M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à la suite des troubles survenus à la rentrée universitaire 2013-2014, Michel Magras et moi-même, rapporteurs de la mission d’information sur la situation et l’avenir du système universitaire aux Antilles et en Guyane, avons conclu à l’ardente nécessité de construire cet avenir à partir de trois clés : la territorialité, l’attractivité et la solidarité dans cette région de France stratégique pour le développement de la République, le rayonnement international de la francophonie et surtout l’attention et l’ambition que nous devons à notre jeunesse.

Depuis sa création, l’UAG est confrontée à un balancement permanent entre des logiques d’affirmation territoriale et une volonté partagée de coopération fonctionnelle dans le cadre d’un projet universitaire unitaire porteur d’ambition.

Lors de notre mission, nous avons constaté de graves dysfonctionnements sur fond de profond malaise identitaire, de rivalités et d’interprétations politiciennes qui traversent l’institution universitaire. Ces dysfonctionnements avaient déjà été signalés au cours de la dernière décennie par plusieurs rapports de la Cour des comptes et de l’IGAENR, l’Inspection de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche.

La focalisation systématique des enjeux universitaires sur des questions de postes et de moyens – notre rapporteur vient de nous en donner encore une illustration dont il a démontré l’inanité avec des arguments extrêmement précis –, quand ce n’était pas sur des questions de personnes, de contestation de leur origine, voire de leur parcours, a souvent entraîné l’incapacité des décideurs locaux et nationaux à soutenir des projets d’intérêt commun à même de défendre l’unité sur le plan universitaire.

Si l’on peut s’étonner de l’absence d’une prise de conscience plus précoce qui aurait dû conduire les pouvoirs publics à anticiper la gravité de la situation, nous sommes aujourd’hui satisfaits de constater que des procédures disciplinaires et judiciaires sont en cours, l’une d’entre elles, concernant les irrégularités de gestion au sein d’un laboratoire, étant dépaysée à Toulouse.

Dans l’intérêt des étudiants et des personnels, la scission du pôle guyanais est apparue inévitable – vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État – et s’est traduite rapidement dans l’ordonnance de juillet dernier. Il est maintenant indispensable de conforter l’université des Antilles, désormais indépendante de celle de la Guyane, et de faire émerger des politiques de formations mutualisées au bénéfice des deux régions, Martinique et Guadeloupe, concrétisant une stratégie universitaire délibérée au niveau du conseil d’administration, dans le cadre du plan régional des formations, et pilotée par chacun des pôles qui en assumeront toute la responsabilité de mise en œuvre.

Au début de la crise, à la rentrée de 2013, les revendications des étudiants et des syndicats étaient concrètes ; elles étaient relatives à l’offre de formation et aux conditions de vie étudiante. Les étudiants et syndicats dénonçaient aussi publiquement les malversations et coteries qui minaient le fonctionnement universitaire et créaient un climat délétère sur les campus.

Malgré les alertes antérieures, les mesures nécessaires n’ayant pas été prises, c’est dans la plus grande confusion, alimentée notamment par l’absence de perspectives globales et de nombreuses rivalités d’influence, que les tensions se sont exacerbées. Cette séquence douloureuse pour beaucoup d’acteurs locaux et déstabilisante pour les pouvoirs publics doit nous convaincre de porter une attention particulière aux raisonnements politiques, qui ne tiennent pas toujours compte, voire desservent, les exigences adaptées au développement de l’université. Il revient au sommet de l’État de privilégier des décisions conformes à l’intérêt général, à la cohérence stratégique de l’établissement et au droit commun de l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Au nom de l’exigence de proximité, il ne faudrait pas qu’un mouvement continu de duplication des formations des composantes, poursuivi sur chacun des territoires, mette à mal les spécialisations pédagogiques et fonctionnelles de l’université ou l’offre universitaire pluridisciplinaire de chaque territoire.

Les propositions du rapport d’information, adoptées à l’unanimité le 16 avril 2014, ont largement inspiré, cela a été souligné plusieurs fois, l’ordonnance qui crée une université de Guyane de plein droit et une université des Antilles indépendante.

