M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Marisol Touraine, retenue à l’Assemblée nationale par l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

Un accident grave est survenu au mois de janvier dernier dans le cadre d’un essai clinique de phase 1 conduit par la société Biotrial sur une nouvelle molécule développée par le laboratoire Bial. Six personnes ont été admises au CHU de Rennes ; l’une d’entre elles est décédée.

Face à cette situation d’une exceptionnelle gravité, Marisol Touraine a pris sans délai les mesures nécessaires pour garantir la sécurité et le suivi des volontaires exposés et pour comprendre ce qui a pu conduire à cette situation dramatique.

Une inspection a été immédiatement confiée à l’IGAS, qui a montré une responsabilité du laboratoire Bial et de la société Biotrial, en matière tant de conduite de l’étude que d’information des volontaires et des autorités sanitaires.

La ministre a donc exigé de la part de l’entreprise Biotrial un plan d’action répondant strictement aux préconisations de l’IGAS. Ce plan lui a été remis par cette société au mois de juin dernier. Une version corrigée lui a ensuite été adressée en septembre. L’IGAS et l’agence régionale de santé de Bretagne mèneront une inspection conjointe d’ici à la fin de l’année pour confirmer la réalité de la mise en œuvre concrète de ce plan d’action.

Ni l’IGAS ni le comité scientifique spécialisé temporaire indépendant, dont le rapport du 18 avril dernier a été rendu public, ne remettent en cause l’autorisation de conduire l’essai délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à la société Biotrial.

En conclusion de leur analyse, les experts indépendants ont estimé que le mécanisme principal ayant conduit au décès d’un participant et à des complications graves chez les cinq autres volontaires était directement lié à la toxicité de la molécule du laboratoire Bial.

Quant aux accusations que certains formulent dans la presse sur la base de leur interprétation de ce qu’ils affirment être des pièces du dossier d’instruction, elles ont immédiatement été démenties par le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Pour sa part, le Gouvernement n’a pas accès au dossier judiciaire. Enfin, je rappelle que seul le parquet est habilité à commenter une instruction en cours. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour la réplique.

M. Gilbert Barbier. Madame la secrétaire d’État, vous n’avez pas répondu à ma question portant précisément sur le rapport de Cécile Delval paru dans la presse et dont vous avez eu connaissance.

Alors que nous faisons face à un scandale du type Mediator, l’administration ne fait rien pour y remédier ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

accord économique et commercial global avec le canada (CETA)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.

M. Jean Desessard. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.

Le sommet européen relatif à la signature du projet de traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, projet connu sous le sigle CETA, a été annulé.

En effet, le Parlement de Wallonie, judicieusement renommée Wallonix par le journal Libération, refusait de ratifier l’accord malgré les nombreuses pressions politiques qu’il a subies.

M. Jean Bizet. Le problème est réglé !

M. Jean Desessard. Les écologistes se reconnaissaient dans cette opposition, partageant trois inquiétudes.

La première d’entre elles est démocratique. À l’ère du numérique, les pratiques discrétionnaires mises en œuvre pour élaborer ce traité sont inconcevables : des années de négociations opaques et secrètes entre technocrates, éloignées de la vigilance des citoyens européens et de leurs parlements, ont abouti à un texte complexe de 1 600 pages, à prendre ou à laisser.

M. Bruno Sido. N’importe quoi !

M. Jean Bizet. C’est réglé !

M. Jean Desessard. La deuxième inquiétude est économique. Le CETA, d’inspiration néolibérale, participe à transformer la planète entière en un immense marché où les règles sociales encadrant le commerce seront supprimées, ainsi que les barrières douanières qui protègent les économies ou les agricultures locales.

La troisième inquiétude est écologique. Alors que l’accord de Paris sur le climat va entrer en vigueur, ce long texte n’en fait nullement mention… Pourtant, la multiplication des échanges commerciaux sans contrepartie fait obstacle à la lutte contre le réchauffement climatique.

Ce projet de traité, en l’état, constitue une menace pour l’environnement.

Aujourd’hui, nous venons d’apprendre que les différentes parties belges ont trouvé un accord tenant compte des demandes wallonnes, notamment un droit de retrait en matière agricole, une protection accrue des services publics et, surtout, le report de la mise en place des tribunaux arbitraux.

