Mme Nicole Bricq. Il ne fallait pas supprimer le compte de prévention de la pénibilité, alors !

M. Gérard Roche, rapporteur pour l’assurance vieillesse. Dans l’attente de cette réforme systémique, il n’existe que trois paramètres sur lesquels jouer pour rééquilibrer notre système actuel de retraites par répartition : les taux de cotisations vieillesse, le niveau des pensions et les bornes d’âge.

Relever encore les taux de cotisations vieillesse paraîtrait bien hasardeux, après les multiples hausses auxquelles a déjà eu recours le Gouvernement depuis deux ans et demi. Du reste, celui-ci semble avoir enfin compris qu’il était urgent de redonner de la compétitivité à nos entreprises et de favoriser l’emploi en abaissant le coût du travail.

Solliciter de nouveau les retraités, alors qu’ils sont nombreux à connaître des fins de mois difficiles, serait une erreur. Il faut au contraire s’attacher à préserver leur niveau de vie et leur pouvoir d’achat.

J’appelle donc de mes vœux de nouvelles mesures de relèvement des bornes d’âge, dont l’effet très favorable sur les finances de la branche vieillesse, surtout à moyen et à long termes, n’est plus à démontrer.

En vertu de la réforme des retraites de 2010, l’âge légal est actuellement repoussé chaque année de cinq mois jusqu’au 1er janvier 2017, date à laquelle il sera de 62 ans pour la génération née en 1955. Pourquoi ne pas envisager de poursuivre ce relèvement progressif au-delà de cette date, en prévoyant que l’âge légal passerait à 62 ans et 5 mois en 2018, puis à 62 ans et 10 mois en 2019, avec l’objectif de parvenir à 64 ans en 2024 ? Un amendement en ce sens, adopté par la commission des affaires sociales, vous sera présenté au cours de l’examen du présent projet de loi.

Naturellement, je suis bien conscient qu’une telle mesure réclamera des efforts importants de la part de nos compatriotes, mais plusieurs dispositifs permettent de tenir compte des situations particulières des salariés qui ont travaillé longtemps ou dans des conditions pénibles.

Je rappelle que le dispositif de départ anticipé pour carrière longue a été créé en 2003, puis assoupli en 2010, avant d’être considérablement élargi par le décret du 2 juillet 2012. Son accès a encore été facilité par la loi du 20 janvier 2014.

Par ailleurs, même si l’on peut formuler des réserves sur les conditions de sa mise en œuvre – j’y reviendrai –, le principe de la création d’un compte personnel de prévention de la pénibilité tend, entre autres possibilités, à permettre aux salariés qui ont été exposés pendant longtemps à des facteurs de pénibilité d’obtenir des trimestres supplémentaires afin de partir à la retraite avant l’âge légal.

C’est précisément parce que des différenciations entre catégories de salariés sont désormais possibles, selon qu’ils ont commencé à travailler jeunes ou non, selon qu’ils ont été exposés à des facteurs de pénibilité ou non, qu’un relèvement de l’âge légal de départ à la retraite, mesure que rend nécessaire la situation de notre système de retraites, pourra s’effectuer avec équité et que je me permets de le préconiser devant vous.

Je souhaiterais dire quelques mots sur le compte personnel de prévention de la pénibilité.

Mme Nicole Bricq. Il n’y en a plus !

M. Gérard Roche, rapporteur pour l’assurance vieillesse. En tant qu’ancien médecin, j’estime que ce dispositif, bien qu’imparfait, a le mérite de proposer une réponse plutôt séduisante, d’un point de vue intellectuel, au problème de la pénibilité du travail.

Cependant, comme chacun d’entre vous, j’ai pu constater sur le terrain la vive inquiétude des artisans et des patrons de TPE-PME, qui craignent que la complexité de ce nouveau système, qu’ils sont nombreux à percevoir comme une « usine à gaz », ne vienne alourdir un peu plus encore la gestion de leur personnel et ne soit source de contentieux. C’est cette inquiétude que certains de nos collègues ont voulu relayer en votant la semaine dernière, au cours de l’examen du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, la suppression du compte de prévention de la pénibilité.

