Mme Valérie Létard, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, créée en 1953 à la suite de plusieurs expérimentations locales, la participation des employeurs à l’effort de construction, la PEEC, qu’on appelle communément « 1 % logement » est une contribution versée par les employeurs du secteur privé d’au moins vingt salariés. Cette contribution est fixée à 0,45 % des rémunérations versées. Le réseau Action logement collecte cette contribution et la redistribue.

Malgré plusieurs réformes, le réseau Action logement connaît un certain nombre de difficultés de fonctionnement. Tout d’abord, l’émergence de collecteurs de taille significative pose la question de leur statut associatif. Ensuite, les collecteurs continuent de se livrer à une concurrence stérile pour attirer les « grands comptes ». Enfin, ils rencontrent des difficultés pour poursuivre la baisse de leurs coûts opérationnels et leurs résultats sont quelquefois décevants en matière de services rendus aux entreprises et aux salariés.

Les partenaires sociaux, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, ont donc décidé d’engager une réforme en profondeur d’Action logement. Ils ont ainsi proposé une nouvelle organisation du réseau comprenant cinq structures.

La première structure est la structure faîtière. Celle-ci demeurera un organisme paritaire et sera chargée de définir les orientations générales du dispositif. Elle sera également chargée de piloter et de contrôler les différentes structures mises en place.

La deuxième structure remplacera les collecteurs et sera chargée de la collecte et de la distribution de la PEEC.

Une troisième structure sera chargée de recueillir les titres détenus par les organismes collecteurs. Elle pourra acquérir des titres émis par des sociétés immobilières.

L’Association pour l’accès aux garanties locatives, l’APAGL, et l’Association foncière logement, l’AFL, verront leurs compétences respectives confortées. Leur champ de compétence sera cependant modifié. Il s’agit pour l’APAGL de prévoir le pilotage du nouveau dispositif de sécurisation des loyers, VISALE. L’AFL sera, quant à elle, autorisée à diversifier ses programmes de construction en vendant des logements neufs en accession à la propriété.

Enfin, un comité régional Action logement, le CRAL, représentera Action logement dans chaque région et aura vocation à identifier les besoins dans les territoires.

Le projet de loi qui nous est soumis prévoit d’autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances afin de traduire sur le plan juridique la nouvelle organisation voulue par les partenaires sociaux.

Je ne vous cache pas, madame la ministre, que nous aurions forcément préféré modifier directement le droit en vigueur. Certains de mes collègues ont d’ailleurs critiqué la méthode consistant à réformer la politique du logement par ordonnances et par paquets successifs, sans explications sur la cohérence d’ensemble des réformes proposées !

La réforme envisagée d’Action logement qui s’inscrit dans le prolongement des efforts de rationalisation précédemment entrepris présente d’indéniables avantages.

Ainsi, cette nouvelle organisation devrait permettre d’offrir un meilleur service aux entreprises, et donc aux salariés, quelle que soit la taille de l’entreprise. Elle devrait favoriser aussi une plus grande transparence dans les critères de distribution et la répartition effective de la collecte.

Sur le plan financier, la réforme proposée a le mérite de mettre fin à une concurrence inutile et coûteuse entre les collecteurs. Cette centralisation de la collecte permettra, en outre, de poursuivre la baisse de 10 % des coûts de fonctionnement à laquelle s’est engagée Action logement dans la convention quinquennale.

Par ailleurs, la réforme proposée donnera à Action logement une meilleure visibilité. Les partenaires dans les territoires auront désormais un seul interlocuteur régional clairement identifié avec qui discuter et négocier les conventions régionales.

Plusieurs interrogations, inéluctables en cas de recours à une ordonnance, ont été formulées quant aux effets de cette réforme sur les organismes d’HLM et quant à la répartition territoriale de la PEEC.

