M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. La démonstration de Roger Karoutchi a été si éloquente qu’il n’aura nul besoin de la réitérer à aucun autre moment, à moins qu’il ne le souhaite…

M. Roger Karoutchi. Je la referai, je ne voudrais pas qu’elle manque au débat ! (Sourires.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cette démonstration portait non pas sur l’amendement du Gouvernement, mais sur l’amendement n° 206, présenté Mme Assassi, au nom du groupe CRC, qui vise bien à ce que le demandeur d’asile ait accès au marché du travail dès le dépôt de sa demande.

Si je comprends très bien l’intention généreuse des auteurs de cet amendement, je voudrais rappeler que les demandeurs d’asile, et c’est heureux, bénéficient d’une aide et d’une offre d’hébergement que nous souhaitons voir élargie. Le ministre nous a d’ailleurs exposé les dispositions qu’il comptait mettre en œuvre pour y parvenir.

Par ailleurs, si nous adoptions une mesure de ce type, ce sont non plus 60 000 demandeurs d’asile que nous aurons chaque année, mais 80 000 ou 100 000, voire davantage.

En effet, si vous avez accès au marché du travail dès lors que vous avez simplement déposé une demande d’asile – en tant qu’étranger, vous pouvez le faire sans condition –, pour quelle raison n’effectueriez-vous pas une telle démarche ? Selon moi, celle-ci deviendrait systématique.

Il est donc sage que les conventions internationales comme la loi française aient prévu l’impossibilité d’accéder au marché du travail avant un certain délai, évalué en fonction du temps nécessaire pour qu’une décision définitive puisse être rendue. Encore faut-il naturellement que ce délai ait été inscrit dans la loi et que le Gouvernement, qui nous a rappelé avoir procédé à un certain nombre de recrutements cette année pour augmenter les effectifs de l’OFPRA, fasse en sorte que ceux-ci ne servent pas simplement à absorber le surcroît de travail provoqué par la transposition des directives, mais permettent de traiter réellement le « stock » des demandes, si je puis dire, afin d’accélérer à l’avenir la procédure. Même si je salue l’effort qui est fait, je doute que les moyens mis en œuvre soient suffisants pour faire face à l’afflux de demandeurs d’asile que nous observons depuis plusieurs années.

En tout état de cause, la commission ne peut donc qu’être défavorable à l’amendement n° 206, dans la mesure où elle souscrit pleinement aux arguments avancés avec beaucoup de pertinence par M. Karoutchi, arguments qui ont tout à fait leur place dans la discussion en cours.

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.

Mme Evelyne Yonnet. Pour ma part, j’ai le sentiment que le débat est tronqué, les deux amendements dont il est question ne prévoyant pas du tout la même chose.

L’amendement n° 206 vise à remplacer le mot « étranger », qui empêcherait de trouver du travail, par les termes « demandeur d’asile ». Je le précise, il n’est pas question d’un travail immédiat dans le cadre d’une attestation provisoire.

S’agissant de l’amendement n° 237 du Gouvernement, auquel je suis favorable, j’ai bien entendu les propos de M. Karoutchi et de M. le président de la commission. Quoi qu’il en soit, Éliane Assassi n’a pas tout à fait tort : le travail au noir perdurera et les marchands de sommeil sont fin prêts ! Vous le savez très bien, mes chers collègues, les logements temporaires ou les hôtels sociaux sont d’ores et déjà complets. Par conséquent, ce que nous refusons risque d’arriver réellement. Ainsi, dans mon département, non seulement les demandeurs d’asile, mais aussi les immigrés économiques, pour reprendre la terminologie en vigueur, sont bel et bien attendus.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Bosino. Vous soulevez un vrai problème, monsieur Karoutchi.

De notre côté, nous insistons sur deux aspects.

Tout d’abord, une réduction des délais est absolument indispensable. En effet, plus la procédure est longue, plus les situations compliquées sont nombreuses.

Ensuite, le travail au noir existe. Force est de le constater, certains employeurs, et pas seulement les marchands de sommeil, profitent de la situation difficile d’entre-deux dans laquelle se trouvent les demandeurs d’asile. Pour s’en rendre compte, il suffit de passer devant un certain nombre de magasins tels que ceux de l’enseigne Castorama !