Monsieur le secrétaire d'État, comme le gouvernement wallon l’a fortement exprimé, ce type d’accord commercial doit être l’occasion de déterminer des standards internationaux toujours plus exigeants en matière environnementale et sociale et non l’inverse.

Le gouvernement français va-t-il soutenir la dynamique engagée par le peuple wallon en vue de modifier en profondeur le CETA ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. Jean Bizet. C’est réglé !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur Desessard, nous nous réjouissons que l’accord qui vient d’être trouvé en Belgique permette de débloquer la situation sur le CETA. (M. Bruno Sido applaudit.) Cet après-midi se tiendra une réunion avec les représentants des vingt-huit États membres qui va rendre possible la signature de ce traité.

Nous nous en réjouissons, car la France considère que, après de longues années de négociations, nous sommes arrivés à un bon accord avec le Canada. Le CETA est un accord positif, équilibré et régulé. (« Non ! » sur les travées du groupe CRC.) Nous nous félicitons donc qu’il puisse être signé.

La reconnaissance de quarante-deux de nos indications géographiques, les garanties pour les normes sociales et environnementales, la protection des services publics, le mécanisme de règlement des différends sous contrôle public, tout cela, ainsi que nous le souhaitions, figure dans l’accord.

De même, parce que nous partageons des valeurs communes fortes avec le Canada, toutes nos lignes rouges ont été respectées. Donc, sur l’exception culturelle, les services publics, le principe de précaution, la sauvegarde de notre modèle alimentaire, les garanties figurent dans l’accord.

Avec le Canada, nous avons également retenu l’instauration de la première cour publique sur les investissements qui met fin aux dérives de l’arbitrage privé, le fameux ISDS.

Toutes ces questions étaient également soulevées par le parlement de Wallonie et des réponses leur ont été apportées. Cela permet, sur l’agriculture, sur les services publics, sur le droit à réguler le mécanisme de règlement des différends, que les réserves du parlement wallon soient levées et que la Belgique puisse approuver la signature de ce traité.

Ce qui se passe avec le CETA est la démonstration qu’il faut associer pleinement, étroitement, les parlements à la négociation, à la préparation des accords de commerce.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. C’est une position très importante que la France défend, en particulier à propos d’un autre accord actuellement en discussion avec les États-Unis. Dans ces questions d’accords de commerce, la substance est plus importante que le calendrier.

De tels accords doivent être négociés de façon plus transparente. Ils doivent être fondés sur la réciprocité, offrir toutes les garanties de respect des normes environnementales et sociales et ne pas mettre en cause le droit à réguler des États, sans quoi ils ne seront pas soutenus par les parlements.

Nous pensons que de bons accords commerciaux sont possibles. Il y va de l’intérêt de l’Union européenne de les négocier. Mais elle doit le faire en mettant en avant des exigences fortes, car c’est ainsi qu’elle peut contribuer à une mondialisation mieux régulée et mieux acceptée. Tel est le rôle de l’Europe : défendre nos intérêts commerciaux et promouvoir la régulation dans la mondialisation. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

concessions autoroutières

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

Mme Évelyne Didier. Avec la privatisation des concessions autoroutières en 2006, l’État a perdu une importante manne financière, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an.

Alors que s’engagent les discussions sur le dernier projet de loi de finances de ce quinquennat, le Gouvernement devrait, enfin, remettre en cause ce choix.

Ces contrats de concession ne sont pas immuables. Leur article 38 permet de les dénoncer au motif de l’intérêt général, sans alourdir la dette au sens des critères de Maastricht.

Cette dénonciation permettrait enfin de s’engager dans la voie de la renationalisation pour retrouver la souveraineté publique sur les infrastructures et dégager des moyens financiers au service de la transition écologique et de l’aménagement du territoire. Nous le savons tous, les enjeux du ferroviaire, notamment, nécessitent de lourds investissements.

À l’opposé d’une renationalisation, le Gouvernement s’entête dans le choix de la privatisation du bien public au nom de l’emploi et de l’activité des travaux publics, laquelle n’est pas avérée, pour prétendument relancer la machine économique, relance qui n’est pas avérée non plus.

