PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dépôt d’un document

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre l’avenant n° 2 à la convention du 28 septembre 2010 entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations relative au programme d’investissements d’avenir, action « ville de demain ».

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques.

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Indépendance et impartialité des magistrats ; justice du XXIe siècle

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi dans les textes de la commission

 
 
 

M. le président. Nous reprenons la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société et du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle.

Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Jacques Mézard. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, mon intervention concernera essentiellement le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, et je laisse à mon excellent collègue et ami Pierre-Yves Collombat le soin de s’exprimer sur le texte relatif à l’indépendance des magistrats, sujet qui lui tient tant à cœur.

Quelle belle ambition que de vouloir créer la justice du XXIe siècle !

« La justice est la première dette de la souveraineté », écrivait Portalis. La justice, nous le savons tous, doit être la plus proche possible des citoyens ; elle doit être plus accessible ; elle doit également, plus que jamais, être irréprochable. Si elle est rendue au nom du peuple français, ceux qui ont l’honneur de la rendre ne sauraient considérer qu’ils siègent sur un Olympe coupé des simples citoyens.

À l’ère de la démocratie numérique, son impartialité doit être entière, à la fois subjective et objective, afin que ses jugements ne puissent laisser planer le spectre d’une quelconque connivence, même supposée. D’ailleurs, en matière de transparence, rien ne justifie un traitement particulier pour les magistrats.

Le chantier de la justice du XXIe siècle n’est pas nouveau, comme en témoignent tous les rapports qui se sont succédé sur la question. Si le projet de loi apporte des débuts de réponse, nous ne pouvons que regretter le manque de moyens et d’actions concrètes au soutien de cette ambition, qui reste trop contingentée à l’intitulé du texte.

Pourquoi se contenter de réformes cosmétiques éparses et éviter deux questions fondamentales, c’est-à-dire celle des moyens humains et matériels, dont héritent d’ailleurs tous les gouvernements successifs, et celle de la non-exécution d’une proportion considérable de jugements qui apparaît comme un véritable fléau ?

Nous regrettons également que la réforme des juridictions commerciales ou celle des professions réglementées aient, par exemple, été amorcées par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de M. le ministre de l’économie.

Cela étant, diverses mesures de simplification sont mises en œuvre par le texte, notamment le transfert de l’enregistrement des PACS à l’officier d’état civil ou encore la dématérialisation des actes de procédure pénale effectués par les officiers de police judiciaire.

La plus importante de ces mesures qui est préconisée de longue date par de nombreux rapports est celle de l’attribution au tribunal de grande instance des compétences du tribunal des affaires de sécurité sociale et du tribunal du contentieux de l’incapacité, ainsi que de certaines compétences de la commission départementale d’aide sociale.

Concernant l’accessibilité de la justice, la création d’un guichet unique, dénommé « service d’accueil unique du justiciable », constitue pour nous une avancée certaine. Ce bureau permettra de simplifier les démarches d’information et d’aide juridictionnelle, avec d’autant plus d’efficacité que sa compétence s’étendra au-delà de celle de la juridiction où il est implanté.

Toutefois, à nos yeux, le projet de loi s’arrête rapidement au milieu du gué.

S’il est effectivement important de recentrer l’activité des tribunaux de grande instance sur les petits litiges civils de la vie quotidienne, le développement des moyens alternatifs de règlement des litiges ne constitue qu’un pis-aller. La déjudiciarisation ne doit pas avoir pour objectif unique de désengorger les tribunaux, les justiciables ayant des raisons valables de recourir à la force du jugement. Je suis de ceux qui considèrent, par exemple, qu’il ne peut y avoir de divorce sans juge, car il faut vérifier la réalité du consentement des parties et l’équilibre des mesures consécutives à la séparation.

Madame la garde des sceaux, selon les termes de l’article 829 du code de procédure civile, que l’on n’utilise pas suffisamment à mon goût, le juge est d’ores et déjà un conciliateur, avant que d’être un juge : « Devant le tribunal d’instance et la juridiction de proximité, la demande en justice est formée par assignation à fin de conciliation et, à défaut, de jugement, sauf la faculté pour le demandeur de provoquer une tentative de conciliation avant d’assigner. »

Aussi, à mon sens, il y a plutôt lieu de regretter la disparition, dans la formation des magistrats de proximité, à commencer par l’instance, de cette culture de la conciliation. La charge de travail est telle qu’il n’est plus possible de concilier et de réconcilier finalement les parties. Pour avoir un résultat réellement efficace, il conviendrait d’avoir plus de juges et plus de greffiers dans les tribunaux d’instance. Or, vous le savez, madame la garde des sceaux, plus d’une centaine de postes de magistrats sont vacants.