La décision du Premier ministre de ne faire entrer en vigueur au 1er janvier 2015 que les quatre facteurs de pénibilité les plus simples à évaluer est sage,…

Mme Nicole Bricq. Ah, tout de même !

M. Gérard Roche, rapporteur pour l’assurance vieillesse. … car cela permettra à toutes les parties prenantes de s’approprier progressivement un dispositif dont la nouveauté peut légitimement effrayer.

La mission confiée à M. Michel de Virville, qui consistera à accompagner les branches professionnelles dans l’élaboration de référentiels permettant aux entreprises d’identifier le caractère pénible ou non des tâches effectuées par leurs salariés, devrait elle aussi être de nature à apaiser un certain nombre de tensions.

MM. Yves Daudigny et Claude Dilain. Très bien !

M. Gérard Roche, rapporteur pour l’assurance vieillesse. Le Président de la République a en outre annoncé jeudi dernier, lors d’un entretien télévisé, une future mission visant à « simplifier au maximum » – ce sont ses termes – l’application de ce dispositif et qui associera un parlementaire et un chef d’entreprise.

Toutefois, je tiens dire à que si, d’ici au 1er janvier 2016, date prévue pour l’entrée en vigueur des six autres facteurs de pénibilité, les inquiétudes des employeurs demeuraient toujours aussi vives, le Parlement devrait prendre en compte leurs revendications et remettre l’ouvrage sur le métier.

En conclusion, je voudrais redire avec solennité que j’ai pleinement conscience que le relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans en 2024, s’il peut être envisagé par les sénateurs de notre majorité, est susceptible de choquer nos collègues de gauche. Néanmoins, dans la mesure où le départ anticipé pour carrière longue et le compte personnel de prévention de la pénibilité, sous réserve de simplifications significatives, permettront toujours un départ avant l’âge légal pour ceux qui auront travaillé très jeunes ou dans des conditions pénibles, je veux croire qu’un accord est possible. Le Sénat montrerait alors à tous qu’il peut être force de propositions courageuses, grâce à l’intelligence du consensus. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot, rapporteur.

M. Gérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, après un déficit continu entre 2009 et 2012 dans un contexte de crise, la branche AT-MP – accidents du travail et maladies professionnelles – a renoué avec les excédents en 2013.

Compte tenu de son mode de financement assurantiel, cette évolution doit s’interpréter comme un retour à la normale. Toutefois, la situation reste fragile. Le solde serait ramené de 638 millions d'euros en 2013 à 216 millions d'euros cette année, puis à 195 millions d'euros l’année prochaine.

En outre, le retour à l’équilibre ne doit pas faire oublier l’existence d’une dette importante, qui s’élevait à 1,8 milliard d’euros à la fin de l’année 2013, sans qu’aucune stratégie de remboursement ait été définie. Peut-être aurez-vous l’occasion, madame la ministre, de nous éclairer sur les conditions dans lesquelles seront apurés ces déficits cumulés ? Elles restent pour l’heure particulièrement floues.

Nous devons bien sûr nous féliciter de la baisse tendancielle du nombre des sinistres. Cependant, comme je l’ai souligné en commission, il faut garder à l’esprit les évolutions contrastées que recouvre cette tendance générale.

Tout d’abord, le nombre d’accidents du travail s’établit à un niveau historiquement bas. Il est d’environ 904 000 pour le régime général en 2013, contre 943 000 en 2012. À l’inverse, les accidents de trajet connaissent une hausse significative, de l’ordre de 7 %, entre 2007 et 2013. Par rapport aux accidents de la route en général, l’existence probable d’une causalité au moins en partie spécifique aux accidents de trajet n’a toutefois pas fait l’objet d’analyses approfondies. Le nombre des maladies professionnelles a crû, quant à lui, de 3,6 % par an en moyenne entre 2007 et 2013. La fréquence des maladies ayant entraîné un arrêt de travail a doublé depuis 2001.

Au total, la situation du monde du travail au regard des risques professionnels reste préoccupante. La commission des affaires sociales considère que la plus grande vigilance est de mise sur la poursuite des efforts de prévention déjà engagés.

