Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire de l’université des Antilles et de la Guyane n’a jamais été un long fleuve tranquille, à l’image du parcours chaotique du présent projet de loi.

Dès sa création en 1982, l’UAG a été amenée à composer avec plusieurs territoires, aux identités et aux spécificités propres, qui ont multiplié les interventions fléchées, afin de ne prendre en charge que les opérations bénéficiant directement à leur territoire.

Dès son origine, l’établissement a donc été confronté à un balancement permanent entre des logiques d’affirmation territoriale et une volonté de coopération fonctionnelle des territoires dans le cadre d’un projet universitaire unitaire.

L’université des Antilles et de la Guyane s’organisait comme un établissement tricéphale, dont les différents pôles territoriaux étaient historiquement marqués par une très forte spécialisation pédagogique : formation littéraire, juridique et économique en Martinique, scientifique en Guadeloupe et technologique de courte durée en Guyane.

Cette concurrence constante, renforcée par la répartition territoriale des sièges de l’établissement en Martinique et en Guadeloupe ainsi que par la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », a conduit à l’instauration d’un équilibre fragile entre les trois pôles universitaires ultramarins.

Ainsi, la Guyane a toujours rencontré des difficultés à affirmer son rôle et sa place dans le processus décisionnel concernant les orientations stratégiques de l’établissement.

L'absence de présidence guyanaise de l'université en trente ans d'existence, d’une part, le développement d'une offre de formations supérieures de plus en plus pluridisciplinaires en Guadeloupe et en Martinique au détriment de la Guyane, d’autre part, ont contribué à renforcer le profond sentiment d'injustice de la population guyanaise. Un vaste mouvement de grève a débuté le 8 octobre 2013, déclenchant une crise sans précédent dans l'histoire de l'établissement.

Cette situation exceptionnelle a conduit à nommer une administratrice provisoire en lieu et place de la gouvernance élue du pôle de Guyane. Le décret du 30 juillet 2014, pris en concertation avec les acteurs concernés, a mis fin à cette laborieuse entreprise en créant un établissement guyanais autonome. Toutefois, l'existence juridique de l'établissement antillais devait perdurer jusqu'au 1er janvier dernier, sans tenir compte de cette scission.

C'est ainsi que le pôle guadeloupéen, craignant de devenir une micro-université aux moyens et à l'ambition réduits, a, lui aussi, connu son lot de grèves au mois de mars 2014. L'ordonnance de juillet 2014, qu'il nous est proposé de ratifier par l’adoption du présent projet de loi, répond à cette préoccupation en préservant un établissement antillais unique composé de deux pôles territoriaux, l’un martiniquais, l’autre guadeloupéen, disposant d’une autonomie véritable.

Ce sujet a particulièrement mobilisé le Sénat, notamment Dominique Gillot et Michel Magras – je souhaite saluer leur travail –, qui ont rédigé le rapport d'information sur l’avenir universitaire aux Antilles et en Guyane, lequel a largement inspiré le présent projet de loi ; cela témoigne d’ailleurs une nouvelle fois de l'utilité et de la sagesse des travaux de la Haute Assemblée.

La composition et le mode de fonctionnement des instances de décision de l’université évoluent pour améliorer la performance de l’établissement et le rendre plus opérationnel, grâce à une représentation plus juste et équilibrée des deux pôles permettant d’assurer une certaine équité. Toutefois, madame la ministre, force est de le constater, les mesures prises s'inscrivent dans une logique confirmant la vocation régionale et de proximité de cette université. Or cela n'est pas sans conséquence sur l'attractivité de ces territoires et sur leur avenir, alors même que ceux-ci jouissent d'un patrimoine historique, culturel et environnemental particulièrement riche qu'il convient de valoriser. Comme le déplore la présidente de l'université des Antilles et de la Guyane, seul un quart des bacheliers de ces territoires s'inscrit à l'université des Antilles. En outre, ceux qui ont la possibilité d'aller étudier en métropole ou à l'étranger ne reviennent que rarement, entretenant ainsi la reproduction des inégalités sociales.

Madame la ministre, mes chers collègues, l'université des Antilles est la seule université francophone de cette partie du globe, où elle fait concurrence à l'université des Indes occidentales, qui accueille les étudiants de dix-sept États et territoires anglophones.

Il convient donc de saisir l’opportunité qui nous est offerte pour créer l'université des Antilles sur des fondements sains et de veiller à ce qu’elle se traduise par le renforcement des moyens de cet établissement et par la définition d'une stratégie commune, destinée à assurer le rayonnement national et international de celui-ci, lequel passera par le biais de conventions et de partenariats avec les grandes écoles et universités françaises et étrangères.

En effet, l'excellence universitaire est indissociable du développement économique de ces territoires et de l'insertion sociale et professionnelle de leur jeunesse. Elle constitue un outil de développement de l'égalité des territoires à laquelle le groupe du RDSE est profondément attaché.

Un seul point sème la discorde entre les deux chambres et entrave l'adoption rapide du présent projet de loi. Alors que le Sénat a adopté le principe d'une élection groupée, par le conseil d'administration, du président et des deux vice-présidents – système soutenu par l'actuelle présidente de l'université des Antilles –, l'Assemblée nationale a réintroduit le mode d'élection actuel, qui ne permet pas au conseil d'administration de se prononcer sur la désignation des vice-présidents. Nous regrettons que les deux assemblées n'aient pu s'entendre pour parvenir à un texte identique.

Si la loi peut créer des conditions favorables à une coopération entre pôles, elle ne pourra pas, à elle seule, apaiser les tensions locales qui ont fini par atteindre le Parlement au détriment de l'intérêt de cette réforme attendue. C'est la raison pour laquelle le groupe du RDSE, qui regrette l'impossibilité d'un vote conforme à ce stade mais soutient pleinement la volonté de doter l'université des Antilles des moyens juridiques destinés à éradiquer les blocages originels, préfère s'abstenir sur le présent projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne m’appesantirai pas sur les turbulences qui agitent l'université des Antilles. Nous avons en effet encore à l'esprit l'enquête judiciaire pour détournement de fonds dont l'université a fait l'objet, de même que les sanctions prises à l'encontre du directeur du Centre d'étude et de recherche en économie, gestion, modélisation et informatique appliquée et de son adjoint, ou encore les révélations de Mediapart qui ont associé à cette affaire les noms de MM. Victorin Lurel et Serge Letchimy.

Je ne porterai pas de jugement sur ces soupçons ; les étudiants doivent être notre seule priorité. Leur exaspération causée par l'attente de la ratification de l'ordonnance est palpable ; cette situation n'a que trop duré, et nous le savons tous ! Madame la ministre, tout comme mes collègues présents dans cet hémicycle, je souhaite que nous parvenions à un accord en bonne intelligence avec l'Assemblée nationale et que les députés acceptent la démarche de travail responsable du Sénat qu’il conservera jusqu'au bout.

En première lecture, nos travaux avaient abouti à une réforme technique de bon sens : l’instauration d’un ticket réunissant trois candidats pour la désignation, par le conseil d'administration de l'université, du président de l'université et des vice-présidents des pôles régionaux. Cette mesure résultait d'une réflexion approfondie et consensuelle ; la preuve en est que le texte avait été adopté à l'unanimité dans notre chambre, les sénateurs communistes s'étant abstenus. Or ce travail a été sapé lors de la première lecture à l'Assemblée nationale en séance, puis en commission mixte paritaire.

Avant de revenir sur la formule du ticket qui est à l'origine du désaccord, il me paraît nécessaire de rappeler les conditions dans lesquelles cette disposition a été supprimée par l'Assemblée nationale.

La commission des affaires culturelles et de l’éducation de celle-ci, sous la houlette du rapporteur, M. Premat, avait dans un premier temps adopté les dispositions de notre texte. Dans votre excellent rapport, monsieur Grosperrin, vous confiez même que vous aviez entretenu « un dialogue constructif avec le rapporteur initial de l'Assemblée nationale ».

Ce n'est donc qu'aux termes de débats agités en séance publique que les députés ont choisi, dans un deuxième temps, de voter les amendements du Gouvernement et de M. Lurel visant à supprimer le dispositif que nous avions introduit. Notons, mes chers collègues, que M. Premat, écœuré par cette volte-face, a démissionné de ses fonctions de rapporteur. Pour la commission mixte paritaire et la nouvelle lecture, il a été remplacé par le député Durand, qui a probablement été jugé – je le prie de m'excuser par avance pour l'emploi de cette épithète – plus malléable… (Mme Maryvonne Blondin et M. Serge Larcher protestent.)

Comme M. Grosperrin le décrit très bien dans son rapport, cette pression malsaine a continué de s’exercer, dans un troisième temps, en commission mixte paritaire, qui n'a donc pas donné lieu à un accord puisque les députés ont maintenu la suppression du ticket. Enfin, dans un quatrième temps, les députés ont conservé leur position en nouvelle lecture.

À la lecture de votre rapport, monsieur Grosperrin, votre exaspération face à la pression exercée à l'Assemblée nationale est perceptible, et je la partage. Nos collègues députés du groupe UDI n'ont pas accepté qu'un accord politique entre le Gouvernement et les élus locaux des Antilles l'emporte sur l'appréciation souveraine du Parlement. Nous ne l'accepterons pas non plus. C'est en effet bien de cela qu’il s'agit : de considérations politiciennes ! Il faut souligner que les élections régionales prochaines constituent un excellent moyen de pression sur les présidents des conseils régionaux de la Guadeloupe et de la Martinique que sont respectivement MM. Victorin Lurel et Serge Letchimy… (M. Serge Larcher proteste.)

En donnant satisfaction à M. Lurel, le gouvernement dont vous êtes membre, madame la ministre, s'est placé dans une position bien délicate. Alors que les commissions des deux chambres s'étaient mises d'accord sur le même texte, c'est lui qui a choisi de modifier la donne en soutenant un amendement dont l’adoption n'a fait que détricoter les fruits de ce travail commun et réfléchi.

Madame la ministre, que répondez-vous à ces étudiants qui manifestent en Martinique et en Guadeloupe, attendant que leur université redémarre sur des bases saines ? Que leur répondez-vous quand ils scandent des slogans tels que « université dépecée, jeunesse bousillée » et qu’ils interpellent des politiques en leur reprochant de ne rien faire ?

Nous, au Sénat, leur répondons ; et nous leur proposons un nouveau mode de gouvernance ayant la capacité de garantir la cohérence stratégique et la stabilité de l'établissement à long terme. Au Sénat, nous plaçons en effet l'intérêt général et celui des étudiants ultramarins au-dessus – excusez-moi d’utiliser cette expression – de magouilles politico-politiciennes. Ce qui nous importe, c'est d'établir une stratégie qui serve l'université, ses étudiants et ses enseignants. Or, j’y insiste, la formule du ticket n’a pas été sortie du chapeau ! Elle résultait des multiples auditions menées par M. le rapporteur et des travaux de Mme Gillot et de M. Magras, qui préconisaient cette formule dans un excellent rapport publié l’an dernier.

Mes chers collègues, on ne construit pas l’avenir sans tirer les leçons du passé. Or le mode de désignation prévu par l'ordonnance aux termes de la version retenue par l'Assemblée nationale ne fait que perpétuer un mode de gouvernance déjà à l'œuvre aujourd'hui : une méthode non opérationnelle et dont la scission du pôle guyanais illustre l'échec.

Dans les faits, les conseils consultatifs de pôle désignent déjà leurs vice-présidents. Le président de l'université n'a jamais pu faire de réelle proposition pour ce qui concerne la désignation des vice-présidents de pôle et le conseil d'administration s'est jusqu'à présent contenté de valider le choix des conseils consultatifs. Or l'échec de ce système est manifeste !

C'est cette absence de cohérence stratégique entre les vice-présidences de pôle et la présidence qui a miné l'université des Antilles et de la Guyane. C'est cette incapacité du président à établir un projet fédérateur avec ses pôles qui a conduit à l'échec et qui explique en grande partie la scission du pôle guyanais, régulièrement désavantagé et légitimement écœuré, qui a préféré faire le choix de la scission.

L'Assemblée nationale veut reproduire ce système, qui plus est en l'aggravant, puisque, d’une part, elle refuse au président tout pouvoir de proposition en matière de désignation des vice-présidents de pôle et, d’autre part, elle empêche le conseil d'administration de se prononcer sur ces désignations.

Dans un système de fonctionnement désormais fortement décentralisé et au sein duquel les pôles sont dotés de compétences propres, l'établissement universitaire a plus que jamais besoin d'un mode de gouvernance capable de conduire un projet fédérateur Or, nous en sommes convaincus, seule une confiance forte entre le président de l'université et les vice-présidents de pôle permettra à l'établissement de construire et de faire vivre ce projet ambitieux, fondé sur une coopération fructueuse et des mécanismes de mutualisation opérationnels.

Comme je l'ai indiqué en introduction, le Sénat doit faire son travail jusqu'au bout et refuser tout compromis fondé sur des considérations politiciennes qui ignorent une solution de bon sens.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC ne votera pas votre amendement, madame la ministre, car son adoption remettrait en cause la version que le Sénat avait adoptée à l'unanimité en première lecture. Au contraire, le texte proposé par M. le rapporteur et la majorité de la commission offre un mode de gouvernance adapté aux spécificités des Antilles tirant les leçons du passé et jetant les bases d'un avenir stable et pérenne pour le nouvel établissement des Antilles. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’ordonnance visant à créer l'université des Antilles aurait dû être transposée dans la loi au mois de janvier dernier. Nous voilà pourtant en nouvelle lecture du projet de loi visant à la ratifier, après un désaccord avec l'Assemblée nationale et l’échec de la commission mixte paritaire liés à une précision législative relative à la gouvernance unifiée introduite par la Haute Assemblée.

D'où viennent ce désaccord et ce ralentissement du processus ? Du pas de côté effectué par rapport au principe de l'autonomie des universités, sous l'ardente influence d'élus locaux, et qui conduit à une forme de régionalisation de l'enseignement supérieur et de la recherche antillais, que se disputent les entités locales, pour lesquelles l'université est un totem. Or il faut, au contraire, affirmer la construction d'une grande université des Antilles multi-sites, pluridisciplinaire, rassemblée autour d’une stratégie d'établissement de taille significative, afin d’attirer des professeurs et des enseignants-chercheurs de haute distinction et de donner envie aux lycéens de rester au pays pour poursuivre des études ambitieuses.

Depuis des années, une rivalité mine les relations au sein de l'université des Antilles et de la Guyane ; elle a conduit au détachement du pôle guyanais au mois de décembre 2013.

Nous avons uni nos interventions vertueuses pour défendre l'enseignement supérieur et la recherche et pour garder et solidifier l'unité de ce qui doit dorénavant constituer l'université des Antilles. Celle-ci doit être tournée vers les Caraïbes et offrir à cette jeunesse décentrée de l'Hexagone les mêmes chances de réussir et de servir le développement de son territoire que les établissements métropolitains, qui font assaut d'attractivité.

Les différentes collectivités s’honorent d’un soutien financier visible pour la qualité des différents sites, le développement de filières d’enseignement, voire de secteurs de recherche en lien avec les intérêts du territoire ; des élus interfèrent dans la gouvernance de l’université ; des cabales sont entretenues ; la communauté universitaire se déchire régulièrement ; la présidente de l’université est menacée, épuisée par les harcèlements divers ; et aujourd’hui, l’université fonctionne sur des statuts provisoires, non sécurisés juridiquement - c’est le recteur qui a décidé du budget 2015.

Alors, comment en finir ?

Continuer de défendre ce que nous, au Sénat, jugeons bon pour l’université des Antilles, et se faire battre, à nouveau, dans quelques semaines, par l’Assemblée nationale ?

Admettre que les influences locales sont les plus fortes, espérer que l’enseignement supérieur et la recherche ne seront pas régionalisés, et donner, le plus rapidement possible, à l’université des Antilles une chance d’avoir, enfin, les statuts qui lui permettront de mettre en place ses instances légales pour la rentrée universitaire prochaine ?

Ne plus batailler, pour ne pas nourrir les polémiques locales, facteurs de désordre, pour ne pas desservir l’université des Antilles, ses étudiants, ses professeurs, ses enseignants-chercheurs, en prolongeant l’attente jusqu’au cœur de l’été ?

Vous l’aurez compris à ces questions, je ne propose pas de soutenir l’amendement de notre rapporteur. Jacques Grosperrin a pourtant effectué, tout comme Christophe Prémat, premier rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, un excellent travail d’écoute, d’analyse et de compréhension du contexte.

Je continue cependant de douter de la cohérence d’une gouvernance à trois têtes, élues de façon distincte et sans lien préalable.

La proposition du Sénat que j’avais soutenue en première lecture - elle-même issue du rapport que j’avais cosigné en avril 2014 - garantissait à mes yeux la recherche d’un accord en amont, tout en respectant l’agrément de chaque vice-président par son pôle.

Si les trois désignations sont totalement indépendantes, et que rien n’oblige à responsabiliser cette gouvernance à trois têtes par un engagement commun devant une instance commune, comment alors pourra être gérée, animée, valorisée et développée cette université ?

Or l’enjeu est bien de garantir l’unité de l’université des Antilles.

J’avais écouté attentivement, et j’ai relu avec la même attention, la déclaration de Geneviève Fioraso, alors secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche, relative à l’amélioration apportée par le Sénat aux modalités de l’élection de la présidence : « Ces dispositions diffèrent très sensiblement […] de la position exprimée par les collectivités locales concernées. Dans une prise de position publique datée du 7 juillet 2014 et cosignée par les présidents des conseils régionaux et des conseils généraux de Martinique et de Guadeloupe, ces derniers ont expressément indiqué leur souhait de voir figurer dans le texte législatif le principe d’élection libre des vice-présidents par les conseils de pôle. »

Puisque les élus locaux ont « expressément indiqué leur souhait », affirmé en une volonté sans partage depuis, et considérant que la récente visite présidentielle a confirmé bien des attentes locales, je conseille au Sénat, mes chers collègues, de se référer aux propos conclusifs du Président de la République :

« Vous avez voulu l’université des Antilles. La marche est compliquée. Il y a toujours des compétitions, des concurrences… Elles n’ont plus lieu d’être, quand il s’agit de former les jeunes, de leur donner l’excellence, de les faire réussir, et on ne saurait encore être en train de négocier cette partie-là contre cette partie-là !

« Vous avez le devoir de faire vivre dans l’unité, dans le rassemblement, l’université des Antilles. »

Alors, ne perdons plus de temps ! L’Assemblée nationale aura le dernier mot. À nous ensuite de réunir les meilleures intentions pour réussir l’université des Antilles dans le rassemblement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE et de l’UDI-UC. - M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les territoires ultramarins méritent, plus encore que les autres, des pôles universitaires de qualité. C’est une nécessité d’autant plus impérieuse que la situation sociale et économique des jeunes y est plus précaire qu’en métropole, ce qui les conduit nombreux à poursuivre leurs études dans nos universités métropolitaines ou, pour ceux qui ne peuvent pas s’y rendre, à ne jamais connaître l’enseignement supérieur.

De surcroît, environ la moitié des jeunes ultramarins poursuivant leurs études en métropole ne reviennent pas, ensuite, vivre et travailler dans nos territoires. Ce fait, couplé au vieillissement de la population, conduit inévitablement à une dégradation démographique de ces territoires et y entretient un climat économique morose.

De fait, je pense que nous serons tous d’accord sur le constat : une université des Antilles et de Guyane fonctionnant correctement ne peut qu’être bénéfique. Tout d’abord, elle permettrait de former les jeunes qui, faute de moyens, ne pourraient pas aller en métropole. Elle constituerait aussi un levier essentiel de redynamisation de l’ensemble de nos territoires ultramarins.

Une fois ce constat posé, observons de manière lucide la situation.

Des dysfonctionnements structurels ont entraîné, à tout le moins, une forme d’agacement. Et l’agacement est devenu rancœur, qui a elle-même conduit à une implosion de l’université. Ainsi, cette dernière s’est révélée incapable de garantir l’unité de l’établissement autour d’objectifs partagés et fondés sur des orientations stratégiques fortes tant politiques que budgétaires.

La crise s’est soldée, en 2013, par une fracture de l’édifice universitaire tripolaire des Antilles et de la Guyane : le pôle guyanais en est parti, et le Gouvernement a pris acte de ce départ.

Voilà le contexte dans lequel intervient ce projet de loi. Car, si, sur la forme, notre critique du recours à l’ordonnance est inchangée, nous devons ici attacher une importance particulière au contexte, qui, en l’occurrence, impose que l’on remette au plus vite sur de bons rails une université capable de servir ces territoires et leur population.

Le débat qu’il nous faut conclure aujourd’hui est, au fond, relativement simple : comment permettre à cette université d’avoir une structure fédérale pérenne tout en préservant une certaine autonomie de chacun des pôles ?

La future gouvernance de l’université constitue le principal enjeu de ce débat. L’élection du président de l’université par le biais du système dit de « ticket à trois » nous semble être une solution efficace pour sortir de la crise. C’est pourquoi nous aurons des difficultés à soutenir l’amendement du Gouvernement, madame la ministre, qui vise à assurer l’élection des présidents de pôle par les pôles eux-mêmes.

Si on peut louer cet accès de démocratie, il ne nous paraît pas pour autant souhaitable que les présidents de pôle, membres de droit du bureau de l’université, ne soient pas élus par le conseil d’administration de ladite université. Non seulement cela pose une question de démocratie et de pouvoir décisionnel pour le conseil d’administration, mais, de surcroît, cela constitue une nouvelle entrave à l’instauration d’une dynamique commune.

Il nous paraît plutôt souhaitable de mettre en place ce « ticket à trois ». Les pôles seront mis à contribution en amont par les candidats à la présidence de l’université. Le futur président sera ainsi élu en même temps que les deux vice-présidents de pôle, afin de renforcer la stabilité et la cohésion de l’université.

D’autres dispositifs pourraient être mis en place pour permettre une certaine autonomie de chaque pôle : l’instauration en amont, par chacun des deux, d’une liste de trois noms pour la vice-présidence ; une alternance des pôles d’origine des présidents de l’université ; et, peut-être, d’autres mécanismes encore.

Comme je le disais à l’instant, permettre aux pôles d’élire les vice-présidents de l’université, et ce sans vote du conseil d’administration, revient à mettre un frein à l’unité de la direction de l’université et crée un dangereux précédent : le conseil d’administration de l’université ne serait plus décisionnel quant à la composition du bureau universitaire.

Le même déni de démocratie se retrouve aussi ailleurs et la question est rarement abordée : qu’en sera-t-il du mandat de l’actuelle présidente de l’université ? Élue démocratiquement par le conseil d’administration, sera-t-elle invitée à quitter sa fonction deux ans avant l’échéance de son mandat ?

Le groupe CRC estime que cette élection du président par le système du « ticket à trois » peut permettre la remise en dynamique de l’université, ainsi que le retour à la cohésion et à la synergie entre les pôles.

Cependant, la question de la gouvernance ne saurait, selon nous, expliquer à elle seule la crise et l’implosion que l’on a connues. De graves dysfonctionnements, notamment en matière budgétaire, ont conduit à la situation que nous connaissons. Il me faut ici rappeler très clairement que la globalisation du budget de l’université, conséquence directe de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », à laquelle nous nous étions fermement opposés, a renforcé ces tensions, avec la dilution des moyens spécifiques de chaque institut universitaire et des transferts déséquilibrés de moyens et de postes.

À titre d’exemple, entre 2008 et 2014, l’institut universitaire de technologie de Kourou a subi une baisse de 77 % de ses moyens, suscitant un sentiment d’injustice en Guyane.

Les attentes spécifiques de la communauté universitaire du pôle guyanais n’ont pas été prises en compte, en particulier s’agissant de la répartition des emplois, du fonctionnement des services communs et de la qualité des services étudiants, comme le sport ou la restauration universitaire.

La direction centrale de l’université, qui se trouve en Guadeloupe, s’est vu accuser de « capter » ou de « détourner » une partie des postes de Guyane, et de procéder à des affectations d’opportunité, non adaptées aux besoins pédagogiques du territoire.

Une nouvelle fois, en assurant non seulement une juste représentation des pôles, mais aussi une cohésion fédérale de l’université, on devrait pouvoir empêcher ces querelles de clocher et rendre aux pôles la place qui leur revient, en tant qu’entités membres volontaires d’un ensemble plus large, dont les composantes ne sont pas traitées en rivales, mais en partenaires équivalentes et solidaires. Nous y sommes tous attachés.

Le groupe CRC ne s’opposera donc pas à ce texte, qui constitue à ce jour une voie de sortie intéressante. Néanmoins, comme le projet de loi ne remet pas en question les difficultés de fond que j’ai signalées, celles qui avaient motivé notre attitude de première lecture, nous resterons cohérents avec la position que nous avions alors adoptée.