M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur l’application de la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

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Candidature à un organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil national de la montagne.

La commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire propose la candidature de M. Thierry Repentin pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La Présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du Règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Thierry Repentin membre du Conseil national de la montagne.

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Débat sur les collectivités locales et la culture

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les collectivités locales et la culture, organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à M. Pierre Laurent, au nom du groupe CRC.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la ministre de la culture, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord vous remercier d’être présents ce soir, car ce débat est, selon notre groupe, de la plus haute importance.

Culture et collectivités territoriales : voilà bien, en effet, un des couples les plus prometteurs, et pourtant l’un des plus menacés, de notre République ! Si nous n’y prenons garde, le cumul des saignées budgétaires et de la dévitalisation des territoires pourrait venir à bout de pans entiers de la création vivante dans notre pays. Notre vigilance doit donc être une priorité nationale.

En ces périodes de crise, je le sais, la tentation de penser l’inverse est forte. Face au chômage de masse, à la précarité galopante au sein de la jeunesse, certains jugeront naturel de reléguer la culture au second plan, de considérer comme superflus les moyens et la place à lui accorder, de transformer progressivement ce qui devait être une priorité en parent pauvre des politiques publiques.

La situation est pourtant alarmante, car la crise frappant notre société n’est pas seulement structurelle sur le plan économique et social. Il s’agit d’une grave crise de sens, de projet, de valeurs, une crise de l’émancipation pour chacun, de la libération pour toutes et tous, une crise de civilisation. C’est, comme nous le voyons chaque jour un peu plus et comme les dernières élections l’ont montré, une crise démocratique et politique au sens le plus profond, une crise de la Cité et du bien commun, qui fait le lit de tous les obscurantismes et réprime les imaginaires quand tout devrait au contraire inviter à leur donner libre cours.

Alors même que la crise bouche l’avenir et rétrécit l’horizon du plus grand nombre, qu’entend-on chaque jour répéter comme une prétendue évidence ? « La culture doit prendre sa part des sacrifices ! »

Paul Krugman, prix Nobel d’économie, résume ainsi la philosophie qui nous gouverne trop souvent aujourd’hui : « L’élite des responsables politiques, [notamment] les élus qui se dressent en défenseurs de la vertu budgétaire, agissent comme les prêtres d’un culte antique, exigeant que nous nous livrions à des sacrifices humains pour apaiser la colère de dieux invisibles ». Ainsi donc, aux dieux Marché et Rentabilité la culture devrait apporter sa part de sacrifices, ainsi qu’une bonne proportion des dépenses qu’y consacrent les collectivités locales.

Dieux invisibles, dit Paul Krugman… Mais ce sont aussi des dieux aveugles, tant est grande l’urgence culturelle de faire ou de refaire société, de penser ou de repenser le monde ! C’est précisément au cœur de la crise que les créations et les pensées nouvelles révèlent ce qui nous aide à faire émerger un autre modèle de société.

Ainsi, malheureusement, la culture n’est pas devenue la priorité tant espérée. La réalisation des « grandes » ambitions annoncées se fait attendre, au point qu’on peut, chaque jour un peu plus, douter qu’elles aient jamais été nourries. Quant au budget consacré par l’État à la culture, loin d’être préservé, il est, comme tant d’autres, programmé à la baisse année après année.

Et voilà que l’offensive annoncée contre les dépenses publiques des collectivités locales et le prétendu millefeuille territorial pourrait porter des coups fatals à l’action culturelle des collectivités locales. En effet, chacun le sait, les collectivités sont devenues des acteurs majeurs de nos politiques publiques culturelles.

Avant d’aller plus loin, je ne peux manquer l’occasion de renouveler notre soutien aux justes exigences des intermittents, si nombreux à faire vivre la création et l’action publique culturelle en région.