Les organismes d’HLM avaient plusieurs sujets d’inquiétude portant sur la répartition de la PEEC entre les organismes d’HLM, sur la possibilité d’utiliser la PEEC pour acquérir des participations dans des organismes d’HLM et enfin sur le respect de la clause d’agrément applicable dans certaines sociétés d’HLM.

Des réponses ont été apportées, qui sont susceptibles de les satisfaire. L’ordonnance devrait ainsi comporter des règles spécifiques pour garantir l’absence de discrimination entre les organismes d’HLM. Elle devrait également inscrire dans le code le principe de distribution maîtrisée des dotations en fonds propres. Enfin, elle devrait comprendre des mesures permettant à l’État de contrôler la distribution des fonds entre organismes d’HLM et de s’opposer à des augmentations de capital, comme vous venez de le rappeler, madame la ministre.

J’en viens maintenant à la question de la redistribution territoriale de la PEEC, sur laquelle de fortes inquiétudes se sont exprimées en commission. Vous y avez également fait référence, madame la ministre.

Le principe de mutualisation des fonds entre les territoires, qui existe déjà dans l’organisation actuelle, devrait être maintenu. La répartition de la PEEC devrait être établie en fonction des besoins des territoires identifiés par les structures locales d’Action logement et en application des objectifs fixés par la convention quinquennale.

La commission s’est cependant interrogée sur la répartition effective de la PEEC. Quelle part restera à l’échelon national pour financer les politiques publiques de l’habitat et quelle part « redescendra » dans les territoires pour financer les aides aux personnes physiques et aux organismes d’HLM ? Quels critères seront retenus pour la répartition de la collecte entre les territoires ? S’agira-t-il, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, d’une application stricte de ce qui aura été décidé à l’échelon national ? Des souplesses et des adaptations aux spécificités territoriales seront-elles possibles ? Comment éviter une concentration des moyens sur les seules zones tendues ? Il s’agit d’empêcher que les constructions neuves ne se fassent uniquement sur les zones tendues et les réhabilitations sur les zones non tendues. Évitons les règles d’application unilatérales et uniformes, qui ne tiennent pas compte des réalités territoriales.

S’agissant de l’organisation territoriale d’Action logement, la réforme prévoit le maintien d’un ancrage territorial avec la mise en place des comités régionaux Action logement, les CRAL. Ainsi, dans chaque région, Action logement sera clairement identifiée, soit au niveau politique avec les CRAL, soit au niveau technique avec des délégations régionales.

Ces CRAL auront notamment pour mission de recueillir et de synthétiser les besoins des entreprises et des salariés dans les principaux bassins d’emploi de la région, ainsi que de conclure des conventions avec les conseils régionaux et les établissements publics de coopération intercommunale représentatifs des principaux bassins d’emploi de la région.

Toutefois, la commission s’est interrogée sur la répartition des rôles entre les CRAL et les délégations régionales. Quelle sera la marge de manœuvre des CRAL par rapport aux délégations régionales ? Devront-ils appliquer de façon uniforme les orientations de la structure faîtière ou bénéficieront-ils d’une marge d’appréciation ? Il ne faudrait pas que la centralisation de la collecte conduise une nouvelle fois à uniformiser la distribution des emplois dans les territoires et à gommer toute possibilité d’adaptation !

Au niveau national, le comité des partenaires devra jouer un rôle de vigie quant aux orientations et à la distribution de la PEEC entre les territoires. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, des représentants des collectivités territoriales devraient siéger au sein de ce comité, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Enfin, l’ANCOLS, qui contrôle Action logement, jouera un rôle essentiel en nous permettant de connaître le montant des sommes collectées, ainsi que leur redistribution entre les organismes d’HLM et les territoires. Il est essentiel que cette agence ait les moyens de mener à bien cette mission.

En conclusion, je souhaite, madame la ministre, que vous puissiez nous apporter des éléments de réponse de nature à nous rassurer, et à convaincre ainsi les plus réticents d’entre nous d’adopter le projet de loi sans modification.

