M. Philippe Dallier. Une usine à gaz !

M. Didier Guillaume. … une immense avancée pour ceux qui assument des travaux difficiles.

Quel mépris pour les jeunes ! La généralisation de la Garantie jeunes est essentielle pour la jeunesse. Ce n’est pas, comme j’ai pu l’entendre, un RSA pour les jeunes ou les mineurs. C’est un moyen de lutter contre la précarité ! Nous voulons non pas la flexibilité pour les jeunes, mais la flexisécurité pour tous !

Quel mépris pour les cadres, qui bénéficieront notamment du droit à la déconnexion !

Le projet de loi contient beaucoup de grandes avancées sociales.

Épargnez-nous les faux débats sur la première version que vous auriez votée si elle n’avait pas disparu ! Si le texte a évolué depuis la première, c’est bien parce que le dialogue social a joué son rôle ! D’ailleurs, dans la première version, il n’y avait pas le retour aux 39 heures payées 35 !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Dans le texte de la commission non plus !

M. Didier Guillaume. Il n’y avait pas la modification des seuils sociaux, la suppression du mandatement syndical, le travail des apprentis au-delà de dix heures par jour dès quatorze ans ou l’instauration d’un temps partiel inférieur à vingt-quatre heures par semaine !

Faites-nous donc grâce des faux débats ! Il y a un texte, qui est un texte d’équilibre et de progrès social !

J’en viens au désormais fameux article 2, qui est au cœur du débat.

Oui, pour nous, la décentralisation, y compris la décentralisation du dialogue social, est importante ! L’inversion de la hiérarchie des normes ne nous choque pas. Mais l’inversion de la hiérarchie des priorités est essentielle à nos yeux.

Oui, il faut donner priorité aux acteurs de terrain et aux salariés dans les entreprises ! Oui, il faut donner priorité aux syndicats ! Contrairement à d’autres, nous sommes favorables aux syndicats. Nous voulons travailler avec eux. Nous les considérons non pas comme un problème ; ils ont un rôle fort à jouer ! La majorité des accords des 700 branches n’ont pas été renouvelés depuis plus de vingt ans.

Le projet de loi garantit un équilibre. Nous ne voulons pas revenir sur l’article 2. À nos yeux, c’est un nouveau modèle social qu’il faut créer. C’est le sens de la social-démocratie affirmée, revendiquée et sereine que nous entendons mettre en œuvre.

Chers amis du groupe CRC, vous affirmiez voilà quelques instants que François Hollande n’avait pas été élu pour renverser la hiérarchie des normes et donner les clés au MEDEF.

Mme Annie David. C’est pourtant ce qu’il a fait !

M. Didier Guillaume. Mais non ! Il a été élu pour améliorer la situation des entreprises tout en protégeant les salariés. C’est ce qu’il a fait avec le pacte de responsabilité ou le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.

M. Pierre Laurent. C’est n’importe quoi !

M. Didier Guillaume. Aujourd’hui, les marges des entreprises sont plus fortes.

Il l’a fait aussi en partant du principe que l’économie, loin d’être un adversaire, était l’alpha et l’oméga de l’évolution de notre société, à condition de veiller à la protection des salariés. Son action s’inscrit dans ce cadre.

Certes, nous ne sommes ni aveugles ni sourds. Nous voyons qu’il y a des grèves et des manifestations. Il ne nous a pas échappé que des électeurs de gauche se détournaient du Gouvernement et du Président de la République. Mais il ne nous a pas échappé non plus qu’ils ne se tournaient pas vers vous ! (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

M. Pierre Laurent. Parce qu’ils vont vers la droite !

M. Didier Guillaume. Peut-être devrions-nous avoir cette réflexion ensemble. Pour convaincre ces électeurs de revoter pour François Hollande pour 2017,…

Mme Annie David. Il est donc candidat ?

M. Didier Guillaume. … nous devons leur apporter une explication claire du modèle de société, du modèle économique et social que nous ambitionnons.

Notre groupe aborde ce débat avec sérénité. Nous défendrons un nouveau contrat social, avec la conviction que nous agissons non pas pour nous-mêmes, mais dans l’intérêt des salariés et des Français.

