M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, l’entraide en matière de travaux agricoles est une pratique toujours bien vivante de nos jours. Elle s’inscrit dans une tradition de solidarité entre membres d’une même famille, d’une même profession ou d’un même village. Toutefois, malgré son ancrage historique très fort, cette pratique n’a jamais véritablement été précisée par la loi. Elle est donc tout juste tolérée. Est-il acceptable qu’il soit de plus en plus compliqué d’aider un ami dans ses travaux agricoles alors qu’il est possible de l’aider à déménager ou à faire des travaux ?

Le syndicat départemental des vignerons de l’Aude a récemment saisi la Mutualité sociale agricole, la MSA, Grand Sud au sujet des pratiques d’utilisation de main-d’œuvre non rattachée socialement aux exploitations. Il s’agit notamment de l’entraide familiale, de l’entraide entre agriculteurs et du coup de main occasionnel.

La MSA m’a écrit pour me faire savoir qu’il était « difficile, tant pour les exploitants agricoles que pour les organismes en charge de la gestion et du contrôle de la main-d’œuvre, de déterminer quels sont les droits et les obligations en la matière ». La MSA ajoute que ce sujet sensible, qui concerne une pratique seulement tolérée, est « d’un abord difficile tant par l’absence ou l’imprécision des textes, voire une jurisprudence parfois contradictoire, que par la référence faite par les agriculteurs à un geste ancestral, geste auquel ils confèrent une forte connotation sociétale ».

« Comment qualifier de travail, au sens économique et social du terme, l’aide apportée sur une exploitation par le grand-père à son petit-fils ? », m’interroge-t-on notamment. À l’inverse, comment ne pas octroyer à cette action « des qualificatifs de sociétal, de pédagogique, d’intégrateur, de liant familial, voire de retardateur de la dépendance » ?

Je précise que le conseil d'administration de la MSA Grand Sud s’est associé à la démarche de la profession agricole, qui insiste sur le besoin d’un positionnement des pouvoirs publics en matière d’entraide familiale. Un vœu a été adopté en assemblée générale, sur l’initiative du président du syndicat des vignerons, pour demander l’extension de la notion d’entraide familiale aux travaux effectués entre grands-parents et petits-enfants ou avec des alliés : beaux-parents, beaux-frères et belles-sœurs.

Des questions se posent. Un exploitant agricole retraité peut apporter son aide sur son ancienne exploitation dans la limite de dix à quinze heures par semaine, mais le peut-il si son ancienne exploitation est exploitée sous forme sociétaire ? L’entraide familiale fait l’objet d’une simple tolérance. Est-elle limitée à certains cas précis, comme l’aide occasionnelle sans rémunération ? Est-elle limitée aux descendants et ascendants directs ? Qu’en est-il de l’entraide familiale dans le cadre d’une structure sociétaire, notamment lorsque le membre de la famille est associé non participant aux travaux ? Qu’en est-il de l’aide apportée par le conjoint marié ou pacsé ou au sein d’une famille recomposée ? Quant au coup de main bénévole, comment faut-il considérer les journées dites de solidarité ?

Monsieur le ministre, il me serait agréable que vous me donniez votre sentiment sur ce sujet et que vous me fassiez connaître les initiatives que vous comptez prendre, car l’insécurité juridique actuelle menace de faire disparaître une tradition à laquelle nos concitoyens du monde rural restent profondément attachés.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, votre question permet de mesurer la complexité du sujet. On peut s’aider entre ascendants et descendants, au sein d’une famille, entre amis, etc. Vous avez évoqué le cas du déménagement ; peut-être certains d’entre vous ont-ils aidé des amis à déménager.

Il s'agit d’un sujet très difficile. Vous m’interrogez sur l’encadrement de situations de travail qui sont à la limite du travail salarié, voire du travail dissimulé. Votre préoccupation quant à la lisibilité du cadre juridique applicable est légitime. Cependant, la jurisprudence est déjà suffisamment claire pour permettre de préciser, dans ce cas, comme pour les autres pratiques bénévoles, les limites à respecter, sans qu’il y ait besoin d’introduire un nouveau cadre législatif. En outre, les exemples que vous avez cités montrent qu’il serait difficile de trouver un cadre législatif qui permette de régler les problèmes.

