Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État – quel plaisir de vous revoir ! –, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier Pascal Allizard et le groupe UMP d’avoir versé au débat la question de la concurrence déloyale dans le transport aérien.

Durant de nombreuses années, les compagnies françaises, Air France en tête, ont joui d’une domination indiscutable sur le marché des vols intérieurs et sur les vols au départ de la France. Aujourd’hui, cela a été dit, cette situation est menacée par deux concurrences : les compagnies low cost et les compagnies des pays du Golfe.

Les premières, d’origine européenne, compriment leurs coûts pour offrir des billets toujours moins chers, avec un minimum de service à bord. Les deuxièmes bénéficient d’une domiciliation idéale, à mi-chemin entre l’Europe et l’Asie, d’un pétrole bon marché, de salaires faibles et d’une politique de leur État d’origine volontairement agressive. Nos compagnies « traditionnelles » ne peuvent donc pas lutter à armes égales.

Face à cette situation, un groupe de travail sur la compétitivité du transport aérien français a été mis en place sous la présidence du député Bruno Le Roux. Sa préconisation principale est simple – je n’ose pas dire simpliste ! –, à savoir réduire la fiscalité pesant sur l’aviation, c'est-à-dire les taxes et redevances aéroportuaires, la TVA sur le transport domestique et les charges sociales. L’objectif est de lutter contre le déclin de nos compagnies nationales, dans un contexte où le trafic aérien français connaît une évolution constante, en augmentation de 2,7 % en 2012 et de 2,3 % en 2013.

Si la question de la concurrence entre les compagnies est posée, l’approche retenue par ce rapport est quelque peu réductrice. En effet, pour les écologistes, s’interroger sur la transparence et la concurrence dans le transport aérien revient à poser une question plus large en vérité : le transport aérien peut-il être vertueux ? S’il faut prévoir des règles du jeu équitables dans le domaine économique, il est nécessaire également de se pencher sur les aspects social et environnemental.

En ce qui concerne l’aspect social, les abus sont nombreux, surtout de la part des compagnies low cost européennes : recours abusifs aux « faux » travailleurs indépendants dans les équipages, qui exercent en réalité leur activité dans les mêmes conditions que des salariés, pour une seule compagnie ; déclaration de fausses bases d’affectation, qui ne correspondent pas à la réalité des allers et retours des personnels navigants, pour éviter l’affiliation à des régimes de sécurité sociale plus coûteux ; certificats de détachement de travailleurs non justifiés, là encore pour bénéficier de cotisations sociales moindres.

À défaut d’une harmonisation sociale et fiscale en Europe, il est de la responsabilité de la Commission européenne d’agir comme un réel arbitre pour faire respecter le droit des salariés du secteur aérien. Comme mes collègues, je me tourne vers vous, monsieur le secrétaire d'État, pour connaître les actions envisageables au niveau européen.

Le côté environnemental – vous ne serez pas étonné que je l’aborde ! – est tout aussi fondamental. En effet, l’avion, c’est 105 kilogrammes d’équivalent carbone par personne transportée pour 100 kilomètres parcourus, contre 70 kilogrammes pour la voiture et seulement 10 kilogrammes pour le train, ce qui en fait le moyen de transport collectif le plus polluant, toutes catégories confondues. Nous devons donc trouver des solutions !

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je prendrai l’exemple de la pollution due au roulage, c’est-à-dire aux manœuvres au sol des avions : pour le seul aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, elle est équivalente à la pollution de tout le périphérique parisien, soit 300 000 tonnes de CO2 par an. Pour y remédier, Safran, fleuron français de l’aéronautique, développe des moteurs électriques pour les roues des avions long-courriers, ce qui supprime toute pollution. Il faut généraliser cette pratique.

En conclusion, nous devons agir pour instaurer des règles sociales et environnementales, faire respecter le droit des personnels navigants, développer de nouvelles technologies et adapter notre législation, afin de réduire l’impact écologique du transport aérien. C'est là que se situent aujourd'hui les réels enjeux de notre politique de transport. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d’emblée saluer à mon tour la qualité du propos introductif de notre collègue Pascal Allizard. Je souscris en tout point au constat qu’il a brillamment établi.

Il y a quelques mois, la grève des pilotes d’Air France contre le projet de création d’une filiale à bas coût – j’éviterai l’anglicisme ! –, Transavia, afin de diminuer le coût du travail et, donc, de baisser le prix du billet, a fait la une de l’actualité. Les véritables enjeux de cette grève n’ont pas été clairement et objectivement expliqués à l’opinion publique ; ils ont même été parfois caricaturés. Selon l’adage, « quand le savant désigne la lune, l’idiot regarde le doigt. »

Les prix bas séduisent évidemment les clients potentiels, mais il faut examiner les effets macroéconomiques de cette évolution dans la durée, notamment sur les normes fiscales et sociales, comme l’ont souligné les orateurs précédents.

Le ciel européen est devenu le cimetière des grandes compagnies aériennes nationales, et pas des moindres ; je pense notamment à Swissair, KLM, Alitalia et Iberia.

Le secteur du transport aérien a été complètement déstabilisé au cours des deux dernières décennies. C'est dire si le débat proposé par nos collègues de l’UMP est tout à fait pertinent. Il y a effectivement lieu de demander la transparence absolue sur les enjeux du transport aérien.

Aujourd’hui, en Europe, seuls la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont réussi à conserver leur compagnie historique. C’est d’ailleurs sur ce constat que s’ouvre le rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, qui s’interroge sur la viabilité des compagnies aériennes européennes.

Si les rapports de forces internationaux ont un impact réel sur ce secteur sensible à l’évolution des prix des hydrocarbures, cela ne profite pas aux compagnies européennes, car leur situation s’explique avant tout par une politique de libéralisation hasardeuse et une application souvent biaisée de la notion de concurrence. Ainsi, la déréglementation européenne n’a pas pris en compte l’équité de la concurrence, la capacité financière des entreprises entrantes et la preuve de leur honorabilité, même si la directive de 2008 du Parlement européen et du Conseil essayait d’y remédier.

Le moyen-courrier intracommunautaire est aujourd’hui partagé entre les compagnies généralistes et les compagnies à bas coût, les compagnies charters ayant pratiquement disparu. En effet, le cadre réglementaire européen libéralisé a permis l’émergence de nouveaux acteurs très efficaces, jouant des avantages offerts par le manque d’harmonisation fiscale et sociale au sein de l’Europe, mais aussi de la possibilité, sans aucun souci d’aménagement du territoire, de choisir les lignes à exploiter et de fixer leurs tarifs.

À cet égard, les conclusions de la mission d’information sur le dumping social dans les transports sont sans appel. Le transport aérien, qui a été le premier touché par les politiques de déréglementation mises en place en Europe, a aussi été un laboratoire en matière d’optimisation sociale et de fraude : recours à de faux travailleurs indépendants, contrats de travail établis dans des pays dits « à bas coûts », sociétés boîtes aux lettres, etc. L’absence de lieu de travail fixe et la relative imprécision des normes européennes ont longtemps favorisé ces pratiques.

Ainsi, le succès économique des compagnies à bas coût repose sur une réduction drastique de la plupart des coûts, en particulier des charges de personnel. Ces entreprises sont à la pointe des techniques d’optimisation sociale, contournant le droit européen, voire y dérogeant.

Dans un contexte de concurrence exacerbée, ces pratiques tendent désormais à être mises en œuvre au sein de certaines filiales de grands groupes. Par exemple, afin de contourner la notion de base d’affectation, certaines sociétés ont généralisé le recrutement de faux travailleurs indépendants pour composer leurs équipages. Ce statut permet à l’exploitant de s’exonérer des charges sociales et patronales, les compagnies n’apparaissant plus comme employeurs de leurs propres pilotes ou équipages de cabine.

Et ce n’est qu’un exemple ! Les auteurs du rapport d’information établi au nom de la commission des affaires européennes se sont également penchés sur les salaires scandaleusement bas, les conditions de travail, voire le travail dissimulé, qui mettent la sécurité des personnels et des voyageurs réellement en danger.

Si la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne tend, depuis 2011, à garantir une meilleure protection aux travailleurs concernés, il reste que le manque de concurrence loyale fragilise singulièrement les compagnies nationales. Il convient désormais de veiller à mieux évaluer les conséquences sociales des textes européens visant à créer un marché unique des transports, car le dumping social et fiscal constitue bien la première faiblesse du secteur, au niveau intracommunautaire.

Sur les marchés long-courriers, la présence des compagnies européennes et françaises se trouve, elle, menacée par les grandes compagnies émergentes d’Asie et du Moyen-Orient. Le cas de Dubaï vient d’être cité.

Comme le souligne justement dans son rapport, remis au Premier ministre à l’automne dernier, notre collègue député Bruno Le Roux, le transport aérien reste, malgré la mondialisation, l’activité porte-drapeau d’un pays. C’est un véritable multiplicateur d’emplois, en particulier au niveau des plateformes aéroportuaires. On estime qu’une augmentation du nombre de passagers d’un million de personnes permet de créer 4 000 emplois, dont 1 000 emplois directs. Ce n’est pas rien !

Bien sûr, les questions des hubs aériens, des redevances aéroportuaires, des aides d’État en soutien à ce secteur et aux compagnies nationales, de la volonté européenne de continuer à ouvrir le ciel européen devront aussi être abordées.

Pour ces raisons, et au regard des forts enjeux évoqués ici par les uns et les autres, nous saluons la création de ce groupe de travail, auquel nous prendrons une part active. Peut-être y aurait-il d’ailleurs lieu d’envisager dès maintenant une suite à ce groupe de travail, sous la forme d’une nouvelle mission d’information ou d’une commission d’enquête. Pour notre part, nous en sommes demandeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré les difficultés traversées par le secteur du transport aérien depuis plusieurs années, le poids économique de ce secteur en France est suffisamment important pour que l’on s’interroge sur les défis de compétitivité auxquels il est confronté.

En effet, le transport aérien, en englobant les compagnies, les aéroports et les services de navigation aérienne, représente un million d’emplois, dont environ 300 000 emplois directs. Au cours des dernières décennies, le secteur a connu des mutations importantes, notamment sur le plan technologique, lui permettant de répondre à la hausse continue du trafic de passagers.

Les grandes compagnies européennes se sont inscrites dans ce mouvement. Comme vous le savez, mes chers collègues, des compagnies comme Air France-KLM, British Airways ou encore Lufthansa ont amélioré leur offre pour faire face à la concurrence, en nouant des alliances ou en constituant de grandes plateformes de redistribution du trafic, les hubs.

Bien que ces grandes compagnies européennes, dites « de pavillon », aient consenti des investissements considérables, elles sont néanmoins de plus en plus fragilisées. Sur les petits trajets, elles doivent faire face à la concurrence féroce des compagnies à bas coût, les fameuses compagnies low cost, mais elles sont aussi confrontées, désormais, à l’offensive des compagnies du Golfe sur les vols long-courriers.

Ces difficultés sont régulièrement soulignées dans des rapports aux titres parfois très explicites, à l’image de celui du Commissariat général à la stratégie et à la prospective remis au Premier ministre en 2013 et intitulé Les Compagnies aériennes sont-elles mortelles ?

Sans engager ce très vaste débat, on peut s’interroger sur les dérives liées à ce contexte fortement concurrentiel, qui contribuent à une certaine opacité des règles du marché. Je pense par exemple à la question, déjà évoquée, du dumping social. Des compagnies désormais bien identifiées élaborent sans cesse des stratégies pour minimiser le coût de la main-d’œuvre et contourner les règles sociales.

La France a depuis longtemps mis en avant la notion de « base d’affectation », considérant que les personnels navigants des compagnies aériennes sont rattachés au régime de sécurité sociale de l’État au sein duquel se trouve leur base d’affectation, soit le lieu où ils commencent et terminent leur service. L’Europe a fini par reconnaître ce principe, et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne l’a confirmé.

Toutefois, depuis lors, pour échapper à cette réglementation, des compagnies pratiquent de faux détachements ou recrutent des travailleurs indépendants par le biais de filières complexes, faisant intervenir des sociétés d’intérim et des cabinets d’experts-comptables pour brouiller les pistes.

Je n’oublie pas, bien sûr, les stratégies d’optimisation fiscale, tendant à minorer le bénéfice des compagnies qui les mettent en œuvre. Certaines encaissent les aides publiques, tandis que leurs flottes sont gérées par des entreprises installées dans les paradis fiscaux, parfois très proches de chez nous. Et ce ne sont que quelques exemples des montages peu scrupuleux de compagnies qui, certes, proposent des tarifs compétitifs aux consommateurs, mais qui le font au mépris du droit du travail et des règles de la concurrence.

Un autre sujet important a été évoqué par plusieurs de mes collègues. Il s’agit des larges subventions accordées par les États du Golfe à leurs compagnies nationales.

Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que le gouvernement français refuse d’attribuer des droits de trafic supplémentaires aux compagnies du Golfe tant que n’auront pas été établies des conditions de concurrence équitables et davantage de transparence financière. Je sais aussi qu’un dialogue européen est engagé sur ce dossier. J’espère que nous pourrons avancer, d’autant qu’il semble impossible d’occulter plus longtemps la position des aéroports français, qui se satisfont, de leur côté, du positionnement régional des compagnies du Golfe.

Enfin, je souhaitais évoquer un dernier sujet : la transparence due également aux consommateurs, puisqu’ils achètent leurs billets. Sur ce point, beaucoup de compagnies, pour ne pas dire toutes, abusent, où qu’elles soient, de ce que l’on appelle les « prix personnalisés ».

La pratique du yield management, soit la gestion de rendement, est une arme de tarification qui a le don de compliquer les comparaisons pour l’acheteur. Comme vous le savez, mes chers collègues, il s’agit d’instaurer des grilles tarifaires très volatiles, dépendant par exemple du taux d’occupation de l’avion, du type de clientèle ou encore du jour de la semaine.

Le développement d’internet a offert un tremplin à ces prix personnalisés. Si certains consommateurs peuvent s’y retrouver, disons clairement que c’est un moyen pour l’entreprise d’évaluer au plus près la « disponibilité à payer » du client.

Cette évolution du prix unique vers des prix individualisés pose donc une question de transparence. Dans ce système, le client perd un peu le fil de l’information sur son prix, ce qui peut in fine aboutir à renforcer des positions dominantes en faussant les règles de concurrence au niveau de l’achat de billets.

C’est pourquoi, si je souscris naturellement aux principes consistant à protéger les compagnies les plus vertueuses en matière de droit du travail ou de posture fiscale, il est souhaitable de demander à ces mêmes compagnies d’offrir, elles aussi, des garanties de transparence quant à la formation de leurs prix pour les consommateurs.

Puisqu’il est question de transparence, incitons également les aiguilleurs du ciel à pratiquer cette transparence. Ainsi, les arrêts de travail qui ne sont rien d’autre que des grèves perlées ne doivent pas être masqués par des avaries techniques ou des aléas climatiques. Le consommateur est en droit de savoir ce qui se passe dans une tour de contrôle. Ce n’est pourtant pas le cas aujourd'hui ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais remercier la Haute Assemblée d’avoir organisé ce débat, tout en rejoignant les remarques formulées par plusieurs orateurs quant à la qualité de l’argumentation avancée par M. Pascal Allizard dans son intervention liminaire.

Comme vous le savez, le transport aérien a progressé de 41 % entre 2003 et 2013. Cette croissance a permis au pavillon français d’augmenter son volume de trafic, qui est passé de 61 millions à 65 millions de passagers transportés entre 2010 et 2013. Il n’en reste pas moins que cette croissance est principalement tirée par les transporteurs étrangers. La part de marché du pavillon français se dégrade donc, et cela de façon continue. Mesurée à 54,3 % en 2003, elle est passée à 44,8 % en 2014, avec une perte particulièrement marquée sur le trafic intérieur en métropole et sur le moyen-courrier international.

Cette dégradation, on le sait, est essentiellement imputable à un écart de compétitivité entre nos compagnies et leurs concurrents étrangers. Comme beaucoup d’entre vous l’ont souligné, ce fait est avéré s’agissant des compagnies à bas coûts, qui transportent désormais près du quart des passagers.

Toutefois, vous avez tous eu raison de souligner également la situation particulière – j’ai presque envie de dire singulière – des compagnies du Golfe, dont le trafic a progressé de plus de 70 % entre 2010 et 2013 !

Les compagnies aériennes françaises ne sont pas restées sans réaction face à ce double développement. Tous les transporteurs aériens français, conscients de la nécessité de se réformer, ont lancé des plans de restructuration et de modernisation.

Ainsi, Air France-KLM a entrepris des efforts importants, d’abord avec le plan Transform 2015, dont les mesures de réduction des coûts se sont traduites, entre autres conséquences, par des plans de départs volontaires portant sur 5 300 emplois et par un plan de transformation structurelle. Depuis le début de cette année, le plan Perform 2020 lui succède, visant une reprise de la croissance. C’est dans ce cadre que la compagnie a envisagé la création et le développement de Transavia.

Certains d’entre vous l’ont rappelé, les modalités de développement de Transavia ont donné lieu en septembre 2014 à un mouvement social très long, qui a conduit à l’abandon par la direction du groupe de l’hypothèse d’une nouvelle filiale, Transavia Europe, dont les bases délocalisées dans d’autres pays d’Europe auraient pu profiter de normes sociales inférieures aux nôtres.