Le Gouvernement aurait pu se contenter de trois années de réformes sur les cinq dont il disposait. Mais il a décidé de déposer un texte majeur au cours de la dernière année du quinquennat, parce que c’est l’intérêt de la France et des Français !

Le projet de loi Travail est un beau texte. Appelons un chat un chat, il est mal accepté par la population. Nous avons encore beaucoup de mal à en expliquer les tenants et les aboutissants. Mais nous y parviendrons. Ce projet de loi, qui établira les nouvelles relations sociales en France, est avant tout un texte de clarification politique, sociale et économique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le Gouvernement nous présente aujourd’hui un projet de loi qui ambitionne de moderniser le droit du travail. Il se targue de laisser une place prépondérante au dialogue social et à la négociation collective.

Pourtant, force est de constater que le Gouvernement s’est éloigné de l’approche participative, en ne consultant pas les syndicats en amont et en ayant recours au 49.3.

Madame Bricq, j’ai entendu les propos que vous avez tenus tout à l’heure. Je vous rappelle simplement que vous étiez jadis opposée au 49.3.

Mme Nicole Bricq. Quand et où ?

M. Jean Desessard. Quand ce n’était pas vous qui l’utilisiez ! (Rires sur les travées du groupe écologiste, du groupe CRC, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Procaccia. Quand la droite était au pouvoir !

M. Jean Desessard. Vous pouvez arguer que le Gouvernement est obligé d’y recourir parce qu’il est coincé.

M. Didier Guillaume. Tout dépend des circonstances !

M. Jean Desessard. Mais affirmer que cela participe de la démocratie parlementaire, c’est un peu fort de café !

M. Didier Guillaume. Rocard l’a utilisé 28 fois !

Mme Nicole Bricq. Par exemple pour créer le RMI !

M. Jean Desessard. Madame la ministre, aujourd’hui, la droite sénatoriale vous permet de jouer sur la corde de la défense des salariés et de prétendre incarner un équilibre. Entre l’opposition des plus radicaux à gauche et celle de la droite, le Gouvernement occuperait une position médiane.

Ce n’est pas mon point de vue. Pour moi, vous avez ouvert les vannes de la flexibilité au travail. Comme vous avez placé les réformes chères au MEDEF en haut du toboggan, la droite n’a plus qu’à les laisser glisser pour aboutir à une véritable régression sociale. Ce n’est pas un équilibre ; c’est un retour en arrière !

Si la flexibilité n’est pas assortie d’une sécurisation des parcours professionnels et de garanties pour l’emploi, peut-on réellement parler de modernisation ? Quelle modernisation ? Et pour qui ?

Nous refusons de participer à une telle course au moins-disant social, où la norme reviendrait à s’aligner sur les plus bas salaires et conduirait à l’absence de sécurité de l’emploi.

Vous avez déclaré que l’on pouvait faire confiance aux partenaires sociaux. Or le MEDEF en fait partie. Où est le million d’emplois qu’il devait créer grâce à la mise en œuvre du CICE ?

M. Jean Desessard. Les milliards d’euros que le Gouvernement lui a accordés auraient été mieux employés par les collectivités territoriales, qui auraient pu les investir, conclure des marchés avec les entreprises,…

M. Didier Guillaume. C’est ce qu’elles vont faire !

M. Jean Desessard. … permettant ainsi des embauches dans les territoires. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Pierre Caffet. Et la dette ?

M. Jean Desessard. Mes chers collègues, nous avons bien le droit de ne pas avoir la même conception que le Gouvernement !

Nous rejetons la philosophie du texte, même si quelques mesures semblent intéressantes. Je pense par exemple au compte personnel d’activité, qui regroupe dans un même dispositif les droits liés à la formation, à la pénibilité et à l’engagement citoyen. La perspective d’y inclure le compte épargne-temps nous convient également. Nous sommes favorables aux droits attachés à la personne, qui tiennent compte du parcours accompli en tant que salarié, mais aussi en tant que citoyen.

Cela a été rappelé, le texte a suscité dès sa présentation un certain nombre d’inquiétudes dans le pays. Le président du groupe socialiste l’a lui-même reconnu. Ces inquiétudes sont partagées par une partie des forces syndicales et politiques, dont les écologistes.