La jurisprudence a tracé une frontière entre ce qui relève de la relation de travail et ce qui n’en relève pas. Cette frontière repose sur une analyse de chaque situation prise dans sa singularité. Dans la plupart des cas, l’entraide entre ascendants et descendants n’est pas admise par la jurisprudence, car il est difficile de considérer que des liens familiaux même étroits suppriment a priori l’existence d’un contrat de travail. Il en va de même pour l’entraide entre concubins.

La création d’un statut législatif spécifique à l’entraide familiale susciterait en réalité plus de difficultés qu’elle n’en résoudrait. Au surplus, elle serait sans effet sur une éventuelle requalification juridictionnelle du lien – bénévolat ou contrat de travail –, comme dans les autres cas d’activités à la frontière du travail salarié.

Je comprends votre préoccupation, mais la création d’un nouveau cadre juridique n’apporterait pas les réponses appropriées. Il vaut mieux s’en tenir à la jurisprudence. Il faut être vigilant, tout en étant capable de comprendre que l’entraide, qui existe depuis des dizaines et des dizaines d’années, est un élément de solidarité. Il est difficile de légiférer sur un tel sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

fin des quotas laitiers

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Vincent, auteur de la question n° 828, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Maurice Vincent. Monsieur le ministre, il peut sembler paradoxal de vous interroger sur les conséquences de la fin des quotas laitiers, compte tenu des oppositions qui s’étaient manifestées en 1984 lors de leur mise en place par le gouvernement de l’époque.

Annoncée depuis de nombreuses années, la fin des quotas laitiers deviendra dès l’année prochaine une réalité pour les producteurs de nos territoires. La régulation permise par l’application de quotas dans les pays membres de l’Union européenne est appelée à disparaître, alors qu’elle permettait depuis 1984 d’éviter la surproduction. Dès lors, même si le secteur de la production laitière possède encore des potentialités de conquête de marchés dans les pays en croissance, et singulièrement dans les pays asiatiques, des risques vont apparaître. Il convient de les prendre en compte en amont pour éviter de connaître une nouvelle crise comparable à celle qui a eu lieu en 2009.

En effet, la fin des quotas peut entraîner une volatilité des prix et par conséquent une incertitude sur les revenus de nos producteurs et la survie de leurs exploitations. Elle peut également entraîner une baisse de l’investissement dans ce secteur et un accroissement de la concurrence et des inégalités non seulement entre les États membres, mais aussi entre les régions françaises. Il nous revient donc d’accompagner les producteurs laitiers et de leur apporter les garanties nécessaires sur leur avenir, notamment pour les exploitations petites et moyennes, qui garantissent la vitalité de nos territoires ruraux, dans le département de la Loire mais aussi dans de nombreux autres.

Le ministère a déjà impulsé des discussions au niveau européen, notamment lors de la conférence du 23 mars 2013. Celles-ci ont abouti à des ébauches de solutions intéressantes, qu’il s’agisse de la nouvelle politique agricole commune et du « paquet laitier » ou de la mise en place d’un observatoire du marché européen. Cependant, alors que la Commission européenne reconnaît elle-même, dans un rapport du 13 juin 2014, que des doutes subsistent sur l’efficacité de ces mesures et que la discussion doit se poursuivre pour trouver des instruments de prévention et de gestion des crises, je vous demande de préciser quelles sont les évolutions concrètes envisagées par votre ministère et comment elles seront défendues à Bruxelles.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, la fin des quotas laitiers a été décidée en 2008, au moment du bilan de santé de la politique agricole commune. Les quotas avaient été mis en place en 1984 pour réguler l’offre et la demande de produits laitiers, en réponse aux montagnes de beurre et de poudre de lait. La fin des quotas a fait l’objet de débats au niveau européen, mais a été adoptée à une majorité sur laquelle on ne peut pas revenir. Il faut donc anticiper la suite.

Deux éléments doivent être pris en compte. Le premier est le lien des quotas avec les territoires. Il faut être attentif à ce que le lien entre la production et les territoires, qui était garanti par les quotas, soit maintenu après leur suppression, dans les zones moyennes, pas forcément les plus grandes zones de production laitière. C'est pourquoi j’ai décidé, dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune, de maintenir, et même de recréer là où elles avaient disparu, les aides couplées à la production laitière, avec un dispositif spécifique pour les zones de montagne, car le maintien de la production laitière dans ces zones est un enjeu spécifique.

