M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer l’initiative du président Gérard Larcher, qui a proposé d’impliquer notre assemblée, via la contribution des sénatrices et des sénateurs, dans la lutte contre le dérèglement climatique.

Je voudrais également saluer le rôle qu’ont joué, concernant les sujets sur lesquels je suis intervenu, Jérôme Bignon, auteur de la présente résolution, et Jean-Marie Bockel, animateur des travaux préparatoires à l’élaboration du rapport Les collectivités territoriales s’engagent pour le climat.

Je ne partage pas les convictions politiques de la majorité sénatoriale ; il nous arrive pourtant, parfois – il est important de le souligner en ce jour historique de cohésion nationale –, de parler le même langage, et j’aurais pu cosigner les interventions de Chantal Jouanno et de François Grosdidier.

L’essentiel a été dit, s’agissant des positions écologistes, par Ronan Dantec et Marie-Christine Blandin. Je voudrais simplement insister sur un point qui me tient particulièrement à cœur, à savoir la préservation des sols. Nous avons demandé que soit mentionnée, dans la proposition de résolution, la capacité des sols à stocker naturellement le carbone. C’est chose faite – certes un peu timidement à mon goût – à l’alinéa 17. Pourquoi les sols ? Parce que les sols sont la matrice de l’agriculture, donc de l’alimentation ! C’est, depuis la nuit des temps – et, je l’espère, à jamais – la « terre nourricière » !

Or les sols sont aujourd’hui en danger. La FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, a procédé, pour la première fois en 2011, à une évaluation mondiale de l’état des ressources des terres de la planète.

Ses conclusions sont très préoccupantes, puisqu’un quart des ressources sont dans un état de dégradation extrême. Cette dégradation s’explique par la conjugaison de multiples facteurs : l’érosion, la perte de matière organique – notamment imputable aux pratiques productivistes issues de l’agrochimie –, le tassement de la couche arable, la salinisation et la pollution des sols, l’artificialisation.

J’espère donc que les conclusions de la COP 21 feront droit à l’idée de mettre en place une gouvernance mondiale de l’alimentation : il s’agit d’une nécessité vitale pour l’avenir.

Je conclus par un mot sur la suite de l’examen, après-demain, de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Je me suis permis – je sais que cela ne se fait pas – d’adresser une lettre ouverte à chacune et à chacun d’entre vous, pour vous inviter à voter ce texte.

Le choix reste ouvert de préférer la compétitivité de nos multinationales à la dignité des travailleurs des pays pauvres, mais, le cas échéant, il faudra l’assumer – c’est pourquoi, comme je vous l’ai annoncé, je demanderai, au nom de mon groupe, un vote par scrutin public.

Dans les circonstances présentes, je n’ose cependant croire – je suis même convaincu du contraire – que nous ne puissions trouver une majorité pour voter ce texte, toutes orientations politiques confondues. À la veille des élections régionales et de la COP 21, notre assemblée sortirait grandie d’un tel vote. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, du RDSE, du groupe CRC et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment peut-on encore douter du rôle déterminant des territoires dans la lutte contre le changement climatique ? C’est par cette question élémentaire que je souhaite commencer mon intervention.

Le « territoire », notion simple s’il en est, recouvre pourtant deux acceptions. La première – son étymologie nous l’apprend – désigne la terre et ses ressources, dont l’homme ne s’émancipera jamais.

La seconde acception, plus moderne, désigne le territoire sur lequel s’exercent une administration, un pouvoir, une souveraineté. Nous y trouvons la réponse au défi des changements climatiques.

Les pouvoirs publics – État et collectivités territoriales – et, de manière générale, tous les acteurs évoluant sur notre territoire, doivent en effet s’emparer à nouveau des enjeux de son aménagement.

Aménager un territoire, c’est organiser la place de l’homme dans son environnement ; c’est réfléchir à la répartition des lieux de production et des lieux résidentiels ; c’est rationaliser les transports, c’est encadrer l’exploitation des ressources.

Avant de me pencher sur les moyens que nous devrons mobiliser contre le changement climatique, et donc de participer à l’échange que nous propose d’avoir notre collègue Jérôme Bignon, il me faut revenir sur le postulat de départ auquel, ensemble, nous devons souscrire.