Nous serons extrêmement vigilants sur les dispositions de l’ordonnance afin d’éviter, d’une part, que la concurrence entre CIL ne se transforme en concurrence entre organismes sous actionnariat d’Action logement et organismes sans actionnariat d’Action logement et, d’autre part, que certains territoires ne soient oubliés par cette nouvelle organisation.

Nous n’hésiterons pas à procéder aux corrections que nous estimerions nécessaires lors de l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances si nous constations un décalage entre vos engagements et le contenu des ordonnances. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Joël Labbé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je voudrais remercier l’ensemble des collègues qui suivent ce dossier du logement, ainsi que Mme la ministre, que nous accueillons avec plaisir dans notre hémicycle.

Le groupe socialiste et républicain approuve largement les conclusions défendues par notre rapporteur, Valérie Létard. Elle a balayé le champ des enjeux et nous partageons la position politique qu’elle propose d’adopter. Celle-ci consiste à soutenir le texte, tout en indiquant que le Sénat fera preuve d’une grande vigilance sur un certain nombre de points et d’exigences que nous souhaitons voir repris dans l’ordonnance.

Nous n’allons pas reprendre le vieux débat sur l’opportunité des ordonnances. Pour ma part, je n’ai jamais été favorable à ce genre de méthode.

Pour autant, nous avions déjà voté sur ce texte, à l’occasion de l’examen du projet de loi Rebsamen, mais la disposition en question avait été censurée par le Conseil constitutionnel, qui y a vu un cavalier législatif. Au point où nous en sommes, nous pensons que cette réforme doit être mise en œuvre, que les ordonnances doivent donc pouvoir être promulguées, et ceci dans le respect de nos préoccupations.

Je voudrais désormais rappeler les points auxquels notre groupe est particulièrement attaché.

Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier, madame la ministre, car vous vous êtes engagée à nous transmettre les projets d’ordonnance – je connais votre sens du dialogue –, afin que nous puissions être proactifs, au service d’une rédaction qui conviendrait au plus grand nombre.

Pour le groupe socialiste et républicain, ce qu’on appelle le « 1 % logement », géré par les partenaires sociaux, est un pilier fondamental de notre politique du logement. Nous avons toujours été opposés aux bruits qui pouvaient frémir, à Bercy ou ailleurs, sur la transformation de cette ressource gérée paritairement par les partenaires sociaux en un prélèvement obligatoire géré par l’État.

Nous avons toujours été attentifs, tout en étant assez lucides sur le réalisme de cette revendication, à ce que le « 1 % logement » ne se substitue pas aux crédits budgétaires consacrés par l’État tant au financement de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, qu’aux aides à la pierre.

Je rappelle ces positions, sachant toutefois que, chemin faisant, hélas, l’État s’est désengagé budgétairement de l’ANRU, et que l’aide à la pierre est régulièrement menacée – j’espère que ces menaces ne se concrétiseront pas à l’occasion du prochain budget. Madame la ministre, vous pouvez prévenir vos collègues des finances : notre mobilisation sera totale pour qu’un haut niveau d’engagement budgétaire soit garanti. Nous y tenons !

La présente réforme a pour objectif de consolider le système, de répondre aux critiques qui lui sont faites et de garantir sa gestion paritaire. C’est un pari : la collecte étant centralisée, il est évident que la captation de ses recettes au profit de certains opérateurs est facilitée.

Toutefois, cette centralisation rend le système plus optimal, plus efficace, et devrait permettre de conjurer les critiques portant sur les doublons, la concurrence inutile, le gaspillage. C’est dans cet esprit que nous soutenons ce projet de loi.

J’en viens à l’objectif principal : comme le dit Action logement, l’urgence est de construire et de rénover. Il n’est pas question de gaspiller les crédits dans cinquante mille directions différentes. De ce point de vue, et même si nous approuvons tout à fait le dispositif VISALE, je reste une ardente partisane de la garantie universelle des loyers, la GUL, que nous avions votée en adoptant la loi ALUR (M. Philippe Dallier s’exclame), mais nous n’allons pas reprendre le débat sur ce vaste sujet !