Pour avancer, nous proposons donc de remplacer, à l’alinéa 7 de l’article 14, le mot « étranger » par les termes « demandeur d’asile ». Au demeurant, c’est la question même du droit au travail qui est ainsi posée.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 161.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 206.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 237.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 142.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 143, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéas 17 à 19

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. La commission des lois a adopté plusieurs mesures aboutissant, d’une part, à ce que la décision définitive de rejet prononcée par l'OFPRA, le cas échéant après que la CNDA aura statué, vaut obligation de quitter le territoire français et, d'autre part, à ce que l'étranger débouté de sa demande d'asile ne peut solliciter un titre de séjour pour un autre motif.

De surcroît, la rédaction retenue par la commission pour l’article L. 743-5 qu’il est proposé d’introduire dans le CESEDA confirme que l’exécution de la mesure d’éloignement n’est suspendue, pour les cas d’irrecevabilité et de clôture, que jusqu’à la réponse de l’OFPRA, et non de la CNDA. En d’autres termes, les demandeurs d’asile ayant fait l’objet d’une décision de clôture ou d’irrecevabilité ne bénéficient pas d’un droit au recours suspensif.

Les auteurs du présent amendement considèrent que ces dispositions sont contraires à la convention européenne des droits de l’homme. Elles doivent donc être supprimées.

M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 37 rectifié bis est présenté par Mme Létard, M. Guerriau, Mme Loisier, MM. Delahaye, Médevielle, Longeot, Gabouty, L. Hervé et les membres du groupe Union des démocrates et indépendants - UC.

L'amendement n° 75 est présenté par M. Leconte, Mme Tasca, M. Sueur, Mme Jourda et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'amendement n° 238 est présenté par le Gouvernement.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 17

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Valérie Létard, pour présenter l’amendement n° 37 rectifié bis.

Mme Valérie Létard. Une très large majorité des membres de mon groupe soutient l’objectif de M. le rapporteur d’aboutir à une procédure claire et efficace. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous partageons nombre des propositions de modification introduites dans le texte par la commission.

Néanmoins, l’adoption par cette dernière lors de ses travaux de l’amendement n° 248 rectifié nous pose problème. Il en résulte en effet l’introduction dans le projet de loi de la disposition suivante : « Sauf circonstance particulière, la décision définitive de rejet prononcée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, le cas échéant après que la Cour nationale du droit d’asile a statué, vaut obligation de quitter le territoire français. »

Tout d’abord, sur un plan purement juridique, cette disposition crée une confusion entre l’appréciation du bien-fondé d’une demande d’asile, problématique spécifique quant à un besoin de protection, qui relève de l’OFPRA et, le cas échéant, de la CNDA, et l’appréciation du droit au séjour, qui relève de l’autorité préfectorale.

De fait, le texte impose à l’OFPRA et à la CNDA d’apprécier notamment la compatibilité d’une décision de rejet d’asile valant OQTF avec les dispositions de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, la CEDH, ce qui ne relève pas de leurs compétences.

En effet, l’automaticité de l’éloignement en cas de rejet d’une demande d’asile serait contraire à l’article 8 précité, qui dispose que, même lorsqu’on est débouté du droit d’asile, des raisons tenant à la situation personnelle et familiale peuvent justifier qu’on soit maintenu sur le territoire national, conformément au droit au respect de la vie privée et familiale.

L’alinéa 17 de l’article 14 du présent projet de loi atténue cette automaticité, avec la notion de « circonstance particulière », que le demandeur d’asile débouté est censé pouvoir faire valoir. Mais dans quelles conditions ? Cela n’est pas précisé. En pratique, le texte implique donc que l’OFPRA et la CNDA prononcent implicitement une mesure d’éloignement, « sauf circonstance particulière », qu’ils doivent a priori apprécier eux-mêmes. Ils seraient donc obligés, afin de respecter les dispositions de la CEDH et de ne pas rendre la décision définitive automatiquement illégale, d’apprécier, avant de prononcer un rejet de la demande d’asile ou du recours, si la mesure d’éloignement qu’implique de fait leur décision est compatible avec les dispositions de l’article 8 de la CEDH.