Nous devrons en particulier être attentifs à la mise en œuvre de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion de la branche pour 2014 à 2017. Sa première orientation consiste à assurer une prévention des risques fondée sur le ciblage et l’évaluation. Les actions doivent notamment se concentrer sur trois risques prioritaires : les troubles musculo-squelettiques, les TMS, les risques de chute dans le secteur du BTP et l’exposition à certaines substances cancérogènes. À l’heure où la logique de simple réparation des dommages risque de faire de l’ombre à l’objectif de prévention, qui constitue pourtant la vocation historique de la branche, les perspectives ainsi définies constituent donc un motif de satisfaction.

En ce qui concerne les dépenses de la branche, mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur deux points particuliers, relatifs aux charges de transfert, qui appellent davantage de réserves.

Il s’agit tout d’abord du versement à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles. Madame la ministre, le Gouvernement a fixé le montant de ce versement à 1 milliard d’euros dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, soit une hausse de 26,6 % par rapport au montant retenu ces trois dernières années.

Aussi le montant de cette participation atteint-il aujourd’hui un niveau historiquement haut. Sa progression continuelle, entièrement supportée par la part mutualisée du financement de la branche AT-MP, ne peut conduire qu’à un certain scepticisme quant à la réalité des efforts engagés pour lutter contre la sous-déclaration et inciter à la prévention. Il nous paraît indispensable de les relancer et de les accentuer.

En particulier, comme l’a indiqué le président de la commission d’évaluation de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, une réflexion d’ensemble sur la possibilité de reconstituer les parcours individuels des salariés est nécessaire, notamment pour les intérimaires, qui sont confrontés à toutes sortes de nuisances dont l’énumération a posteriori n’est pas aisée. Le montant de 1 milliard d'euros retenu par le Gouvernement, en hausse de 26,6 %, pour un plafond fixé par la commission d’évaluation de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles à 1,3 milliard d'euros, fait craindre que cette participation ne soit devenue une véritable variable d’ajustement pour l’équilibre de la branche maladie, ce qui serait tout de même difficile à accepter pour ceux qui financent cette branche, c'est-à-dire les employeurs et les entreprises.

Par ailleurs, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, fait face depuis 2013 à une croissance importante de ses dépenses, résultant d’une activité plus soutenue. À l’instar des représentants de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA, que nous avons entendus, nous devons bien sûr nous réjouir de cette évolution : les offres d’indemnisation du fonds sont aujourd’hui plus rapides et plus nombreuses.

Après l’effort important consenti par la branche AT-MP du régime général en faveur du FIVA en 2014, la dotation prévue pour 2015 s’élève à 380 millions d’euros, soit une baisse de 12,6 % par rapport à 2014. La direction de l’établissement a assuré que cette dotation lui paraissait suffisante pour couvrir ses dépenses prévisionnelles, d’autant que sa réserve prudentielle représente un peu plus de deux mois de dépenses.

Nous déplorons cependant – c’est malheureusement devenu une triste habitude – le net désengagement de l’État du financement du FIVA. Après deux années de participation nulle, le niveau de la dotation complémentaire de l’État, fixé à 10 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2015, reste selon nous bien trop faible.

Je rappelle que la mission commune d’information sénatoriale sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante, présidée par l’actuel rapporteur général de la commission des affaires sociales et dont Jean-Pierre Godefroy et moi-même étions les rapporteurs, avait jugé légitime de prévoir un engagement de l’État à hauteur d’un tiers du budget du FIVA, au regard tant de ses missions régaliennes que de son rôle en tant qu’employeur. J’ajoute que la dette du FIVA devrait atteindre 26 millions d’euros à la fin de l’année 2015.

Si la situation budgétaire du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, le FCAATA, n’appelle pas de remarques particulières, la question de l’ouverture d’une nouvelle voie d’accès individuelle à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, l’ACAATA, reste posée. Pour l’heure, le rapport qui devait être remis au Parlement sur cette question en vertu de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 n’a toujours pas vu le jour. Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer ce qu’envisage le Gouvernement au vu des premiers éléments d’analyse dont il dispose ?

Pour finir, je rappelle que, au-delà des dispositions relatives aux dépenses, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 comporte deux articles importants qui concernent directement la branche AT-MP : les articles 16 et 59 introduisent des mesures de simplification et d’équité, en particulier pour les non-salariés agricoles. La commission des affaires sociales y est bien sûr favorable.