Je résume l’objectif : construire, rénover, répondre aux besoins de logement.

Le premier point sur lequel nous souhaitons insister, c’est l’égalité. Le « 1 % logement », en effet, est un prélèvement obligatoire : il a donc vocation à s’inscrire dans un cadre d’intérêt général, lequel doit être très clair ; il ne peut pas être dispensé au gré des envies des uns et des autres.

De ce point de vue, je félicite l’Assemblée nationale d’avoir donné corps à l’idée, qui était dans l’air, de créer une structure consultative réunissant le mouvement HLM et les élus locaux. Vous comprendrez, madame la ministre, que le Sénat soit très attentif à la présence des élus locaux dans ce comité consultatif.

La fidélité au principe d’égalité exige également que la distribution du « 1 % logement » ne privilégie pas certains opérateurs de la construction de logements au motif qu’ils feraient partie du réseau d’Action logement, ou qu’ils seraient une ESH, une entreprise sociale pour l’habitat, plutôt qu’un office ou une coopérative. Les engagements pris par Action logement me semblent aller dans le sens d’un tel souci de transparence et d’égalité de traitement des opérateurs.

Je m’interroge par ailleurs depuis toujours sur la légitimité même de la capitalisation de certains organismes ou sociétés au moyen de fonds provenant d’un prélèvement obligatoire. Si possibilité de capitalisation il y a – avec les conséquences que cela emporte en termes d’acquisition de pouvoir au sein de la structure concernée –, pourquoi ne serait-elle pas ouverte à tous les types d’opérateurs intervenant dans ce domaine ?

Quoi qu’il en soit, l’utilisation des ressources d’un prélèvement obligatoire pour capitaliser certaines structures et y acquérir du pouvoir me semble borderline, comme disent les jeunes, d’un point de vue constitutionnel, et cela même si ce sont les partenaires sociaux qui détiennent ledit pouvoir.

Je pense que nous atteignons là une limite ; surtout, je pense que ces fonds seraient mieux utilisés à financer directement l’action. J’ai pu comprendre, un temps, la logique présidant à cette situation : sans capitalisation, pas de fonds propres, donc pas d’action possible.

M. Philippe Dallier. C’est assez évident !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est la raison pour laquelle, tout en m’étonnant quelque peu de la méthode, je ne m’opposais pas radicalement au principe, ceci jusqu’à ce que le Président de la République fasse une très bonne proposition : les fameux « prêts de haut de bilan » accordés par la Caisse des dépôts et consignations, dans lesquels Action logement jouera d’ailleurs un rôle.

Dès lors que de tels prêts sont disponibles pour tous les opérateurs, et en particulier les ESH liées à Action logement, la capitalisation n’est plus ni nécessaire ni légitime d’un point de vue opérationnel.

Pour ma part, je souhaite donc que les engagements pris soient honorés – l’État ne saurait évidemment changer tout d’un coup de philosophie –, mais que nous allions au bout de ces dispositifs de capitalisation, jusqu’à leur extinction progressive, au profit d’autres solutions plus justes, plus équitables, et sans doute tout aussi opérationnelles. La tendance récente est d’ailleurs celle, précisément, d’une baisse régulière de la part capitalisée par rapport à la part redistribuée.

Je me félicite en tout cas que le Gouvernement soit intervenu pour garantir que les fonds ne soient pas inutilement « mis de côté » au détriment de l’action, et que certains opérateurs ne soient pas favorisés au détriment des autres.

Deuxième point important : la territorialisation. Mme la rapporteur a très bien exprimé les inquiétudes liées à la concurrence des objectifs. Le même débat a d’ailleurs lieu sur l’utilisation des fonds publics : l’obsession des zones tendues est légitime, puisque c’est là que les besoins sont les plus importants ; en même temps, l’erreur serait de négliger les besoins des zones non tendues.