Permettez-moi, à cet égard, de répondre à certains points évoqués, notamment par Michel Vaspart ; après tout, un débat de cette nature nous offre aussi l’occasion de constater des désaccords. Je crois que le groupe Air France a raison de vouloir répondre au développement du low cost par la création de Transavia France. En effet, il ne sert à rien de constater les chiffres que je viens d’énoncer et d’abandonner une partie du marché low cost. Il faut répondre aux attentes des consommateurs, car ce sont tout de même eux qui décident. La création de Transavia France me paraît donc une initiative heureuse, même si elle fut à l’origine de la grève.

En revanche, il me semble contradictoire de condamner le low cost et d’appeler de ses vœux la création de Transavia Europe. Cela reviendrait en effet à reconnaître que l’on ne peut être compétitif qu’au travers du dumping social et de l’emploi de salariés de statut portugais venant concurrencer, en Europe, les salariés de statut français.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. C'est la raison pour laquelle j’ai soutenu la direction d’Air France, parfois contre les organisations syndicales, à tout le moins celles des pilotes. Le chemin à suivre est celui de Transavia France, pas celui de Transavia Europe. La création d’une telle compagnie irait à l’encontre des propos que nous venons de tenir, même si ce débat mérite d’être approfondi.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Ce conflit social a coûté cher : 330 millions d’euros ! Et Air France-KLM n’est pas la seule compagnie concernée, car d’autres comme Corsair, Air Austral ou Air Méditerranée ont lancé des plans de restructuration visant à réduire leurs effectifs et leur réseau.

Ces réformes essentielles, qui méritent d’être soutenues, ne peuvent, à elles seules, régler la situation que vous avez tous exposée : la libéralisation toujours plus grande du ciel et ses répercussions sur les compagnies mettent en lumière des distorsions de concurrence. Cette situation nous impose une plus grande transparence en ce domaine, notamment s’agissant des lignes exposées à la concurrence internationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement rejoint vos préoccupations et s’emploie à y répondre avec détermination.

Il s’agit, tout d’abord, de contrôler les règles sociales auxquelles sont soumis les transporteurs. Vous le savez, la tentation du détournement est naturellement facilitée par le caractère international de l’activité. Ryanair, dont il a été beaucoup question ici, à juste titre, a été condamnée en octobre 2013 à payer 200 000 euros d’amende et à verser près de 8 millions d’euros de dommages et intérêts à l’URSSAF, à Pôle emploi et aux caisses de retraite, pour les raisons qui ont déjà été remarquablement exposées au cours de ce débat.

Dans d’autres cas, l’action engagée par l’État a abouti à des régularisations avant condamnation. Le Gouvernement, au travers de mon ministère, suit avec une attention particulière la question des faux indépendants, ce système qui vise à contourner ou à éviter l’application des lois sociales.

Nous ne condamnons pas le principe du low cost, qui répond à une demande des consommateurs. Les économies ont permis de faire baisser les prix des billets et de permettre à des gens qui ne le pouvaient pas auparavant d’accéder à l’avion. Néanmoins, cela ne saurait justifier le contournement de toutes les règles sociales et fiscales.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Certaines compagnies parviennent à s’en sortir en suivant un modèle, un business plan, qui est celui que je souhaite pour Transavia France. D’autres, en revanche, prospèrent en utilisant des méthodes parfaitement condamnables.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Cela dit, le respect de la concurrence n’est pas simplement lié aux questions sociales. Vous l’avez souligné au cours du débat, la question de l’émergence des compagnies du Golfe est d’une autre nature.

Les nouvelles lignes directrices de la Commission européenne concernant les aides d’État sont entrées en vigueur en 2014 ; la France y a grandement contribué. Elles doivent normalement clarifier la question de la régularité des nombreux accords, notamment ceux dits « de marketing et publicité », passés entre des aéroports et certaines compagnies.

Il n’est plus acceptable que des transporteurs soient structurellement et durablement subventionnés par des collectivités publiques, ce qui entraîne une distorsion de prix et l’éviction de transporteurs concurrents. Les aides au démarrage de nouvelles lignes doivent être limitées et encadrées dans le temps.

Ayant l’honneur de m’exprimer devant le Sénat et étant amené, de par mes fonctions, à recevoir beaucoup d’élus, je voudrais insister sur la nécessaire cohérence qu’il doit y avoir entre le discours et l’action légitime et compréhensible de ceux qui veulent défendre leur territoire, mais qui, ce faisant, répondent aux aspirations ou aux demandes de ceux qui ne vivent que de subventions publiques. Il s’agit probablement de l’honneur et, parfois, de la contradiction de l’action publique, dont je suis le témoin privilégié ; je tenais à le rappeler.