Le second élément – vous l’avez évoqué – est la régulation. Lors de la négociation préalable à la réforme de la politique agricole commune, la France a pesé pour obtenir la création d’un observatoire européen, afin d’anticiper le risque d’une augmentation non régulée de la production, qui pourrait conduire à des crises. Nous avons également obtenu la création d’un certain nombre de mécanismes, qui devraient se mettre en œuvre. Une discussion est en cours au niveau européen pour définir des règles permettant, en fonction des indications données par l’observatoire, d’agir sur le stockage privé, d’améliorer la régulation de la production ou encore, si nécessaire, de recourir à des restitutions.

Il faut que l’Europe se dote d’outils. La fin des quotas ne doit pas déboucher sur un marché sans aucune règle, car l’absence de règle conduit à des crises. Nous en avons connu une il n’y a pas très longtemps, en 2008-2009. Cette crise a été très coûteuse pour le budget européen. Voilà où nous en sommes. La France continue à plaider pour la régulation. Elle a déjà obtenu des avancées, avec la création d’un observatoire pour anticiper et de mécanismes pour réguler.

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Vincent.

M. Maurice Vincent. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse et de votre détermination à poursuivre la recherche de mécanismes de régulation permettant de rassurer les producteurs laitiers. C’est en effet un enjeu à la fois économique et territorial.

gel des dotations de l’État aux collectivités locales

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 834, transmise à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.

M. Jean Boyer. Monsieur le secrétaire d'État, dans le cadre des questions liées à l’égalité de nos territoires, je souhaite attirer votre attention – j’en avais fait de même avec vos prédécesseurs – sur le gel des dotations de l’État en faveur des collectivités locales.

L’engagement de ramener le déficit public en dessous de 3 % du PIB a été évoqué à plusieurs reprises par les gouvernements successifs. On en parle souvent, mais on ne sait pas bien où l’on va. La volonté de respecter cet engagement impose le gel des dépenses de l’État. Monsieur le secrétaire d'État, je sais que la situation est difficile. Il ne suffit pas de dire qu’il faut faire ceci ou qu’il n’y a qu’à faire cela… Il faut gérer la France. C’est difficile pour tous les gouvernements.

Les dépenses de fonctionnement de l’État diminueront sensiblement, de même que le soutien aux budgets de nos collectivités territoriales, et de nos communes en particulier. Seules les dépenses d’intervention, qui regroupent essentiellement les aides économiques, les aides à l’emploi et les aides sociales, seront soumises à un réexamen. Ce principe pourra-t-il être maintenu alors qu’il est demandé aux élus locaux de veiller à ce que leurs dépenses s’établissent strictement au niveau prévu par la loi de finances ?

Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse. Si, dans les quelque 36 000 communes de France, le maire devient seulement un officier d’état civil, un garde champêtre ou un président d’association, on manquera de motivations au niveau local. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez certainement été maire. Ce qui marque le mandat d’un maire ou d’un conseiller municipal, ce sont les investissements réalisés.

Monsieur le ministre, vous le savez mieux que moi, on ne doit pas être à la fois responsable et désespéré. Cependant, quand on est dans une zone de revitalisation rurale – c’est le cas de vingt-deux cantons de mon département – et que les richesses apportées par le bâti et la taxe d’habitation sont en baisse alors qu’il faut toujours aménager ce que j’appellerais modestement l’espace à gérer, on peut malheureusement avoir des inquiétudes.

Monsieur le secrétaire d’État, c’est la dernière fois que je prends la parole dans cet hémicycle, et je tiens à le faire sincèrement et sans démagogie.

Je suis l’élu d’un département qui a vingt-deux cantons en zone de revitalisation rurale ; il y a deux Haute-Loire : celle qui subit l’attraction de Lyon et de Saint-Étienne et celle de la Margeride et du Mézenc. Or c’est dans cette dernière zone, aux franges du département, qu’existe un canton avec moins de cinq habitants au kilomètre carré. Même si, quel que soit le Gouvernement en place, il est difficile d’avoir vraiment de l’espérance dans ces territoires, pouvez-vous tout de même nous en apporter un peu ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le sénateur, votre question, dont je salue l’honnêteté intellectuelle et le réalisme, comporte trois aspects.

Tout d’abord, elle a trait au déficit public.

Comme l’indique le programme de stabilité adressé par la France à la Commission européenne au mois de mai dernier, l’objectif est bien de ramener le déficit à 3 % en 2015.

C’est pour respecter cet engagement ambitieux que l’État continue à maîtriser ses dépenses : elles n’ont pas augmenté depuis 2011, et elles vont baisser en valeur sur la période budgétaire triennale 2015–2017.

