lutter contre la prostitution, qui réaffirme fort justement la position abolitionniste de la France, et, de l’autre, cette convention internationale ne dit mot du problème de la prostitution. En vérité, il y a là un certain paradoxe !

Même si je sais bien que les législations en la matière sont différentes d’un pays à l’autre, je pense qu’il aurait été bon de s’accorder collectivement pour lutter contre l’exploitation sexuelle des individus, la traite des êtres humains et le proxénétisme. Je le répète, la convention présente à cet égard une lacune fondamentale. Celle-ci ne constitue bien évidemment pas un oubli, mais une acceptation politique de cette violence de la part de certains.

Je veux également souligner que, pour notre groupe, la violence économique est un problème tout aussi crucial. De fait, l’austérité frappe toujours en premier lieu les femmes ; j’en veux pour preuve les chiffres relatifs à la précarité, aux inégalités salariales et au temps partiel subi, ainsi qu’aux salaires et aux retraites partiels. L’eurodéputée portugaise Inês Zuber, membre du groupe de la gauche unitaire européenne – gauche verte nordique, a très bien montré les conséquences des politiques d’austérité sur la situation sociale et économique des femmes dans son fameux rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes, qui, lui aussi, a malheureusement été rejeté par le Parlement européen il y a quelques semaines.

C’est cette même austérité, cette précarité galopante, qu’un certain nombre d’entre nous ont dénoncées dans cet hémicycle lors des débats sur l’accord national interprofessionnel de sécurisation des parcours professionnel, en démontrant combien les femmes en seraient les premières victimes. Nous regrettons que cette dimension économique ne soit pas abordée dans la convention.

En dépit des lacunes que je viens de déplorer, nous soutenons bien entendu la ratification de cette convention. Nous la soutenons d’autant plus que, en France, nous avons beaucoup travaillé sur la question des violences faites aux femmes.

Je pense à la discussion en deuxième lecture du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui s’est déroulée dans notre hémicycle il y a quelques jours, mais surtout à la proposition de loi, déposée en juillet dernier sur l’initiative de mon groupe, relative à la lutte contre les violences à l’encontre des femmes. Pour préparer ce texte, qui s’inspire de la loi globale espagnole, une référence en la matière, nous avons accompli un travail important, en liaison étroite avec le collectif national pour les droits des femmes, avec le souci de traiter des violences dans toutes leurs dimensions.

Malheureusement, comme je l’ai déjà déploré lors du débat sur le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le système des niches parlementaires ne permettra pas que cette proposition de loi soit débattue. Une intervention du Gouvernement, et notamment de vous-même, madame la ministre, serait donc bienvenue, car j’ai bon espoir que nous puissions réunir une majorité qui dépasse les clivages politiques traditionnels ; les interventions des oratrices qui m’ont précédée me confortent dans cette conviction.

En vérité, madame la ministre, il serait bon que le Parlement puisse examiner un texte vraiment complet sur la lutte contre les violences faites aux femmes : un texte plus protecteur pour les femmes et qui permette de mieux répondre aux ambitions de la convention d’Istanbul.

En définitive, compte tenu de l’importance de cette convention et des ambitions affichées en matière de prévention, de protection et de poursuites, notre groupe votera bien évidemment le projet de loi de ratification. La position de la France l’engage profondément à lutter contre toutes formes de violences à l’égard des femmes, à prôner une éducation non sexiste et une culture de l’égalité et à promouvoir une Europe sans violence.

Nous continuerons à être attentives et attentifs à ces combats, en défendant également une clause de non-régression, afin d’empêcher que, au gré des changements de gouvernements dans les différents pays européens, les droits des femmes ne subissent des reculs. Cette proposition pourrait d’ailleurs se conjuguer avec une revendication chère à Mme Gisèle Halimi : la clause de l’Européenne la plus favorisée, qui vise à harmoniser par le haut les droits des femmes. Même si elle rencontre un accueil contrasté parmi les féministes, cette dernière idée est porteuse d’une belle ambition et mériterait pour le moins de faire l’objet d’un grand débat public, qui s’impose à la veille des élections européennes.

Mes chers collègues, le projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul a un mérite supplémentaire : il met en lumière la nécessité de bâtir une Europe sans violence et de franchir un pas supplémentaire vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom de nos collègues qui, comme moi, représentent le Sénat à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et notamment de Mme Bernadette Bourzai, qui est membre de la commission sur l’égalité et la non-discrimination et du réseau parlementaire « pour le droit des femmes de vivre sans violence », je tiens à vous faire part de notre satisfaction de voir ce projet de loi soumis, enfin, à l’examen du Sénat.