La Commission européenne a condamné en juillet 2014 des compagnies à bas coûts à rembourser à des aéroports des aides illégalement perçues. La compagnie Ryanair a notamment été condamnée à rembourser plus de 9 millions d’euros.

Le ministère des transports, soucieux d’aider les aéroports à se conformer à ces nouvelles règles, a entrepris une vaste campagne d’information et d’explication, afin que les situations litigieuses soient régularisées.

En ce qui concerne l’affichage des prix des billets, il est important que les voyageurs ne soient pas trompés lors de leurs choix par des informations incomplètes les conduisant à acheter un billet à un prix attractif, lequel, in fine, se révélerait bien plus élevé. À cet égard, les propos tenus par un certain nombre d’entre vous sont totalement justifiés.

La France dispose d’un cadre légal protecteur pour assurer l’information préalable du voyageur. Un règlement européen institue en outre des obligations d’affichage du prix définitif et la Cour de justice de l’Union européenne, cela a été souligné, vient de rendre un arrêt renforçant la protection du consommateur.

J’ajouterai un mot sur la prétendue taxe de surcharge carburant, évoquée par M. Vincent Dubois. Comme je l’ai dit hier devant l’Assemblée nationale, un mauvais débat est en train de s’installer dans l’opinion publique. Le problème est que cette taxe n’existe pas : elle n’a aucune base légale ni réglementaire ! Il s’agit d’une pure invention commerciale, réalisée par les compagnies au moment où le prix du pétrole augmentait, afin de justifier l’augmentation du prix des billets. Chaque compagnie calcule cette taxe comme elle l’entend et décide, ou non, de la faire apparaître.

Or, aujourd’hui, on s’adresse aux pouvoirs publics pour qu’ils en diminuent le montant. Il est toutefois difficile d’agir sur une taxe qui n’existe pas… Encore une fois, il s’agit uniquement d’un affichage commercial. Il n’en reste pas moins que la question de fond, celle de la répercussion de la baisse du prix du baril sur le tarif des billets, doit être posée.

J’apporterai cependant une nuance : cette baisse ne peut être automatique en raison de la politique de couverture des prix que pratiquent les compagnies aériennes. Air France, par exemple, a déjà acheté, au prix de 100 euros le baril, tarif alors en vigueur, à peu près 60 % du carburant dont elle aura besoin en 2015. Si le prix du baril était aujourd’hui à 120 euros, on féliciterait Air France. On ne peut donc critiquer cette politique de couverture.

Le consommateur devra attendre le milieu ou la fin de l’année 2015 pour voir la baisse du prix du pétrole se répercuter sur le prix des billets. En revanche, la taxe de surcharge carburant n’existe que de nom et nous ne pouvons aucunement la faire baisser.

Concernant les compagnies du Golfe, je serai très clair : plus aucun droit de trafic nouveau ne leur sera accordé par la France. Si leur trafic se développe encore, c’est en raison de droits accordés lors des négociations de 2010-2011 et de l’utilisation d’appareils de plus grande capacité, tel l’Airbus A 380.

Les chiffres que je donnais il y a quelques instants ont aussi des conséquences pour la France. Ce n’est pas rien pour un pays que de perdre, en raison d’une telle situation, sa connectivité directe avec plusieurs autres pays. Air France a déjà réduit sa desserte de l’Inde, de Hong-Kong, du Vietnam et de la Thaïlande et abandonné celle de l’Australie, des Maldives, du Sri Lanka et des Seychelles. Il n’existe plus de liaison française directe vers ces pays.

Notre connectivité s’appauvrit ! Sans réaction forte, demain, le lien avec l’Afrique et l’Asie pourrait, non pas disparaître, mais dépendre des compagnies du Golfe, lesquelles bénéficient de subventions de la part des États qui les contrôlent, d’un accès au carburant à un prix modique, d’un coût réduit d’accès aux infrastructures aéroportuaires et de conditions sociales et fiscales avantageuses.

Il ne s’agit pas simplement du problème de la France. Mon homologue allemand, Alexander Dobrindt, et moi-même – nous nous sommes entretenus de ces questions lundi dernier, ainsi que le lundi précédent, à Luxembourg – allons, par une démarche conjointe de la France et de l’Allemagne, saisir officiellement la Commission européenne dans les prochains jours. En effet, cette question ne doit plus relever uniquement d’un dialogue singulier bilatéral entre chacun des pays défendant ses intérêts nationaux et les compagnies.