S’agissant des dépenses des collectivités locales, les anticipations du programme de stabilité tablent plutôt sur une stabilisation en volume sur 2015–2017, c’est-à-dire une évolution au même rythme que l’inflation, en dépit de la réduction des dotations.

Ensuite, concernant plus précisément l’investissement public, le Gouvernement est conscient, et je l’ai moi-même rappelé au Sénat la semaine dernière, du fait que plus de 70 % de l’investissement de notre pays est réalisé par les collectivités territoriales – commune, intercommunalités, départements, régions.

Il n’est donc pas question de réduire les dotations et les subventions de l’État qui soutiennent l’investissement local : la dotation d’équipement des territoires ruraux, la dotation de développement urbain et le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée sont préservés.

Je vous rappelle aussi que c’est sous cette législature qu’ont été prises les mesures permettant aux collectivités locales de retrouver un meilleur accès au crédit avec une nouvelle banque publique des collectivités locales autour de la Banque postale, une enveloppe de prêts bonifiés à long terme, financée sur les fonds d’épargne, ouverte pour 20 milliards d’euros par la Caisse des dépôts et consignations pour la période 2013–2017, et, enfin, une agence de financement des collectivités locales, l’Agence France Locale, mise en place avec le soutien du Gouvernement.

Enfin, monsieur le sénateur, votre question m’amène à parler des fonds européens, tout particulièrement du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER, qui va voir son montant augmenter au profit des zones de montagne, que vous connaissez bien en tant qu’élu de la Haute-Loire.

De plus, les taux de cofinancement seront revalorisés par rapport à la période 2007–2013 pour l’ensemble des fonds européens dans les régions en transition, et pour certaines mesures spécifiques dans le cas du FEADER.

Pour conclure, je veux évoquer le problème des normes. Vous le savez, ce gouvernement, après d’autres, s’est attaqué à ce chantier compliqué. Nous venons d’installer le Conseil national d’évaluation des normes et Alain Lambert a été nommé médiateur national des normes. Sachez que nous avons la ferme volonté d’avancer vite sur la réduction de l’inflation normative qui pèse aussi financièrement sur les collectivités locales, notamment sur les communes les plus petites.

Monsieur Boyer, j’ai été touché par votre intervention : il s’agit de votre dernière question orale, avant le renouvellement partiel du mois de septembre. Je tiens à vous dire, en voisin que nous serons bientôt puisque nous allons appartenir à la même région issue de la fusion de l’Auvergne et de Rhône-Alpes, que je suis, comme la plupart des sénateurs, très attentif au devenir des zones rurales. Il y en a, ainsi que des zones de montagne, dans mon département de l’Isère, et les préoccupations que vous avez exprimées sont partagées par le Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Comme vous avez siégé ici, je sais que vous êtes un élu qui parle aussi avec son cœur. Notre mission n’est pas seulement de bâtir et d’aider à donner des subventions.

Victor Hugo disait, ô combien solennellement, qu’une des plus nobles missions des élus est de rassembler les hommes et d’éviter de semer la morosité. Soyons de ces acteurs-là, avec tout ce qui peut nous rassembler, en oubliant ce qui peut nous diviser ! (M. Jean-Marie Bockel applaudit.)

aires de grand passage des gens du voyage

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, auteur de la question n° 814, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le secrétaire d’État, la loi du 5 juillet 2000, qui impose l’élaboration d’un schéma départemental d’accueil des gens du voyage, schéma approuvé par le préfet de département et le président du conseil général, après avis des communes concernées et de la commission départementale consultative des gens du voyage, traite clairement des aires communales. Toutefois, concernant les aires dites de « grand passage », ce texte ne précise pas clairement le titulaire de l’obligation de création et d’entretien de ces dernières. Des interrogations majeures subsistent ainsi sur le fonctionnement et le financement des infrastructures, l’entretien de ces aires et l’assainissement.

Il en découle, notamment dans mon département du Haut-Rhin, de nombreuses situations de blocage consécutives à l’absence d’aménagement d’aires. Personne ne voulant « se mouiller » dans ce dossier sensible, la non mise en œuvre du schéma engendre des situations intolérables d’installations sauvages de groupes de gens du voyage, le plus souvent sur des terrains de football, parfois au centre du village ou dans les prés, laissant les maires démunis et la population dans l’incompréhension et la colère.

