Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Bruno Gilles,

M. Serge Larcher.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 7 avril 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Désignation d'un sénateur en mission

M. le président. Par courrier en date du 7 avril 2016, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Jacques Grosperrin, sénateur du Doubs, en mission temporaire auprès de M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, et de M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports.

Cette mission portera sur l’étude de la pratique des « combats mixtes » en France.

Acte est donné de cette communication.

3

Fin de la mission temporaire de deux sénateurs

M. le président. Par lettre en date du 11 avril dernier, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter du 18 avril 2016, de la mission temporaire confiée à Mme Françoise Cartron, sénatrice de la Gironde, auprès de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et de M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, dans le cadre de l’article L.O. 297 du code électoral.

Cette mission portait sur les rythmes scolaires.

Par ailleurs, par lettre en date du 14 avril dernier, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter du 20 avril 2016, de la mission temporaire confiée à M. Alain Duran, sénateur de l’Ariège, auprès de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans le cadre de l’article L.O. 297 du code électoral.

Cette mission portait sur la mise en place de conventions pour une politique active en faveur de l’école rurale et de montagne.

Acte est donné de ces communications.

4

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté », déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 13 avril 2016.

5

Inscription à l'ordre du jour d'une proposition de résolution

M. le président. Lors de sa réunion du 6 avril dernier, la conférence des présidents a décidé l’inscription à l’ordre du jour de la séance du mercredi 18 mai 2016, à dix-huit heures trente, sous réserve du respect du délai d’information préalable du Gouvernement, de la proposition de résolution visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle. Cette proposition de résolution est présentée par le groupe socialiste et républicain en application de l’article 34-1 de la Constitution.

Le délai de quarante-huit heures prévu par la loi organique du 15 avril 2009 étant expiré, cette proposition de résolution peut désormais être inscrite à l’ordre du jour du mercredi 18 mai 2016, à dix-huit heures trente.

6

Communications du Conseil constitutionnel

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du jeudi 21 avril 2016, le texte de trois décisions du Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution :

- de la loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle ;

- de la loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections ;

- de la loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie.

Acte est donné de ces communications.

7

Dépôt de rapports

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre, d’une part, le projet de programme de stabilité pour les années 2016 à 2019 et, d’autre part, le programme national de réforme.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Ils ont été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires européennes.

8

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe UDI-UC a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Michel Mercier, démissionnaire.

Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

9

Dépôt de documents

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre :

- l’avenant n° 2 à la convention du 16 juin 2010 entre l’État et l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, relative au programme d’investissements d’avenir, action « Équipements d’excellence », modifiée par l’avenant n° 1 du 8 décembre 2014 ;

- la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet Charles-de-Gaulle-express, accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement ;

- le tableau de programmation des mesures d’application de la loi n° 2016-298 du 14 mars 2016 relative aux réseaux des chambres de commerce et d’industrie et des chambres de métiers et de l’artisanat ;

- le rapport relatif à l’enseignement agricole et à l’enseignement général, technologique et professionnel : harmonisation et maintien des spécificités ;

- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis, pour le premier, à la commission des finances, à la commission des affaires économiques et à celle de la culture, de l’éducation et de la communication, pour le deuxième à la commission des finances, à la commission des affaires économiques et à celle de l’aménagement du territoire et du développement durable, pour le troisième à la commission des affaires économiques, pour le quatrième, à la commission des affaires économiques et à celle de la culture, de l’éducation et de la communication et, pour le cinquième, à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et à celle des finances.

10

Décisions du Conseil constitutionnel sur quatre questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 14 et du 22 avril 2016, quatre décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :

- les accidents du travail - Faute inexcusable de l’employeur : régime applicable dans certaines collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie (n° 2016-533 QPC) ;

- la suppression des arrérages de la pension d’invalidité en cas d’activité professionnelle non salariée (n° 2016-534 QPC) ;

- redevable de la taxe générale sur les activités polluantes pour certains échanges avec les départements d’outre-mer (n° 2016-537 QPC) ;

- l’exclusion des plus-values mobilières placées en report d’imposition de l’abattement pour durée de détention (n° 2016-538 QPC).

Acte est donné de ces communications.

11

Hommage à Jean Chérioux, ancien sénateur

M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec tristesse que nous avons appris hier le décès de notre ancien collègue Jean Chérioux. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la secrétaire d’État chargée du numérique, se lèvent.)

Jean Chérioux fut sénateur de Paris de 1977 à 2004 et, comme vice-président du Sénat, siégea souvent à la place où je me trouve. Il fut également président du Conseil de Paris.