Mercredi dernier encore, devant la commission de la culture de notre assemblée, démonstration a été faite de la viabilité de leurs propositions. Celles-ci sont légitimes, équilibrées, utiles à la diversité culturelle, de nature à assurer la viabilité d’un régime d’indemnisation indispensable à la vie des professions artistiques. Seul l’acharnement idéologique du MEDEF y fait obstacle depuis dix ans. Et nous assistons maintenant à l’incroyable ralliement du Gouvernement à ses thèses, au mépris de toutes les promesses, y compris celles qui ont été faites tout récemment par l’actuel ministre du travail ! Les festivals d’été sont menacés par cet acharnement. Pourtant, un geste suffirait : refuser l’agrément.

Je le rappelle, cet accord aggrave encore celui de 2003, que nous n’avions eu de cesse de combattre. L’augmentation des cotisations menace les revenus de nombreux intermittents et la pérennité financière des petites et moyennes structures, mais les conditions de calcul du différé d’indemnisation placent, elles aussi, une grande majorité de ces professionnels dans une situation de grande précarité. Sur ce point, les aménagements récemment opérés ne sont pas suffisants, le nombre d’intermittents concernés par ce différé de paiement restant en très forte augmentation.

C’est pourquoi nous exigeons une fois de plus, madame la ministre, que le Gouvernement n’agrée pas l’accord imposé par le MEDEF en matière d’indemnisation par l’assurance chômage des intermittents du spectacle et rouvre réellement la discussion. Pour notre part, nous resterons solidaires des luttes actuelles des artistes, des techniciens et de l’ensemble des acteurs culturels.

D’ailleurs, si de nombreux élus locaux déclarent tour à tour leur soutien à ce combat, cela ne doit rien au hasard.

En effet, le lien entre collectivités locales et culture n’a cessé de s’approfondir avec les progrès de la décentralisation, au point qu’il est aujourd’hui permis d’affirmer que la politique publique en matière culturelle n’aurait plus de force et de sens sans cette dimension.

La coopération associant État et collectivités territoriales a favorisé l’aménagement culturel du territoire et permis d’œuvrer pour la démocratisation culturelle. Certes, beaucoup d’inégalités subsistent, renforcées par la faiblesse persistante du budget national et l’insuffisante démocratisation de la définition des politiques culturelles. Mais il serait insensé, surtout en ce moment, de mettre en cause les progrès réalisés.

Cette coopération a souvent permis d’innover et d’aider un milieu fragile à dégager les moyens de son existence et de sa capacité de création. Dans bien des cas, création et action culturelles survivent uniquement grâce à un équilibre précaire, impliquant une pluralité d’acteurs et de financements publics.

C’est pourquoi l’impact des réformes annoncées de gouvernance et de financement des collectivités territoriales sur la culture doit être envisagé avec la plus grande attention.

Qu’adviendra-t-il si, la culture n’étant déjà pas une priorité nationale, l’action des collectivités territoriales est de surcroît réduite à peau de chagrin ? Poser la question, c’est malheureusement y répondre. La menace est extrêmement sérieuse et quelques belles paroles ne suffiront pas à l’écarter.

Tout l’objet du débat de ce soir est de remettre l’ambition culturelle au centre de la discussion, avec l’objectif, au moment où nous allons à nouveau nous pencher sur la question des collectivités territoriales, d’affirmer son rôle et sa place comme ferment de la démocratie et de la vie citoyenne, levier du développement local, outil d’éducation et d’émancipation, tant à l’école que dans la Cité ou encore dans le monde du travail.

Pour nous, la compétence culturelle des collectivités territoriales est indissociable du maintien de la clause générale de compétence, la préservation des financements croisés, mais aussi l’affirmation du rôle de l’État. Il faut s’assurer que les compétences des collectivités, comme celles de l’État, seront préservées, avec les moyens nécessaires à la clé.

La compétence culturelle des collectivités territoriales, fondée sur la clause générale de compétence, est un principe démocratique qui garantit la libre intervention des collectivités.

