M. le président. Je tiens à souligner qu’il règne, dans cet hémicycle, une grande solidarité, puisque nous avons « récupéré » neuf minutes et trente secondes de temps de parole, ce qui permettra aux deux derniers orateurs inscrits de s’exprimer. Bravo, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, les violences conjugales sont un fléau et, hommes et femmes, nous devons nous liguer pour le combattre.

Les chiffres sont criants. Ils ont été largement rappelés, mais j’en mentionnerai deux : trois femmes victimes sur quatre déclarent avoir subi des faits répétés ; huit femmes victimes sur dix déclarent avoir également été soumises à des atteintes psychologiques ou des agressions verbales. C’est trop !

La proposition de loi de notre collègue Françoise Laborde, visant à modifier le régime de l’exécution des peines applicable aux auteurs de violences conjugales, prive les conjoints, concubins et partenaires de victimes de violences conjugales du bénéfice de trois dispositifs.

Le premier est la suspension ou le fractionnement de peine qui peut être autorisé par le juge pour motif d’ordre médical, familial, professionnel ou social, tel que prévu à l’article 720-1 du code de procédure pénale.

Le deuxième est l’exécution de la peine en semi-liberté ou en placement à l’extérieur, prévue à l’article 723-1 du code de procédure pénale.

Le troisième est le crédit de réduction de peine, prévu à l’article 721 du code de procédure pénale.

L’exclusion de ces dispositifs a pour but de maintenir les auteurs de violences à une distance effective de leurs victimes le plus longtemps possible.

À titre personnel, je comprends l’intention des auteurs de la proposition de loi et vous n’avez pas eu besoin, madame Laborde, de me convaincre de sa nécessité. Néanmoins, la solution que vous proposez ne me paraît pas valable sur la forme.

Je ne nie pas l’angoisse des victimes, mais retarder toute sortie en interdisant réductions et aménagements de peine ne leur apportera rien. Les auteurs de violences conjugales incarcérés finiront tôt ou tard par sortir de prison, de plus sans avoir bénéficié du moindre suivi. Or nous connaissons l’utilité des aménagements de peine, qui sont constitués de suivis probatoires dédiés, de traitements et d’obligations de soin.

En privant les auteurs de ces actes du bénéfice de ces dispositifs, je crains que l’on ne favorise pas la lutte contre la récidive.

Le régime des aménagements de peine ne doit pas être remis en cause. S’il l’était pour les auteurs de violences conjugales, il devrait l’être aussi dans de nombreux autres cas. Cela reviendrait donc à ouvrir la boîte de Pandore.

La proposition de loi fait face à un autre obstacle, et un obstacle de taille : ce régime dérogatoire en matière d’exécution des peines, qui serait applicable aux seuls auteurs de violences conjugales, est contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi. Nous touchons là à la constitutionnalité même du texte.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je loue l’intention des auteurs de la proposition de loi, mais, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, il est impossible de soutenir celle-ci. Le droit positif peut, certes, être amélioré, mais nous devons trouver d’autres voies pour le faire.

L’intérêt de ce texte est surtout d’ouvrir le débat et, à ce titre, je remercie son auteur, Françoise Laborde, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Toutes les pistes doivent être envisagées. Au-delà de la problématique du régime de l’exécution des peines, nous devrions notamment veiller à améliorer le droit à l’information des victimes. Celles-ci doivent être informées de la date précise et des conditions de sortie de leur agresseur – si l’on en croit ce qui ressort de certains forums.

Autre voie à suivre, l’éducation dès le plus jeune âge à la lutte contre les violences faites aux femmes.

La fondation UEFA pour l’enfance a par exemple financé et aidé à développer un programme dénommé Just Play, qui a prouvé son efficacité en Inde et en Océanie.