Ainsi, à la suite du premier plan de relance qui prévoit un allongement de la durée des concessions, le Gouvernement en a annoncé un second.

Or aucun bilan n’est tiré du premier plan, très favorable aux concessionnaires puisque, là où ils investissent un euro, ils récupèrent 4,5 euros.

Ce second plan sera cette fois financé par une augmentation des péages, ainsi que par une participation des collectivités, pour un montant d’un milliard d’euros.

Non content d’utiliser l’argent public pour conforter le secteur privé, le Gouvernement en appelle maintenant au budget des collectivités pour satisfaire les actionnaires, afin, par exemple, de financer les lignes TGV et autres infrastructures.

Quand l’État cessera-t-il de brader le patrimoine public au profit des actionnaires ? Quand le Gouvernement va-t-il enfin ouvrir la voie à la reconquête des moyens publics pour financer l’intérêt général ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame Didier, vous l’avez rappelé, le capital des sociétés autoroutières a été privatisé en 2006.

La piste d’une renationalisation a été évoquée, travaillée, mais nous avons constaté que cela impliquerait une indemnisation de plusieurs dizaines de milliards d’euros et, s’agissant des investissements publics – vous parliez du ferroviaire –, nous ne pouvions pas nous disperser. Un tel effort n’était pas soutenable pour les finances de l’État. C'est pourquoi nous avons fait un choix différent, mais plus efficace, celui du renforcement de la régulation des concessions existantes, dans le courant de l’année 2015.

C’est ainsi que l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, a été nouvellement chargée d’une régulation sur ces sociétés d’autoroutes. Elle a une capacité de contrôle et de sanction lorsque les éléments du plan ne sont pas appliqués.

Nous avons mis en place, le 28 juillet dernier, un nouveau plan autoroutier. Il s’agit d’autoriser les sociétés concessionnaires à contribuer de façon minoritaire au plan de financement de travaux d’échangeurs attendus sur les territoires. Ces travaux, qui sont demandés par les collectivités, étaient jusqu’à présent entièrement pris en charge par ces dernières. C’est donc un progrès important pour elles.

Un certain nombre de dossiers, dont la pertinence et l’opportunité sont avérées pour la desserte et l’activité économique locales, sont déjà avancés. Ces plans seront mis en œuvre dans un contexte par ailleurs difficile pour les travaux publics.

Les hausses de péage concomitantes seront modérées puisqu’elles s’établiront à 0,3 %, quelques centimes d’euro, entre 2018 et 2020.

Voilà pourquoi nous pensons que la politique de relations rénovée et rééquilibrée qui a été mise en œuvre avec les sociétés d’autoroutes représente tout à la fois un progrès et une bonne dépense de l’argent public.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour la réplique.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le secrétaire d'État, pour avoir été présente lors de la concertation avec les parlementaires, je puis vous assurer que nous n’avons pas eu un éclairage suffisant sur ce sujet.

Je maintiens l’idée que l’État pouvait parfaitement emprunter, surtout au vu des taux pratiqués aujourd'hui, parce qu’on pouvait considérer qu’il s’agissait d’un service à part, hors périmètre de la dette au sens des critères de Maastricht.

En tout cas, dès 2028, l’État percevrait chaque année une somme de 1,5 milliard d'euros, ce qui n’est pas négligeable ; c’est de la maîtrise publique et c’est ce que nous souhaitions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

démantèlement de la lande de calais

M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Delphine Bataille. Monsieur le ministre de l’intérieur, le démantèlement du camp de la Lande, à Calais, avait été annoncé voilà quelques semaines. Vous avez tenu cet engagement et respecté le calendrier indiqué.

Je veux saluer l’action des services de l’État, à tous niveaux, qui ont organisé ce démantèlement, auquel se sont associés élus locaux, associations et collectifs citoyens. C’est une première qui vous honore, dont nous sommes fiers et qui sonne pour vous comme une réussite.

L’enjeu était important : accomplir ce devoir humanitaire, organiser l’accueil des migrants sur le territoire, sécuriser Calais, faire preuve de fermeté face aux oppositions contradictoires à la fermeture de ce camp. Dans la ligne d’un engagement constant, vous avez tenu, le Gouvernement a tenu.