Le débat que nous avons eu en commission l’a bien montré : dans certains secteurs ruraux, la mutation des espaces et l’aménagement du territoire requièrent des efforts en termes de traitement de l’ancien. Il s’agit notamment de rénover un parc HLM désuet, qui ne correspond plus aux besoins des jeunes générations.

La crainte est que la centralisation ne fasse oublier, au motif d’un « grand » intérêt général, de plus petits intérêts, lesquels sont pourtant tout aussi généraux. Il y va en effet de la capacité de la France à rester un territoire équilibré entre ses grandes métropoles, ses petits villages et ses villes intermédiaires.

Ce souci est légitime : l’histoire nous enseigne en effet, par exemple, que le monde industriel – y compris les nouvelles industries – se trouve rarement dans les métropoles. Nous devons donc éviter la situation où des territoires ne bénéficieraient pas de la richesse qu’ils produisent pourtant. Nous aurions beau jeu, ensuite, de déplorer leur « éloignement » ou leur « disqualification » ! Nous nous sommes compris, madame la ministre : ce point est déterminant.

Concernant la clause d’agrément, il faut préciser que les partenaires sociaux, quelles que soient les structures, ne sont pas nécessairement les mêmes localement et nationalement. Les partenaires locaux étaient habitués à être parties prenantes des choix effectués sur leurs territoires : ils participaient aux conseils d’administration de certaines ESH. Ils redoutent désormais – cette inquiétude est partagée par les syndicats et par le MEDEF – que le niveau national décide de désigner, depuis Paris, d’autres représentants, au motif que l’actionnariat qui était local est désormais géré par la structure faîtière. On craint donc que les « technocrates parisiens » ne prennent le pas dans les arbitrages des sociétés.

Je souhaite, madame la ministre, que l’État fasse preuve de vigilance sur ce sujet. Nous devons construire des structures de médiation – tout n’a pas à figurer dans la loi – qui permettent d’éviter une centralisation excessive, laquelle irait à contre-courant de nos orientations collectives. À défaut, en cas de désaccord de fond entre, d’une part, les partenaires sociaux d’un territoire, en l’occurrence le comité interprofessionnel du logement, ou CIL, local, et, d’autre part, la structure faîtière nationale, le risque sera celui d’un rapport de forces perpétuel.

Enfin, vous avez bien dit que le rôle et le fonctionnement des CRAL, ainsi que la marge de manœuvre dont ils disposeront au niveau local, devaient être davantage précisés. Ce qui me pose problème, c’est la complexité des modes de contractualisation. Entre les plans locaux d’urbanisme, les programmes locaux de l’habitat, les contrats qui seront signés avec les CRAL, ceux qui le seront avec les organismes d’HLM, sans parler de l’ANAH, il me semble nécessaire d’instaurer une cohérence d’ensemble.

Simplifier, unifier, rendre plus opérationnelle l’intervention de la puissance publique et des acteurs locaux : ces points seront sans doute à l’ordre du jour des prochains débats relatifs aux politiques de l’habitat et de la ville.

En tout cas, madame la ministre, nous voterons en faveur de ce projet de loi, tout en restant vigilants, comme beaucoup de groupes du Sénat, quant au respect du mot d’ordre « égalité et territorialisation ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme Valérie Létard, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit ce matin a donné lieu à des discussions très vives, très animées, au sein de la commission des affaires économiques. Je ne représente pas ici la commission – j’interviens à titre personnel –, mais je ne peux que témoigner de ce que j’y ai entendu.

Ce texte était attendu. Nous savons comment était organisée la collecte, par les CIL, de la participation des employeurs à l’effort de construction, qu’on appelle le « 1 % logement ». Nous avons souvent dénoncé l’enchevêtrement des structures, qui se concurrençaient les unes et les autres, ce qui, en définitive, coûtait très cher – plus de 400 millions d’euros, comme cela a été avancé.