Au premier abord, l’idée de mener les négociations à l’échelle de l’entreprise paraît séduisante. Mais il faut tenir compte du contexte ! Peut-on parler de liberté lorsque le climat est défavorable aux salariés, dans le cadre de la concurrence mondiale ? Peut-on parler de liberté quand une contrainte économique pèse sur un grand nombre de salariés ? La crainte de perdre son emploi ou de se voir refuser le renouvellement de son contrat n’entraîne-t-elle pas, pour le salarié, le risque de se laisser imposer un certain nombre de conditions de travail par l’employeur ? (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.)

L’idée est peut-être séduisante, mais le contexte est favorable aux chefs d’entreprise soumis à la concurrence, et non aux salariés.

À cet égard, l’article 2 est tout à fait significatif. Il concède une place prépondérante à la négociation collective à l’échelle de l’entreprise en matière de temps de travail.

La question du temps de travail revêt une grande importance dans la vie professionnelle. Elle détermine le temps passé sur le lieu de travail, le salaire perçu et la vie personnelle des salariés.

La santé, la vie familiale, le temps libre, c’est cela, le progrès social ! Pour les salariés, ce temps de vie est trop important pour que l’on puisse courir le risque de laisser la pression économique guider la négociation collective.

Madame la ministre, aurait-on instauré les congés payés ou la sécurité sociale par le biais d’accords d’entreprise ? (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

M. Didier Guillaume. Cela n’a rien à voir !

M. Jean Desessard. Mais si ! Le rapport de force n’est pas au niveau de l’entreprise.

L’évolution des règles applicables aux licenciements économiques suscite également notre désapprobation. En effet, ce type de licenciements nous paraît clairement facilité au regard des critères retenus. Ces derniers permettent aux entreprises de créer artificiellement des difficultés financières. Le texte doit évoluer. Le licenciement pour motif économique doit être une solution de dernier recours. Le juge doit avoir plus de latitude pour en apprécier les difficultés.

Plus généralement, à nos yeux, la meilleure manière de créer des emplois n’est pas de s’aligner sur le moins-disant mondial.

Mme Nicole Bricq. Mais qui dit cela ?

M. Jean Desessard. Au contraire, valorisons nos atouts.

Jamais la France ne pourra offrir des salaires compétitifs face aux pays asiatiques en développement ; ce n’est pas possible !

Mme Nicole Bricq. Qui parle de cela ?

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas le sujet !

M. Jean Desessard. Mais si ! C’est bien votre objectif ! (Protestations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Pierre Caffet. Mais c’est absurde !

M. Jean Desessard. Je ne vous le fais pas dire ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

Le travail bien fait, la créativité sont la véritable force de notre pays. Elle réside également dans nos infrastructures et dans notre niveau de formation, dans une administration qui contrôle et qui rassure quant à la qualité des produits, et plus largement dans les services publics. Voilà ce qu’il nous faut préserver et valoriser !

Je n’ai pas le temps d’analyser le texte de la droite sénatoriale.

M. Philippe Dallier. Vous avez trop à faire à gauche ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. Jean Desessard. Mais nous aurons deux semaines pour cela.

Nous ne voterons ni le texte adopté via le 49.3 à l’Assemblée nationale ni celui de la commission des affaires sociales du Sénat, qui fait un pas de plus dans le sens de la régression sociale ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame la présidente, madame le ministre, chers collègues, les crispations autour de ce projet de loi sont nombreuses. Nous pourrions nous demander comment on en est arrivé là. Comme le soulignent la grande majorité des observateurs, ce texte est franchement assez vide.

D’ailleurs, commencer un texte de loi censé réformer le droit du travail par un article instituant une commission pour faire des propositions dans ce sens, c’est assez baroque !

M. François Marc. Mais oui ! Il faut un chef, un point c’est tout…

M. David Rachline. On en est là, car les promoteurs de ce texte tout comme ses opposants les plus virulents n’ont pas, ou plutôt plus de légitimité. Ils en sont donc réduits à faire de la surenchère pour donner l’illusion qu’ils agissent.

Les premiers ne sont en réalité que les scribes de la Commission européenne – je vais y revenir –, tandis que les autres ne représentent plus personne, et surtout pas l’immense majorité des salariés de ce pays.

Si les leaders syndicaux défendaient réellement les salariés français et nos millions de compatriotes au chômage, ils commenceraient par bloquer les entreprises qui font du dumping social en ayant recours aux travailleurs détachés plutôt que les raffineries ou les transports. Le nombre de ces travailleurs détachés a augmenté de 20 % en 2015, alors que des millions de nos compatriotes sont au chômage.

Il me semble nécessaire d’expliquer, pas à vous mes chers collègues, encore moins à vous madame le ministre – vous ne le savez que trop bien –, mais à nos compatriotes d’où vient ce projet de loi.

Comme je suis assez traditionnel en matière de filiation, je dirai que, comme tout enfant, ce projet de loi à un père et une mère ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Michelle Meunier. C’est n’importe quoi !

M. David Rachline. Son père, c’est l’euro ; sa mère, c’est la stratégie de Lisbonne.

Honneur aux dames : commençons par sa mère ! Ce texte émane directement des grandes orientations de politique économique, les GOPE, avis de technocrates de la direction générale des affaires économiques de la Commission européenne, qui, avec l’article 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE, deviennent les recommandations du Conseil aux États membres.

Or le TFUE émane du traité de Lisbonne, celui-là même, souvenez-vous, que le peuple français a rejeté par référendum, mais que l’UMPS a ratifié au Parlement par un acte profondément antidémocratique !

La déclinaison des GOPE fait évidemment l’objet d’une surveillance de la part de la Commission.

Je vous cite ces recommandations pour 2016 : « Réformer le droit du travail afin d’inciter davantage les employeurs à embaucher en contrats à durée indéterminée ; faciliter, aux niveaux des entreprises et des branches, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l’organisation du temps de travail ; réformer la loi portant création des accords de maintien de l’emploi d’ici à la fin de 2015 en vue d’accroître leur utilisation par les entreprises ». On croirait lire l’exposé des motifs du projet de loi !

J’ai parlé de la mère de ce texte. Il me faut à présent évoquer son père : l’euro.

M. François Marc. L’Euro ? On va le gagner ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. David Rachline. Au cas où vous l’auriez oublié, la monnaie est un levier économique puissant. Or vous avez donné cet outil à l’Union européenne. Il vous reste donc à agir sur les quelques outils qu’il vous reste. Comme l’euro est surévalué pour l’économie française, comme son fonctionnement empêche toute dévaluation compétitive, il n’y a plus qu’un seul levier pour gagner en compétitivité-coût : c’est évidemment de jouer sur les salaires.

M. Pierre Laurent. Parlez-nous plutôt de vos amendements !

M. François Marc. Oui ! Où sont vos amendements ?

M. David Rachline. En outre, les banquiers ont une fâcheuse tendance à faire passer la rémunération du capital avant celle du travail. Comme la zone euro est totalement soumise aux marchés, ils font du chantage à l’investissement sur les pays membres, les capitaux se délocalisant encore plus vite que les travailleurs.

Enfin, comme, à cause de l’euro, notre politique budgétaire est encadrée, pour ne pas dire surveillée étroitement par Bruxelles, l’unique levier économique que vous pouvez actionner est celui qui touche les salariés.

Bref, la crise provoquée par ce texte vient tout droit de notre perte de souveraineté et de notre soumission à cet organisme non élu qu’est la Commission européenne. D’ailleurs, cette dernière ne s’en cache pas.

Lors d’un passage à Paris, le commissaire Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission chargé de l’euro et du dialogue social, a salué la loi El Khomri comme une heureuse initiative « destinée à répondre aux rigidités du marché du travail » et qui devrait, selon lui, « relancer l’emploi ».

Madame la ministre, permettez-moi de vous plaindre. Vous êtes devenue un bouc émissaire, alors que vous n’y êtes finalement pas pour grand-chose. Cette crise souligne ce que nous disons depuis des années : nous ne sommes plus maîtres chez nous ! Dans les faits, un ministre de la France n’est plus qu’un simple scribe ou, si vous préférez, le service client de la Commission européenne !

Cela explique également votre entêtement à faire passer ce texte, alors que vous n’avez plus de majorité au Parlement et que la majorité des Français exprime son opposition.