Ce démantèlement d’un camp frontalier et l’accueil dans la dignité des personnes qui y vivaient font honneur à la France. Donner une solution aux Calaisiens et aux migrants en détresse fait honneur à la République.

Alors, on nous dit que c’est bien tard, que l’opposition vous a obligé à ce démantèlement, alors même qu’elle parle de revenir sur les lois de gauche concernant les demandeurs d’asile. Mais c’est bien le gouvernement actuel qui agit en responsabilité, et aucun autre ne l’a fait.

Ce qui est réalisé à Calais n’est « pas compréhensible », selon un ancien Président de la République.

M. Alain Gournac. La question !

Mme Delphine Bataille. Mais cela porte un nom, cela s’appelle simplement la solidarité républicaine avec Calais et avec des réfugiés qui ont vécu la guerre et l’ont fuie avec sandales et guenilles comme seuls effets de toute une vie. On nous dit que la France ne peut pas accueillir. Mais c’est pourtant tout le sens de l’État de droit, des lois de la République et des droits de l’homme !

M. Bruno Sido. La question !

Mme Delphine Bataille. La « jungle » est finie, mais tout n’est pas terminé.

M. le président. Posez votre question, ma chère collègue !

Mme Delphine Bataille. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire un point d’étape sur le démantèlement de la Lande et son déroulement ? Pouvez-vous nous informer des suites à Calais et de celles qui seront données à l’accueil des migrants cette semaine en centre d’accueil et d’orientation ? Qu’en est-il des mineurs isolés, aidés par l’action du département, mais qui, pour certains, restent sans solution ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. François Fortassin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, Emmanuelle Cosse et moi-même, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, avons voulu avant tout réaliser une opération humanitaire, conforme aux valeurs de notre pays.

Il y avait, à Calais, plus de 6 000 personnes qui, pour 80 à 85 % d’entre elles, relèvent du droit d’asile en France et ont vocation à obtenir le statut de réfugié.

Pouvions-nous, compte tenu de l’histoire de notre pays, qui, depuis 1790, porte dans ses principes fondamentaux le droit d’asile, qui est consubstantiel à notre culture, à nos valeurs, laisser dans le froid et la boue ces familles qui ont fui les persécutions en Irak, en Syrie, en Érythrée ou au Darfour ? Non, bien entendu, nous ne le pouvions pas !

Emmanuelle Cosse et moi-même, avec nos deux administrations, avons créé les conditions de l’accueil dans des centres d’accueil et d’orientation de ces personnes qui ont vocation à obtenir le statut de réfugié en France. Ce ne sont pas, contrairement à ce que j’ai entendu au cours des dernières heures, des personnes en situation irrégulière ayant vocation à être régularisées sans relever du droit d’asile. Dire cela, c’est un mensonge et cela ne correspond pas à la réalité de ce que nous faisons.

Il y a, bien entendu, la situation des mineurs isolés. Le centre d’accueil et d’orientation accueille environ 1 200 à 1 300 mineurs isolés, qui étaient dans le froid et la boue, et sont aujourd'hui à l’abri.

Nous poursuivons les discussions avec les Britanniques. J’ai encore eu un contact avec mon homologue britannique tout à l’heure. J’en aurai un autre ce soir avec les préfets de manière à créer les conditions d’une mise en protection rapide de ces mineurs et de l’accès à la Grande-Bretagne pour ceux qui y ont de la famille.

Enfin, bien entendu, après le démantèlement, un dispositif doit être maintenu à Calais. Je maintiendrai des forces de l’ordre pour effectuer des contrôles en profondeur, démanteler les squats, permettre l’orientation des migrants vers des centres d’accueil et d’orientation, reconduire à la frontière ceux qui relèvent de l’immigration irrégulière,…

M. le président. Il faut conclure !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … comme nous le faisons depuis maintenant de nombreux mois, puisque, depuis le début de cette année, près de 2 000 migrants irréguliers ont été reconduits aux frontières à partir de Calais.

Humanité et fermeté, voilà la politique de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.)

retour des combattants français de daech sur le territoire national

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe UDI-UC.