Tout cela devait être corrigé ; la Cour des comptes a d’ailleurs pointé du doigt ces dysfonctionnements d’une façon extrêmement forte et précise. Il fallait donc œuvrer. Tel est l’objet du texte que vous nous proposez, madame la ministre. Il avait connu une première vie au sein d’un projet de loi défendu par François Rebsamen. Nous connaissons le sort qui avait été réservé à cette partie du texte : déclarée hors sujet, elle avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Il fallait donc y revenir.

Le Gouvernement a donc choisi d’engager la procédure accélérée en déposant un projet de loi l’habilitant à légiférer par ordonnances.

Première remarque, de forme : les sénateurs, comme les députés, n’aiment pas les ordonnances. On peut s’interroger sur la légitimité d’une telle précipitation : après tout, la censure du Conseil constitutionnel remonte à un an ; il eût été évidemment plus judicieux de présenter, dans un délai assez rapide, un projet de loi qui nous permette de légiférer sur la question qui nous rassemble aujourd’hui.

Sur le principe – vous le savez, madame la ministre –, les parlementaires ne peuvent que dénoncer le recours excessif, parfois systématique, aux ordonnances. J’utiliserai cet argument, d’ailleurs, avec une certaine retenue. (Sourires.) Je fais partie des parlementaires qui soutiennent, en effet, le discours vigoureux tenu par certains candidats susceptibles de se présenter à l’élection présidentielle de 2017, lesquels soulignent combien le recours aux ordonnances serait sans doute une bonne solution pour aller vite, pour aller loin et pour bien faire ! (Nouveaux sourires.)

Je n’insiste cependant pas, madame la ministre. J’imagine en effet qu’à front renversé, l’an prochain, nous entendrions ceux qui sont aujourd’hui dans la majorité, et qui pourraient, sait-on jamais, se trouver demain dans l’opposition,…

M. Roger Karoutchi. Sait-on jamais !

M. Pierre-Yves Collombat. Ils ont l’habitude !

M. Jean-Claude Lenoir. … dénoncer les initiatives qui seraient prises.

M. Jean-Claude Lenoir. Quoi qu’il en soit, il était important, madame la ministre, que ce propos fût dit avec la plus grande fermeté, ici, depuis cette tribune.

M. Ladislas Poniatowski. Vive les ordonnances !

M. Jean-Claude Lenoir. Quant au contenu de ce que vous nous proposez, nous comprenons bien qu’il faut mutualiser et rassembler les dispositifs en faveur de la construction. Le véritable motif d’inquiétude a été exprimé à la fois par Mme la rapporteur et par Mme Lienemann, qui m’a précédé à cette tribune, et qui, sénatrice de Paris, a montré qu’elle était elle aussi préoccupée par le caractère national de ces dispositions.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je suis sénatrice de la République !

M. Jean-Claude Lenoir. Quelle est la part que les territoires ruraux, que nous sommes nombreux, ici, à représenter, pourront occuper dans ces dispositifs ? C’est bien là la question ! La crainte est en effet que l’effort des employeurs en faveur de la construction vienne surtout conforter les gros organismes d’HLM dans les régions les plus agglomérées – et pas seulement la région parisienne –, et que l’on oublie ainsi que cet effort doit être également consenti – il est même nécessaire et attendu – en faveur des territoires ruraux.

Je représente un département, celui de l’Orne, qui est envié pour un certain nombre de ses atouts, mais a besoin lui aussi de constructions pour accueillir les populations qui viennent s’y installer et permettre à celles qui y résident d’avoir accès à des logements de qualité. Il s’agit parfois de petites opérations, portant, dans de petits bourgs, sur quelques logements. Évidemment, madame la ministre, comme vous l’imaginez, l’inquiétude des élus est de savoir si les moyens dont les organismes d’HLM disposent aujourd’hui pour réaliser de telles opérations continueront de leur être consentis.