Pour réformer notre pays, il faut avant tout de la légitimité. Bruxelles, à qui nous avons abandonné notre souveraineté législative, n’en a pas ! Les syndicats qui bloquent honteusement notre pays n’en ont pas non plus !

Je ne pense nullement qu’il faut garder le droit du travail en l’état et qu’aucune réforme n’est nécessaire. Mais, pour que les réformes indispensables soient acceptées par les Français, elles doivent être défendues par des acteurs légitimes.

Les Français sont prêts aux réformes, même importantes. Ils voient bien que le monde du travail évolue. Mais ils veulent que ces réformes soient l’expression de leur choix, et non qu’elles soient imposées par je ne sais quel technocrate bien éloigné des réalités du terrain.

Il nous faut donc retrouver une souveraineté pleine et entière,…

M. François Marc. Voilà ! Il faut un chef, un grand ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. David Rachline. … dans les domaines économique et législatif. Il nous faut des représentants des salariés qui soient eux aussi légitimes ; ils doivent être au service des salariés, et non d’eux-mêmes et d’une idéologie !

Ne vous étonnez pas des blocages ! Ils ne sont que le fruit de votre politique. Les salariés exerçant – il faut le rappeler – leur droit constitutionnel ne sont que la partie visible de l’opposition du peuple de France à votre politique.

Vous souhaitez mettre fin à cette crise économico-sociale ? Retirez ce texte ; retrouvons notre souveraineté ; réformons le syndicalisme ! Alors, les Français sauront faire le choix de la réforme, une réforme au service des entreprises françaises, des salariés français, bref une réforme au service de la France !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis un quart de siècle, le monde change à une vitesse que peu d’observateurs avaient anticipée.

À la fin des années 1980, la Chine et les pays émergents se sont lancés dans une course effrénée à la production et à la consommation. La division internationale du travail en a été bouleversée.

La chute du mur de Berlin et la fin du système communiste, cher à certains à l’époque, ont entraîné dans cette compétition mondiale près de 100 millions d’Européens, qui vivent leurs « trente glorieuses », alors que, chez nous, ces dernières ne sont plus qu’un lointain souvenir.

À présent, une révolution numérique qui n’en est qu’à son commencement bouleverse l’idée même que nous nous faisons du travail et de l’emploi, notamment dans le domaine des services.

Oui, le monde change ! Comme le disait le général de Gaulle sur un tout autre sujet, nous pouvons toujours regretter le temps de la marine à voiles et des lampes à huile, mais cela n’y changera rien ! Il nous faut voir le monde tel qu’il est. Regardons vers l’avenir et utilisons nos atouts, qui sont nombreux.

Pour nous, les choses sont claires. Il n’y a pas d’autre choix que de nous adapter le mieux possible, afin de rester dans la course d’une économie mondiale qui n’a que faire de nos regrets, de nos états d’âme et même souvent, c’est vrai, du désespoir de nos concitoyens voyant leur emploi disparaître.

Attendre ou bouger, c’est la seule alternative. Attendre, c’est avoir la certitude de voir se poursuivre les délocalisations, la certitude que les investissements et les emplois nouveaux seront créés ailleurs. Et puis attendre quoi ? Que le reste du monde adopte les mêmes règles que celles que nous nous sommes imposées ? Certes, elles sont toujours pétries de bonnes intentions. Mais certaines – je dis bien « certaines » – sont devenues des boulets aux pieds de nos entreprises, grandes ou petites.

Alors oui, il faut bouger ! Cela ne signifie pas que nous devions passer notre modèle par pertes et profits dans une course au moins-disant social ; personne ne propose cela, malgré les caricatures que nous entendons régulièrement. Néanmoins, ne pas nous adapter reviendrait à coup sûr à perdre cette guerre économique, comme nous en avons perdu d’autres, retranchés derrière la ligne Maginot de nos certitudes et de notre immobilisme.

Bouger, le Gouvernement semblait enfin s’y être résolu. Je dis « enfin », car il aurait fallu aborder dès 2012 – cela aurait d’ailleurs valu pour n’importe quelle nouvelle majorité – le problème de l’emploi et de la compétitivité de nos entreprises de manière globale. On sait ce qu’il en a été. Vous avez détricoté toutes les mesures que nous avions adoptées en ce sens. Je pense notamment la TVA sociale, que le Président de la République a même regretté d’avoir supprimée.