Durant toute cette période, écoulée dans un climat de grande défiance, de harcèlement et de violences verbales, il a fallu la ténacité, tout à fait remarquable et plusieurs fois saluée de la présidente de l’université pour réussir à surmonter les tensions liées à la scission et à la partition des moyens entre Antilles et Guyane. Il en faudra aussi, désormais, pour éviter les désordres entre les deux pôles de Martinique et de Guadeloupe, qui ne sont pourtant pas frères ennemis !

Les amendements adoptés par la commission dans le cadre de ce projet de loi devraient mettre un terme aux déstabilisations de la gouvernance et de l’administration.

Comme l’a rappelé Jacques Grosperrin dans son rapport, la transformation de l’université des Antilles et de la Guyane en une université de plein droit en Guyane et une université des Antilles à part entière préserve la cohérence territoriale et permet une coopération fructueuse, en particulier en matière de pédagogie et de recherche, le tout dans le respect de l’autonomie des pôles universitaires régionaux et sous la coordination du conseil d’administration. La commission a d’ailleurs souhaité élargir la composition dudit conseil d’administration, afin d’y garantir la représentation la plus juste des personnels de chacun des pôles de l’université.

Afin d’éviter de retomber dans les travers de l’ancien schéma de gouvernance, des dispositions sont prises pour que l’autonomie des pôles soit reconnue et effectivement garantie par des compétences propres, tout en veillant à l’unicité stratégique de l’établissement. C’est cette volonté d’unicité qui nous a conduits, avec le rapporteur, à déposer un amendement, adopté à l’unanimité par la commission, dont le dispositif reprend la proposition n° 11 de notre rapport d’information ; il tend en effet à ce que la désignation du président de l’université et celle des deux présidents de pôle fassent l’objet d’un même vote par le conseil d’administration. Il reviendra alors à chaque candidat au poste de président de l’université de présenter au conseil d’administration deux personnalités susceptibles d’assurer les fonctions de président de pôle, choisies parmi les représentants élus des enseignants-chercheurs au titre de chacune des deux régions. Le conseil d’administration se prononcera ainsi par un seul vote sur ce « ticket » de trois candidats, qui auront démontré au préalable leur acceptation de la cohérence entre le projet global d’établissement, porté par la présidence de l’université au sein du conseil d’administration, et les stratégies de développement de pôle défendues par les présidents de pôle.

L’unanimité des commissaires en faveur de cet amendement traduit l’intérêt de la construction d’une gouvernance stable et sécurisante, objectif impossible à atteindre si chaque personne du trio peut se prévaloir d’une légitimité électorale distincte, comme ce fut le cas par le passé.

Alors que les tensions restent perceptibles entre les deux pôles de l’université des Antilles – les grèves de mars 2014 et de nombreux échanges haineux qui circulent toujours sur internet en témoignent –, cette disposition est fondamentale pour garantir aux étudiants issus de Martinique et de Guadeloupe, mais aussi d’ailleurs, je l’espère, un contexte serein, un enseignement supérieur de qualité, des services à l’étudiant performants, des offres de documentation physiques et numériques à la hauteur de leurs besoins et une carte de formation multipliant les passerelles d’orientation.

Dans des départements en proie à des difficultés économiques et sociales amplifiées, au regard de celles qui sévissent dans l’Hexagone – le chômage des jeunes y bat par exemple des records –, la nouvelle université des Antilles doit constituer l’armature d’un système d’éducation, de formation et de recherche qui prépare la réussite universitaire des étudiants et facilite leur insertion professionnelle.

L’enjeu majeur pour cette université, au-delà du seul nombre d’étudiants, qui est un critère déterminant – il doit à mon sens dépasser 10 000 pour que l’université puisse peser dans le monde de l’enseignement supérieur –, est bien celui de l’attractivité. Un quart seulement des bacheliers de ces territoires s’inscrit sur place. Il faut gagner d’autres étudiants. Nous le savons, les jeunes adhéreront mieux à une université au rayonnement international, avec des dispositifs d’échanges, une carte de formation commune et cohérente entre les deux pôles, des programmes de recherche reconnus, des enseignants-chercheurs intéressés par leur carrière au lieu d’être découragés par les bisbilles permanentes.

C’est forte du poids de l’histoire, dont j’espère que tous les enseignements ont été tirés, et consciente de la nécessité de saisir l’occasion de remise à plat qui se présente que l’université des Antilles est ainsi constituée. Elle est à même de garantir ce rayonnement ambitieux, dans une zone du globe où, seule université francophone face à l’université des Indes occidentales, située en Jamaïque, elle sera le fer de lance de la culture et de l’excellence universitaire francophone, tournée vers les Caraïbes.

Le bouleversement institutionnel en cours a été maîtrisé par les instances académiques – vous avez cité Christian Forestier, madame la secrétaire d’État, auquel j’ajouterai Jacqueline Abaul et Françoise Boutet-Waïss, qui ont été des soutiens précieux pour la présidente, notamment – et politiques ; je tiens d’ailleurs à saluer ici les sénateurs, notamment ultramarins, avec qui j’ai eu des contacts extrêmement fructueux. J’en profite pour saluer également vos collaborateurs, madame la secrétaire d’État, qui n’ont pas ménagé leur temps pour débroussailler les informations qui nous arrivaient de là-bas et qui auraient pu embrouiller notre perception des choses.

Ces instances sont soutenues par la grande majorité des usagers ; ce doit être l’occasion de redéfinir les contours d’un projet éducatif et scientifique solide, respectueux des identités territoriales et déterminant pour les étudiants, les enseignants-chercheurs et le monde économique. C’est une première étape, fondatrice, qui requiert l’attention et la bienveillance de tous.

Je remercie M. le rapporteur, Jacques Grosperrin, pour le soutien qu’il a apporté aux orientations préconisées par le rapport d’information et la sincérité de son plaidoyer pour une université des Antilles solide, cohérente et pleinement opérationnelle, au service des étudiants.

Comme beaucoup de responsables et d’acteurs de la communauté universitaire, j’espère qu’un regroupement entre l’université des Antilles et la jeune université de Guyane pourra, à terme, s’opérer. Ce regroupement permettra de créer, dans cette partie de la France qui nous est chère, une communauté d’universités et d’établissements apaisée, qui tirera profit des atouts et des particularités de ces territoires, notamment dans les domaines de l’écologie, du développement durable, de l’environnement, de l’épidémiologie et de la biologie – il doit y en avoir d’autres ! –, et contribuera à l’excellence universitaire et à la recherche de notre pays.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et de l’UMP, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, avant toute chose, je tiens à saluer le travail de longue haleine mené sur ce sujet par Dominique Gillot. Quand le bureau de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication lui a proposé cette mission, je peux vous dire qu’elle ne faisait pas partie de son ordre du jour immédiat ni de ses motivations spontanées. (Sourires.) Néanmoins, c’est avec courage et détermination qu’elle a fourni un travail intense, dans un contexte difficile, voire dans une situation que l’on pourrait qualifier d’explosive. Des dérives inadmissibles auraient d’ailleurs mérité une vigilance plus rigoureuse, une plus grande anticipation de l’État. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, d’en avoir pris aujourd’hui la mesure.

Si les écologistes approuvent la juste reconnaissance de l’enseignement supérieur et de la recherche en Guyane, ainsi que la redéfinition de l’université des Antilles, ils regrettent la méthode retenue des ordonnances, même si elle était prévue dans la loi du 22 juillet 2013.

Les articles du projet de loi ratifiant l’ordonnance du 17 juillet 2014 relative aux dispositions applicables à l’université des Antilles et de la Guyane font suite au rapport d’information très dense produit par nos collègues Michel Magras et Dominique Gillot. Leur texte livre un diagnostic de qualité et fait des propositions pertinentes, qui ont fait l’objet d’un très large consensus au sein du groupe de travail mixte mis en place sur ce sujet par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, ainsi que par la délégation sénatoriale à l’outre-mer, dont je salue d’ailleurs le président de l’époque, Serge Larcher. Je remercie aussi M. le rapporteur de s’être appuyé sur ce travail.

Il existe une réelle attente des élus locaux, mais aussi des représentants du milieu universitaire, pour faire émerger une université des Antilles solide, capable de coopérer étroitement avec l’université de la Guyane et de rayonner à l’échelle internationale.

L’enjeu des études, de la transmission et de la production de connaissances est déterminant pour l’avenir des territoires ultramarins. La Guadeloupe, la Martinique, la Guyane ont encore de nombreuses possibilités à exploiter pour la connaissance de leur sol, de leurs écosystèmes terrestres et marins, pour le développement d’une économie respectueuse des hommes et des femmes, de leur diversité, de leur environnement, qui soit capable de leur fournir une énergie adaptée. Aline Archimbaud, membre de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, ne cesse de s’en préoccuper.

J’ajouterai un vœu : que soit effective, quantitative et qualitative la formation des futurs enseignants. Nous avons un réel besoin de pédagogues locaux, installés durablement et motivés, qui donnent à voir aux élèves des Antilles et de la Guyane des perspectives sociales d’insertion, des facteurs de réussite qui leur donnent de l’énergie.

J’émettrai toutefois un bémol, madame la secrétaire d’État ; je regrette que votre ministère ait voulu utiliser ce texte relatif aux outre-mer pour faire adopter d’autres dispositions, relatives à l’enseignement supérieur. Nous n’avons disposé que d’un temps très bref, sans grand éclairage, pour examiner ces ajouts. Il a donc fallu se prononcer à l’aveugle sur ces dispositions, dont l’une faisait même disparaître les Antilles de l’intitulé du projet de loi, ce qui n’était pas très élégant pour la cause ultramarine et sa visibilité.

Cela n’a pas manqué d’entraîner la désapprobation des membres de la commission. Les écologistes, je vous l’avoue, madame la secrétaire d’État, deviennent méfiants : ils n’ont pas oublié comment vous avez utilisé la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt pour revenir en catimini sur une disposition votée d’abord au Sénat, confirmée ensuite par la commission mixte paritaire, et adoptée enfin par le Parlement dans la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Les dispositions ainsi introduites n’ont pas été votées par la commission. C’est dommage pour l’une d’entre elles, qui prévoyait la valorisation des résultats de la recherche et le transfert de technologie en direction du monde économique, de la société civile et des associations et fondations reconnues d’utilité publique, car elle s’inspirait d’un amendement précédemment déposé par le groupe écologiste. C’est tant mieux, en revanche, pour une autre, qui mériterait d’être regardée de plus près. Cette disposition, en effet, prévoyait la création d’un établissement public local d’enseignement unique : l’école européenne de Strasbourg. Si la réunion de l’ensemble des cycles d’enseignement, depuis la maternelle jusqu’aux classes de lycée préparant au baccalauréat européen de qualité, peut évidemment constituer une belle filière, son côté élitiste, destiné à un public privilégié, ne relève vraiment pas de la démocratisation partagée de l’école de la République. Il faudra donc exercer une très grande vigilance sur les conditions d’admission des autres élèves, ceux qui ne sont pas les enfants de fonctionnaires européens ou de parlementaires.

Cela dit, n’en retenant que l’intention initiale, et répondant ainsi aux vœux de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe, le groupe écologiste votera bien sûr le présent projet de loi, amélioré par la commission. Il appelle néanmoins à la plus grande vigilance et à une gouvernance durable, afin que les chicayas et bisbilles, mues sans doute par des conflits d’ordre politicien, des raisons de pouvoir, quand ce n’est pas des questions de moyens, disparaissent totalement, au profit de l’intérêt général des jeunes des Antilles et de la Guyane. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, chers collègues, la situation de l’université des Antilles et de la Guyane est un sujet de préoccupation depuis plusieurs années. C’est la raison pour laquelle la commission de la culture et la délégation sénatoriale à l’outre-mer ont eu à cœur de traiter ce sujet dans un rapport conjoint sur la situation et l’avenir du système universitaire aux Antilles et en Guyane.

L’UAG se trouve en effet dans une situation de blocage depuis plusieurs années. Cela nuit à la qualité du système universitaire dans la région, alors même que la situation économique et sociale des jeunes y est plus précaire qu’en métropole. Alors que le besoin de formation de haut niveau est encore plus indispensable, cette structure universitaire, qui regroupe trois zones distinctes et géographiquement éloignées – la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe –, a du mal à fonctionner en coopération harmonieuse. Ainsi, le rapport a fait état de « graves dysfonctionnements sur fond de profond malaise identitaire ». Cette structure unique, loin de fédérer, a laissé place à la concurrence entre les territoires, notamment pour l’attribution des postes et des moyens, au détriment de l’intérêt général et de la cohérence stratégique.

De notre point de vue, la globalisation du budget de l’université, conséquence directe de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », à laquelle nous sommes fermement opposés, a renforcé ces tensions. L’une des conséquences a été la dilution des moyens spécifiques de chaque institut universitaire, avec des transferts déséquilibrés de moyens et de postes. À titre d’exemple, entre 2008 et 2014, l’institut universitaire de technologie de Kourou a subi une baisse de 77 % de ses moyens, suscitant un sentiment d’injustice en Guyane.

Les attentes de la communauté universitaire du pôle guyanais ne sont pas prises en compte, en particulier s’agissant de la répartition des emplois, du fonctionnement des services communs et de la qualité des services étudiants, comme le sport ou la restauration universitaire. La direction centrale de l’université, qui se trouve en Guadeloupe, est accusée de « capter » ou de « détourner » une partie des postes de Guyane, de procéder à des affectations d’opportunité, non adaptées aux besoins pédagogiques du territoire. Ainsi, la structure UAG s’est révélée incapable de garantir l’unité autour d’objectifs partagés, sur la base d’orientations stratégiques fortes.

La crise s’est soldée à la rentrée de 2013 par une fracture de cet édifice universitaire, au point que le pôle guyanais s’en est retiré. Le Gouvernement a alors acté ce départ et créé par décret, le 30 juillet 2014, une université de la Guyane de plein exercice.

Tel est le contexte dans lequel intervient le présent projet de loi.

Initialement, le texte ne contenait que des ratifications d’ordonnances rénovant principalement la gouvernance de l’UAG, afin d’œuvrer à la résolution des conflits, en introduisant des mécanismes de coopération. Ces habilitations à légiférer par ordonnances font partie de la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Nous nous y étions alors opposés. Nous pensons que la pratique des ordonnances est un moyen de contournement du Parlement et d’amoindrissement de son pouvoir législatif. Cependant, pour éviter les abus ou excès, la pratique des ordonnances est encadrée dans la loi et réservée à des domaines précis : les ordonnances ne prévoyaient pas la possibilité de modifier le périmètre de l’UAG et ne pouvaient pas tenir compte de la nouvelle situation, à savoir la scission de l’université en deux pôles distincts. C’est pourquoi notre commission les a modifiées pour reconnaître une université des Antilles et une université de la Guyane bien distinctes dans la loi. L’université des Antilles succède donc à l’UAG.

Les modifications introduisent également des mécanismes pour permettre une meilleure collaboration entre les pôles. Chaque fois qu’une décision prise par la commission de la recherche d’un pôle concernera un laboratoire exerçant des activités sur les deux pôles, elle devra être approuvée par le conseil académique de l’université pour être effective.

Enfin, les modifications concernent la mise en place d’un « ticket » de trois candidats, avec un seul et même vote, à la présidence et aux deux vice-présidences de pôle, afin de garantir la cohérence stratégique et l’unité de l’établissement.

Si nous considérions la seule forme du projet de loi, nous voterions contre. Cependant, le texte se situe dans un environnement particulier que l’on ne peut pas ignorer.

Le contexte universitaire local demeure complexe et tendu. L’offre universitaire locale rencontre depuis de nombreuses années des difficultés de fonctionnement équilibré entre les différents pôles géographiques.

Si l’on peut juger l’éclatement de cette université regrettable, considérant la taille relative de chacune de ces entités et la faiblesse du nombre d’étudiants, les conditions réelles d’exercice et la distance géographique importante entre ces pôles rendent aujourd’hui peu crédible le maintien d’une seule université commune.

Le texte semble donc aménager une sortie de crise, répondant pour partie à l’affectation des moyens, notamment pour la Guyane. Pourtant, il est encore difficile de préjuger de sa réussite. En effet, la séparation pose des questions en termes de flux et de gestion du personnel entre la Guyane et les Antilles, avec l’apparition de demandes de mutation, la nécessité de création de nouveaux postes. En outre, il ne faut pas sous-estimer la tentation de séparation qui peut exister au sein de l’université des Antilles entre la Guadeloupe et la Martinique ; ce projet de loi pourrait la renforcer. Ainsi, en croyant résoudre une crise, ne risque-t-on pas d’en voir une autre survenir ?

Vous l’aurez compris, nous ne voterons pas contre ce texte, bien que la loi LRU porte à nos yeux une part de responsabilité dans l’aggravation de la crise, l’autonomie financière des universités et l’absence de fléchage de moyens ayant alimenté un affrontement sur la répartition des postes et moyens. Nous ferons sur ce texte le choix de l’abstention, en formant des vœux pour que ses effets soient positifs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit ce soir vient clore – en tout cas, nous l’espérons – un chapitre de l’histoire universitaire aux Antilles et en Guyane dont on aurait préféré faire l’économie.

L’ordonnance dont la ratification est proposée et le texte établi par la commission de la culture dressent définitivement l’acte de décès de l’université des Antilles et de la Guyane, résultant de la sécession du pôle guyanais, et font naître une nouvelle université : l’université des Antilles.

En ma double qualité, hier de corapporteur avec notre collègue Dominique Gillot de la mission d’information commune à la commission de la culture et à la délégation à l’outre-mer, aujourd'hui de président de la délégation à l’outre-mer, je veux souligner l’enjeu majeur que constitue la stabilisation de la situation universitaire dans nos territoires.

L’université a été mise à mal par les dissensions entre ses trois pôles, qui n’ont fait que s’amplifier au fil des ans jusqu’à l’implosion voilà plus d’un an déjà. Il faut maintenant tirer les leçons de ce grand désordre pour construire un nouvel édifice non seulement à même d’offrir de réelles perspectives à la jeunesse, mais aussi capable de valoriser les potentiels exceptionnels dont disposent ces territoires tropicaux, territoires français qui sont des têtes de pont de l’Europe aux portes de l’Amérique.

Je me félicite tout d’abord que l’option retenue par l’ordonnance du 17 juillet 2014 soit la création d’une université des Antilles dotée de deux pôles bénéficiant d’une autonomie renforcée. Cela correspond précisément au schéma imaginé par le groupe de travail commun à la commission de la culture et à la délégation à l’outre-mer dans la proposition n° 9 du rapport, c'est-à-dire « créer une université des Antilles, à caractère pluri-territorial, constituée par deux pôles guadeloupéen et martiniquais dont l’autonomie pédagogique et de gestion serait véritablement renforcée et sanctuarisée ».

Il est essentiel de conserver un même écrin universitaire pour la Guadeloupe et la Martinique. Une taille critique suffisante est en effet un gage de qualité et de reconnaissance de la valeur des enseignements et des diplômes. En outre, un tel schéma est cohérent avec la prise en compte de trois paramètres essentiels.

Le premier, c’est le contexte démographique antillais. Il est atone, avec un vieillissement des populations déjà tangible et des effectifs de bacheliers s’inscrivant en première année universitaire qui stagnent, voire qui sont en léger repli. On ne verra donc pas au cours des prochaines années de croissance endogène fulgurante des effectifs d’étudiants. Celle-ci ne pourrait provenir que de l’extérieur grâce à un gain d’attractivité, qui fait aujourd’hui défaut.