En 1982, ce principe, valable pour toutes les collectivités, permettait à celles-ci de se protéger contre les empiétements de l’État, mais il a aussi permis la coopération croissante entre les différents niveaux de collectivités par le biais de financement croisés.

Ce sont ces financements croisés et ces compétences partagées qui permettent aujourd'hui de garantir la vitalité de bon nombre d’activités culturelles.

La culture fournit une belle illustration de l’aveuglement technocratique qui nourrit le discours sur le prétendu « millefeuille ». Pourquoi tous les niveaux de collectivités interviennent-ils, ou cherchent-ils à le faire, dans le champ culturel ? Tout simplement parce que la culture est comme l’air qu’on respire : c’est en quelque sorte une compétence vitale pour construire du bien-être commun. La culture est une compétence naturellement partagée.

Or chaque nouvelle réforme des collectivités menace ce principe de compétence partagée. C’était déjà le cas de la loi du 16 décembre 2010, qui prévoyait la suppression de la clause de compétence générale. Il a fallu toute la bataille parlementaire pour que soit finalement arraché, de justesse, en deuxième lecture, le maintien de la clause de compétence générale, mais uniquement dans des domaines particulièrement sensibles comme la culture et le sport.

Après d’autres tentatives de suppression de même nature, la clause de compétence générale a finalement été rétablie par la loi du 27 janvier 2014. Or, quelques mois plus tard, les menaces sont de nouveau d’actualité avec les projets portés par le Président de la République et le Premier ministre.

Dans le cadre de sa grande réforme territoriale, et au nom de la clarification des compétences, le Premier ministre propose de nouveau la suppression de la clause de compétence générale et le retour à des compétences des collectivités spécifiques et exclusives. Quant aux conseils départementaux, leur existence est, à terme, purement et simplement remise en cause.

On dit à nouveau, ici ou là – mais nous sommes dans le plus grand flou –, que la culture pourrait faire figure d’exception. Quel crédit accorder à un tel engagement si tout se réduit comme peau de chagrin : crédits, compétences, taille et nombre des assemblées élues ?

Pour conjurer le danger et maintenir un haut niveau d’action culturelle, l’heure n’est plus aux approximations, aux bricolages, aux allers et retours inconséquents.

L’action et la décentralisation culturelles sont aujourd’hui des co-constructions entre l’État et l’ensemble des collectivités ; elles doivent le rester et être confortées. L’art et la culture sont d’intérêt national. Le rôle de l’État et celui des collectivités doivent être préservés. S’il fallait légiférer dans ce domaine, c’est sans aucun doute vers l’établissement d’une compétence partagée entre l’État et l’ensemble des collectivités qu’il faudrait aller.

En l’absence d’engagements clairs, nombreux sont les périls qui nous guettent : dévitalisation des communes, suppression des départements, dont les effets pourraient être très lourds sur la politique culturelle des villes moyennes et des territoires ruraux.

Quant aux métropoles, elles sont souvent regardées avec méfiance par nombre de services culturels, lesquels redoutent d’être noyés dans un immense ensemble métropolitain, le risque étant qu’aux fractures sociales et spatiales existantes vienne s’ajouter une fracture territoriale.

Quid de la culture dans des métropoles vouées à la mise en concurrence des territoires, aux antipodes de l’action attendue en faveur de la réduction des inégalités culturelles sur le territoire ?

Comment les politiques culturelles locales trouveront-elles leur place dans le futur paysage territorial de la France ? Tous les acteurs culturels rencontrés par vous, madame la ministre, comme par moi et beaucoup d’autres, sont inquiets.

Toutes ces inquiétudes sont évidemment avivées par le contexte d’austérité budgétaire dans lesquelles elles s’inscrivent, la réforme territoriale se doublant d’un plan d’économie de 50 milliards d’euros, dont 11 milliards d’euros sur les dépenses des collectivités.

Le maintien de la clause générale de compétence et la participation de tous les échelons territoriaux et de l’État, aussi importante soit-elle, ne suffiront pas à préserver l’action culturelle locale si les collectivités n’ont plus les moyens d’exercer les compétences dont elles ont la charge. Des compétences sans moyens seraient évidemment vides de sens.

La fragilisation des politiques publiques est d’autant plus à craindre dans le domaine culturel que les collectivités sont devenues, je l’ai dit, d’importants financeurs de la culture.

La montée en puissance des collectivités n’a pas cessé depuis 1978, comme l’indiquent des études du département des études, de la prospective et des statistiques, la DEPS, sur les dépenses culturelles locales. Ces études, respectivement menées en 2006 et en 2010, font apparaître une augmentation régulière des dépenses des collectivités de 10 % en quatre ans. Elles démontrent, chiffres à l’appui, que les dépenses des collectivités territoriales en matière culturelle sont désormais nettement supérieures au budget du ministère de la culture ! L’étude de 2010 évalue en effet le financement des collectivités à la culture à 7,6 milliards d’euros, soit 118 euros par habitant, alors que le budget du ministère pour la même année était de 2,9 milliards d’euros.

À titre d’exemple, les financements accordés par les collectivités au spectacle vivant sont dix fois supérieurs aux crédits que l’État y consacre. Ils représentent aujourd’hui 70 % du financement public de ce secteur pour son fonctionnement, ses créations, mais aussi ses équipements. Les collectivités assurent ainsi de nombreux emplois permanents et intermittents.

Parmi les collectivités, ce sont les communes et les groupements de communes qui, aujourd’hui, prennent en charge la plus grande partie des financements culturels. Elles assument en effet les trois quarts des financements des collectivités, soit 4,6 milliards d’euros pour les communes et 1 milliard d’euros pour leurs groupements, contre respectivement 18 % et 9 % pour les départements et les régions.

Le soutien à l’expression artistique et aux activités culturelles représente près de 60 % des dépenses des communes et de leurs groupements. Il s’agit en grande partie de dépenses de fonctionnement.

Départements et régions se sont eux aussi investis de manière croissante dans le patrimoine, qui représentait 59 % des dépenses culturelles départementales et 23 % des dépenses culturelles régionales en 2010.

Les communes gèrent souvent les services et les équipements culturels de proximité, tels les bibliothèques, les conservatoires, les écoles d’art et les musées. Il est intéressant de noter que la moitié de ces dépenses de fonctionnement sont des dépenses de personnels.

En effet, il ne faut pas oublier qu’une grande partie des dépenses des collectivités permet directement, notamment par l’emploi de fonctionnaires et de contractuels, ou indirectement, via des subventions, de financer un très grand nombre d’emplois dans le milieu culturel.

Une diminution de la participation financière des collectivités à la culture risquerait donc de se traduire par une grave remise en cause de l’emploi, du fait du non-renouvellement de nombreux contractuels et du non-remplacement de fonctionnaires partant à la retraite. Cela fragiliserait l’ensemble du secteur.

Au même moment, la part du budget de l’État consacrée aux missions du ministère de la culture confirme, elle aussi, un désengagement financier dans la durée, programmé dans le plan annoncé par le Premier ministre.

Telles sont, mes chers collègues, les raisons de notre inquiétude.

Notre assemblée a souvent inscrit à son ordre du jour, ces dernières années, la défense de l’exception culturelle. Aujourd'hui, c’est l’exceptionnel engagement de nos collectivités qui doit être défendu et protégé. Nous n’aurons pour notre part de cesse de mener ce combat.

Adossée aux 50 milliards d’euros de coupes budgétaires, la réforme territoriale que le Gouvernement continue de chercher à faire passer au forceps risque d’être foncièrement antidémocratique, politicienne et au service d’une vision concurrentielle et libérale de l’aménagement du territoire. Elle représente un très grand danger pour le mouvement artistique et culturel, pour l’avenir même de la culture dans notre pays.