La période 1983-2012 fut probablement la période de trente années consécutives la plus chaude des 1 400 dernières années dans l’hémisphère Nord. Cette affirmation se trouve en préambule du cinquième rapport du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Or, si le climat a toujours évolué au gré de causes naturelles plus ou moins prégnantes – activité solaire, variations orbitales de la terre, activité volcanique, déplacement des continents –, nous pouvons affirmer, sur la base d’un large consensus au sein de la communauté scientifique, que les activités humaines, pour la première fois dans l’histoire, participent au changement climatique – ou, pour le dire de façon tout à fait précise, que les activités humaines viennent renforcer un phénomène naturel, avec pour conséquence une accélération du réchauffement des océans et des zones terrestres.

Certes, il est impossible de mesurer la part exacte du réchauffement climatique anthropique dans le phénomène du réchauffement climatique.

Pour autant, nous disposons d’éléments suffisants pour affirmer que les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine participent très largement à ce réchauffement ; il est par conséquent possible, aujourd’hui encore, de le contenir.

Je profite de ces considérations pour dire un mot du niveau de confiance que nous pouvons accorder aux travaux scientifiques conduits par le GIEC.

Ce dernier a dû, par le passé, essuyer de vives critiques, visant sa structure intergouvernementale, mais également le caractère insuffisamment nuancé de ses conclusions.

Le cinquième et dernier rapport du GIEC est plus précis qu’il ne l’a jamais été, chacun de ses résultats faisant l’objet d’une évaluation – certains d’ailleurs s’en trouvant largement pondérés.

Nous pouvons donc nous entendre sur un premier constat simple, qui ne stigmatise aucun pays, aucune industrie, aucun secteur d’activité : l’homme accélère le réchauffement climatique, ses activités causant des rejets de gaz à effet de serre – vapeur d’eau, dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote ou ozone, sans oublier les hydrocarbures halogénés.

À l’augmentation des niveaux d’émission de ces gaz à effet de serre s’ajoute un problème connexe, sans doute plus palpable encore pour nos concitoyens : celui des polluants atmosphériques et de la détérioration de la qualité de l’air.

J’ai eu l’honneur de présider cette année la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, qui a conduit à l’adoption à l’unanimité d’un rapport présenté par ma collègue Leila Aïchi. Notre commission a formulé soixante et une propositions, qui concernent aussi bien l’évaluation et la prévention de la pollution de l’air que les solutions susceptibles d’endiguer ce phénomène.

Mais nous sommes d’abord partis d’un constat édifiant : le coût économique et financier annuel pour la France de la pollution de l’air dépasse les 100 milliards d’euros.

Or, à bien des égards, le phénomène de la pollution atmosphérique doit être analysé concomitamment avec la problématique plus vaste des émissions de gaz à effet de serre. Ces deux phénomènes ont une origine commune, les activités humaines au sens large, avec des responsabilités partagées également par trois secteurs d’activité : les transports, l’industrie et l’agriculture.

Ces secteurs sont à la fois émetteurs de CO2, qui favorise le réchauffement climatique anthropique, et émetteurs de polluants atmosphériques, dont les particules fines, qui ne sont pas sans conséquence sur la santé humaine, certaines étant même cancérigènes.

Les réponses que nos territoires devront apporter au réchauffement climatique auront donc un certain nombre de points communs avec celles qu’il faudra apporter à la pollution atmosphérique.

À ce propos, je dirai tout d’abord un mot sur les territoires de nos partenaires internationaux que nous accueillerons à partir du 30 novembre. Je souhaiterais évoquer à cet égard le financement de la lutte contre le changement climatique et, plus particulièrement, les aides que les pays riches ou en transition peuvent apporter aux pays les moins avancés. Pour davantage de précisions, je ne peux que vous recommander la lecture du rapport d’information de nos collègues Fabienne Keller et Yvon Collin au titre évocateur : Financements climat : n’oublions pas les pays les plus pauvres.

Comme mes collègues, je souscris à l’idée selon laquelle il n’y aura pas de lutte efficace contre le changement climatique si nous ne disposons pas d’un outil financier qui permette de mener des actions dans les pays les moins développés. Aujourd’hui, il est quasi impossible de leur demander des efforts tant qu’ils n’auront pas amorcé leur transition économique.

Je ne saurais dire si les 100 milliards de dollars annuels seront absolument suffisants. Je ne saurais pas plus dire si la France, à l’instar d’autres pays développés, possède aujourd’hui les moyens de mener la diplomatie écologique qu’elle espère développer.

Aussi, je souscris à l’idée de trouver des ressources exogènes pour le financement de la lutte contre le changement climatique, ressources qui peuvent être le produit d’une taxe sur les transactions financières, mesure politiquement délicate, ou provenir du marché européen de carbone, dont les potentialités seront plus modestes.