Ceux qui l’ont connu – je suis de ceux-là – se souviennent d’un parlementaire présent, actif et enthousiaste, intervenant fréquemment depuis ces travées pour faire entendre ses convictions : celles d’un gaulliste social qui croyait profondément à son rôle de législateur, notamment pour promouvoir la participation des travailleurs aux fruits de l’expansion.

Jean Chérioux fut un membre très engagé de la commission des affaires sociales, à laquelle il appartint sans discontinuer pendant ses vingt-sept années de mandat. Il fut son rapporteur sur de nombreux sujets, touchant à l’ensemble des compétences de celle-ci – je pense en particulier à la santé, au handicap et au travail –, mettant toute sa passion au service des combats qui lui étaient chers.

Jean Chérioux était un homme de grande spiritualité et un partisan de l’alliance du capital et du travail, ainsi que d’une politique familiale forte.

Ses colères – car il faut bien que j’en parle ! (Sourires.) –emplissaient souvent notre hémicycle ou la salle de la commission des affaires sociales. Elles y retentissent encore. Elles n’avaient d’égal que sa profonde humanité et le respect qu’il portait au débat public.

Au moment de lui rendre hommage, je lirai simplement la conclusion de sa dernière intervention dans notre hémicycle ; elle fut prononcée lors de l’examen du projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, mais la portée du propos de Jean Chérioux dépassait ce seul texte.

« Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, quelles que soient nos options, nous devons être fiers d’être ce que nous sommes et de ce que nous faisons. Nous sommes le législateur. Nous représentons la Nation. Ce que nous faisons, nous le faisons au nom de la Nation et pour la Nation. Ne serait-ce que pour cela, je remercie le Sénat de m’avoir donné l’occasion de participer à ses travaux. »

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom du Sénat tout entier, de ceux d’entre nous qui ont connu Jean Chérioux et partagé ses passions, sa gentillesse et ses colères, mais aussi des autres, j’assure de notre compassion sa famille, présente dans les tribunes, ainsi que les membres du groupe Les Républicains, qui est aujourd’hui l’héritier de l’histoire à laquelle appartenait Jean Chérioux. Je présente à ses proches nos condoléances les plus sincères.

Je vous invite à observer un moment de recueillement en mémoire de Jean Chérioux. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la secrétaire d’État, observent une minute de silence.)

12

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour un rappel au règlement.

M. Éric Bocquet. Mes chers collègues, avant la suspension de nos travaux, Mme la présidente du groupe CRC a saisi le bureau du Sénat afin qu’il soit statué sur la situation du président-directeur général de la Société générale.

En effet, le 17 avril 2012, M. Oudéa a affirmé à la commission d’enquête qui l’auditionnait – sous serment, il faut le rappeler – que sa banque n’avait plus aucune activité au Panama. Or cette déclaration a été contredite voilà trois semaines par les révélations sur l’opération des « Panama papers ».

Monsieur le président, dans le courrier que vous m’avez adressé le 13 avril dernier, vous suggérez que le président-directeur général de la Société générale soit auditionné de nouveau par le président de l’ancienne commission d’enquête et par le rapporteur de celle-ci, c’est-à-dire moi-même. Cette démarche me semble inutile, pour deux raisons : d’abord parce que cette commission d’enquête n’existe plus, ensuite parce que, dans le cadre d’une telle procédure, M. Oudéa ne s’exprimerait pas sous serment.

Dans ce contexte, je m’étonne de n’avoir pas été prévenu de la rencontre qui a eu lieu entre M. Oudéa et Mme la présidente de la commission des finances pendant la suspension des travaux de notre assemblée. Je m’étonne aussi des déclarations faites par Mme la présidente de la commission des finances à l’issue de cet entretien. Elle a assuré avoir préparé la future audition de M. Oudéa : les faits étant établis aujourd’hui, qu’y avait-il lieu de préparer ? En outre, Mme la présidente de la commission des finances a conclu sa déclaration par ces mots : « La Société générale est une belle banque. » Est-ce bien là le sujet du jour ?

Monsieur le président, le bureau du Sénat se réunira après-demain, jeudi 28 avril. Les élus du groupe auquel j’appartiens s’en tiendront donc à la saisine officielle de cette instance, conformément aux dispositions en vigueur, que je me permets de rappeler : les poursuites judiciaires « sont exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l’assemblée ».

De mon côté, dans l’attente de la décision du Bureau, je reste en contact avec mon avocat, Me Koubbi, pour le cas où nous aurions à pousser plus loin la procédure.