D’autres écueils rencontrés par la justice n’ont, par ailleurs, pas encore trouvé de solutions, faute d’une oreille attentive à la Chancellerie !

Les juridictions spécialisées se sont multipliées, ajoutant au peu de lisibilité de l’organisation judiciaire. Comme le faisaient d’ailleurs remarquer Virginie Klès et Yves Détraigne dans leur rapport de 2013, il n’y a pas toujours de correspondance entre un type de juridiction, le contentieux pour lequel elle est compétente et la nature de la procédure suivie en cette matière.

La collégialité est loin d’être la règle au sein du tribunal de grande instance, alors même que cette procédure se justifierait dans de nombreux contentieux complexes, faisant intervenir des intérêts majeurs pour nos concitoyens.

La question de la garde partagée, entre autres exemples, suscite encore un tel désespoir que certains pères croient bon de monter au sommet d’une grue pour faire valoir leurs droits de parent !

En matière pénale, la contraventionnalisation des délits de conduite sans permis de conduire ou sans assurance constitue, pour nous, un mauvais signal envoyé aux auteurs de ces infractions, même si j’en comprends la justification, au regard de la moyenne des sanctions prononcées. Néanmoins, les conséquences d’une telle mesure peuvent être graves pour la société.

A contrario, comme nous l’avons montré en faisant voter par le Sénat la proposition de loi de Gilbert Barbier, nous proposons de réprimer la première consommation de drogue illicite par une sanction proportionnée, facile à appliquer, donc effective, c’est-à-dire par une peine d’amende de la troisième classe, ce qui serait une mesure pédagogique.

Encore une fois, l’amélioration du fonctionnement de la justice passe par l’augmentation des moyens octroyés à cette mission. Vous avez su, madame la garde des sceaux, maintenir et même faire progresser le budget de la justice. Pour la première fois, il franchira l’an prochain le seuil symbolique des 8 milliards d’euros. Un tel montant, nous le savons, ne sera pourtant pas suffisant.

La justice du XXIe siècle, c’est également celle qui associe au mieux les différents acteurs, notamment les avocats. Je ne reviendrai pas sur la question de l’aide juridictionnelle, vous connaissez ma position. Il y a eu un conflit, je le crois, parce que la ponction sur les caisses des règlements pécuniaires des avocats était une mauvaise solution, même si elle avait pu être proposée par certains barreaux. À mon avis, il n’y aura pas d’issue en la matière sans recourir à des droits d’enregistrement et à des prélèvements sur les assurances de protection juridique, seuls moyens de préserver pour l’avenir l’aide juridictionnelle.

Voilà un certain nombre de points que les membres de mon groupe souhaitaient soulever. Soucieux du bon fonctionnement de la justice, nous avons déposé des amendements sur divers sujets qui traduisent notre vision d’une justice plus efficace et plus proche. Nous considérons que le cœur de l’action judiciaire doit rester dans les palais de justice.

Même si nous attendions plus et mieux, nous voterons ce texte, qui comprend un certain nombre d’avancées. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Madame la garde des sceaux, vous nous avez fait, en introduction de votre exposé liminaire, une description assez idyllique de l’état dans lequel se trouve la justice depuis votre arrivée au ministère. Je dois dire que c’est bien normal. En effet, si vous ne le faites pas, vous, personne ne le fera ! (Rires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Vous avez donc eu raison de vous tresser tous ces lauriers. Tout cela passera, comme tout passe ! Vous l’avez parfois fait habilement, trop habilement sans doute. S’agissant, par exemple, du nombre de recrutements de magistrats, vous avez utilisé tantôt les entrées à l’école, tantôt les sorties totales. En mélangeant le tout, l’image est plus jolie ! Mais je ne vous ferai pas cette petite querelle. Après tout, il est bien normal de se faire plaisir de temps en temps. Il y a tant d’ingratitudes dans les postes ministériels que l’on peut vous comprendre, et ce n’est pas facile que d’être ministre de la justice !