Les chiffres dans le Pacifique sont consternants : 57 % des femmes ont déjà été battues par leur partenaire et 75 % des adolescents garçons interrogés estiment qu’il est acceptable de frapper sa femme. Le programme Just Play enseigne aux jeunes du Pacifique, à travers le football, le respect et la tolérance entre les deux sexes. Les résultats sont probants et les mentalités de ces jeunes, depuis l’introduction du programme en 2009, ont changé. Apprendre l’égalité des sexes, dès l’adolescence, et sensibiliser à la lutte contre les violences conjugales pourrait constituer une voie intéressante et peu onéreuse.

Avant de conclure, je souhaite remercier Mme le rapporteur Brigitte Lherbier pour la qualité de son travail.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est mérité !

M. Cyril Pellevat. Je tiens aussi, madame la garde des sceaux, à encourager vos travaux, ainsi que ceux de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, sur cet important dossier relatif aux violences conjugales.

Enfin, je voudrais saluer la démarche de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, dont j’ai été vice-président durant ces trois dernières années et qui réalise un énorme travail d’auditions, d’analyse et de réflexion, sous l’égide de sa présidente Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, madame l’auteur de la proposition de loi, mes chers collègues – si peu nombreux dans l’hémicycle, en dépit du thème abordé –, je serai bref, car tout a été dit sur le sujet, sur son importance, d’abord, et sur l’impossibilité dans laquelle nous sommes de voter cette proposition de loi, ensuite.

Je voudrais vous remercier, madame la ministre, d’avoir présenté, de manière très objective et complète, tout ce qui est en train d’être mis en œuvre.

Je remercie également Roland Courteau d’avoir rappelé le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir. Comme d’autres intervenants l’ont souligné, cela passe essentiellement par la sensibilisation, parfois des hommes, mais surtout des femmes, à la nécessité de porter plainte et de ne pas se laisser faire. C’est là l’important.

Les résultats viendront non pas des changements au niveau de la sanction pénale, mais de la multiplication des poursuites, d’une bonne information et de tout le travail mené depuis des années par les associations accompagnant les femmes victimes, notamment en leur permettant de quitter le domicile conjugal.

L’examen de cette proposition de loi nous offre aussi l’occasion de rappeler ce que doit être une sanction pénale.

Celle-ci vise d’abord à sanctionner une atteinte à l’ordre public, ce qui est clairement le cas des violences intrafamiliales. Elle doit ensuite permettre la réinsertion de la personne condamnée, qui, on le sait bien, ne restera pas indéfiniment en détention. Enfin, elle doit être efficace et protéger la victime, cette protection étant particulièrement importante dans le domaine qui nous occupe.

Or ce dernier point suppose que l’on donne aux juges – le juge de l’application des peines, le juge correctionnel, la cour d’assises, le juge aux affaires familiales – les moyens de s’adapter aux spécificités de ce service.

En d’autres termes, si nous avons raison d’évoquer ce sujet publiquement, nous devons être extrêmement modestes quant au contenu de la loi. Ce que nous devons donner, ce sont des outils et des moyens financiers !

Je me souviens de la mise en place des premiers téléphones à Strasbourg, madame la garde des sceaux. Le procureur de la République avait obtenu que la communauté urbaine, que je présidais à l’époque, finance le dispositif et l’expérience avait donné des résultats positifs. Et, dans nombre d’autres cas, ce sont les départements qui, au titre de l’action sociale, sont intervenus !

Nous le voyons bien, la justice et l’administration pénitentiaire auront besoin non pas d’une loi, madame Laborde, mais de moyens financiers pour faire face à ce défi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, on retrouve dans cette proposition de loi deux notions : la solidarité et la prise de conscience.

Je remercie Françoise Laborde et ses collègues du groupe du RDSE d’avoir abordé, à travers cette proposition de loi, un sujet extrêmement sensible et d’avoir rappelé la prise de conscience qui s’impose sur la question.

Je tiens également à évoquer l’ensemble du travail réalisé par la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, présidée par notre collègue Annick Billon. À nouveau, et comme tous les intervenants l’ont souligné, il s’agit là d’un sujet de société très sensible.