Monsieur le président, mes chers collègues, il me semble que, le jour où s’ouvre, au Luxembourg, le procès des trois lanceurs d’alerte de l’affaire LuxLeaks, Antoine Deltour, Édouard Perrin et Raphaël Halet, la Haute Assemblée serait à la hauteur de sa responsabilité politique en exigeant toute la vérité sur ce dossier-ci, au nom de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. Mon cher collègue, je vous donne acte de votre rappel au règlement, qui reprend la lettre que m’a adressée la présidente du groupe communiste républicain et citoyen et celle que vous m’avez envoyée le 22 avril dernier.

Par celle-ci, vous m’avez fait part, en votre qualité d’ancien rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, de votre hostilité à la procédure que nous avons retenue pour la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, c’est-à-dire l’audition de la personne mise en cause par l’ancien président et l’ancien rapporteur préalablement à la saisine du Bureau.

De son côté, l’ancien président de la commission d’enquête relative à l’évasion fiscale, M. Philippe Dominati, a donné son aval à cette procédure.

La commission des finances procède à des auditions, comme vous le savez, et continuera de le faire. Elle exerce ainsi pleinement le pouvoir de contrôle normal et naturel des commissions. Nous sommes à la fois des législateurs et des acteurs du contrôle, ainsi que de l’évaluation des questions relatives aux finances publiques.

Une nouvelle audition de la commission des finances, dont vous êtes membre, est prévue le 11 mai prochain. Je vous propose donc d’attendre la réunion du Bureau du mois de mai : au vu des résultats des auditions, le Bureau de mai pourra éventuellement être saisi de la situation que vous avez soulevée, comme celui d’avril est saisi des suites de la commission d’enquête relative à la pollution de l’air.

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Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Discussion générale (suite)

République numérique

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (projet n° 325, texte de la commission n° 535, rapport n° 534, tomes I et II, avis nos 524, 525, 526 et 528).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis sous l’œil bienveillant de Portalis pour parler de numérique. Nous sommes aussi sous l’œil avisé des internautes, qui nous regardent en direct depuis le site du Sénat et qui pourront suivre nos débats comme ils assisteraient à une compétition sportive en écoutant l’émission Acropolis d’un commentateur passionné de renouveau démocratique. Je n’oublie pas les étudiants de l’école informatique Épitech, qui, en ce moment même, au palais du Luxembourg, initient des parlementaires au codage…

Voilà une bien belle entrée en matière !

M. François Marc. En effet !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Nos concitoyens ont été nombreux à participer à la construction du projet de loi aujourd’hui soumis à votre diligent examen. Oui, la consultation a largement influencé le texte, dans ses détails comme dans ses orientations plus profondes : pas moins de soixante-dix articles ont été modifiés de la main des contributeurs ! Cette démarche inédite a bouleversé le cours classique de l’élaboration d’un projet de loi.

Les parlementaires ont compris le pari qui a été fait : celui de l’intelligence collective, pour enrichir le texte et renouer le dialogue démocratique. Cette interaction, cet état de démocratie permanente ouvrent des perspectives pour construire une nouvelle manière de faire de la politique.

Face au numérique, au progrès technologique, nous oscillons tous plus ou moins entre l’exaltation et un sentiment de dépossession, de non-maîtrise.

Dans le contexte de ce changement, la loi doit fixer un cadre. Ce cadre, c’est notre modèle républicain. Celui-ci reste pertinent, y compris, et peut-être surtout, dans un monde numérique qui connaît moins de frontières et qui s’invente tous les jours. Liberté, égalité fraternité : tel est notre mot d’ordre !

La liberté et l’ouverture pour une meilleure transparence et plus d’innovation, c’est le postulat qui fonde le titre Ier du projet de loi.

L’égalité, quant à elle, permettra, par la libre concurrence et un comportement loyal des géants de l’Internet, d’assurer une place à tous les nouveaux entrants économiques, notamment aux jeunes entreprises innovantes. Il s’agit aussi de donner de nouveaux droits aux individus et de réaffirmer leur place face aux entreprises. Car, sans la confiance des individus, le numérique ne prendra pas son essor !

La fraternité, enfin, fera naître un projet collectif, une construction commune incluant les territoires les plus reculés, les personnes les plus éloignées du numérique ; grâce à elle, la technologie permettra de créer de nouvelles opportunités d’inclusion.