Par ailleurs, outre les aspects liés au respect de la vie privée et familiale, la situation du demandeur peut parfois lui permettre de remplir les conditions d’obtention d’un titre de séjour pour un autre motif, lié à la santé, à la profession ou à tout autre motif prévu par le CESEDA.

Or l’OFPRA et la CNDA ne sont pas compétents pour apprécier le droit au séjour d’un demandeur d’asile. Cette disposition risque donc de créer un nouveau flux contentieux devant les juridictions de droit commun, et de rallonger les délais de la procédure, ce qui n’est manifestement pas l’objectif de la réforme.

Enfin, le texte comporte certaines autres lacunes : il n’indique rien sur l’articulation avec la procédure contentieuse prévue à l’article L. 512-1 du CESEDA, rien non plus sur le caractère suspensif ou non du recours juridictionnel, sur le délai de recours contentieux, sur la formation de jugement compétente ou le délai de jugement. En outre, les explications de M. le rapporteur à la page 166 de son rapport n’apportent pas d’éclaircissement sur tous ces points, car le mode d’emploi de cette mesure n’y est pas développé.

Ma deuxième objection sera davantage d’opportunité. Lors de l’examen de l’article 5 du projet de loi, nous avons adopté une disposition modifiant l’article L. 721-2 du CESEDA et précisant que l’OFPRA exerce ses missions en toute impartialité. La Cour nationale du droit d’asile est une juridiction par définition indépendante. Que les décisions définitives de rejet prononcées par l’OFPRA et la CNDA vaillent obligation de quitter le territoire français reviendrait donc à confier des décisions de police administrative à des institutions indépendantes dont ce n’est clairement pas la mission et qui ne sont pas en mesure de l’exercer.

Ainsi ce texte a-t-il pour conséquence d’introduire une confusion regrettable entre les différents acteurs de l’asile, puisque la notification d’une OQTF et son exécution reviennent aujourd'hui à la préfecture compétente, cette autorité administrative remplissant son rôle.

Pour avoir rencontré les officiers de l’OFPRA et les juges de la CNDA, je crains que cette conséquence ne brouille leurs décisions. Comme l’a montré le rapport sur la réforme de l’asile que j’ai rédigé avec Jean-Louis Touraine, l’éloignement doit être le terme d’une procédure au cours de laquelle la personne déboutée du droit d’asile a pu faire valoir ses droits et être accompagnée vers le retour.

Pour ces deux raisons, l’amendement n° 37 rectifié bis vise à supprimer une mesure qui touche de manière profonde à l’équilibre actuel de l’examen d’une demande d’asile, au risque de déstabiliser l’ensemble de la réforme, et dont on peut craindre qu’elle ne soit finalement contre-productive, y compris en termes de délai.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 75.

M. Jean-Yves Leconte. Avec cet amendement, qui est identique à celui que vient de défendre Mme Valérie Létard, nous en arrivons à un tournant dans la discussion du projet de loi. Son adoption ou son rejet nous permettra de savoir si le Sénat préfère une déclaration politique à l’amélioration du texte. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Roger Karoutchi. Pas de leçon ! Pour ce qui concerne les déclarations, nous avons été servis !

M. Jean-Yves Leconte. Le présent amendement tend à supprimer la mention selon laquelle une décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA ou la CNDA vaut obligation de quitter le territoire français.

Bien que nous ayons la même préoccupation, nous sommes convaincus que l’alinéa 17 de l’article 14, introduit par la commission des lois, n’est pas une réponse adaptée à la mise en œuvre effective de l’éloignement des individus déboutés d’une demande d’asile.

Ni l’OFPRA ni la CNDA n’ont pour fonction de prononcer ce type d’OQTF. L’autorisation provisoire de séjour étant donnée par la préfecture, c’est cette autorité qui doit pouvoir la retirer. Mme Létard a d’ailleurs précisé que l’adoption d’une telle mesure ferait probablement beaucoup évoluer la nature des décisions de l’OFPRA et de la CNDA, compte tenu des conséquences pour les demandeurs.

Considérer qu’une personne déboutée du droit d’asile serait un sous-homme, inférieur aux personnes en situation irrégulière au regard d’une OQTF ou du tribunal administratif n’est pas acceptable.

En Allemagne, il revient à la même institution d’étudier les demandes d’asile et de donner, au terme de la procédure, ce que l’on pourrait considérer comme une équivalence de l’autorisation provisoire de séjour et de l’OQTF. Je voudrais souligner que, au-delà des arguments qui ont été avancés, ce système ne fonctionne pas ! En effet, le nombre des déboutés du droit d’asile est supérieur à 100 000 par an en Allemagne, alors qu’il s’établit à 45 000 en France. Mais le nombre de personnes qui font l’objet d’une mesure d’éloignement est équivalent dans les deux pays. Donc, il ne faut pas faire de déclaration qui laisserait supposer que, de ce point de vue-là, la France ne s’en sort pas bien !

Cela étant, la situation est difficile. Vous l’avez indiqué, monsieur Karoutchi, la meilleure manière d’éviter les déchirements une fois la demande d’asile refusée et de traiter le mieux possible les personnes déboutées du droit d’asile, c’est de travailler à réduire les délais, et tel est tout l’objet du projet de loi.

On ne traitera pas ce problème douloureux en essayant de copier à moitié le dispositif appliqué par d’autres pays et qui ne marche pas si bien ! Je le répète, la France ne s’en sort pas mal, puisque le nombre de personnes qui font l’objet d’une mesure d’éloignement est du même ordre de grandeur qu’en Allemagne, alors que les déboutés du droit d’asile sont beaucoup moins nombreux qu’outre-Rhin.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Et vous trouvez cela satisfaisant ?

M. Jean-Yves Leconte. Pour progresser sur ce sujet, il faut d’abord améliorer les délais : il est quand même beaucoup plus difficile d’obliger une personne à quitter le territoire après deux ans de présence qu’après quelques mois ! Et c’est toute la raison d’être de ce texte.

Gardons-nous des annonces, surtout de celles qui provoqueraient des difficultés sur le plan administratif ! Gardons-nous d’emprunter à d’autres pays des dispositions qui fonctionnent moins bien que le système actuellement appliqué en France !

Il y a sans doute beaucoup de choses à faire. En tout cas, ce qu’il faut éviter, c’est afficher qu’un demandeur d’asile débouté cesse d’être un être humain, et que ses droits sont même moindres que ceux de quelqu’un qui est en situation irrégulière sur le territoire ! Faisons preuve de sang-froid et misons sur les délais et le droit pour résoudre ce problème

C'est la raison pour laquelle je vous demande solennellement, mes chers collègues, d’adopter les amendements de suppression de la disposition en cause, dont le maintien changerait vraiment l’esprit du texte, le transformant en un produit d’annonce politique, ce qui ne serait pas convenable.

M. le président. La parole est à M. le ministre, pour défendre l’amendement n° 238.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il faut aborder ce sujet avec le plus grand pragmatisme en fonction des objectifs que nous nous sommes assignés, qui sont au nombre de trois.

Premier objectif : raccourcir les délais de traitement de la demande d’asile, afin d’humaniser la procédure. En l’état actuel des choses, ces délais sont de vingt-quatre mois, ce qui place les demandeurs d’asile dans une situation de très grande vulnérabilité et de précarité.

En réduisant ces délais, nous avons également la volonté de faciliter le processus de reconduite à la frontière de ceux qui ont été déboutés du droit d’asile. En effet, plus le délai de traitement de la demande est court, plus la reconduite dans des conditions humanisées est possible. Et il n’y a pas de soutenabilité de l’asile – il n’y en a pas, ce n’est pas vrai ! – si les personnes qui sont déboutées du droit d’asile et qui n’ont pas la possibilité de relever du séjour en France pour d’autres motifs ne sont pas reconduites à la frontière !