L’affaiblissement des moyens des collectivités, la suppression de la clause générale de compétence, la suppression des conseils généraux, le regroupement autoritaire des communes et des agglomérations, la formation de métropoles et de très grandes régions, représentent au total un danger quasi létal pour des pans entiers des politiques publiques de soutien à l’art et à la culture, à la création comme à l’éducation populaire.

Si nous ne réagissons pas, nous sommes à la veille d’un processus de déculturation de nos territoires et des populations qui y vivent. Une fois de plus, nous constatons qu’il faut défendre le lien étroit existant entre la culture et la démocratie, la mise en cause de l’une affaiblissant gravement l’autre. Nous refusons de nous engager sur ce chemin dangereux, préférant continuer à construire l’émancipation par l’art et la culture. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC – Mmes Corinne Bouchoux et Maryvonne Blondin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat est une excellente initiative, car nous sommes à la veille d’arbitrages structurels et budgétaires déterminants. Il est nécessaire, car la volonté passée, de celle de Malraux à celle de Jack Lang, a conduit à une démocratisation équipementière qui n’a pas connu sa suite logique : la diversité des publics, des amateurs, des artistes, la synergie avec la vie du territoire, et des moyens durables de fonctionnement des structures.

Ce débat appelle à la cohérence quand les choix faits sur le terrain contrastent souvent avec les beaux discours et les signatures de conventions internationales porteuses de sens, ou quand plane la menace d’un agrément néfaste sur le mauvais accord des annexes 8 et 10 de l’UNEDIC. À quoi serviraient des subventions sans artistes et sans techniciens pour donner vie aux projets ?

L’action des collectivités en matière de culture a été grandissante, conjuguant des cibles propres à chacune et mettant en commun leurs moyens pour rendre possibles des actions d’envergure, au plus près des habitants. Des artistes s’en sont méfiés, ceux qui n’avaient d’yeux que pour la rue de Valois, à l’image de Racine ou Lully n’attendant que l’onction du prince.

Contre cette forme de mépris, les écologistes réaffirment la pertinence d’une démocratie culturelle locale, animatrice du tissu créatif du territoire, garante de la reconnaissance de chacune et de chacun.

Ils soulignent également le rôle indispensable d’un grand ministère de la culture et de ses directions déconcentrées, avec une stratégie et des moyens. Et ce grand ministère ne devrait pas dispenser les autres – ceux de la ville, de l’éducation, de la santé, des transports – de penser culturellement leurs actions. L’art est public, il a droit de cité. Il devrait, au-delà de ses tutelles, bousculer l’organisation en silos de nos ministères et des directions de nos collectivités.

D’ailleurs, le développement durable, dont on décline à l’envi les cibles économiques, sociales et environnementales, ne peut se concevoir sans culture, bien commun essentiel de l’humanité, et que nous pouvons chaque jour accroître.

Ce qui fait culture dans une société, c’est ce qui fait rencontre : reconnaissance mutuelle, tissage de liens, création, héritage virtuel ou matériel.

C’est donc, avant de réfléchir sur qui fait quoi, à la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle que nous devons nous référer pour aspirer à « une plus grande solidarité fondée sur [...] sur la prise de conscience de l’unité du genre humain et sur le développement des échanges interculturels ».

C’est donc, avant de nous emballer pour ou contre la clause générale de compétence, à la Déclaration de Fribourg de 2007 que nous devons penser : « le terme "culture" recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement », nous rappelait Jean-Michel Lucas lors d’une récente audition.

Car on ne peut à la fois se prévaloir de l’exception culturelle à l’international et jouer la compétition entre les territoires, comme si la culture était une marchandise ou, pis, une « arme » comme les autres.