M. Hervé Marseille. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux.

La bataille de Mossoul est engagée. Le nom de cette vieille cité est tristement connu depuis que son territoire a été occupé par Daech au mois de juin 2014.

Daech a massacré ignoblement des milliers de combattants dans la région, a organisé la disparition méthodique des chrétiens d’Orient, a détruit définitivement des vestiges du patrimoine historique de l’humanité et, surtout, Daech a été l’inspirateur, avec d’improbables gourous, de crimes barbares qui ont ensanglanté les villes de France.

Tous les Français ont en mémoire les crimes qui ont endeuillé notre pays de Paris à Nice jusque dans une église de Normandie. Chacun revoit les images d’épouvante et la mort de victimes innocentes, femmes, enfants, hommes de toutes religions et de toutes origines.

Aujourd’hui, les yeux sont tournés vers Mossoul, demain, ils le seront vers Raqqa, et nous espérons avec ferveur la délivrance de ces territoires.

Près de 300 Français, qui jouissent toujours de leur nationalité, combattraient, malheureusement, au côté de Daech. Il s’agit bien sûr d’hommes, mais peut-être aussi de femmes. Ils peuvent être mineurs.

Au terme de cette opération, certains d’entre eux vont revenir ou être ramenés sur notre territoire. Le président du Sénat s’est exprimé à différentes reprises sur cette forte préoccupation.

La situation de ceux qui seront identifiés et sur lesquels nos services disposent d’informations sera judiciarisée et ils seront vraisemblablement incarcérés. D’autres, moins connus, seront peut-être simplement assignés à résidence. D’autres encore vont peut-être échapper à notre surveillance.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez indiqué une modification de la doctrine de la Chancellerie concernant les conditions d’incarcération des djihadistes.

Ma question est simple : au moment où nos policiers manifestent leur exaspération, au moment où les personnels pénitentiaires expriment leurs difficiles conditions de travail – les places manquent –, au moment où nous savons à quel point nos budgets sont contraints, pouvez-vous nous indiquer les mesures d’anticipation qui ont été engagées par le Gouvernement, en lien avec les institutions européennes, pour faire face au retour des djihadistes ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur Marseille, la réponse n’est pas facile. La situation sera difficile, mais nous y ferons face.

C'est la raison pour laquelle j’ai effectivement pris des mesures pour que nous puissions disposer d’une réponse pénitentiaire quand l’autorité judiciaire prendra une décision de privation de liberté. En effet, vous avez raison, tous ceux qui reviendront d’un théâtre de guerre verront leur dossier judiciarisé.

Il n’y a sur le plan pénal aucun vide. Nous avions quelques interrogations sur tel ou tel point ; elles ont été levées lors du travail interministériel qui a été mené, auquel participaient le ministre de l’intérieur et le ministre de la défense. Donc, sur le plan pénal, nous n’avons aucun doute.

Sur le plan carcéral, nous avons en revanche des difficultés. C'est la raison pour laquelle je vais prendre un certain nombre de mesures.

M. Bruno Sido. Il ne faut pas fermer Clairvaux !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. La première d’entre elles sera de modifier le régime d’un certain nombre de cellules en maisons centrales. Dans ces cellules, qui sont normalement destinées aux longues peines, ne peuvent être incarcérés que des condamnés. Les dispositions que je vais prendre permettront d’y incarcérer des prévenus. J’ai choisi les maisons centrales, car tant l’architecture de celles-ci que la culture professionnelle des personnels qui y servent donnent toute satisfaction en offrant une capacité de surveillance maximale.

Ensuite, les personnes qui sont moins dangereuses, moins prosélytes, moins violentes, mais tout aussi radicalisées et qui nécessitent une surveillance accentuée seront regroupées, au sein de vingt-sept établissements, soit probablement 500 à 600 places, dans des quartiers dédiés. Il s’agit, comme l’a dit le président du tribunal de grande instance de Paris, de faire face à la future déferlante terroriste qui peut frapper notre pays.