Mme Catherine Tasca. C’est certain !

M. Michel Mercier. Je serai moins gentil s’agissant de vos deux projets de loi. S’ils sont un peu anodins, ils ne sont pas inintéressants…

M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est déjà pas mal !

M. Michel Mercier. … et les deux rapporteurs nous ont invités à les voter, avec un certain enthousiasme, disant qu’ils ne faisaient pas de mal et apportaient même un petit quelque chose.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Quand même !

M. Michel Mercier. Ce qui est certain, c’est que la justice ne passera pas le XXIe siècle avec ce texte ! Donc, si l’on pouvait lui trouver un titre moins ambitieux, plus modeste, cela aurait le mérite de correspondre mieux à la réalité !

Ces deux textes, le projet de loi organique comme le projet de loi ordinaire, ont en commun d’afficher, et c’est très remarquable, d’excellentes intentions,….

M. Michel Mercier. … mais d’avancer des propositions qui, elles, le sont beaucoup moins.

Ainsi, vous nous dites qu’il faut à tout prix rendre le parquet indépendant. Pour ce faire, vous proposez de supprimer la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres. J’ai lu l’intégralité de l’étude d’impact, qui est très intéressante. Vous en convenez, la mesure ne va changer grand-chose, mais, encore une fois, cela fera plus joli. Je peux même ajouter que votre proposition permettra au conseil des ministres de gagner en efficacité puisqu’il économisera trente-deux secondes de délibération ! (Sourires.)

Mais tel n’est pas le vrai sujet, et nous le savons bien. Aussi ai-je déposé un amendement de suppression, pour le simple plaisir d’ouvrir un petit débat sur cette question. Après que nous en aurons discuté, je retirerai mon amendement parce qu’il y a une vraie raison à supprimer la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres. Je suis d’ailleurs très surpris que ni le Gouvernement ni les rapporteurs n’aient donné cette vraie raison, qui tient au bon fonctionnement des cours d’appel.

Autre exemple, un magistrat a pris une place très importante dans le fonctionnement de notre justice, je veux parler du juge des libertés et de la détention. En quelques années, son rôle est devenu central, essentiel, même, et je comprends que vous ayez voulu qu’il soit nommé par décret du Président de la République, à l’instar d’autres magistrats, qui occupent d’autres fonctions.

Simplement, je pense que la nomination de ces magistrats par décret bloquera le fonctionnement de certaines juridictions, les plus petites, notamment. Il en ira ici comme il en a été avec la création des pôles de l’instruction dans certains tribunaux, qui a fait disparaître l’instruction dans les plus petits tribunaux. Or l’office du juge des libertés et de la détention concerne au quotidien vraiment beaucoup de gens, bien plus que l’instruction ! Ainsi, la situation de tous les malades placés en hospitalisation d’office doit faire l’objet, tous les quatorze jours, d’une étude par le juge des libertés et de la détention.

Se pose un problème de proximité. Il faut, à mon sens, à la fois renforcer le juge des libertés et de la détention, j’en suis d’accord, et se rallier à la solution proposée par le rapporteur, car elle est meilleure.

Le projet de loi ordinaire contient une bonne mesure : le service d’accueil unique du justiciable. Cela, c’est très bien, il ne faut pas hésiter à le dire, même si on a oublié de préciser qu’il existait déjà dans certaines juridictions. (Mme la garde des sceaux fait un signe de dénégation.) Bien sûr que cela existe déjà ! Si vous le voulez, je vous emmènerai en visiter à Amiens et ailleurs, à Bobigny, par exemple.

Quoi qu’il en soit, vous allez rénover la façade, et nous ne pouvons que nous en réjouir, car ce sont des services essentiels. Cette mesure, nous la voterons.

Ce que je regrette, madame la ministre, c’est le sort réservé par votre projet de loi au tribunal de grande instance. Pour ma part, je suis favorable à une vraie réforme, qui serait la création d’un tribunal de première instance. Vous me direz que je n’avais qu’à le faire quand j’étais garde des sceaux d’un précédent gouvernement, ce à quoi je rétorquerai que la critique est un peu facile parce que vous ne le faites pas non plus !