Dès votre arrivée aux affaires, madame la ministre, vous vous êtes engagée, avec beaucoup de force et de conviction, à ériger la lutte contre les violences faites aux femmes en priorité. La ratification de la convention d’Istanbul va venir compléter l’arsenal dont la France dispose pour lutter contre ces violences et elle aura en outre une portée paneuropéenne. C’est un acte d’autant plus fort que cette convention doit entrer en vigueur lorsque dix pays l’auront ratifiée. Or la France aurait pu être ce dixième pays, si l’examen du projet de loi n’avait pas été reporté.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. C’est vrai !

Mme Maryvonne Blondin. Seulement voilà : le 23 avril dernier, la principauté d’Andorre, qui est l’un des quarante-sept membres du Conseil de l’Europe, nous a devancés, permettant à la convention d’entrée en vigueur. C’est un peu dommage, mais c’est ainsi !

Comme de nombreuses oratrices l’ont déjà souligné, ce nouveau traité est décisif, dans la mesure où il constitue le premier instrument juridiquement contraignant à s’appliquer en Europe, et dans une Europe élargie ; il instaure une structure juridique détaillée visant à protéger les femmes contre toutes les formes de violences.

Dès lors qu’un pays ratifie cette convention, il doit prendre toute une série de mesures pour combattre toutes les formes de violences à l’égard des femmes. À ce jour, trente-deux pays sur les quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe sont signataires.

Pour la première fois dans l’histoire, une convention énonce clairement que la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ne peuvent plus être considérées comme des questions privées et que les États ont l’obligation de prévenir la violence, de protéger les victimes et de sanctionner les auteurs.

Cette convention correspond parfaitement aux objectifs visés par les politiques menées par la France en matière de lutte contre les violences depuis de nombreuses années.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Maryvonne Blondin. Elle est l’aboutissement d’un long travail du Conseil de l’Europe, qui se consacre à la sauvegarde et à la protection des droits de l’homme sur le continent européen et qui, pour cette raison même, a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes l’une de ses priorités.

Précédentes oratrices ont souligné les manques en matière de prostitution. Je vous rappelle, mes chères collègues, que nous avons voté au Sénat la transposition en droit interne d’une directive européenne visant à lutter contre la traite des êtres humains et les mariages forcés. Le Conseil de l’Europe a également pris en compte le phénomène prostitutionnel puisqu’il a voté lors de sa dernière séance au mois d’avril dernier un rapport intitulé Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe, du rapporteur portugais José Mendes Bota.

En 2005, une convention a été signée à Varsovie, qui a pris en compte la lutte contre les violences faites aux femmes, y compris la violence domestique. Depuis 2006, un réseau parlementaire « pour le droit des femmes de vivre sans violence » s’est mis en place au sein du Conseil de l’Europe. Il se compose de cinquante et un parlementaires issus des délégations d’États membres et d’observateurs auprès de l’assemblée parlementaire et des délégations des partenaires pour la démocratie et s’emploie sans relâche à promouvoir la convention d’Istanbul. Notre collègue Bernadette Bourzai, qui est l’un de ses membres, peut témoigner de la volonté politique présente dans les parlements européens.

Nous soutenons le travail accompli par le Conseil de l’Europe, qui ouvre la voie à la création d’un cadre juridique de portée paneuropéenne pour protéger les femmes contre toutes les formes de violence ainsi que pour prévenir, réprimer et éliminer la violence contre les femmes et la violence domestique. Cette lutte se construit au travers de toutes les actions qui ont été rappelées précédemment ; je n’insisterai donc pas davantage sur ces différents points. Vous l’avez dit, madame la ministre, intimité ne doit pas rimer avec impunité, comme c’est malheureusement souvent le cas aujourd'hui !

L’enquête menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, basée à Vienne, est la première du genre à porter sur la violence à l’égard des femmes dans les vingt-huit États membres de l’Union européenne. Néanmoins, beaucoup de pays manquent encore d’outils de collecte de données. Dans le cadre d’entretiens, 42 000 femmes issues de l’Union européenne ont donc été interrogées sur leur tragique expérience de violences physiques, sexuelles ou psychologiques, perpétrées notamment par un ou une partenaire intime.