Aussi, et compte tenu des blocages qui subsistent dans les négociations sur ce problème spécifique du financement de la lutte contre le réchauffement climatique dans les pays les moins développés, je ne me prononcerai pas, à cet instant, sur les équilibres financiers qui doivent être trouvés.

Permettez-moi maintenant d’insister sur la situation dans le Pacifique. Je me ferai le porte-parole des préoccupations exprimées par mon collègue Robert Laufoaulu, qui, victime d’un léger malaise, ne pourra pas s’exprimer ce soir.

Confrontées à une montée des eaux, même modérée, de nombreuses îles du Pacifique seront englouties tandis que les autres seront amenées à revoir leur organisation traditionnelle, qui a toujours privilégié la fixation de la population sur les côtes, près des palétuviers pour le ramassage des coquillages, des récifs pour la pêche, des tarodières pour l’alimentation. C’est donc un déplacement important de personnes qu’il faut envisager.

La population de Wallis-et-Futuna est sensibilisée à la montée des eaux, car, si elle a toujours connu des tsunamis et des cyclones, ces phénomènes extrêmes se multiplient. Au cours de ces deux dernières décennies, des côtes ont été inondées, entraînant l’évacuation provisoire de villages. Depuis ces drames, les chefs de villages ont aménagé des accès pour évacuer les habitants dès le déclenchement des sirènes.

Un autre problème menace Wallis-et-Futuna, lié à la question de l’eau douce. La préservation de la nappe phréatique face à la montée du niveau de la mer est quasi impossible. Le secteur primaire sera le premier à en souffrir : les tarodières disparaîtront, l’eau de mer se substituant à l’eau douce. Ainsi, outre le déplacement des populations vers les parties hautes de nos îles, la submersion des côtes aurait des effets dramatiques sur la fragile économie de ces îles océaniennes.

À Wallis comme à Futuna, il existe plusieurs points hauts. Mais que dire de Tuvalu, Kiribati, Marshall, Tokelau, qui sont à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer ? Ces États sont condamnés à disparaître. Face cet engloutissement qui semble inéluctable, Kiribati a ainsi acheté 2 400 hectares de terres à Fidji.

D’autres propositions de rapprochement apparaissent, avec l’idée récurrente que les populations des îles les plus menacées devraient, au nom de la proximité culturelle et géographique, être prioritairement accueillies dans la zone, dans les îles disposant donc de terres en hauteur.

Cette idée, certes généreuse et que nous avons vu germer dans des rapports d’organismes publics français, n’en serait pas moins déstabilisatrice. Nous insistons auprès du Gouvernement pour que la France ne prenne aucun engagement d’accueil de migrants climatiques dans ses collectivités d’outre-mer sans avoir sollicité l’accord préalable desdites collectivités.

Quoi qu’il en soit, les solutions régionales, les rapprochements et les rachats de terres ne sauraient exonérer les grandes nations industrialisées de leurs responsabilités. Les îles et archipels du Pacifique doivent mener ensemble le combat contre l’émission des gaz à effet de serre et tenter de convaincre les pays grands producteurs de CO2 de leur nécessaire solidarité à l’égard d’îles dont ils menacent l’existence même par leur développement économique. La demande de compensation portée par les gouvernants des îles du Pacifique est légitime.

Mais pour que les petits territoires océaniens se fassent entendre face aux géants producteurs de CO2 que sont la Chine, les États-Unis ou l’Inde, ils doivent compter sur l’appui de grands acteurs internationaux comme la France, puissance du Pacifique par le biais de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Wallis-et-Futuna.

La volonté de notre pays de faire réussir la COP 21 à Paris à la fin de l’année est un atout sur lequel les îles océaniennes doivent s’appuyer pour faire comprendre au monde que la montée des océans concerne toute l’humanité, car, si rien n’était fait, ce qui menace les îles du Pacifique aujourd’hui pourrait menacer demain bien d’autres régions du monde.

Un mot enfin sur nos territoires de la France métropolitaine et sur le retour d’une véritable politique publique d’aménagement du territoire, chose que nous ne connaissons plus depuis un certain temps – depuis l’époque des Trente Glorieuses.