Enfin, le projet de budget pour 2017 comprend des crédits permettant de financer des recrutements, afin de renforcer les équipes en place et de mieux sécuriser les établissements existants, notamment par la création d’équipes de sécurité pénitentiaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.)

malaise des policiers

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre de l'intérieur, depuis quinze jours, la police manifeste, certes, en raison des problèmes d’effectifs – point qui fait d'ailleurs débat entre vous et la Cour des comptes. Mais ces problèmes d’effectifs sont surtout liés au fait que, avec l’état d’urgence, le plan Vigipirate, la mission Sentinelle, de plus en plus de contraintes pèsent sur la police.

M. Jean-Louis Carrère. Vous aviez supprimé beaucoup de postes !

M. Roger Karoutchi. Au-delà des problèmes d’effectifs se posent des problèmes d’équipements, des problèmes de droit.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Roger Karoutchi. Les policiers s’interrogent, notamment sur la légitime défense, lorsque les malfrats, les assassins, les délinquants se permettent d’attaquer au cocktail Molotov des voitures de police.

M. Bruno Sido. Honteux !

M. Roger Karoutchi. Les policiers ont aussi le sentiment que, s’ils ont le soutien de l’opinion publique, ils n’ont pas toujours celui de leur hiérarchie, voire celui des autorités publiques.

Si le malaise est matériel, concerne la capacité à assurer la sécurité, l’équipement, il est aussi d’un autre ordre : eu égard à la mission de service public que rendent les policiers, ils voudraient que cette mission soit reconnue, recentrée, que la chaîne pénale suive. Peut-on continuer d’affirmer qu’il y a une police de la République quand elle n’est pas pleinement soutenue au moment où l’ensemble des Français est confronté à d’aussi grandes difficultés ?

Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez, avec le Président de la République, engagé un dialogue ; pouvez-vous nous dire, au-delà des éléments matériels, comment, à propos de la légitime défense, de l’ensemble des problèmes de considération de la police, vous comptez réagir ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, merci pour votre question.

En effet, vous avez raison, la police, qui est confrontée à des formes de violence de plus en plus radicales et abjectes, souffre de ces violences et a le sentiment de ne pas être considérée à la hauteur de son investissement quotidien.

Je le dis avec gravité : les affiches qui laissent penser que la violence est consubstantielle à la police, les tags comme ceux que j’ai aperçus dans le XIIe arrondissement – « Derrière chaque policier, il y a un cœur, c’est là qu’il faut tirer », pouvait-on lire – m’inspirent un profond dégoût. J’exprime une condamnation absolue de ces écrits et de ceux qui font preuve d’une telle violence verbale, d’une telle irresponsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Monsieur le sénateur, nous souffrons aujourd'hui de vivre dans une société où la notion de respect, au fil des années et depuis longtemps, s’est progressivement effacée. Qu’il s’agisse du respect que l’on doit à celui qui porte l’uniforme et qui incarne le droit, du respect que l’on doit au maître d’école, du respect que l’on doit aussi à ses aînés, il faut remettre cette notion au cœur de la société.

Sur les questions que vous évoquez – légitime défense, anonymisation, harmonisation des peines en cas d’outrage à agent des forces de l’ordre ou d’outrage à magistrat –, des dispositions législatives seront présentées au Parlement à la fin du mois de novembre, de manière que ces questions soient définitivement réglées. J’en ai pris l’engagement devant les policiers : il sera tenu.

Par ailleurs, des problèmes matériels existent, on ne peut pas les nier. Les véhicules, les armes, les locaux sont souvent trop anciens ou vétustes. Il est donc nécessaire de remettre à niveau les effectifs et les matériels. C’est ce que nous nous employons à faire depuis maintenant quatre ans. Il faut accélérer ce processus, car les missions des policiers sont trop difficiles pour qu’elles ne soient pas accompagnées. C'est la raison pour laquelle, en plus de l’augmentation prévue dans le projet de budget pour 2017 de 843 millions d'euros des crédits du ministère de l’intérieur, il a été décidé, hier, de consentir un effort supplémentaire pour que, sur tous ces sujets, les choses progressent.

En conclusion, monsieur le sénateur, il ne vous a pas échappé qu’une période politique particulière s’ouvre. Pour des raisons qui tiennent au profond respect que j’ai pour les policiers et les gendarmes, dont je sais la charge, je me refuserai totalement, dans les mois qui viennent, à entretenir des polémiques indignes de leur mérite. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE.)