L’enquête confirme que la violence à l’égard des femmes est une maltraitance à grande échelle : 33 % des sondées ont connu de la maltraitance physique ou sexuelle dès l’âge de quinze ans, 22 % d’entre elles ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint et 67 % admettent ne pas avoir signalé de faits commis par leur conjoint à la police ou à une autre organisation.

Cette convention, qui vise à créer une Europe sans violence à l’égard des femmes et sans violence domestique en appelant à combattre, en premier lieu, toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, rejoint bien les politiques menées par la France. Elle se présente comme un instrument novateur qui établit des normes contraignantes, dans une approche intégrée, en vue de prévenir la violence et de protéger les victimes.

Les trois piliers – prévention, protection, poursuites – ont été évoqués ; je n’y reviendrai donc pas. Je mentionnerai simplement que les États parties devront veiller à ce que la culture, les traditions ou l’« honneur » ne soient pas considérés comme des justifications à ces comportements.

Une fois ces nouveaux délits intégrés dans les droits nationaux, le cadre juridique existera pour poursuivre les auteurs de violence ; cela impliquera également la mise en place des mesures d’enquête et de protection des victimes.

La convention prévoit en outre un mécanisme de suivi permettant de mesurer son efficacité, la mise en place d’observatoires nationaux indépendants ainsi que la collecte systématique des données, qui sont encore trop lacunaires aujourd’hui. La France a déjà mis en œuvre certaines de ces préconisations.

Outre l’adoption de mesures spécifiques, telles que celles prévues dans le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes que nous avons voté au Sénat et qui complète notre droit en introduisant des éléments correspondant à ce que requiert cette convention, tous les ministres se sont impliqués personnellement dans la rédaction d’une feuille de route pour l’égalité femmes-hommes dans leur champ de compétence. Une fois la convention ratifiée, nous devrons maintenir notre exigence et notre vigilance pour renforcer l’accès à l’égalité. De plus, le suivi de la convention d’Istanbul devra prendre en compte l’image complète des mesures et des politiques pour chaque pays. Ce suivi sera assuré par des experts indépendants, qui évalueront, sur la base de visites et de rapports, dans quelle mesure les États parties respectent les normes définies.

Vous le savez, mes chers collègues, cette convention est une étape importante. C’est donc avec beaucoup de conviction que mes collègues du groupe socialiste et moi-même voterons le projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann.

Mme Christiane Kammermann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à rendre hommage à notre rapporteur, Joëlle Garriaud-Maylam, non seulement pour le formidable travail qu’elle a accompli sur la convention d’Istanbul qui est soumise aujourd'hui à notre ratification, mais aussi, de façon plus générale, pour les combats qu’elle mène contre les violences faites aux femmes et en faveur des droits des femmes, au niveau tant national qu’international. C’est avec la pugnacité qu’on lui connaît qu’elle continue de s’impliquer, notamment sur des sujets connexes à ce projet de loi tels que la traite des êtres humains, en particulier celle des femmes. Son intervention, en février dernier, à la conférence de la fondation Marmara à Istanbul, témoigne de ses engagements. Qu’elle en soit remerciée !

La ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique constitue une étape importante non seulement pour la progression en Europe des droits des femmes, mais surtout pour la mise en place d’outils permettant leur protection contre toutes formes de violences.

Cette convention a pour vocation, à terme, d’éradiquer les violences contre les femmes au-delà des frontières européennes. En effet, en rendant possible sa ratification par des États non membres de l’Union européenne, la convention se fixe une ambition très large et permet à cette cause d’avoir une vocation universelle.

Pour nous, sur ces travées, cela semble évident, mais l’actualité nous démontre quotidiennement que le chemin sera encore long et difficile.

Le mois dernier, au Nigeria, une centaine de lycéennes ont été kidnappées alors qu’elles s’apprêtaient à passer un diplôme qui leur aurait permis de travailler dans les pays anglophones d’Afrique. J’ai appris ce soir qu’elles étaient vendues pour 10 euros. Elles ont entre douze et quinze ans…

Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait, c’est lamentable !