Deuxième objectif, qui, j’en suis convaincu, rassemble une très large majorité des membres de cet hémicycle pour avancer ensemble par-delà ce qui peut nous séparer : faire en sorte que l’asile reste conforme à la tradition de la France. J’ai entendu les propos de Roger Karoutchi, qui s’est beaucoup exprimé au nom de son groupe au cours des derniers jours, j’ai entendu les orateurs des groupes écologiste, socialiste, communiste républicain et citoyen. Certes, nous avons des visions différentes de la politique migratoire, mais je crois que nous sommes tous attachés à ce que l’asile reste conforme à la tradition de notre pays. Et c’est parce que nous voulons qu’il en soit ainsi que nous souhaitons qu’il fonctionne correctement. Donc, ne politisons pas à l’excès ce débat !

Troisième objectif : traiter cette question avec la plus grande rigueur intellectuelle et juridique. Or Valérie Létard a choisi de présenter son amendement et d’exposer ses motivations de cette façon. C’est là la bonne manière d’aborder ce sujet ! Il s’agit non pas d’instrumentaliser celui-ci à des fins d’annonces ou de positionnements politiques, mais de faire en sorte d’humaniser les choses.

C’est dans cet état d’esprit que je veux présenter l’amendement du Gouvernement. Si je suis défavorable à l’amendement adopté par la commission des lois lors de ses travaux, c’est pour deux raisons très simples.

D’abord, la disposition qui en est issue ne fonctionne pas, car elle pose énormément de problèmes sous l’angle juridique.

Ensuite, et c’est une raison qui devrait nous mobiliser collectivement et nous permettre de trouver un accord, eu égard à la complexité juridique des procédures que cette mesure créerait, le dispositif de reconduite des déboutés du droit d’asile serait si compliqué que l’OQTF ne serait pas exécutable. Autant dire que la commission atteindrait un objectif exactement inverse à celui qu’elle s’était fixé !

L’amendement n° 238 a pour objet de supprimer la disposition introduite par la commission des lois conférant, « sauf circonstance particulière », à une décision définitive de rejet de l’OFPRA le caractère d’une OQTF.

Cette proposition a été examinée avec une grande attention par mes services. Or l’étude que ceux-ci ont menée – je me réfère notamment à un rapport demandé à l’Inspection générale de l’administration, l’IGA, qui prouve que nous avons étudié le dossier, que nous ne sommes pas du tout butés, bornés ! – a révélé que la mise en œuvre de cette mesure était soit juridiquement soit opérationnellement très complexe pour au moins trois raisons qui ont conduit le Gouvernement à l’écarter.

Tout d’abord, première raison, ce serait – vous l’avez dit, madame Létard – un mélange des genres entre l’appréciation du bien-fondé d’une demande d’asile – laquelle est du ressort exclusif de l’OFPRA, le cas échéant de la CNDA – et l’appréciation du droit au séjour qui relève, elle, de la compétence préfectorale.

Je voudrais poser des questions très simples : qui serait juge de la « circonstance particulière » justifiant qu’un débouté du droit d’asile se maintienne sur le territoire ? L’OFPRA ? Je ne le crois pas. La CNDA ? Je ne le sais pas. En tout cas, légalement, aucune de ces autorités n’a accès aux éléments que le demandeur d’asile pourrait faire valoir en matière de séjour en France et aucune n’est compétente pour les apprécier. Examiner si un étranger a été persécuté dans son pays d’origine et apprécier si sa situation, par exemple, familiale en France, justifie qu’il ne soit pas éloigné sont deux missions totalement différentes, qui ne relèvent pas des mêmes instances et des mêmes compétences.

Ensuite, deuxième raison, alors même que la demande d’asile est finalement rejetée, la situation du demandeur a pu connaître des changements tels qu’il peut prétendre à un titre de séjour pour un autre motif – professionnel, familial, lié à la santé… Quel serait alors – je pose la question aux auteurs de l’amendement adopté par la commission des lois – le fondement de l’OQTF, qui, à peine prononcée, serait déjà illégale ? Dans une telle circonstance, des conditions matérielles nouvelles ouvrant un droit au séjour, l’OQTF prononcée au terme du refus de l’asile devient immédiatement illégale. Faudrait-il alors aller devant le juge administratif pour faire annuler cette décision ?