Toutefois, nous restons, vous l’aurez compris, très réservés sur les orientations budgétaires définies pour 2015, s’agissant en particulier des dépenses de transfert assumées par la branche AT-MP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Francis Delattre, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le domaine des dépenses sociales, 93 % des Français estiment qu’il est urgent que des réformes soient entreprises, selon une étude réalisée par l’IFOP pour le journal L’Opinion. Ils sont 65 % à juger qu’il est nécessaire de faire des économies budgétaires, quitte à moderniser, voire, à privatiser des services à utilité réduite.

Les Français sont prêts pour des réformes. Ce texte devrait donc être une bonne occasion d’en engager. Il est important de noter qu’il ne sera pas possible de faire des économies, sauf à repenser l’organisation de notre modèle social que, paraît-il, le monde entier nous envie – mais avec 5 millions de chômeurs, on peut en douter…

La maîtrise comptable n’est plus suffisante. Le constat est clair : aucune des branches n’est à l’équilibre, ce qui risque à terme d’avoir des répercussions sur la qualité des soins, bien sûr, mais également sur la natalité et sur les niveaux des retraites.

Vous affirmez que ce texte permet « d’assurer la pérennité du système en maîtrisant les dépenses », tout en « transformant notre système de santé ». En réalité, l’objectif est de mettre un peu plus sous tutelle le secteur libéral et de privilégier le pôle public pour arriver, à terme, à un système de santé totalement contrôlé et étatisé, ce qui entraînera un certain nombre d’effets pervers que nous connaissons bien.

De même, le Gouvernement prétendait redresser durablement l’assurance vieillesse en 2013. Aujourd’hui, votre loi est déjà dépassée, madame la ministre. Ce texte finalise en réalité vos renoncements, le plus important étant le renoncement à maîtriser le déficit de la sécurité sociale. Les objectifs prévus dans la loi de finances de la sécurité sociale pour 2014 ne sont déjà pas respectés. Qu’en sera-t-il en 2015 ?

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 s’inscrit dans la perspective définie par le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, examiné par le Sénat la semaine dernière. La programmation pluriannuelle fixe l’objectif du retour du déficit effectif en deçà de 3 % du produit intérieur brut, le PIB. Pour ce faire, le Gouvernement envisage de réaliser 21 milliards d’euros d’économies dans le champ des administrations de sécurité sociale entre 2015 et 2017, sur un effort total de 50 milliards d’euros.

L’importance de la contribution des administrations de sécurité sociale se justifie, d’une part, par le poids de leurs dépenses dans les dépenses publiques totales – 43 % – et, d’autre part, par le niveau incontestablement élevé des dépenses sociales en France. Celles-ci excèdent de 6,7 points de PIB la moyenne des dépenses sociales enregistrées dans la zone euro en 2013.

Les dépenses sociales représentent donc l’essentiel de la différence entre le niveau de la dépense publique en France et le niveau moyen constaté dans la zone euro.

Toutefois, le plan d’économies du Gouvernement sur les administrations de sécurité sociale nous semble, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, très fragile.

Tout d’abord, il est envisagé de réaliser 10 milliards d’euros d’économies, sur les 21 milliards d’euros prévus, dans le champ des dépenses d’assurance maladie, sans qu’aucune méthodologie ne soit réellement évoquée. Le projet de loi de programmation des finances publiques se borne à fixer le taux d’évolution de l’objectif national d’assurance maladie à 2 % en moyenne entre 2015 et 2017. Or, dans son avis d’octobre dernier, le Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie a souligné que ces objectifs ne seraient pas tenables si des réformes de structure n’étaient pas engagées rapidement. Comme d’autres collègues, il me semble que nous ne parviendrons pas à réduire durablement l’accroissement tendanciel des dépenses de santé sans réformes structurelles sérieuses.