Mentionnons enfin le travail de la commission des lois, ainsi que l’implication du ministère de la justice et sa volonté de redonner sens et efficacité au dispositif de l’exécution des peines.

Toutefois, je rappellerai à mon tour que les faits de violences conjugales sont trop peu dénoncés, insuffisamment portés à la connaissance de la justice, d’où la nécessité d’une réelle communication à tous les niveaux. D’une certaine manière, tout le monde doit être sensibilisé, et se sentir concerné et responsable.

C’est pourquoi il faut privilégier la prévention, tout comme la formation de toutes les forces de sécurité – policiers, gendarmes – et des travailleurs sociaux intervenant dans ce domaine.

Les pouvoirs publics sont parfaitement conscients de la nécessité, dans le cadre de la politique pénale et pénitentiaire, de protéger les victimes. Cela doit être aussi une priorité, car il devient urgent de trouver les bonnes solutions.

Pour ma part – et ce sera ma modeste conclusion –, je crois qu’il faut surtout exprimer dans les textes à venir la confiance que nous accordons à la justice. Il faut travailler dans une certaine continuité et appeler à la responsabilité de toutes et de tous sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

La parole est à Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi.

Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi. Vous avez mené ce débat de main de maître, monsieur le président, ce qui me permet de dire quelques mots maintenant.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, plutôt que de voir cette proposition de loi rejetée par l’ensemble des groupes, je préfère en demander le retrait.

Permettez-moi de citer François Molins, procureur de la République de Paris, dans la partie concernant la protection judiciaire et médico-légale de l’ouvrage intitulé Violences conjugales : le droit dêtre protégée. « Ma conviction, écrit-il, est que depuis la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, nous avons aujourd’hui tout l’arsenal législatif dont nous avons besoin pour pénaliser les violences faites aux femmes et protéger ces dernières. En réalité, si on ne le fait pas, c’est qu’on n’en a pas la volonté. » Et peut-être les moyens, ajouterai-je.

Ma proposition de loi concerne un trop grand nombre de cas, mes chers collègues. Pour bien vous faire comprendre l’incompréhension qui est la mienne parfois, je vais citer un exemple précis. Comment peut-on justifier un aménagement de peine quand une personne est condamnée à trois ans de prison, dont dix-huit mois de prison ferme, avec, surtout, un jugement indiquant qu’« en l’état, la cour ne dispose d’aucun élément concret permettant d’envisager sérieusement un aménagement de l’emprisonnement » ? Vous comprendrez mon insistance !

Malgré tous ces points, en vous ayant entendue, madame la garde des sceaux, et sachant que mon texte n’est pas mature du point de vue juridique, je vous demande de porter une très grande attention au sujet lors de vos prochains chantiers pour la justice. Je me permettrai d’en faire de même et de vérifier que les contenus sont à la hauteur de mes attentes.

Encore merci à toutes celles et tous ceux qui ont participé à cette discussion. Monsieur le président de la commission des lois, si une mission d’information se met en place sur la question, je me permettrai aussi de suivre ses travaux avec attention. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle les termes de l’article 26 du règlement du Sénat : « L’auteur ou le premier signataire d’une proposition de loi ou de résolution peut toujours la retirer, même quand la discussion est ouverte. Si un autre sénateur la reprend, la discussion continue. »

J’ajoute un codicille : si l’un d’entre vous peut en effet demander à reprendre le texte, en l’état, le temps réservé à cette « niche » parlementaire étant écoulé, cette démarche n’aurait pas vraiment d’utilité.

La proposition de loi est retirée.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales
 

4

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 6 mars 2018 :

À neuf heures trente : vingt-six questions orales.

De quatorze heures trente à dix-sept heures :

Proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit (n° 83, 2017-2018) ;

Rapport de Mme Marta de Cidrac, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (n° 322, 2017-2018) ;

Texte de la commission (n° 323, 2017-2018).

À vingt et une heures : suite de la proposition de loi tendant à sécuriser et à encourager les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit (n° 83, 2017-2018).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD