Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la discussion du projet de loi de finances ne peut être isolée des choix globaux du Gouvernement et de la situation de notre économie.

M. le ministre des finances et des comptes publics nous a dit tout à l’heure qu’il s’adaptait à la conjoncture, notamment à l’inflation et à la croissance. Il aurait pu dire « à la faible inflation » et « à la quasi-absence de croissance ». Mais la question du bon réglage est légitime. Chaque gouvernement est confronté à ce dilemme : fixer le bon dosage, le bon « mix » entre réduction des déficits, désendettement, réformes structurelles et stimulation de la croissance.

Vous défendez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, une vision équilibrée d’un budget qui, en affichage, contient les déficits tout en préservant le pouvoir d’achat et la croissance. Je ne partage pas votre optimisme, que je crois de façade.

Sur le pouvoir d’achat, il suffit de rappeler l’intense fiscalisation à laquelle vous vous êtes déjà livrés. Notre rapporteur général a excellemment, ce matin, rappelé les chiffres. Ce budget contient trop de non-choix et de mauvais réglages qui donneront, demain, de mauvais résultats.

Mauvais résultat pour notre déficit, qui restera sensiblement au même niveau en 2015 qu’en 2014, soit aux alentours de 75 milliards d’euros.

Mauvais résultat aussi pour les dépenses publiques, qui atteindront plus de 57 % du PIB l’année prochaine, malgré la réduction des dépenses. C’est le paradoxe de ce budget : les dépenses sont réduites, mais le déficit augmente.

Mauvais résultat encore pour la dette, qui, compte tenu de cette augmentation du déficit, poursuivra son inexorable progression. L’endettement devrait atteindre plus de 97 % du PIB l’année prochaine et mettre ainsi en péril notre souveraineté. Or il est vital de préserver notre souveraineté budgétaire pour préserver notre modèle social.

Ces réglages et ces résultats sont mauvais, car nous sommes déjà, nous le savons, sous la surveillance de Bruxelles, et l’on nous annonce pour demain une situation encore pire. À terme, nous risquons la tutelle des marchés financiers.

Le Président de la République lui-même reconnaît qu’il n’y a plus de marges fiscales...en 2015 ! Salut au-delà du 31 décembre, péril en deçà, pourrait-on dire, tant la créativité fiscale est sans limite. Mais même des membres du Gouvernement le contredisent...

Mauvais réglage, surtout, car la croissance n’est pas là. Et lorsqu’elle pointe, c’est à tout petits pas. Nous détruisons encore des emplois. Un scénario de stagnation paraît probable, indiquent les économistes. Celui d’une décennie perdue se dessine.

La France, me direz-vous, ne se distingue pas forcément du reste de l’Europe s’agissant de la croissance. C’est oublier qu’elle s’en distingue, malheureusement, par ses déficits et sa dette. C’est déjà beaucoup !

Ce diagnostic posé, je voudrais dire un mot des réformes structurelles, ou plutôt de leur absence.

Comme le dit le gouverneur de la Banque de France : « Le rythme des réformes est insuffisant. Pourtant, il y tant de choses à faire. »

On peut polémiquer sur le mot « rabot », communément employé, ce qui est d’ailleurs un hommage au beau métier de menuisier. Mais ce qui est sûr, c’est que vous vous trouvez contraints d’ajuster les crédits à la marge. Ceux concernant les collectivités sont une cible facile, et là, vous dépassez allègrement la marge.

Certes, ce n’est pas nouveau : vous faites, comme beaucoup de gouvernements avant vous, le choix de la facilité. Vous repoussez indéfiniment les réformes qui s’imposent et attendez, soit que la croissance vienne – mais viendra-t-elle ? –, soit que vos successeurs prennent les mesures nécessaires au redressement du pays. C’est peut-être plus sûr… Mais, ce faisant, vous ne créez pas les conditions de la croissance. Or les réformes structurelles sont la croissance de demain.

Vous faites trop peu, trop tard, et vous agissez contradictoirement. Pour une mesure favorable à la compétitivité, deux vont à contre-courant. Le cap n’est pas lisible. Cette politique à la godille n’est plus tenable, et de nombreux clignotants sont au rouge.

Nous ne pouvons plus ne pas affronter la réalité.

Avec 1 % de la population mondiale, nous produisons 3,7 % de la richesse mondiale et concentrons 15 % de transferts sociaux. Même si ces chiffres sont à manier avec précaution, car il existe des biais statistiques, la réalité est là : la France dépense trop.

Le poids du secteur public est trop important. La modernisation de l’action publique est indispensable pour rendre l’État plus efficace, plus performant et moins coûteux. Ce qui est fait ne suffit pas. Je ne dis pas que rien n’est fait, ni que les décisions du Gouvernement ne vont pas parfois dans le bon sens, mais il faut aller plus vite et plus loin. Il faut repenser le périmètre de l’État et définir les missions qui restent de sa compétence.

Bien sûr, c’est une décision difficile, qui a souvent été reportée : il faut maintenant passer à l’action. La suppression de 1 200 équivalents temps plein travaillé, comme le prévoit ce projet de budget, même si elle s’impose, ne peut tenir lieu de réforme de l’État. Une politique plus offensive est nécessaire, notamment dans le domaine des ressources humaines, y compris en attirant plus encore des talents susceptibles de nous aider à penser la réforme et la réorganisation de l’État. J’y insiste : c’est par une véritable politique des ressources humaines que l’État se réformera. Pour la penser, il faut des talents. Or ceux-ci aujourd'hui fuient l’État.

Parmi les réformes structurelles envisageables, il en est une que le groupe centriste prône depuis des années : c’est la restauration de la compétitivité, en taxant plus les produits importés par la TVA pour financer nos charges sociales. Évidemment, cela appelle une augmentation de la TVA.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez stigmatisé ce principe, tout en augmentant la TVA après avoir juré que vous ne le feriez pas. Il est vrai que cette réforme a été escamotée par le gouvernement précédent, qui l’a engagée mal et trop tardivement sous l’ancienne majorité. Cette TVA compétitivité permet d’affronter la question du coût du travail et de rendre de la compétitivité à nos entreprises.

L’augmentation des coûts salariaux et son absence de lien avec la productivité constituent un autre sujet structurel que nous devons affronter, même si ce n’est pas facile.

Dans notre pays, les coûts salariaux augmentent plus que la productivité. Par conséquent, nous devenons plus chers, et trop rapidement, ce qui handicape nos entreprises sur les marchés extérieurs. C’est un problème majeur pour notre pays. Je mesure combien il est délicat, mais il faut en prendre conscience et inverser la tendance.

Plus largement, nous devons entreprendre les réformes structurelles que nos voisins, eux, ont engagées : réforme du marché du travail, redéfinition du périmètre des interventions et des missions de l’État – j’en ai parlé –, réforme de l’assurance chômage, réforme de la protection sociale... Ce sont là des enjeux essentiels.

Je tiens à souligner la façon dont la nouvelle majorité sénatoriale a abordé ce projet de budget. Nous aurions pu choisir de réécrire totalement ce projet de loi de finances pour 2015. Il y aurait eu beaucoup de raisons à cela, je viens d’en évoquer plusieurs.

Toutefois, compte tenu du délai assez court entre le renouvellement sénatorial et l’examen de ce texte, ainsi que du cadre contraint de la discussion budgétaire, nous avons préféré le dialogue avec l’exécutif, si celui-ci le veut bien, et avec l’Assemblée nationale. Le président Larcher a annoncé dès son élection que la Haute assemblée examinerait l’ensemble du projet de budget. C’est dans cette perspective que nous nous inscrivons en proposant au Gouvernement et à l'Assemblée nationale des améliorations à ce projet de loi de finances pour 2015, dans l’intérêt du pays.

Il est positif que le Sénat joue pleinement son rôle. Cela montre aussi que le débat politique peut porter sur des propositions concrètes et ne se réduit pas uniquement à des postures.

La commission des finances, sur l’initiative de son rapporteur général, a, dans un climat très constructif et après un dialogue fructueux entre les groupes de la majorité, adopté une série d’amendements aux dispositions réalistes.

Je retiendrai ici quelques-unes de nos priorités.

Premièrement, le solde budgétaire a été amélioré d’un milliard d’euros, grâce à des économies réelles, notamment la réduction du nombre de créations de postes, y compris dans l’éducation nationale, promesse présidentielle intenable dans le contexte budgétaire actuel. Compte tenu de notre déficit, il faudrait aller plus loin dans l’amélioration du solde budgétaire, mais, dans le cadre contraint de la discussion budgétaire, nous nous contentons de montrer la voie à suivre au Gouvernement.

Deuxièmement, nous accomplissons un effort de justice en matière de fiscalité, en augmentant le plafond du quotient familial, mais aussi en réformant la décote du barème de l’impôt sur le revenu.

Troisièmement, dans un souci d’équité entre les Français, nous rétablissons la journée de carence, qui permet, là aussi, de réduire le déficit budgétaire par des recettes supplémentaires.

Quatrièmement, nous favorisons l’investissement dans les PME par des efforts de compétitivité.

Cinquièmement – et ce n’est pas la moindre des mesures proposées –, si nous reconnaissons qu’il est normal que les collectivités locales participent à l’effort de réduction des dépenses, nous proposons une meilleure appréciation de leurs efforts en minorant la réduction des dotations à hauteur de 1,2 milliard d’euros, ce qui correspond aux coûts liés aux transferts et aux normes imposés par l’État, selon l’estimation de la Commission consultative d’évaluation des normes. Les dispositions de l’amendement proposé présentent un double intérêt : réduire d’un tiers la baisse des dotations et installer un principe qui, demain, pourra s’appliquer utilement aux transferts de charges aux collectivités.

Sixièmement, et enfin, le budget de la mission « Défense » est clairement insincère. Nous faisons tous le constat que la fiction « la loi relative à la programmation militaire, toute la LPM, rien que la LPM » a vécu. Je tiens à conclure en soulignant ma très grande préoccupation sur ce point. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur deux points particuliers : l’insincérité du budget qui nous est présenté et le problème des collectivités territoriales.

Monsieur le secrétaire d'État, le moins que nous pouvions attendre de ce budget, au-delà de nos choix politiques qui ne sont bien évidemment pas les mêmes que les vôtres, c’est qu’il soit sincère, c'est-à-dire que toutes les dépenses y figurent et que les recettes ne soient pas surestimées.

Je le répète : c’est le moins que nous pouvions attendre ! En effet, chacun le sait, nous avons beaucoup de difficultés à tenir les engagements que la France a pris à l’échelon européen, et ce budget sera donc regardé à la loupe. Qu’il soit jugé sincère est donc d’une importance primordiale.

Malheureusement, à notre sens, tel n’est pas le cas. Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples sur lesquels nous reviendrons lors de l’examen des articles : d’une part, la défense nationale, première mission régalienne de l’État, et, d’autre part, les dépenses d’aide personnelle au logement, qui dépassent 11 milliards d'euros et dont le niveau dépend très directement de la conjoncture. Or, nous le savons, celle-ci n’est pas bonne.

Le premier exemple de l’insincérité de ce projet de budget concerne les crédits destinés à nos armées. Alors que nous avions promis – je parle de l’exécutif et du Parlement – de respecter les engagements pris dans le cadre de la loi relative à la programmation militaire, dont chacun sait ici qu’elle ne faisait déjà que rattraper un retard accumulé depuis des années, vous inscrivez pour 2015 plus de 2 milliards d'euros de recettes qui ne reposent sur rien de sérieux.

Le pis – c’est un comble en matière de sincérité budgétaire ! – est que l’on nous explique sans ciller que tout le monde sait que cette recette ne sera pas réalisée, mais que ce n’est pas grave, puisque, dans l’année, ces crédits fantômes seront remplacés par d’autres... Nous n’avons aucune garantie de la sorte au moment où nous examinons ce projet de budget et, pour tout dire, nous n’y croyons pas.

Voilà pourquoi la commission des finances, à la demande du rapporteur spécial Dominique de Legge, a décidé de repousser les crédits de la mission. Nous ne l’avons pas fait de gaîté de cœur, monsieur le secrétaire d'État, au moment où nos forces armées sont engagées sur de nombreux théâtres d’opérations extérieures, où nos soldats risquent leur vie tous les jours pour assurer notre sécurité.

Nous l’avons fait, alors que, d’habitude, nous avions toujours voté ces crédits. Nous nous sommes parfois abstenus quand nous étions dans l’opposition, mais nous n’avons jamais voté contre. Cette fois, nous ne les voterons pas, car vous ne respectez manifestement pas les engagements pris, et nous ne pouvons l’accepter. Par les temps qui courent, les crédits de la défense ne peuvent pas être la variable d’ajustement de ce projet de budget.

Monsieur le secrétaire d'État, il aurait fallu avoir le courage d’expliquer à nos concitoyens que notre sécurité collective a un prix et qu’il nous faut l’assumer. Toute l’histoire de notre pays montre ce qu’a pu nous coûter en vies humaines et en malheur collectif le fait de ne pas avoir assumé nos responsabilités en la matière.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Tout à fait !

M. Philippe Dallier. Je crois profondément que les Français peuvent le comprendre.

Le second exemple de l’insincérité de votre budget a trait aux dépenses liées à la politique du logement et de l’hébergement d’urgence.

La crise frappe fort, et nous savons tous que ces dépenses de guichet ne diminueront pas en 2015. Pourtant, les chiffres que vous nous présentez anticipent une stagnation du nombre des chômeurs et des dépenses liées aux aides personnelles au logement. Celles-ci sont à peine supérieures à ce qu’elles étaient l’an dernier, alors même que, à la fin de l’année 2013, un report de crédit d’environ 80 millions d'euros a eu lieu et que, pour 2014, nous le savons déjà – les services du ministère nous l’ont dit –, il en sera de même, avec un report de crédit qui oscillera entre 200 et 250 millions d’euros pour le financement du Fonds national d’aide au logement.

Il en est de même pour le financement de l’hébergement d’urgence. Plusieurs dizaines de millions d’euros manquaient en 2014, et nous allons d’ouverture de crédits en ouverture de crédits, en ayant eu recours au dégel anticipé des crédits très tôt dans l’année. De ce point de vue, le budget pour 2015 n’est pas plus sincère : là aussi, il manquera certainement plusieurs dizaines de millions d’euros.

Et que dire du financement de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH ? En 2014 figuraient à son budget des recettes, les fameux quotas carbone, qui n’ont pas apporté les sommes attendues. Les crédits ne sont pas là, alors que l’ANAH remplit des missions importantes.

Report de dépenses d’une année sur l’autre, sous-estimation des dépenses pour 2015 : il est certain que, si l’on balayait la totalité des missions budgétaires, nous trouverions pour plusieurs milliards d’euros de dépenses qui ne sont pas couvertes par les crédits nécessaires. (M. le secrétaire d'État s’exclame.)

Ce n’est pas tout ! Pour boucler le budget, monsieur le secrétaire d'État, vous avez de plus en plus recours à des fonds de concours, que vous alimentez en allant faire les fonds de tiroirs des opérateurs de l’État, des chambres de commerce et d’industrie, des chambres d’agriculture, d’Action Logement, de la Caisse de garantie du logement locatif social, j’en passe et des meilleures...

Or, monsieur le secrétaire d'État, la plupart de ces recettes sont des recettes à un coup. La question est donc simple : comment ferez-vous l’année prochaine ?

Mes chers collègues, ce budget manque de sincérité, c’est sa principale caractéristique. Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il faudrait trouver en première partie plusieurs milliards d'euros supplémentaires ou alors réduire certaines dépenses pour redéployer les recettes.

Le second sujet que je souhaite aborder porte sur les collectivités territoriales. Le Sénat doit, en effet, y porter une attention particulière.

Monsieur le secrétaire d'État, je suis persuadé que, tous ici, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous reconnaissons qu’il est juste de demander un effort aux collectivités territoriales, afin qu’elles contribuent au redressement de nos comptes publics.

La question qui se pose est celle de l’ampleur de cet effort et du calendrier. Juste après les élections municipales – ce doit être un hasard ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) –, le Gouvernement a annoncé que cet effort serait, en plus de 1,5 milliard d'euros en 2014, non pas de 1,5 milliard d'euros supplémentaires en 2015, mais de 11 milliards d'euros entre 2015 et 2017, soit 12,5 milliards d'euros au total.

Je plains les élus qui se sont fait élire au mois de mars dernier en promettant monts et merveilles, notamment qu’ils n’augmenteraient pas les impôts locaux !

Le Gouvernement affirme pourtant qu’il suffirait aux collectivités territoriales de limiter la hausse de leurs dépenses de fonctionnement à l’inflation pour que tout se passe en douceur, c'est-à-dire que l’investissement ne chute pas trop et qu’il ne soit pas nécessaire d’augmenter les impôts.

Pas convaincue du tout par cette affirmation, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Qui a fait un très bon travail !

M. Philippe Dallier. ... a décidé, au printemps dernier, de rendre un rapport pour éclairer ce débat.

Le cabinet Michel Klopfer, spécialisé dans les expertises financières locales, a été mandaté pour mesurer l’impact de la baisse brutale des dotations sur les 38 000 collectivités territoriales, en partant des comptes administratifs de 2013, qui sont les plus récents à être disponibles.

Que révèle cette étude ? Tout d’abord, la situation de nombreuses collectivités territoriales se dégrade depuis trois ans déjà, pour des raisons simples : augmentation des dépenses sociales, notamment pour les départements – c’est lié à la crise –, chute des droits de mutation, gel des dotations, augmentation de la péréquation.

Avant même la baisse des dotations annoncée et en intégrant celle de 2014, de 10 % à 15 % des communes et un certain nombre de départements sont dans le rouge. C’est dû à l’effet de ciseaux : hausse des dépenses et stagnation des recettes. Si ce scénario se poursuit, dans trois ans, ce sont entre un tiers et la moitié des communes de plus de 10 000 habitants et une bonne partie des départements qui seront dans le rouge.

Partant de ce scénario, le cabinet Klopfer a donc examiné ce qui se passerait en prenant en compte la baisse de 11 milliards d'euros. Dans trois ans, les deux tiers – j’y insiste – des collectivités territoriales, notamment les communes de plus de 10 000 habitants et les départements, seront dans le rouge. Il est bien évidemment que, face à cette situation, les collectivités territoriales ne pourront pas ne rien faire et chercheront à redresser la situation.

Le scénario retenu est simple : nous avons appliqué la préconisation du Gouvernement, à savoir limiter la hausse des dépenses de fonctionnement à l’inflation, et nous avons réduit les investissements de 30 % par rapport à 2013, et même d’un peu plus, car les années préélectorales sont souvent des années fortes – en fait, cette réduction est de 45 %. Or, après quelques calculs, nous constatons que 30 % des communes de plus de 10 000 habitants et qu’une majorité des départements seront encore dans le rouge, malgré cette correction !

Cela signifie que les collectivités locales n’auront pas d’autre choix que d’augmenter la fiscalité locale ou de réduire encore les investissements. Il est clair que la baisse des dotations aura un effet récessif très fort, notamment sur le secteur du bâtiment et des travaux publics, lequel est déjà très menacé. Les carnets de commandes se sont vidés. Il est certain que, dans les trois années à venir, un certain nombre d’entreprises seront tout simplement obligées de débaucher ou de déposer le bilan, parce qu’elles ne tiendront pas.

Mes chers collègues, nous tenions à faire état de cette étude avant l’examen au Sénat du projet de loi de finances. Elle est très claire, très factuelle. Si, à l’issue de l’examen du projet de budget par le Sénat, nous n’avons pas redressé cette situation, ou tout au moins corrigé le tir en étalant dans le temps la baisse des dotations, nous courons tout droit à la catastrophe.

L’État a beau dire que les impôts n’augmenteront plus à partir de 2015, on sait bien que ce sont les particuliers qui paieront la facture au travers des impôts locaux et que l’effet récessif sera très important.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est de bon sens !

M. Philippe Dallier. Telles sont, mes chers collègues, les remarques que je souhaitais formuler. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Chiron.