Autre motif d’inquiétude : celui du mode de décision. Il sera centralisé au niveau national. J’ai beaucoup apprécié, vraiment, les propos de ma collègue sénatrice de Paris, qui aurait pu également poser la question suivante : qui décidera ? Je ne peux lui faire le reproche de ne pas l’avoir posée, car je l’ai entendue, sur d’autres sujets, manifester la vision nationale qui est inhérente au mandat qu’elle exerce ici.

La structure faîtière, qu’elle soit nationale ou régionale – les régions sont si grandes que le débat est transposable à leur niveau –, acceptera-t-elle d’accorder, au plan local, un intérêt soutenu aux préoccupations, aux demandes et aux besoins de nos territoires ruraux ?

Se pose également la question de la participation des élus. Mme Lienemann – pardonnez-moi de m’y référer si souvent, mais j’ai entendu son propos avec un intérêt tout particulier – a parlé de « technocrates ». Je ne veux surtout pas insister sur ce point, dans la mesure où se trouvent devant moi, à côté de Mme la ministre, des personnes qui pourraient se sentir visées – elles ne le sont évidemment pas. Des personnes qui n’entretiennent aucun lien avec le territoire, et qui n’ont pas la légitimité des élus pour participer à la décision, n’auront-elles pas tendance à omettre de tenir compte des besoins spécifiques du monde rural ?

Il y a eu, madame la ministre, au sein de la commission, et d’une façon qui m’a beaucoup surpris, une levée de boucliers face au dispositif proposé. J’avais bien envisagé que ce texte puisse donner lieu à des commentaires ; ils ont d’ailleurs été effectués par Mme la rapporteur, qui a accompli un excellent travail, dans un domaine où elle est à la fois connue et reconnue. Mais, en définitive, nous avons vu un certain nombre de collègues de tous bords, de tous groupes et de tous territoires exprimer leur très vive préoccupation. Je voudrais que vous en teniez compte, madame la ministre.

Je veux dire en même temps que nous avons beaucoup apprécié les réponses précises que vous avez apportées devant la commission des affaires économiques, que je préside, ainsi que la relation que vous avez entendu nouer avec elle. Vous avez pris l’engagement de soumettre à notre lecture les projets d’ordonnance avant qu’ils ne soient définitivement adoptés. Mme la rapporteur y veillera, au nom de l’ensemble des membres de la commission : elle sera votre interlocutrice, afin que nous puissions non seulement prendre connaissance avant promulgation des dispositifs prévus, mais aussi, éventuellement, y réagir.

Notre souhait est clair : que les territoires ne soient pas oubliés ! Je n’ai pas seulement en vue les territoires ruraux. On entend parfois des discours simplistes et caricaturaux sur l’inquiétude de principe des parlementaires de territoires un peu oubliés – certains parlent de territoires « hyper-ruraux ».

Mais non ! L’ensemble des territoires sont concernés. Au nom de l’égalité, qui est la valeur qui nous réunit, il est indispensable que cet effort en faveur de la construction puisse permettre à l’ensemble de nos concitoyens, qui y participent par leur contribution financière, de bénéficier des retombées de dispositifs qui ont montré leur efficacité et auxquels nous sommes évidemment très attachés.

Je conclurai, madame la ministre, en soulignant que nous sommes parfaitement conscients de l’urgence qui s’attache à ce que ce texte soit promulgué avant la fin de l’année, afin que ces dispositifs puissent s’appliquer dès le 1er janvier 2017. Un certain nombre de parlementaires auraient souhaité déposer des amendements et corriger le texte proposé, mais cela aurait donné lieu à une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, avec des risques de retards.

L’essentiel, madame la ministre, est que vous ayez bien pris en compte nos préoccupations, et qu’un travail nous réunisse, vous, exécutif, et nous, législateurs, de façon à ce que le meilleur puisse être produit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.