Le deuxième paramètre est que la politique universitaire nationale recherche les fusions plutôt que la dispersion. Les collectivités antillaises, bien que susceptibles de bénéficier de possibles adaptations sur le fondement de l’article 73 de la Constitution pour tenir compte de leurs spécificités, restent des territoires soumis au droit commun de l’enseignement supérieur et ne sauraient évoluer dans une direction diamétralement opposée à celle qui est empruntée par l’ensemble du réseau universitaire.

Le troisième et dernier paramètre, c’est le contexte budgétaire national contraint, qui s’oppose à une dispersion universitaire. En un mot, le maintien d’une université des Antilles paraît la seule voie raisonnable et surtout la seule formule de nature à sauvegarder la crédibilité de l’offre universitaire.

Cependant, pour être pertinente, cette offre universitaire en matière de formation comme de recherche doit évoluer en synergie avec les stratégies territoriales de développement qui sont différenciées entre la Guadeloupe et la Martinique, d’où l’idée de renforcer l’autonomie des deux pôles, avec des conseils de pôle et des vice-présidents de pôle disposant de compétences propres. Le triumvirat chargé des destinées de la nouvelle université devra intégrer ces priorités territoriales dans le projet universitaire et il devra rester solidaire pour que l’université des Antilles vive.

L’autonomie de gestion, tenant compte du morcellement géographique, permettra également de fluidifier le fonctionnement administratif au quotidien.

Pour résumer la situation, la nouvelle architecture, telle que proposée par la commission de la culture, tend à asseoir la crédibilité et l’attractivité du dispositif universitaire antillais, à stimuler les dynamiques territoriales en harmonie avec une stratégie globale au service du rayonnement régional. Le pari est pris de convertir les rivalités, parfois stériles et source d’inertie, voire de paralysie, en aiguillons sources d’une émulation fertile.

Je soulignerai enfin une précision ajoutée par la commission, qui vient fort opportunément compléter l’organisation de l’université des Antilles : la présence d’« au moins un représentant des organismes de recherche au titre de chacune des régions d’outre-mer dans lesquelles est implantée l’université, désigné par un ou plusieurs organismes entretenant des relations de coopération avec l’établissement » est obligatoire.

De l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, à l’Institut de recherche pour le développement, l’IRD, en passant par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, ou encore l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, nombreux sont les organismes de recherche présents sur les territoires antillais. La stratégie de développement de ces territoires ne peut les ignorer, car ils jouent et joueront un rôle majeur dans la valorisation des potentiels terrestres et maritimes. Il paraissait donc impératif de leur ménager une place dans les instances dirigeantes de l’université. Encore une fois, cette disposition est directement inspirée des préconisations du rapport d’information.

Avant de conclure, je voudrais remercier la commission de la culture, en particulier sa présidente et son rapporteur, d’avoir travaillé dans la continuité de la mission d’information du printemps dernier, en transcrivant dans le code de l’éducation plusieurs de ses propositions. Je me félicite que ce travail d’investigation et d’analyse conduit en amont du processus législatif vienne enrichir celui-ci et permette de dégager des solutions pragmatiques. À l’heure où notre assemblée mène une réflexion sur ses méthodes de travail, voilà une bonne façon de mettre en synergie contrôle et initiative, l’un se nourrissant de l’autre. Il y a là une heureuse mise en perspective. Je suis fier que les travaux initiés par la délégation à l’outre-mer dans une démarche commune avec une commission permanente aient été aussi fructueux.

Mes chers collègues, le mois de janvier n’étant pas encore achevé, je forme le vœu que le cadre juridique proposé pour l’université des Antilles offre un nouveau départ, favorise une situation apaisée et jette les bases d’une stratégie universitaire ambitieuse et propice au rayonnement de la France dans la région. Je souhaite également que des liens forts soient renoués très rapidement – pour le plus grand bénéfice de chacun – et qu’une coopération active soit mise en place entre l’université des Antilles et l’université de la Guyane.

Nous voterons le texte issu des travaux de la commission. (Applaudissements.)