M. Didier Guillaume. Ça ne fonctionnait pas !

M. Philippe Dallier. Puis, vous avez assommé les entreprises et les particuliers d’impôts et de taxes.

Les résultats ne se sont pas fait attendre : croissance atone et chômage en forte hausse. Les chiffres sont là, et ils sont cruels. C’est d’ailleurs pour cela que le Gouvernement s’est décidé à bouger. Depuis 2012, la croissance française a été deux fois plus faible, à 2,1 %, que dans les pays de l’OCDE, à 5,4 %. Fin 2015, notre taux de chômage s’élevait à 10,4 % quand il ne dépassait pas 6,8 % dans l’OCDE.

M. Didier Guillaume. Oui, mais notre modèle social est préservé !

M. Philippe Dallier. Ainsi, il y a aujourd’hui deux catégories de pays en Europe.

Les uns ont fait des réformes, soit avant la crise, comme l’Allemagne, soit après, comme l’Angleterre et l’Italie. Ils profitent aujourd’hui de la reprise. Et nous, nous n’avons quasiment rien fait. En 2012, le taux de chômage de l’Angleterre était à peu près le même que le nôtre. Quatre ans plus tard, il est à 5 %, contre plus de 10 % chez nous !

M. Didier Guillaume. Oui, mais avec des petits jobs et de la précarité !

M. Philippe Dallier. L’an dernier, alors que l’Italie enregistrait 200 000 embauches, et l’Allemagne plus de 300 000, nous avons péniblement créé 40 000 emplois marchands.

Le Président de la République voudrait convaincre les Français que « ça va mieux » alors que trois millions et demi d’entre eux cherchent un emploi, sans compter tous ceux qui ne travaillent que quelques heures par mois ou n’occupent qu’un emploi aidé. D’ailleurs, cela semble votre formule préférée pour faire reculer le chômage, en tout cas dans les statistiques. Au total, près de 5,6 millions de nos compatriotes attendent des réponses efficaces en matière d’emploi.

Que de temps perdu ! Certes, l’initiative même de ce texte et le contenu de son avant-projet, reprenant certaines propositions du rapport Combrexelle, laissaient penser que le Gouvernement avait compris où étaient les clés du problème. Ce texte, nous étions prêts à l’approuver et, bien sûr, à l’améliorer ; c’est aussi le rôle du Sénat. Mais, faute de majorité à l’Assemblée nationale, et malgré l’utilisation du 49.3, vous êtes réduits à une quasi-impuissance. Vous présentez au Sénat un texte largement vidé de sa substance initiale.

Il était pourtant facile de prévoir, en se remémorant le discours du Bourget, qu’une grande majorité des électeurs de François Hollande et même des députés de sa majorité auraient, avec ce texte, le sentiment d’avoir été trompés. Depuis lors, de reculade en reculade, vous aurez finalement réussi l’exploit – c’est bien le seul – d’agréger contre vous la quasi-totalité de l’opinion, de ceux qui manifesteront encore demain à ceux qui plaçaient quelques espoirs dans vos intentions premières, sans compter l’immense majorité des usagers des services publics, qui en ont assez d’être pris en otage par les jusqu’au-boutistes de la CGT et de SUD ! (Mme Éliane Assassi s’exclame ironiquement.)

Pour sortir de cette impasse, il semble que le Gouvernement attende avec impatience – vous nous l’avez vous-même répété, madame la ministre – la version de son projet de loi revue et corrigée par le Sénat.

Mme Catherine Procaccia. Pour mieux la démolir ensuite !

M. Philippe Dallier. Le Gouvernement rêve tout haut d’une réconciliation de la gauche, non pas pour un texte, mais contre celui que le Sénat adoptera. (Mme Catherine Procaccia applaudit.) D’ailleurs, il le qualifie déjà d’« ultralibéral ».