Que la tâche soit difficile, je n’en disconviens pas ! Pourtant, ce que vous faites aujourd'hui, madame la garde des sceaux, c’est peut-être ce qu’il y a de pire, car vous déshabillez le tribunal d’instance en confiant au tribunal de grande instance des compétences du tribunal de police, telle l’indemnisation des préjudices corporels même inférieurs à 4 000 euros.

On ne peut qu’être d’accord avec cette mesure de simplification, mais on doit néanmoins se demander ce qu’il restera au tribunal d’instance, hors la conciliation ! Il faut s’interroger sur son rôle. Pourquoi ne pas aller au bout de la logique, jusqu’à la fusion ? Je regrette que vous ne le proposiez pas.

J’approuve l’extension des recrutements hors École nationale de la magistrature. Pour le personnel judiciaire, les principales modifications concernent les greffiers, dont le niveau de formation est aujourd'hui très élevé, équivalent au doctorat.

M. Michel Mercier. Voyez l’école de Dijon !

M. Pierre-Yves Collombat. Très bonne école !

M. Michel Mercier. Cela n’a plus rien à voir avec ce que nous connaissions quand nous étions nous-mêmes étudiants à la faculté. Aujourd'hui, les greffiers ont souvent bac + 4 ou bac + 5. Et heureusement, dans la mesure où vous proposez qu’ils puissent être nommés directement auditeurs de justice au bout de quatre ans.

Je ne critique pas, au contraire, je trouve cela très bien ! Ceux qui ont pratiqué pendant quatre ans des activités économiques ou juridiques - tel est bien le cas des greffiers – et qui ont des diplômes équivalant au doctorat pourront être nommés auditeurs de justice. Peut-être réglera-t-on ainsi la question du greffier juridictionnel d’une façon intelligente, chacun consentant des efforts.

En résumé, ces deux textes contiennent de bonnes intentions, des mesures qui restent parfois au milieu du gué – cela peut se comprendre. Pourquoi ne pas vous accompagner sur ce chemin, dès lors que le XXIe siècle connaîtra très naturellement, et très nécessairement, bien d’autres textes pour que nous aboutissions à la justice que souhaitent nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Madame la garde des sceaux, qu’on approuve ou non vos orientations, l’on s’accorde généralement à vous reconnaître une forte personnalité, et votre capacité à faire preuve d’une véritable audace. Et de l’audace, précisément, il en faut pour bâtir cette « justice du XXIe siècle » telle que vous l’évoquez dans le titre de l’un des deux projets de loi.

Malheureusement, je ne trouve pas assez la trace de cette audace dans les textes qui nous sont soumis.

Le projet de loi « relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats » contient certes – ici et là – quelques dispositions intéressantes, mais elles sont, à mon sens, très loin de l’ambition affichée. Que les procureurs généraux soient nommés non plus en conseil des ministres, mais par le garde des sceaux, quel bouleversement !

En réalité, le vrai progrès – le progrès nécessaire –, ce serait que les magistrats du parquet soient nommés, comme ceux du siège, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

C’est ce que le Sénat a voté il y a deux ans, alors que sa majorité n’était d'ailleurs pas la même qu’aujourd'hui. Lorsque vous avez lancé un processus de révision constitutionnelle sur le statut de la magistrature, vous avez interrompu l’examen du texte parce que le Sénat – avec beaucoup de sagesse – avait refusé de transformer la composition du Conseil supérieur de la magistrature.

Mme Catherine Tasca. C’était très sage, en effet !

M. André Reichardt. Or il y a un équilibre à respecter. L’avis du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des magistrats du parquet va, à mon sens, de pair avec un CSM dans lequel les représentants des magistrats ne sont pas tout-puissants. Sinon, on transforme la magistrature en une corporation qui ne rendrait de comptes qu’à elle-même. D’où viendrait alors sa légitimité ? Et que resterait-il des principes républicains ?

Le véritable courage, c’est précisément de savoir reconnaître que l’on s’est trompé. En l’occurrence, ce serait, pour le Gouvernement, de se rallier au texte voté en 2013 par le Sénat et de faire aboutir la procédure sur cette base.