Certes, des réflexions sont menées, des plans ou schémas élaborés et des infrastructures construites. Pour autant, je note que les pouvoirs publics ne veulent pas refonder les paradigmes qui fondent notre politique d’aménagement du territoire. L’apport des nouvelles technologies de l’information et de la communication n’est pas appréhendé. La question du volume des déplacements des personnes est trop marginalisée, lorsqu’elle n’est pas tout simplement ignorée par les véhicules législatifs, qu’il s’agisse des lois Grenelle ou de la loi de transition énergétique. La valorisation des ressources est trop absente de nos réflexions économiques. Enfin, nous ignorons, parce que nous comprenons trop mal cette mondialisation des échanges, que les territoires ont vocation à conserver autant que possible une autonomie énergétique, concept qui ne sera renforcé que par le développement des énergies renouvelables et de l’économie circulaire.

En conclusion, je souscris pleinement à l’esprit qui a présidé à la conduite des travaux de ce groupe de travail sur les négociations climatiques, présidé par notre collègue Jérôme Bignon.

Oui, la diplomatie environnementale est importante !

Oui, il est temps que des mécanismes internationaux de vérification, et même de sanction, soient enfin élaborés !

Oui, il nous faut un accord à Paris pour le 11 décembre ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’évoquais tout à l’heure le caractère exceptionnel de la procédure que nous suivons ce soir. Je pense maintenant que le plus exceptionnel est l’unanimité qui règne dans toutes les travées de cet hémicycle pour convenir de l’urgence qu’il y a à se saisir de la question des dérèglements climatiques et, surtout, à proposer des solutions.

Ce n’était pas si évident quelques années auparavant, et cela ne l’est toujours pas dans nombre de pays. Pour avoir reçu avec Jérôme Bignon des parlementaires étrangers en visite en France tout au long de l’année et avoir échangé avec eux sur le sujet, nous avons pu constater qu’il reste encore des climato-sceptiques dans de nombreux pays.

Nous savons d’ailleurs très bien que si les États-Unis ne veulent pas aujourd’hui d’un accord contraignant, c’est qu’ils savent qu’il n’est pas certain, tant s’en faut, que le Congrès américain ratifie un tel accord en raison du poids des climato-sceptiques en son sein.

Tel n’est pas le cas en France. Je m’en réjouis. Grâce aux travaux du GIEC, il existe aujourd’hui un consensus sur le constat, un consensus sur la nécessité d’agir et même un consensus sur certaines mesures, notamment, me semble-t-il, sur la mise en place d’un prix du carbone. Tout cela est extrêmement positif.

Je l’ai déjà dit, reprendre nos travaux aujourd’hui sur un thème qui concerne l’avenir de l’humanité et fait consensus, après les tragiques événements que nous venons de vivre, est en effet extrêmement positif.

Je regrette toutefois, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement ne se soit pas davantage appuyé sur ce consensus. Certes, il lui revient de mener les négociations, notamment celle-ci, mais il aurait pu s’appuyer davantage sur le Parlement, la société civile et les territoires. Je forme le vœu qu’à l’avenir, il en aille différemment et que nous puissions être plus présents dans le déroulement de la COP 21 et dans la préparation de la COP 22, puisque la France présidera, durant toute l’année prochaine, cette conférence des Nations unies sur les changements climatiques.

La diplomatie parlementaire peut tout à fait jouer un rôle sur ce sujet aussi.

Si, comme nous l’espérons, un accord ambitieux, contraignant et universel est conclu dans quelques semaines, il restera un certain nombre de formalités, si je puis dire, tout au moins un certain nombre d’étapes à franchir pour lesquelles le rôle du Parlement sera indispensable.

Vous le savez, un accord international doit être ratifié par le Parlement. Je souhaite qu’avant même cette procédure de ratification, le Gouvernement vienne présenter devant celui-ci les termes de l’accord.

Pour que cet accord se mette en place, il faudra également que le Parlement vote des mesures budgétaires, tant pour alimenter le fonds vert dont nous avons beaucoup parlé ce soir que pour donner corps à des mesures qui nous sont régulièrement annoncées et qui, tant qu’elles n’ont pas fait l’objet d’un vote de crédits correspondants, s’apparentent bien trop à des effets d’annonce.

Nous l’avions souligné lors de l’examen de la loi relative à la transition énergétique.

Des dispositions législatives devront également être adoptées par le Parlement et notre assemblée. Le Sénat a prouvé, lors de l’examen de la loi relative à la transition énergétique, qu’il était capable, toutes tendances confondues, d’adopter des mesures allant dans le bon sens.

Enfin, vous le savez, madame la secrétaire d’État, le Parlement contrôle l’action du Gouvernement et, dans les mois et les années à venir, ce contrôle en matière de climat se renforcera à la mesure des enjeux liés à cette question.

J’observe d’ailleurs que cette volonté des parlements de jouer un rôle important en la matière n’est pas propre au nôtre. En effet, lors des échanges que nous avons eus dans le cadre de l’Union interparlementaire, voici quelques semaines à Genève, pour préparer la déclaration qui sera adoptée le 6 décembre prochain, des parlements d’autres États que la France ont souhaité que nous inscrivions dans cette déclaration une disposition affirmant la nécessité que, dans les années à venir, les parlements contrôlent les suites de cet accord que nous appelons de nos vœux et la manière dont il sera mis en œuvre et appliqué.

La résolution proposée par Jérôme Bignon souligne l’importance des territoires dans la lutte contre le dérèglement climatique. Il est tout à fait naturel qu’il en aille ainsi et que les territoires se trouvent impliqués dans ce combat dans la mesure où ils vivent déjà les premiers effets de ces dérèglements climatiques, que ce soit à travers la fonte des glaciers, l’érosion des côtes, l’apparition d’insectes porteurs de maladies ou l’impact sur l’écosystème et les milieux agricoles. Mais c’est aussi nécessaire parce que, comme cela a été souligné à juste titre, les territoires jouent et joueront un rôle majeur pour mettre un terme à ces dérèglements climatiques ou, en tout cas, en limiter l’impact et éviter que nous n’en arrivions aux situations dramatiques que nous redoutons aujourd’hui.

Notre Haute Assemblée, qui est, bien sûr, représentante des territoires, s’est fortement impliquée sur ce sujet depuis un an. Elle continuera de le faire, car, même si, comme nous le souhaitons tous, un accord ambitieux est conclu dans les prochaines semaines, ce sera non pas une fin en soi, mais un début.

Il s’agira ensuite de le mettre en œuvre, de l’adapter et de le faire appliquer. Je puis vous assurer, madame la secrétaire d’État, que nous serons au rendez-vous. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Poher.

M. Hervé Poher. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’est pas facile de parler du raisonnable quand on vient d’être confronté à l’horreur… De même, il est bien difficile de parler d’intelligence collective quand on nous impose l’image de l’obscurantisme…

Oui, tout cela est bien difficile, mais, comme l’a souligné le Président de la République cet après-midi, parler de l’avenir de la planète et de l’avenir de l’homme, c’est aussi montrer que les barbares ne peuvent pas gagner. Puisqu’on est là pour parler du climat et d’avenir, parlons-en.

Les scientifiques se sont exprimés, les experts ont confirmé et les inquiétudes se précisent. Dans ce domaine-là, comme dans d’autres, on ne peut pas ne pas savoir, on ne peut pas ne plus savoir que le climat est en train de changer.

Pour les simples citoyens alertés que nous sommes, quatre évidences s’imposent.

Première évidence, dans toute l’histoire de l’humanité, rares sont les périodes où l’homme a osé faire un bilan de son passé pour définir un véritable chemin pour son avenir, sachant pertinemment que cet avenir dépendait de lui, et presque entièrement de lui.

Je ne vois que deux périodes porteuses de telles interrogations : dans la décennie après 1945, quand l’humanité a réalisé les dégâts possibles d’un emballement nucléaire – du coup, on a inventé la dissuasion nucléaire –, et après 1980, quand quelques scientifiques ont osé poser la question de savoir si nous n’étions pas responsables, sans le savoir, de certains phénomènes.

Le fait de ne pas le savoir est une précision importante, car on admet que l’ignorance peut, pour beaucoup, excuser certaines choses, mais aussi que la certitude peut, pour quelques-uns, rendre inexcusable.

La deuxième évidence est qu’un processus est en marche. Nul besoin d’écouter les radios pour le découvrir, nul besoin d’être spécialiste pour s’en apercevoir. N’importe quel observateur de bonne foi vous avouera qu’un événement centennal a une fâcheuse tendance à devenir décennal ; qu’un événement décennal a une curieuse inclination à devenir annuel et qu’un événement annuel exceptionnel a la mauvaise habitude de devenir un classique hivernal.

De plus, la forme même de l’événement climatique tend à se modifier. Le nord de la France, dont je suis originaire, était habitué depuis des siècles aux fines pluies continues, voire au crachin breton.