Quatre départements, dont celui du Nord, se sont engagés à revoir leurs pratiques afin de garantir les droits culturels de chacun. Lors de leur dernière rencontre à Roubaix, Patrice Meyer-Bisch rappelait que l’injonction du « vivre ensemble » n’est pas suffisante si le tissu social est élimé. Ce tissu, y compris dans sa dimension culturelle, doit être enrichi par la densité qu’apporte la diversité des contributeurs.

Être libre, c’est recevoir la capacité de participer, de toucher et d’être touché, de dire pourquoi l’on aime ou pourquoi l’on n’aime pas une œuvre. Ce sont ces critères de l’action publique qui doivent questionner compétences et procédures des institutions, tout autant que la légitimité de l’Art à déranger.

À l’heure des pénuries, auxquelles les écologistes ne sauraient se résoudre, s’il s’agit d’infliger au budget de la culture la même toise qu’aux bétonneurs, pollueurs et spéculateurs, les risques sont réels que la culture soit une variable d’ajustement – le couperet est déjà tombé sur des projets –, que des artistes soient censurés par certaines idéologies ou, comme l’énonce le sociologue Michel Simonot, que l’on fasse « dépendre la valeur de l’art et de l’artiste de son efficacité immédiate éducative, sociale, politique, économique, touristique ». Sommé d’être en mission, l’artiste verrait alors se dissoudre son autonomie et sa turbulence dans des appels à projets mis en concurrence. L’efficience attractive ou le pouvoir de pacification sociale l’emporteraient sur l’intérêt général.

Privés de loi sur la création, les parlementaires auditionnent, travaillent, se positionnent, proposent ; ils seront présents dans le débat sur la décentralisation.

Pour les écologistes, la culture est une responsabilité partagée de l’État et des collectivités locales. Nous ferons en sorte que l’Europe la fasse également sienne, sous un angle qui ne résume pas aux industries culturelles. Ce partage doit garantir que la création, la formation et la diffusion ne seront jamais l’otage d’une idéologie ou l’instrument d’un notable. Ce partage n’exclut pas la définition de domaines d’intervention ciblés, comme les enseignements supérieurs artistiques, qui pourraient être confiés aux régions pour renforcer la professionnalisation et l’équilibre des ressources. Face aux métropoles, les régions doivent avoir un rôle d’équité territoriale.

Nous attendons que décentralisation rime avec justice, démocratie et dialogue intelligent avec les collectivités. Nous attendons que les moyens attribués ou délégués ne soient pas vampirisés par la capitale. Nous n’acceptons pas que les musiques actuelles, auxquelles s’adonnent 80 % des Français –, ne reçoivent que moins de 0,5 % du budget, alors que la Philharmonie va engloutir 380 millions d’euros. (Mme Maryvonne Blondin s’exclame.)

La lisibilité ne se construira pas en coupant la culture en rondelles, elle se construira dans la transparence des arbitrages et la qualité des outils de dialogue, à travers, par exemple, la requalification des établissements publics de coopération culturelle – EPCC – ou la revitalisation des conférences régionales. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier.

M. Pierre Bordier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, les collectivités locales sont les premiers financeurs de l’activité culturelle en France. Elles prennent en charge 70 % des dépenses, et leur contribution financière a progressé de 12 % depuis 2006, selon un rapport commun des inspections générales des affaires culturelles et des finances publié en janvier dernier. Cette contribution se chiffre à 7,6 milliards d’euros. Ce sont les régions et les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, qui ont le plus augmenté leur effort financier, tandis que les communes, propriétaires de la plupart des équipements culturels et monuments historiques, sont désormais les principales contributrices de la dépense culturelle publique ; celle-ci représente 8 % du budget des communes de plus de 10 000 habitants.