M. Didier Guillaume. À juste titre !

M. Philippe Dallier. Il espère ainsi faire apparaître en creux la prétendue dimension sociale du sien.

J’ai une mauvaise nouvelle pour vous, madame la ministre : le Gouvernement sera déçu. Au bout du compte, il n’y aura pas, comme vous en rêvez – ce serait tellement simple –, ceux qui défendraient les salariés et ceux qui défendraient les méchants patrons.

Mme Nicole Bricq. Et pourtant…

M. Philippe Dallier. Pour preuve, nous allons reprendre les bonnes mesures qui se trouvaient dans le projet initial du Gouvernement. Contraints et forcés, vous avez dû revoir votre texte, jusqu’à le rendre de plus en plus confus. Ce texte ne protège plus in fine que ceux qui ont un emploi, les insiders. Il ne concerne pour l’essentiel que les grandes entreprises. Il oublie ces millions de Français qui attendent à la porte du marché du travail, les outsiders.

Nous proposerons donc une série de mesures reposant sur la recherche d’un juste équilibre entre les intérêts des salariés et ceux de l’entreprise. C’est dans ce sens que nous allons réécrire ce texte, en y ajoutant des mesures en faveur des salariés auxquelles vous n’aviez même pas songé. Nous rétablirons les dispositions supprimées, et nous maintiendrons celles qui visent à faciliter les embauches en assouplissant un cadre juridique actuellement trop rigide.

En particulier, nous rétablirons le fameux principe d’inversion de la hiérarchie des normes, qui donne à l’accord d’entreprise la primauté en cas d’accord majoritaire par rapport à l’accord de branche. Ces accords doivent permettre une plus grande souplesse en matière de temps de travail lorsque c’est nécessaire.

Nous rétablirons le plafonnement des dommages et intérêts accordés aux prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ou la prise en compte du périmètre national en matière de licenciement économique. Vous l’aviez d’ailleurs proposé, madame la ministre.

Plus généralement, nous rétablirons toutes les mesures pouvant avoir un effet positif sur la création d’emplois, aujourd’hui bloquée, notamment dans les PME et les TPE, par la simple peur de l’avenir et d’un retournement de conjoncture. Nous savons que des dizaines de milliers d’emplois, voire plus, pourraient ainsi être créés.

En revanche, nous supprimerons ou nous assouplirons les dispositions contraires à votre objectif initial de simplification du droit et d’allégement des contraintes. Je pense notamment au compte d’engagement citoyen, un mécanisme inabouti et absent de l’avant-projet de loi, qui n’a été ni chiffré ni précisément défini.

Nous aménagerons le dispositif sur les accords offensifs, qui doivent avoir pour objet d’aider les entreprises à se développer, mais également de garantir la participation des salariés.

Nous avons l’intention d’adopter des mesures telles que la clause de retour à meilleure fortune, afin que les salariés soient associés à la réussite de l’entreprise. Il arrive heureusement que des entreprises en difficulté à un moment donné renouent avec la réussite. Dans ce cas, il faut que les salariés ayant fait des efforts en obtiennent un retour.

Le groupe Les Républicains a également déposé des amendements pour améliorer le texte de la commission. Il s’agit d’adopter des règles plus simples et plus souples en matière de contrat de travail, des mesures en faveur de l’apprentissage – vous avez aussi eu le grand tort de les supprimer en 2012, alors qu’elles auraient été efficaces – et un mode de relation entre les entreprises et l’administration fondé sur la confiance.

Nous proposerons également des mesures destinées à assurer une meilleure participation des salariés aux bénéfices des entreprises. C’est un point essentiel pour nous. Tous ceux qui contribuent à la création de richesses, au cœur de chaque projet d’entreprise, doivent pouvoir en partager les fruits, puisqu’ils en partagent aussi les risques. D’ailleurs, l’une des premières décisions de votre gouvernement avait été de taxer la participation de façon absurde !

Nous avons fait le choix de ne retenir que des propositions inscrites dans la ligne du projet initial, même si, à nos yeux, notre pays a besoin d’un programme plus global de réformes et d’une vision d’ensemble qui lui fait cruellement défaut.

Le groupe Les Républicains soutiendra évidemment le texte de la commission. Il tentera de l’améliorer encore, et salue le travail de ses rapporteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC, ainsi qu’au banc des commissions.)