Pour y parvenir, il nous faut renouer avec l’ambition républicaine d’équité entre les territoires et avec l’aménagement de notre pays par la puissance publique. De ce point de vue, je tiens à souligner que c’est un véritable changement de paradigme que nous avons engagé en 2012 en matière de couverture numérique du territoire, et que ce changement va crescendo. Nous considérons en effet qu’il faut, lorsque cela est nécessaire, dépasser la seule concurrence par les infrastructures, qui ne suffit pas à satisfaire les besoins de la population.

À Bruxelles, je me bats pour que l’intervention publique soit entendue avec une plus grande souplesse. En France, notre ambition est identique à celle qui animait les pionniers qui, en leur temps, ont construit les voies ferrées et déployé les réseaux d’électricité. (M. Jacques-Bernard Magner opine.)

J’entends l’urgence et l’impatience que nos concitoyens expriment et que les sénateurs sauront certainement relayer. Je connais les enjeux qui s’attachent à la couverture numérique du territoire en termes de sécurité, de santé, d’éducation, de vie sociale et de tourisme, ainsi que d’attractivité pour les nouveaux venus, les entreprises et les services publics. Tous les jours, des élus locaux m’écrivent pour me décrire des situations qui, hier encore, restaient acceptables, mais qui sont aujourd’hui devenues insoutenables.

Le projet de loi répond à ces questions, qu’il s’agisse de la couverture internet, de la couverture mobile ou des lignes de téléphone fixe, qui, parfois, sont encore le seul point de contact pour certains habitants.

À l’Assemblée nationale, des mesures ont été ajoutées dans le projet de loi visant à accélérer le plan France très haut débit, notamment via le droit à la fibre. En particulier, le fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, a été réintroduit, afin de soutenir les initiatives des collectivités territoriales en matière de couverture mobile.

Je souhaite avancer plus encore au Sénat. Je compte pour cela, mesdames, messieurs les sénateurs, sur votre ancrage local et sur votre connaissance précise de ces sujets.

Nous parlerons des zones blanches et de la nécessité de faire face à l’urgence.

Nous parlerons aussi du respect des engagements des opérateurs. À cet égard, il faut prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les déploiements massifs en cours seront respectés et que la commercialisation des réseaux sera possible.

Nous parlerons également de la mutualisation des réseaux mobiles en zone rurale. Il s’agit d’éviter que le dynamisme concurrentiel et les prix bas n’aient pour contrepartie une moindre couverture. Ce travail ne pourra pas être mené sans les opérateurs ; après l’échec de la concentration entre Orange et Bouygues, je les invite dès à présent à travailler à la rationalisation de leurs investissements.

Il conviendra d’éviter le travers consistant à aborder les questions numériques sous le seul angle des infrastructures. Celles-ci sont la colonne vertébrale sans laquelle rien n’est possible,…

M. Hervé Maurey. Bien sûr !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. … mais le projet de loi est porteur d’une ambition qui va bien au-delà : il doit non seulement être le reflet de son temps, mais aussi préparer le pays à l’avenir numérique, pour faire de la France un champion incontestable dans ce domaine.

Voilà quarante ans, nous fixions le cadre du développement de l’informatique avec les lois instaurant la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA. Voilà dix ans, la loi pour la confiance dans l’économie numérique a établi le régime de responsabilité des acteurs de l’internet.

Quant au présent texte, sa plus grande nouveauté réside dans le pari de l’économie et de la société de la donnée ; il s’agit de mettre au point un cadre choisi et maîtrisé permettant l’essor de la data. Pour la première fois, l’infrastructure se construit sans qu’on la voie, puisque nous mettons en place, outre des tuyaux, des pylônes et des antennes, les fondations de l’économie et de la société de la donnée.

Avec la création d’une mission de service public de la donnée, l’exigence d’une publication présentant un certain niveau de qualité, qu’il s’agisse du format utilisé, de la granularité ou de l’interopérabilité, est enfin mise en avant pour certaines données de référence. Cette exigence de qualité vise à permettre l’accès aux données et le maniement de celles-ci, pour permettre l’invention de produits et de services innovants toujours plus nombreux et pour affiner l’efficacité des politiques publiques.

Je pense en particulier à la Base Adresse nationale, si utile pour identifier les foyers à atteindre dans le cadre du déploiement du très haut débit Fiber To The Home, le FTTH, et à la base Sirene, qui recense 10 millions d’entreprises en activité en France, mais aussi à la base de l’Institut national de l’information géographique et forestière et à son référentiel à grande échelle, qui cartographie le territoire pour mieux aider à la prise de décision dans les domaines de la protection de l’environnement, de l’aménagement du territoire, des transports, de l’agriculture et de la prévention des risques.