La décentralisation culturelle a permis la démocratisation de l’accès à la culture et la diffusion de l’action culturelle sur l’ensemble du territoire, à travers le soutien à un réseau de structures très dense. Les collectivités assurent la mise en œuvre opérationnelle et, notamment, le financement des grandes politiques culturelles définies par l’État. Elles pallient de plus en plus la faiblesse des crédits engagés par l’État, par exemple dans les domaines de l’archéologie préventive, du patrimoine, du spectacle vivant ou de l’accès aux savoirs.

Aujourd’hui, dans un contexte de crise économique et sociale, et à l’approche d’une recomposition territoriale, certains principes doivent être réaffirmés. Ce doit être également l’occasion d’une clarification des rôles. Je pense qu’il existe deux enjeux : la clarification des différentes interventions au niveau local et la réaffirmation d’une direction générale définie par l’État.

Tout d’abord, la Cour des comptes a relevé les chevauchements des actions culturelles menées aux niveaux territorial et national, un manque de cohérence entre les interventions et un empilement de dispositifs contractuels complexes. Un rapport d’information rédigé en 2009 par Yves Krattinger et Jacqueline Gourault au nom de la commission des finances du Sénat a fait le même constat.

Certes, la réalisation de projets importants repose souvent sur un partenariat entre plusieurs acteurs, mais l’empilement des structures et l’enchevêtrement des compétences et des financements peuvent être sources d’erreurs, de doublons, de perte de temps et de moyens. Aussi la commission des finances avait-elle cherché des voies de clarification, pour une meilleure coordination et une meilleure lisibilité. Elle préconisait notamment de généraliser des instances et outils de concertation entre les acteurs au niveau régional, afin d’assurer la coordination des actions, de simplifier les modalités de financement et de définir des objectifs partagés.

Madame la ministre, pourriez-vous préciser la politique du Gouvernement sur cette question de la clarification des rôles ?

Je voudrais à présent évoquer une réforme majeure, celle des établissements publics de coopération culturelle, dont la création provient d’une initiative sénatoriale prise il y a un peu plus de dix ans. La loi relative à la création des EPCC, votée en 2002, visait à organiser le partenariat entre l’État et plusieurs collectivités territoriales, ou seulement entre ces dernières, sur la base du volontariat, autour d’un projet culturel de territoire. Le but était de partager les initiatives culturelles et de leur donner plus d’ambition, de mutualiser les projets pour les rendre plus efficaces et plus visibles.

On compte aujourd’hui plus de 90 EPCC. Cela démontre que cette création était nécessaire et que les territoires – départements, régions, communes – se sont emparés des EPCC, notamment pour gérer leur patrimoine, le mettre en valeur et l’ouvrir le plus largement possible au public, ou pour développer les enseignements artistiques, notamment dans le cadre des écoles d’art, afin de permettre à un plus grand nombre d’usagers d’en bénéficier. À titre d’exemple, je citerai l’Opéra de Lille, le Centre Pompidou-Metz, le Louvre-Lens ou l’École supérieure d’art et de design de Saint-Étienne.

En 2011, j’ai présidé avec Cécile Cukierman une mission destinée à faire le bilan de dix années d’EPCC. Nos travaux ont montré les atouts des EPCC, mais également l’existence de dysfonctionnements. Certains EPCC n’ont pas été suffisamment préparés en amont ; d’où des désaccords entre partenaires ou la sous-estimation des coûts engendrés. La place de l’État, investisseur souvent minoritaire, face aux collectivités locales, n’est pas toujours facile à trouver. L’État doit pourtant exercer ses missions d’expertise, de conseil et parfois d’arbitre.

Les EPCC ont surtout pâti d’un statut fiscal complexe et défavorable. J’ai pu le constater dans mon département, où un EPCC que j’avais créé et présidé regroupait le conseil général de l’Yonne et la ville d’Auxerre. Après deux ans et demi de fonctionnement, les services fiscaux ont réclamé le paiement de la taxe sur les salaires, alors que les deux collectivités concernées n’y étaient pas assujetties auparavant pour les mêmes activités. Cette situation pour le moins surprenante est due à l’évolution de la jurisprudence européenne et à son respect par l’instruction fiscale. Les EPCC ayant une forte masse salariale ont ainsi pu voir leur charge fiscale décuplée. Au final, l’EPCC de l’Yonne a été dissous, la ville d’Auxerre et le conseil général reprenant leurs compétences et financements antérieurs. Piètre résultat !