En effet, le texte qui nous est soumis ne résout pas le problème qui nous est posé par la jurisprudence européenne. Déniant au procureur français la qualité de magistrat, la Cour européenne des droits de l’homme limite peu à peu sa capacité à effectuer certains actes d’enquête. Vous le savez, à tort ou à raison, la Cour de Strasbourg a plusieurs fois réitéré sa position : le procureur français ne présente pas les garanties d’indépendance exigées pour être qualifié de « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », au sens de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est cette situation qu’il faut corriger, car, à défaut, même les plus simples réquisitions du parquet risquent fort d’être un jour interdites et les actes d’enquêtes les plus quelconques annulées.

Le problème principal est bien là, et votre texte ne le résout pas. Tant que nous ne l’aurons pas réglé en instaurant l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, nous ne pourrons pas réussir cette rénovation de notre procédure pénale dont le besoin se fait sentir chaque jour.

Pour ma part, et dans l’attente de voir aboutir un processus de révision constitutionnelle sur ce sujet, je proposerai un amendement ouvrant la voie sur ce plan, en suggérant – c’est une proposition – qu’en cas d’avis défavorable du CSM à une nomination, un deuxième avis soit exigé, qui ne devra pas confirmer le premier à la majorité des deux tiers.

Quant au projet de loi « portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle », il a bien de la peine à justifier son titre tant il est loin de l’ambition affichée. C’est une grande étiquette sur une toute petite bouteille…

Il s’agit, dit-on, de rapprocher la justice du citoyen, de faciliter ses démarches. Qui ne serait pas d’accord avec cet objectif ? La mise en place de « guichets uniques » – formule le plus souvent utilisée – va certes dans ce sens, mais où est le véritable intérêt, si on en reste à un simple service d’accueil unique du justiciable et que ce qui se passe derrière est toujours aussi lent, aussi complexe, aussi incertain ?

La commission des lois ne s’y est pas trompée. Elle a suivi les recommandations du rapport d’information plusieurs fois cité sur la justice de première instance remis à l’époque par nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne, qui liaient la réforme du guichet universel de greffe à celle, aussi importante, de la mutualisation des greffes. Même si cela fait grincer certaines dents, la commission des lois a créé un article 13 bis organisant cette mutualisation et permettant au chef de juridiction de redéployer, au sein du ressort du tribunal de grande instance, les effectifs de greffe.

Il est également question de l’instauration de plateformes électroniques permettant de suivre son dossier en ligne. Tant mieux, même s’il ne faut pas trop se hâter de saluer ce progrès technologique dans la mesure où, semble-t-il, les logiciels nécessaires ne sont pas encore conçus ! Là aussi, à quoi sert-il de savoir en ligne où en est précisément son dossier si celui-ci n’avance pas, du fait de procédures trop lourdes ou de moyens insuffisants ?

Où sont ensuite, madame le ministre, les grandes évolutions concrètes attendues en matière de simplification de l’organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles ? Même avec une grosse loupe, on a du mal à les discerner !

Il est proposé de créer au tribunal de grande instance un pôle social qui regrouperait le tribunal des affaires de sécurité sociale et le tribunal du contentieux de l’incapacité, autrement dit le TASS et le TCI, ainsi que la partie des contentieux liée au droit à la protection sociale. Il est également proposé d’intégrer le tribunal de police au tribunal de grande instance plutôt qu’au tribunal d’instance, comme c’est le cas aujourd'hui, et de recentrer les juridictions sur leurs missions premières en les déchargeant de certaines autres tâches – en transférant, par exemple, aux mairies l’enregistrement des pactes civils de solidarité. Mes chers collègues, est-ce que ce sont bien là les attentes des justiciables, de nos concitoyens ?

À moins qu’il ne faille considérer comme un grand progrès de la simplification le déclassement des délits de conduite sans permis ou sans assurance en de simples contraventions ? Cela figure parmi les possibles mesures de simplification : étrange raisonnement !

Comme nous sommes incapables de traiter comme il le faudrait ce type de contentieux, nous le déclassons, afin de désencombrer les juridictions, sans prendre garde, M. Mézard l’a dit avant moi, au signal désastreux ainsi envoyé.

Reconnaissons pourtant que, si l’objectif final était de désencombrer les tribunaux correctionnels, le résultat serait remarquable. D’ailleurs, si tel est le cas, pourquoi s’arrêter là ? Il existe bien d’autres délits, aussi souvent commis, voire plus souvent encore, qui gagneraient à être ainsi déclassés pour libérer les tribunaux.