En vérité, l’enjeu de l’accès aux données est fondamental !

Avec l’introduction du concept de données d’intérêt général et l’obligation de publier des données publiques par défaut dans des standards ouverts, l’ambition n’est plus uniquement de rendre les données publiques, mais de les faire circuler. La donnée n’est pas une ressource rare, comme le pétrole ; elle est comme l’air, comme la lumière : elle doit se diffuser.

Reste que, pour actualiser le logiciel républicain, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton. Il faut définir collectivement la vision stratégique, politique que nous souhaitons promouvoir. Car, oui, le numérique, objet transversal, est aussi un objet politique. De ce point de vue, le Gouvernement poursuit une action cohérente qui sous-tend en filigrane tout le projet de loi.

Au cours de nos débats, je serai donc sans doute appelée à contrer un à un certains arguments, en explicitant les objectifs politiques visés, centrés sur les valeurs de la République.

Ainsi, la transparence de l’action publique, l’open data, l’ouverture des résultats et des données scientifiques, l’ouverture des codes sources, la transmission des algorithmes, la promotion des logiciels libres, la possibilité pour les chercheurs de faire de l’appariement de données à l’aide du numéro d’identification national, toutes ces mesures d’ouverture ne relèvent-elles que d’une mode passagère ? Ne sont-elles qu’un moyen de se faire plaisir, un gimmick politico-cosmétique ?

Non ! Elles marquent une évolution profonde de la manière de faire action publique, d’améliorer l’efficacité des services publics. Au demeurant, il faut le comprendre comme une réaffirmation, par la donnée, du rôle de l’intervention publique. De fait, le débat se déplace : il ne s’agit plus de savoir si l’on veut plus ou moins de services publics, mais, grâce aux données, de travailler à « mieux de services publics ».

Pour la première fois, en plein scandale des Panama papers, l’ambition démocratique d’une plus grande transparence des institutions rejoint un autre objectif : la création de valeur par l’innovation grâce à l’utilisation des données et à la diffusion des savoirs.

Ce texte serait-il une contrainte de plus pesant sur les collectivités territoriales ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Nous avons pris soin de prévoir des seuils d’application et d’assurer la progressivité de ses dispositions dans le temps. Nous nous sommes également engagés à mettre en œuvre des plans d’accompagnement.

Bien loin de subir une nouvelle contrainte, les collectivités territoriales pourront, par la maîtrise des données, renforcer leur pouvoir d’action locale. En vérité, ce texte les aidera à reconquérir leur autonomie et leur capacité réelle de libre administration, par exemple dans leurs rapports avec les concessionnaires de services publics et les établissements publics à caractère industriel et commercial.

On m’objecte qu’il faudrait choisir entre le libre marché et la protection des données personnelles. Pourtant, le premier ne peut pas aller sans la seconde ! Ce qui était vrai en 1978 l’est plus encore aujourd’hui, et les missions de la CNIL doivent évoluer pour être en accord avec l’utilisation massive des données.

Or, on le sent bien, le curseur s’est déplacé, et les rapports de force entre géants de l’internet et utilisateurs ont évolué. (Mme Corinne Bouchoux opine.) Dès lors, faudrait-il créer un droit de propriété sur les données personnelles ? Non, car, dans la conception que nous, Français, défendons, celles-ci ne sont pas un objet de commerce.

De là l’idée de la libre disposition des données personnelles, qui figure dans le projet de loi comme un principe général destiné à prospérer. C’est en son nom que l’utilisateur en France peut demander à se voir appliquer le droit français et invoquer le droit à l’oubli, les mineurs bénéficiant de procédures aménagées, plus rapides ; en son nom aussi qu’il peut bénéficier de la portabilité de ses données et qu’il a droit à la « mort numérique ».

Pour rendre ces droits effectifs, le projet de loi accroît les pouvoirs de la CNIL en matière de consultation comme de sanction.

Dans notre texte, la portabilité des données n’est pas au service seulement de la vie privée, mais aussi de la fluidité du marché et des petites et moyennes entreprises, notamment des jeunes pousses innovantes. De fait, elle est une condition de la concurrence équitable entre les acteurs économiques. Grâce à elle, chacun pourra, par exemple, récupérer ses relevés bancaires, son historique de préférences musicales ou les données qu’il a stockées dans l’informatique en nuage.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi au Sénat, nous prolongeons aussi le dispositif du suramortissement en faveur des entreprises, et, à leur demande, nous l’élargissons aux investissements dans les logiciels, dans le cloud et dans les serveurs. Car l’industrie du futur sera numérique ou ne sera pas…