Mme Christiane Kammermann. À mon sens, cet acte odieux est la preuve d’une double perversité. Des individus organisés et armés n’hésitent pas à s’attaquer à des écolières sans défense, mais, en réalité, l’objectif qu’ils visent est d’empêcher leur émancipation en les privant d’instruction et, donc, d’un avenir dont elles seraient les seules maîtresses. Il semble que cet acte de terreur soit revendiqué par la secte Boko Haram. Au XXIe siècle, nous ne pouvons rester sans rien faire face à des individus qui prônent le mariage de force des jeunes filles et qui les considèrent comme des esclaves.

La situation au Pakistan n’est pas meilleure. Le droit des femmes, en particulier le droit à l’instruction, régresse. Depuis quelques années, le radicalisme religieux progresse et l’on observe que l’accès à l’école devient plus difficile pour les jeunes filles.

Selon l’UNICEF, entre 2007 et 2011, 61 % des jeunes femmes âgées de quinze à vingt-quatre ans étaient alphabétisées. À la même époque, le taux de fréquentation des écoles primaires par les filles était de 62 %. Mais c’est à la fin de l’école primaire que les jeunes filles désertent les écoles. En effet, le taux de scolarisation des jeunes filles dans le secondaire, selon des chiffres mesurés entre 2008 et 2011, est de 29 %.

Les statistiques officielles publiées par le ministère fédéral de l’éducation du Pakistan sont encore plus alarmantes. Selon ce dernier, le taux global d’alphabétisme est de 46 %, tandis que seulement 26 % des filles savent lire et écrire. Selon un rapport de Pakistan Press International, le taux global d’alphabétisme est de 26 % et celui des filles et des femmes de 12 %. Or, nous le savons, la liberté des femmes est indissociable de l’éducation. Cette privation des savoirs est l’une des premières violences qui leur sont faites.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Absolument !

Mme Christiane Kammermann. En Inde, c’est grâce à une mobilisation populaire et médiatique sans précédent que la justice a condamné fermement les auteurs de viols collectifs. Cela témoigne aussi d’un changement sociétal, car peu à peu on observe que les femmes ayant subi ces viols sont de moins en moins considérées comme des parias et qu’elles peuvent être reconnues comme victimes.

Ces situations de part et d’autre du globe ne peuvent que nous encourager à ratifier ce projet de loi.

S’il n’y a pas de doute quant à la position française, il nous semble que notre pays doit aller plus loin, en usant de son influence diplomatique pour que ce texte puisse être ratifié par le plus grand nombre d’États. C’est primordial, car cette convention entrera en vigueur si dix États la ratifient. Or, aujourd’hui, trente-deux États l’ont signée, mais huit seulement l’ont ratifiée.

C’est dans ce cadre qu’il me paraît essentiel de promouvoir le véritable objectif initial de cette convention. Quel est-il ? Il s’agit d’ériger des standards minimaux en matière de prévention, de protection des victimes et de poursuite des auteurs de violences à l’égard des femmes. C’est en cela que cette convention est novatrice. Elle n’est pas une énième déclaration, dont le contenu reposerait sur de simples incantations. Non, cette convention a pour objectif la mise en œuvre d’un instrument juridique contraignant ! Nous pouvons nous en féliciter, mais c’est aussi cela qui pourrait freiner l’ardeur de certains États à la ratifier.

En effet, les États qui auront ratifié cette convention devront procéder à une modification de leur droit national. Sur ce point, la France n’a pas à rougir de sa politique.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Christiane Kammermann. Notre pays a déjà anticipé l’application de la convention et le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, en cours de discussion, précise que l’égalité entre les femmes et les hommes doit intervenir « dans toutes ses dimensions [...] : égalité professionnelle, lutte contre la précarité spécifique des femmes, protection des femmes contre les violences, image des femmes dans les médias, parité en politique et dans les responsabilités sociales et professionnelles ».

Par ailleurs, je tiens à rappeler ici que la France en est à son quatrième plan national de lutte contre les violences faites aux femmes. Le 24 novembre 2004, la France a mis en place un plan global, sur deux ans, de lutte contre les violences faites aux femmes, en particulier les violences exercées dans le cadre conjugal. Depuis lors, tous les gouvernements qui se sont succédé ont poursuivi cette politique.

Articulés autour de mesures phares, ces plans apportent des réponses sociales et économiques, qui visent à assurer une meilleure protection juridique des femmes. Ces plans ont également vocation à moderniser l’action publique grâce au renforcement de partenariats et à une mise en cohérence des politiques. Il est donc des sujets sur lesquels notre pays est en avance sur ses partenaires européens ; il est bon de ne pas l’oublier.