M. Jacques Chiron. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout nous oblige au plus grand sérieux à l’heure d’élaborer et de voter le budget de l’État pour 2015. Nous le devons certes à nos partenaires européens, auprès desquels nous nous sommes engagés, mais nous le devons surtout à la France et aux Français, et ce même si l’éducation nationale est redevenue le premier poste de dépenses, devant la dette, pour la première fois depuis des années.

Dans ce contexte, il est nécessaire de réaliser des économies. Ce cap de discipline budgétaire est d’autant plus courageux que, même si certains indicateurs sont encourageants, la croissance du PIB sera faible l’année prochaine, tout comme l’inflation.

Il existe de multiples façons de réaliser des économies, mais toutes ne sont pas vertueuses. Parce qu’il n’est pas toujours possible de faire autant avec moins, il faut absolument éviter un coup de rabot systématique et aveugle, qui porterait en lui le risque d’étouffer tout signe de reprise et de menacer la cohésion sociale.

Dès lors, il n’y a pas de méthode miracle. Il nous faut activer de nombreux leviers, analyser, dispositif après dispositif, lesquels sont performants, créent des effets de levier, et lesquels, au contraire, ont été détournés de leurs objectifs initiaux, rendus inefficaces par des procédures trop complexes, ou provoquent des effets pervers ou des effets d’aubaine. Lorsque c’est le cas, il nous faut être pragmatiques, moderniser, simplifier, redéployer, cibler, supprimer parfois, en ayant en tête l’exigence de la meilleure utilisation de chaque euro public et un mot d’ordre : l’efficacité et la solidarité comme fins, le sérieux et la responsabilité comme moyens.

Je commencerai par évoquer le volet recettes du projet de loi de finances. L’intensification de la lutte contre l’évasion fiscale produit ses effets dans des proportions inédites. Cette année, les régularisations ont permis à l’État de récupérer 11 milliards d’euros, qui ont été réinjectés dans les circuits nationaux et qui produiront des recettes fiscales dans les années à venir. Ces 11 milliards d’euros s’ajoutent aux 2 milliards d’euros de taxes et de pénalités qui ont été captés cette année. Les spécialistes annoncent des résultats comparables en 2015.

Même si les efforts doivent être poursuivis et le mouvement intensifié, on peut d’ores et déjà affirmer que c’était là un impératif de justice sociale et un message fort adressé aux agents déloyaux, au moment où nous devons collectivement faire des efforts. J’en profite, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, pour saluer votre engagement et votre détermination, tout comme ceux de vos deux prédécesseurs et de vos services.

Ce sont ces efforts qui nous permettent de financer notre modèle social, afin que nos concitoyens les plus vulnérables ne paient pas deux fois le prix de la crise. Ainsi, dès l’année prochaine, quelque 9 millions de ménages verront le montant de leur impôt diminuer sur leur feuille d’imposition. Il est assez intéressant de voir comment, en prenant à ceux qui ont fraudé, on peut redistribuer aux plus pauvres !

Malgré ce contexte, le texte qui nous est proposé ne fait pas le deuil de l’ambition. Il est en effet de notre responsabilité de ne léguer aux générations suivantes ni une dette insurmontable ni un appareil productif à l’arrêt, faute d’investissements, qu’ils soient publics ou privés.

Sur ce point, les situations grecque et espagnole nous ont suffisamment alertés ces dernières années sur la nécessité d’investir dans la modernisation de notre pays et de refuser l’austérité.

Bien sûr, il faut aider les entreprises à produire plus et mieux, à dégager des marges et à créer des emplois. Le diagnostic de notre manque de compétitivité est implacable. Pourtant, et loin des caricatures sur une supposée politique de l’offre purement dogmatique, qui s’opposerait à une valorisation keynésienne de la demande ou au monétarisme, c’est une politique équilibrée qui est mise en œuvre pour retrouver le chemin de la croissance.

L’État, redevenu stratège, s’est engagé depuis deux ans et demi sur des grands choix stratégiques en se plaçant sur les grands chantiers générateurs de croissance et producteurs d’emplois du futur, via des investissements ciblés.