M. Hervé Poher. Mais depuis quelques années, et de plus en plus fréquemment, nous pouvons parfois jouir de bonnes pluies de type tropical. Le seul problème est que notre aménagement du territoire et de l’espace n’est pas prévu pour ce type de précipitations, nous qui vivons là-haut, au nord de la France, dans des polders, dans la zone des wateringues, nous qui sommes juste au niveau de la mer, voire bien souvent sous le niveau de la mer…

Nous sommes de plus en plus préoccupés par le fonctionnement de nos pompes qui rejettent l’eau à la mer. Notre territoire ne vit que grâce aux canaux, aux fossés, aux écluses et aux pompes.

De plus, nous sommes devenus des spécialistes de la « cat-nat », c’est-à-dire des dossiers de catastrophe naturelle ! Il nous arrive même, à l’occasion de travaux, de faire poser des caniveaux de montagne pour absorber les trop-pleins d’eau. Imaginez, madame la secrétaire d’État : des caniveaux de montagne dans le plat pays ! Quel paradoxe !

Cette problématique ne touche certes que 450 000 personnes. Elle est moins aiguë et potentiellement moins dramatique que dans d’autres régions du monde, mais elle nous rappelle que nous ne sommes pas nous non plus à l’abri de certains incidents.

La troisième évidence est que l’homme n’est pas programmé socialement et psychologiquement pour faire du préventif.

M. Ronan Dantec. C’est juste !

M. Hervé Poher. Il ne faut pas en avoir honte, c’est comme cela !

Très naturellement, et sans doute très inconsciemment, l’homme se dit qu’il passera toujours à côté. On laisse alors le préventif aux autres et on fait du curatif quand, malheureusement, on en a besoin. Or, vous le savez, le « tout-curatif », ça ne fonctionne pas toujours. Parfois, on risque même d’avoir des séquelles, qu’il s’agisse du secteur sanitaire, de l’environnement ou autres. Cette inaptitude à faire du préventif caractérise les hommes, mais aussi parfois les structures et les collectivités.

Quatrième évidence, la solution sera donc collective « ou ne sera pas » – oserai-je ajouter –, les nuages n’ayant pas de frontières, les vents pas de maître et les poisons étant souvent invisibles.

Cette dynamique collective, cette volonté collective et cette destinée collective, tout cela est en train d’être imaginé, tout cela est à construire, tout cela est à imposer comme une évidence, parce que c’est une évidence.

Nous remercions tous le Président de la République et le Gouvernement pour l’engagement et le volontarisme dont ils font preuve.

Quand on dit collectif, cela signifie : nations, citoyens, forces économiques, forces politiques, forces spirituelles, collectivités et individus. Tout le monde doit s’inscrire dans une dynamique collective, car nul n’a vraiment le choix.

Aussi permettez-moi d’être franc : dans ce domaine, on a encore beaucoup de convictions à faire partager, pas seulement avec certains gros pollueurs, pas seulement avec certains États, mais aussi avec beaucoup de responsables et de décideurs dans notre propre pays. Vous le savez : chacun ne croit pas à la troisième révolution industrielle, nous n’avons pas tous la même définition de l’urgence.

Certains élus utilisent encore les termes de « développement durable » comme on utilise de la confiture : pour badigeonner d’un peu de couleur leurs dossiers et pour y donner un peu de goût, mais ils n’y croient pas vraiment et d’autres priorités s’imposent à eux.

De ce point de vue, nous avons, vous avez, madame la secrétaire d’État, encore beaucoup de travail sur le métier, sachant qu’on ne peut se passer de tous ces acteurs, de tous ces relais, de toutes ces collectivités, de toutes ces ONG qui sont sur le terrain et qui savent aussi inventer, créer et avancer.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la première chose que l’on apprend à un étudiant en médecine, c’est un réflexe intellectuel : signes, diagnostic, traitement, avec une démarche bien établie pour faire le diagnostic.

Or notre terre n’est pas en grande forme. Certains voudraient nous faire croire qu’elle est un peu hypocondriaque. C’est faux : la terre n’est pas une malade imaginaire. Les signes sont de plus en plus évidents depuis quelques décennies. Les examens cliniques et paracliniques ne font que confirmer le mal et son origine. Reste à persuader la malade qu’elle doit se soigner, qu’elle peut se soigner, qu’elle peut limiter les séquelles et qu’elle doit être désormais plus prudente et plus raisonnable.

Cela semble une évidence pour nous tous, mais on sait, en médecine du moins, que les malades sont parfois plus difficiles à combattre que les microbes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)