Ensuite, les 11 milliards d’euros d’économies restants seraient réalisées sur les autres dépenses de protection sociale : 2,9 milliards d’euros d’économies résulteraient de décisions déjà prises en 2013 en matière de retraites et de politique familiale, 2 milliards d’euros d’économies seraient réalisées sur les régimes de retraite complémentaires AGIRC-ARRCO, ou encore 2 milliards d’euros d’économies proviendraient de la réforme de l’assurance chômage. Or chacun connaît ici l’état des discussions en cours sur cette réforme. Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pas entendu parler d’une nouvelle convention…

Le flou persistant entourant les 9,6 milliards d’euros d’économies prévues en 2015 est particulièrement frappant et altère la crédibilité du plan. Le 21 octobre dernier, devant l’Assemblée nationale, M. le secrétaire d’État a communiqué certaines précisions – les mêmes que celles qu’il vient de nous donner largement dans son propos liminaire. Les 9,6 milliards d’euros se répartiraient entre 4 milliards d’euros de mesures déjà engagées, mais sans effet véritablement quantifié à ce jour, et 5,6 milliards d’euros de mesures nouvelles.

De plus, les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale supporteraient la majorité des économies, soit environ 6,7 milliards d’euros, contre seulement 2,9 milliards d’euros pour les autres administrations de sécurité sociale, telles que l’assurance chômage et les régimes de retraite complémentaires. Le présent projet de loi de financement intégrerait, quant à lui, environ 4,6 milliards d’euros d’économies au titre de l’exercice 2015.

En y regardant de plus près, ce plan d’économies suscite quelques interrogations.

D’abord, les 600 millions d’euros d’économies censées provenir de la réforme de la politique familiale engagée fin 2013 ne correspondent pas aux prévisions transmises il y a un an et confirmées, monsieur le secrétaire d’État, en septembre 2014. Les mesures adoptées à la fin de l’année 2013 ne devraient en effet entraîner que 290 millions d’euros d’économies. Nous sommes donc loin des 600 millions d’euros annoncés, sauf à anticiper un prélèvement sur le Fonds national d’action sociale de la Caisse nationale d’allocations familiales.

Parmi les mesures déjà engagées, 450 millions d’euros d’économies dans le champ des autres administrations de sécurité sociale ne sont pas détaillées. M. le secrétaire d’État chargé du budget a seulement indiqué que ces économies devraient provenir de la « consolidation de la situation financière des régimes complémentaires » en 2014. Quels sont les régimes complémentaires concernés, monsieur le secrétaire d’État ? Quelles mesures ont-ils mises en œuvre ? Nous aimerions avoir quelques explications, car nous n’en avons reçu aucune jusqu’à présent.

Enfin, parmi les mesures nouvelles, un ensemble de 500 millions d’euros n’est pas non plus documenté. Il correspondrait en partie aux effets du décalage de l’adoption du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement et de mesures sur les aides au logement. Pour quels montants précis ? Là encore, des incertitudes demeurent et nous sommes dans le flou.

Au total, sur les 9,6 milliards d’euros prévus, au moins de 1,5 milliard à 2 milliards d’euros d’économies semblent très hypothétiques. Reposant en partie sur des effets d’arrondis et sur l’anticipation de la moindre consommation de certains fonds d’action sanitaire et sociale, le plan d’économies du Gouvernement sur la protection sociale est de toute évidence très fragile.

Après ces quelques éléments de réflexion, j’en viens, mes chers collègues, à l’avis de la commission des finances sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.

Le projet de loi repose sur des hypothèses macroéconomiques manifestement optimistes. Ainsi, le taux de croissance du PIB est-il évalué à 1 %, alors que la Commission européenne le situe à 0,7 % et d’autres organismes à 0,5 %. Même à 0,5 %, monsieur le secrétaire d’État, signez tout de suite ! Quant au taux de croissance de la masse salariale, il est estimé à 2 %. Faute d’inflation, c’est peu probable.

Ce texte marque l’abandon de l’objectif de retour à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale à l’horizon de 2017. Après la stagnation des déficits aux alentours de 15,4 milliards d’euros en 2014, le déficit de l’ensemble des régimes obligatoires de base et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, ne devrait diminuer que de 1,1 milliard d’euros en 2015. Compte tenu du net ralentissement de la réduction des déficits, un déficit de l’ordre de 6 milliards d’euros devrait persister en 2017.