Nous dénonçons suffisamment le court-termisme pour ne pas céder à la caricature et rester conscients que seul le temps validera les orientations que nous prenons aujourd’hui.

En ce qui concerne plus spécifiquement les programmes de la mission « Économie », dont mon collègue Bernard Lalande et moi sommes les rapporteurs spéciaux, ils sont au nombre de quatre et respectent le cap d’assainissement des comptes publics qui a été fixé. Ainsi, leurs crédits sont en repli de 4,2 % à périmètre constant par rapport au budget pour 2014 et s’établissent à 1,8 milliard d’euros.

La contribution à l’effort demandé sera partagée dans un souci de justice. Je tiens ici à mentionner la contribution du réseau consulaire, notamment des chambres de commerce et d’industrie, qui voient leur plafond de ressource fiscale abaissé au profit des entreprises et qui sont soumises à un prélèvement sur leur fonds de roulement. Cet effort est en ligne avec la contraction des crédits de l’État, des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale et doit accélérer le mouvement de rationalisation de leur réseau.

Comme ailleurs, certains dispositifs d’intervention en faveur des entreprises seront repensés, et leur format révisé.

Le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, évoqué ici à de multiples reprises, offre une formidable occasion de répondre au besoin crucial de nos entreprises de dégager des marges, pour créer de l’emploi et investir. Il me semble toutefois qu’il serait pertinent d’aller plus loin et de compléter le dispositif par des mesures plus ciblées, en particulier en faveur des PME-PMI, afin de favoriser l’investissement en matériel et outillage de production, alors qu’il existe une véritable faiblesse de notre outil de production dans ce domaine. Tel est d’ailleurs le sens de l’amendement déposé par mon collègue Bernard Lalande et moi-même.

En effet, l’appareil de production des PME françaises souffre d’un retard important. L’âge moyen du parc de machines-outils en France est aujourd’hui de dix-neuf ans. Entre 2002 et 2013, le parc français de machines de moins de quinze ans s’est réduit de 10 000 unités, alors que celui de l’Allemagne augmentait de 95 000 machines au cours de la même période.

Afin de cibler le dispositif proposé sur les PME qui en ont le plus besoin, l’amortissement exceptionnel que nous proposons serait ouvert aux seules entreprises n’ayant pas distribué plus de 30 % de leur résultat net sous forme de dividendes ou de revenus équivalents au cours de l’exercice précédent.

Je terminerai en évoquant le plan « France très haut débit ».

Solidarités, développement harmonieux des territoires : tels sont les objectifs de ce projet d’infrastructures majeur, qui doit mener à la couverture intégrale du territoire national par la fibre optique d’ici à 2022. D’un montant total de 20 milliards d’euros, dont 1,4 milliard d’euros pour l’État en 2015, ce plan traduit un engagement fort et ciblé pour tenir compte de la révolution numérique et de ses impacts sur l’économie française. Les 180 propositions formulées dans le rapport Lemoine avaient été particulièrement éclairantes à cet égard.

Il est difficile d’affirmer dès à présent que ce plan nous conduira à avoir un temps d’avance sur nos voisins européens, mais il nous permettra à coup sûr de ne pas prendre de retard sur eux. Ces investissements, massifs certes, sont nos atouts de demain, pour une meilleure attractivité, pour le développement de l’activité et donc de l’emploi, et pas seulement dans les villes, ce qui est très important. N’oublions pas, en effet, que quelque 60 % des PME-PMI sont situées en dehors des villes.

Si l’on devine aisément les effets vertueux d’un tel plan pour le secteur marchand, il ne faut pas sous-estimer ceux que des infrastructures numériques performantes auront dans les domaines de l’accès au service public, de la santé ou de la culture dans un futur pas si lointain. Ce plan sera aussi un frein au mouvement d’urbanisation comme seul vecteur de croissance, et un préalable à une nouvelle forme de développement durable de nos territoires.

Pour l’ensemble de ces raisons, et parce que ce texte prépare l’avenir, le groupe socialiste soutiendra naturellement, et avec détermination, le projet de loi de finances pour 2015. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)