En réalité, des propositions de ce type, au-delà de leur caractère que je n’hésiterai pas à qualifier d’ubuesque, me paraissent graves, car elles illustrent une justice exclusivement centrée sur son propre fonctionnement et coupée des conséquences qu’il a sur la société.

Pardonnez-moi, madame le garde des sceaux, de me faire une autre idée de la justice du XXIe siècle : une justice qui serait délivrée, certes, des derniers vestiges à subsister çà et là du XIXe siècle, mais surtout des illusions du XXe siècle et des faiblesses qui l’ont conduite dans l’état où elle se trouve aujourd’hui.

Nos concitoyens ne se retrouvent plus dans la justice qui est censée être rendue en leur nom. Ils ne comprennent pas ses lenteurs et ses dysfonctionnements ; ses décisions leur semblent de plus en plus imprévisibles.

Ils constatent qu’elle n’inspire plus cette crainte salutaire qui dissuade de prendre le chemin de la délinquance. Ils observent que les victimes ont bien du mal à obtenir réparation. Ils voient les peines peu, mal, voire jamais exécutées, parfois réduites dès l’audience.

La justice est en train de perdre sa crédibilité !

Pour la lui rendre, il faut modifier la procédure pénale dans le sens de la simplification, du réalisme et de l’efficacité, ce qui est parfaitement compatible avec le haut niveau de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales garanti par notre Constitution.

En premier lieu, il ne faut pas hésiter à introduire des procédures nouvelles, gages d’efficacité et de sérieux dans la réponse pénale, à limiter les annulations de procédure pour des hypothèses de pure forme et à supprimer tous ces grains de sable qui laissent au citoyen l’idée que la procédure pénale pourrait n’être qu’une immense loterie.

En matière de simplification, il nous faut travailler à unifier les règles, à supprimer les incohérences, à sanctionner les recours abusifs et à n’imposer que le formalisme strictement nécessaire. En la matière, il y a tant à faire ! Combien de procès-verbaux de pure forme sont dressés avant de parvenir au premier acte de fond ! Combien d’heures sont ainsi perdues par tous : magistrats, avocats, parties au procès !

Nous devons aussi crédibiliser absolument le droit des peines ; il ne cesse d’évoluer, mais avec cette particularité que chaque réforme le complexifie davantage. Les magistrats se voient soumis à des injonctions législatives peu compréhensibles : condamnez ! condamnez encore ! Pour l’exécution, on en discutera… N’est-ce pas peu ou prou ce que dit la loi, quand elle prévoit la faculté d’aménager la peine dès l’audience ou encore des mécanismes automatiques de réduction de peines, même pour les récidivistes ?

Il faut en la matière revenir à la raison.

Pour ma part, avec quelques collègues, j’entends déposer, dès qu’elle sera prête, une proposition de loi portant réforme globale des procédures pénales qui irait dans cette direction. J’espère qu’au-delà des postures politiques l’aspect concret et technique de ces mesures pourra convaincre.

Pour l’heure, et seulement à titre d’exemple, j’ai déposé trois amendements visant à insérer des articles additionnels au texte sur la justice du XXIe siècle.

Le premier amendement a pour objet l’instauration d’un régime d’enquête nouveau et plutôt audacieux.

Le deuxième vise à redonner du sens au principe selon lequel il n’y a pas de nullité de la procédure sans grief.

Le troisième enfin, qui découle du simple constat de la pénurie d’interprètes durant les procédures, a pour objet de faciliter le recours à l’interprétation par téléphone, hors difficultés insurmontables.

En conclusion, il est patent que notre système judiciaire souffre de trop de faiblesses, de trop de carences ; il est urgent de les corriger sérieusement.

Malheureusement, nous n’en prenons pas le chemin, madame le garde des sceaux, avec les deux textes que vous nous présentez aujourd’hui, malgré diverses mesures en vérité utiles. Le décalage est trop grand entre l’ampleur de la réflexion préalable que vous avez menée, l’ambition des titres de vos projets de loi, et la réalité.

À mon sens, nous manquons ici une nouvelle occasion de rétablir la confiance entre nos concitoyens et la justice. Vous avez par deux fois mentionné la nécessité de restaurer cette confiance ; je crains pour ma part que nous n’ayons pas, avec ces textes, atteint l’objectif que vous vous fixiez, et je ne peux que le regretter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. Mme Françoise Férat applaudit également.)