Surtout, troisième raison, la mesure adoptée par la commission des lois est beaucoup plus compliquée que le droit actuel et va à l’encontre des objectifs de simplification et de réduction des délais visés par le Gouvernement.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour garantir un recours contre cette OQTF automatique, la commission des lois, qui a bien vu qu’il y avait un loup dans cette affaire, a proposé qu’elle soit contestable devant le juge administratif. Cela a été précisé, le recours sera suspensif dès lors qu’il est ouvert devant le juge administratif. C’est – les services du ministère de l’intérieur avaient d’ailleurs appelé mon attention sur ce point – le seul moyen de faire en sorte que la disposition soit conforme à tous les principes de droit constitutionnel et conventionnel qui nous obligent devant les plus hautes instances.

Et dès lors tout devient extraordinairement compliqué dans ce dispositif ! Le demandeur d’asile débouté est placé sous OQTF automatique, qu’il contestera devant le tribunal administratif – écoutez bien, mesdames, messieurs les sénateurs ! –, lequel deviendra en quelque sorte juge de la CNDA, ce qui est tout de même totalement baroque ! Car cela signifie qu’on va saisir le juge administratif pour contester une décision d’OQTF alors que la CNDA joue le rôle que l’on sait. C’est juridiquement baroque et abscons !

Cette OQTF, pour être juridiquement exécutoire aux termes de la directive Retour, devra être impérativement complétée par d’autres décisions. Ces dernières doivent être prises par le préfet après un examen individuel de la situation de l’étranger – le délai de départ, volontaire ou non, la décision fixant le pays de renvoi, l’interdiction de retour sur le territoire français, qui appelle, là encore, une appréciation au cas par cas, ainsi que d’éventuelles mesures de surveillance. Dans tous les cas, c’est au préfet d’agir. Ce nouvel arrêté préfectoral devra être systématiquement pris et pourra lui aussi faire l’objet d’un recours contentieux.

Bref, pour une même procédure, par laquelle la commission prétend tout simplifier, la rédaction retenue entraîne l’intervention de deux autorités distinctes, deux recours contentieux successifs devant la juridiction administrative, l’un contre l’OQTF résultant du rejet de la demande d’asile, l’autre contre les mesures prises par le préfet pour rendre l’OQTF exécutoire ! Bonjour la rapidité en matière de reconduite à la frontière ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Moi, je suis cohérent : dès lors qu’une personne n’a pas accès à l’asile, je veux qu’elle puisse être reconduite à la frontière. J’avais compris que la commission partageait cette préoccupation. Or, s’il était adopté, le dispositif proposé aboutirait à un résultat exactement inverse. Outre qu’il n’apporterait rien en termes de simplification des procédures d’éloignement, il rajouterait des délais et une charge pour les tribunaux administratifs du fait de ce double recours possible.

Le Gouvernement a écarté cette proposition pour des raisons non politiques, mais juridiques, qui tiennent à la cohérence entre le texte qu’il vous a soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, et les objectifs qu’il prétend atteindre.

L’objectif que je poursuis en l’espèce est d’ailleurs tellement peu politique et je suis tellement attaché à la performance du droit et à l’efficacité du dispositif que je retire l’amendement n° 238 au profit de celui de Mme Létard.

Cela montre bien que nous ne traitons pas du tout d’un sujet à caractère politique ! Il s’agit d’une question de droit, d’un sujet républicain, à propos duquel nous devons faire preuve de la plus grande rigueur. J’adhère totalement à la démarche de Mme Létard qui est la bonne, car elle a la rigueur intellectuelle et juridique qui s’impose.

J’espère vous avoir convaincus du fait que la disposition en cause va dans une très mauvaise direction pour des raisons de droit qui n’ont rien à voir avec des considérations politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. L’amendement n° 238 est retiré.

Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 76 est présenté par M. Leconte, Mme Tasca, M. Sueur, Mme Jourda et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'amendement n° 239 est présenté par le Gouvernement.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 18

Remplacer les mots :

ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre et

par les mots :

et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre

La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour défendre l'amendement n° 76.

M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement de cohérence vise à remettre en question la modification opérée par la commission, laquelle revient à ignorer le fait qu’un individu débouté de la demande d’asile puisse se maintenir sur le territoire national pour des raisons autres que celles qui ont motivé sa demande, notamment sa situation familiale ou son état de santé.