Pour éviter que de nombreux projets soient ainsi privés du cadre offert par les EPCC, notre mission avait proposé soit que le ministère interprète favorablement les dispositions législatives concernant la taxe, soit que des dérogations soient accordées. Depuis, le dossier n’a pas du tout avancé. Madame la ministre, je souhaiterais connaître vos intentions à ce sujet.

Notre mission avait également pointé le problème des établissements d’enseignement artistique, auxquels le statut d’EPCC a été imposé. Sans anticiper sur ce que nous dira certainement Catherine Morin-Desailly, je tiens à rappeler que, si cette transformation obligatoire poursuivait l’objectif louable d’une plus grande autonomie des établissements, elle n’en a pas moins engendré de nombreuses difficultés : mise en place précipitée, diversité des statuts des personnels et inégalité des rémunérations, déficit d’information, problèmes de participation à la gouvernance.

Si le bilan des EPCC demeure globalement positif, sans doute faudrait-il procéder à des ajustements législatifs en ce qui concerne l’enseignement artistique. Notre débat est l’occasion de le rappeler.

Autre point que je souhaitais aborder : la place de l’État au moment où une réforme des collectivités territoriales est en cours de discussion et sera bientôt débattue au Parlement.

Par le passé, l’État a été le décideur en matière de politique culturelle. Aujourd’hui, il est davantage un facilitateur, accompagnant les projets des collectivités. Je pense que la culture doit demeurer un champ d’intervention commun, dans lequel l’État et les collectivités peuvent travailler ensemble de façon complémentaire.

Or, madame la ministre, l’article 1er de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, adoptée en décembre 2013, a éveillé les craintes des organisations professionnelles du secteur des arts et de la culture. Cet article permet en effet à l’État de déléguer par décret certaines de ses compétences à une collectivité qui en ferait la demande. Le fonctionnement du réseau des directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, pourrait donc se trouver affecté, ce qui nuirait à l’homogénéité de la politique nationale de soutien à la culture.

La présence de l’État à travers ses services déconcentrés est fondamentale. Elle garantit l’égalité territoriale, qui irrigue les territoires ou les quartiers éloignés d’une offre culturelle de qualité. Lorsque la compétence « culture » aura été déléguée, comment l’État pourra-t-il tenir son engagement de ne supprimer aucune DRAC ? Je pense que cette disposition ouvre la voie à un désengagement de l’État, et il me semble donc souhaitable qu’un prochain texte législatif, par exemple le projet de loi sur les territoires actuellement en préparation, établisse clairement une compétence partagée et réaffirme le rôle de l’État.

La culture et les arts favorisent l’épanouissement personnel et collectif des individus, ainsi que la cohésion et le dialogue social. Ces activités constituent également un formidable enjeu économique. . Selon le rapport commun des inspections générales des affaires culturelles et des finances, elles représentent 3,2 % du PIB de la France et 670 000 emplois ; en valeur ajoutée, c’est autant que l’agriculture et l’agroalimentaire, deux fois plus que les télécommunications et sept fois plus que l’automobile. C’est dire combien l’État et les collectivités territoriales, qui sont directement concernés, doivent veiller au maintien et à l’essor des industries culturelles et créatives.

Le processus de décentralisation en cours – métropoles, intercommunalité, etc. – mettra chaque élu devant une situation politique largement inédite. Aussi l’État devra-t-il jouer pleinement son rôle de facilitateur des actions locales. J’espère que ce débat nous permettra d’obtenir une clarification quant à ses intentions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)