Par exemple, dans mon département, si le schéma départemental d’accueil des gens du voyage a été adopté à la fin de l’année 2012, validant la mise en place de deux aires de grand passage, l’une au nord du département et l’autre au sud, il n’est toujours pas mis en œuvre, et nous sommes depuis deux ans dans une situation qui ne cesse de se dégrader.

N’étant pas en conformité avec la loi, nous ne pouvons nous opposer aux arrivées de ces groupes qui « font leur loi » et font monter la pression chez les maires, lesquels se trouvent seuls devant le fait accompli.

Dans le souci d’accompagner au mieux les maires, notre agglomération, Mulhouse Alsace agglomération, que je préside, a même pris l’initiative de cofinancer l’an dernier un poste de médiateur de gens du voyage, avec la préfecture, pour anticiper et préparer, poste qui couvre la totalité du département. Et si, cette année, nous arrivons à mettre d’autres partenaires autour de la table pour cofinancer ce poste, notamment l’agglomération de Colmar, il n’en demeure pas moins qu’aucune institution ne souhaite s’engager fortement dans ce dossier, car personne ne se sent concerné, souhaitant éviter de porter cette compétence.

Si l’an dernier M. le préfet du Haut-Rhin avait réquisitionné des terrains, cette année cela n’a pas suffi, certains de ses arrêtés ayant été annulés par le tribunal administratif, car les aires décidées ne sont pas encore aménagées. Exploitant ce point faible en toute connaissance de cause, les groupes se sont présentés plus déterminés et nombreux que jamais.

Nous avons même fait jouer la solidarité entre maires, car nous ne voulions pas jouer à un petit jeu stérile en renvoyant la balle au préfet. Nous sommes confrontés à un problème de société, nous avons le devoir d’être solidaires. Au sein de notre agglomération, nous avons donc essayé d’imaginer l’aménagement a minima d’un certain nombre de terrains de façon décente et acceptable afin d’éviter d’être mis en permanence sous pression à cause de l’absence d’un terrain déterminé, adapté et aménagé, sur telle ou telle commune.

Nous nous sommes donc « mouillés », engagés et, croyez-moi, il a fallu pour cela que chacun fasse un effort et prenne sur lui, notamment vis-à-vis de la population. Bref, nous avons joué le jeu entre maires pour définir entre nous, parfois in extremis, et, souvent, cela n’a pas suffi, des terrains susceptibles de pouvoir accueillir un groupe ou deux pour une période de quelques semaines.

Je ne compte plus les collègues maires qui me font remonter leur exaspération de devoir gérer non seulement l’arrivée intempestive de ces groupes, ce qui n’est pas toujours facile, mais aussi la population locale, laquelle, parfois, hausse le ton et sort les fourches, sans oublier, évidemment, la dimension financière. En effet, pour ces installations, qui paient les pots cassés ? Les communes ! Et même si certaines intercommunalités, comme la nôtre, viennent en soutien, le message est maintenant un message de ras-le-bol.

Et je ne parle même pas de la problématique de la sanction de ces comportements illicites : l’amende encourue en cas de stationnement illicite est-elle souvent appliquée ? Quelles suites sont données aux plaintes déposées par les communes ou les particuliers pour les dégradations, quand on ne peut identifier l’auteur des faits dans un tel groupe ? Tout cela est intolérable et créé une situation d’exaspération.

Ainsi, alors que les aires de grand passage pourraient relever, tant pour leur réalisation que pour leur fonctionnement, de la responsabilité partagée de l’État et du département, en s’appuyant sur la solidarité des collectivités locales, et pourquoi pas par le biais des intercommunalités ou encore au travers d’associations départementales de maires, je souhaite connaître les mesures précises que le Gouvernement envisage d’adopter pour identifier clairement le ou les titulaires de cette compétence, et enfin permettre de débloquer ces trop nombreuses situations de crise qui ne cessent de mettre en difficulté et de prendre en otage les communes.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur le sénateur, la loi du 5 juillet 2000 modifiée relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage impose aux communes de plus de 5 000 habitants et aux établissements publics de coopération intercommunale qui exercent la compétence « aménagement, entretien et gestion des aires d’accueil » une obligation d’organisation de l’accueil des gens du voyage sur leurs territoires respectifs dès qu’ils sont inscrits au schéma départemental.