Ce projet de loi porte aussi les prémices de la généralisation du tiers payant, annoncée par la ministre des affaires sociales et de la santé, à l’horizon de 2017. La généralisation du tiers payant à l’ensemble des assurés comporte des difficultés techniques, mais aussi des risques financiers majeurs concernant le recouvrement de la participation de 1 euro par acte et des franchises. Elle pourrait en outre entraîner une multiplication du nombre d’actes.

Afin de marquer son désaccord avec l’objectif de généralisation du tiers payant fixé par le Gouvernement, la commission des finances a adopté un amendement visant à supprimer l’article 29 du présent projet de loi, qui marque en réalité la première étape de cette généralisation.

Le texte qui nous est transmis par l’Assemblée nationale est encore plus critiquable que le projet de loi initial. Il comporte en particulier deux mesures avec lesquelles la commission des finances est en désaccord. Nous vous ferons même une proposition concernant la première d’entre elles : la soumission aux cotisations sociales des dividendes versés par des sociétés anonymes, les SA, ou des sociétés par actions simplifiées, les SAS, à leurs dirigeants.

M. Jean Desessard. C’est une bonne mesure !

M. Francis Delattre, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il n’est pas illégitime de vouloir prévenir certains comportements d’optimisation fiscale ou sociale, mais cette mesure a pris de court l’ensemble des acteurs économiques et leur envoie un mauvais signal. Nous souhaiterions que soit étudié un système prenant en compte, pour la part salariale, le plafond de la sécurité sociale, qui est de l’ordre de 37 000 euros. En dessous de ce montant, il s’agirait incontestablement de charges sociales. Au-dessus, il s’agirait de la part de la rémunération du risque, donc du capital. Les choses seraient claires. Nous serions prêts à vous suivre sur un dispositif de cette nature.

La seconde mesure est la modulation du montant des allocations familiales en fonction du revenu. Sur ce sujet, je poserai deux questions, la première à Mme la ministre des affaires sociales, la seconde à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

Nous avons tous en tête le slogan de campagne du candidat François Hollande : « le changement, c’est maintenant ». De même, nous n’avons pas oublié l’engagement n° 15 : « je ferai contribuer les plus fortunés des Français à l’effort national en créant une tranche supplémentaire de 45 % » et, s’agissant des ressources de la politique familiales, « je maintiendrai toutes les ressources affectées à la politique familiale ». Madame la ministre, pensez-vous que toutes les ressources qui étaient affectées à la politique familiale le sont toujours ?

Enfin, François Hollande s’était engagé à rendre « le quotient familial plus juste, en baissant le plafond pour les ménages les plus aisés », arguant que cela concernerait « moins de 5 % des foyers fiscaux ». Monsieur le secrétaire d’État, considérez-vous que la nouvelle mesure concernera moins de 5 % des foyers fiscaux ? Nous vous remercions de nous éclairer sur ce point.

La commission des finances est en tout cas favorable à l’amendement de suppression que vient d’évoquer excellemment notre collègue Caroline Cayeux.

Au-delà de ces points de désaccord, la commission des finances a adopté plusieurs propositions qui traduisent son engagement à maîtriser les dépenses de protection sociale. Elle a tout d’abord approuvé la proposition de la commission des affaires sociales consistant à réaliser 1 milliard d’euros d’économies supplémentaires dans le périmètre de l’ONDAM.

Elle propose ensuite de renforcer le dispositif actuel de lutte contre la fraude aux cotisations sociales.

Enfin, la commission des finances propose l’adoption d’un amendement visant à instaurer trois jours de carence dans la fonction publique hospitalière. Les dépenses de personnel représentant environ 70 % des charges des hôpitaux, il est essentiel d’agir dans ce domaine afin de maîtriser cette difficulté. À cet égard, le rétablissement de la journée de carence et son extension à deux jours supplémentaires seraient à la fois cohérents avec les règles applicables dans le secteur privé – ce serait un élément de justice – et constitueraient un signal fort contre l’absentéisme. Sur le fondement des économies constatées en 2012, on peut estimer que trois jours de carence dans la fonction publique hospitalière permettraient de réaliser entre 150 millions et 180 millions d’euros d’économies par an.

En conclusion, mes chers collègues, la commission des finances a émis un avis favorable à l’adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, sous réserve de l’adoption des modifications que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)