Les aires de grand passage sont définies par la combinaison des articles 1er et 4 de la loi du 5 juillet 2000. En effet, l’article 1er dispose notamment que le schéma départemental détermine les emplacements susceptibles d’être occupés temporairement à l’occasion de rassemblements traditionnels ou occasionnels et définit les conditions dans lesquelles l’État intervient pour assurer le bon déroulement de ces rassemblements.

L’article 4 précise, lui, que les aires de grand passage sont destinées à répondre aux besoins de déplacement des gens du voyage en grands groupes à l’occasion des rassemblements traditionnels ou occasionnels, avant et après ces rassemblements. C’est dans ces conditions que l’obligation de création et d’entretien des aires de grand passage s’impose, comme vous l’avez dit, aux collectivités territoriales.

S’agissant de votre département du Haut-Rhin, le schéma départemental d’accueil des gens du voyage révisé – approuvé par arrêté conjoint du préfet et du président du conseil général en date du 6 mai 2013 – prévoit deux aires de grand passage, une au nord du département et une au sud, sans toutefois préciser un calendrier de réalisation ni les collectivités concernées par cette obligation.

À ce jour, comme vous l’avez souligné, aucune aire de grand passage n’a été réalisée dans ce département. Malgré de nombreuses réunions et la mise en place d’un médiateur, l’État et le conseil général n’ont pas réussi à trouver de solutions concrètes avec les maires et les présidents d’intercommunalités.

Cette situation oblige le préfet du Haut-Rhin à réquisitionner chaque année deux terrains appartenant à l’État, ces réquisitions faisant systématiquement l’objet de recours de la part des collectivités concernées devant le juge administratif.

Lors de la dernière réunion de la commission départementale consultative d’accueil des gens du voyage, le 9 juillet dernier, le préfet, le conseil général, les communautés d’agglomération de Colmar et de Mulhouse, l’association des maires et les représentants de l’association « Action Grand Passage » ont collégialement décidé de relancer le groupe de travail permettant d’identifier les terrains susceptibles d’accueillir les grands passages et de proposer quatre terrains à la commission avant la fin de l’année 2014. Ces quatre terrains, en accord avec l’ensemble des acteurs concernés, dont les maires, seront inscrits dans le schéma départemental et équipés conformément à la réglementation applicable.

Sur ce sujet, le Gouvernement entend soutenir les évolutions législatives nécessaires, notamment la proposition de loi n° 1610 relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui prévoit en particulier de transférer aux communautés d’agglomération et aux communautés de communes les compétences en matière d’aménagement, d’entretien et de gestion des aires permanentes d’accueil et des aires de grand passage, lesquelles auront la responsabilité de déterminer la commune en charge de l’aire de grand passage.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez répondu en partie à ma question. Vous devez savoir, même s’il s’agit d’un point accessoire, que les recours qui nous gênent le plus aujourd’hui sont les recours des groupes de gens du voyage contre les décisions préfectorales et non les recours des communes. Espérons que la solution retenue des quatre terrains va marcher ; espérons également que les modifications législatives iront vers plus de clarté. Il ne s’agit pas simplement de faire porter la responsabilité aux intercommunalités – comme je l’ai dit, nous sommes en train de nous impliquer. À un moment donné, il faut tout de même que, à l’échelon départemental, une autorité puisse s’exprimer.

Monsieur le secrétaire d’État, ayant volontairement été court dans ma reprise, j’en profite, s’agissant de la dernière occasion pour m’exprimer avant le renouvellement partiel du Sénat, pour vous adresser très brièvement un message personnel, si Mme la présidente le permet.

Vous qui êtes un homme expérimenté et de bon sens, dites à M. Cazeneuve, à M. Valls et au Président de la République que le projet de grande région Alsace-Lorraine–Champagne-Ardenne est une aberration qui ne passera jamais.

Les Alsaciens sont gentils, sans doute un peu trop. Mais là nous sommes en train de nous mobiliser, les parlementaires mais aussi les maires, les forces vives. Mon propos n’est pas de circonstance, parce qu’il y a un renouvellement partiel de la Haute Assemblée. D’ailleurs, le débat aura lieu après ce renouvellement et je m’exprime sincèrement.

Vous savez combien nous avons été ouverts dans les discussions préalables, mais là, ça ne passera pas. Vous devez comprendre que nous ne nous laisserons pas faire. J’espère que tout le monde saura revenir à la raison. En tout cas, à bon entendeur…

prolongation de la validité des cartes nationales d'identité

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteur de la question n° 819, adressée à M. le ministre de l'intérieur.