M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi aujourd’hui soumis à notre examen manque cruellement d’ambition : cela a déjà été dit et répété, tant dans cet hémicycle qu’en dehors, les syndicats agricoles et les ONG environnementales ayant affirmé leur déception devant ce texte.

En ce qui concerne la rémunération des agriculteurs, l’État refuse d’assumer le rôle de régulateur de la puissance publique. Il s’agit pourtant d’une impérieuse nécessité !

À l’heure où, force est de le constater, de nombreux agriculteurs se trouvent en situation de détresse, où la biodiversité s’effondre, où les études sur l’impact des pesticides sur la santé s’accumulent, ce texte ne trace aucune grande orientation, aucune ligne claire pour amorcer la transition de notre agriculture vers un système vertueux, propre à rémunérer les agriculteurs et à respecter les équilibres environnementaux.

Certes, il y a eu quelques avancées. On a longuement discuté dans cet hémicycle, il y a quelques mois, de l’introduction de 50 % de produits d’origine locale, dont 20 % de produits bio, dans les repas servis par la restauration collective. Cet objectif a été entériné, c’est un point important.

Par ailleurs, je me réjouis que les députés aient voté en faveur d’une obligation d’étiquetage des huîtres permettant de distinguer les huîtres naturelles de celles nées en écloserie. C’est un combat que je soutenais depuis des années dans cet hémicycle.

L’extension de l’interdiction des néonicotinoïdes est également un pas dans la bonne direction pour nos apiculteurs, dont la situation est périlleuse.

Cependant, en dépit de ces petits pas, ce projet de loi entérine des renoncements inadmissibles à nos yeux.

Le refus d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate ne nous convient pas. On ne sortira pas des pesticides en se contentant d’incantations.

Il en va de même du refus de définir une distance minimale par rapport aux habitations pour l’épandage de produits phytosanitaires.

Tout aussi incompréhensible est le recul concernant les préparations naturelles peu préoccupantes, l’autorisation de ces solutions alternatives naturelles et sans danger continuant d’être bloquée.

Malgré cette immense déception, refuser le débat en votant cette motion tendant à opposer la question préalable ne me paraît pas souhaitable : on gagne toujours à débattre,…

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Encore faut-il qu’il y ait un débat !

M. Joël Labbé. … d’autant que la pause estivale a apporté de nouveaux éléments, qui auraient mérité d’être discutés ici. Je pense bien sûr au procès perdu par cette société empoisonneuse qu’est Monsanto contre ce jardinier dont le cancer a été reconnu comme étant en lien avec l’utilisation du glyphosate.

À défaut de débat, j’espère que le projet de loi de finances nous permettra de corriger le tir et de nous orienter enfin de manière forte et déterminée vers une nécessaire et urgente transition. Cependant, les annonces que vous avez faites hier, monsieur le ministre, sont quelque peu inquiétantes : les financements des mesures agroenvironnementales et climatiques et de la conversion vers l’agriculture biologique seraient amenés à diminuer de près de 20 %. Si l’on ajoute à cela les retards de paiement des aides environnementales, l’annonce d’une baisse du budget de l’Agence Bio et la fin du financement des aides au maintien, on pourrait presque croire à une volonté de porter un coup d’arrêt au mouvement vers l’agriculture de demain, pourtant soutenu par de plus en plus d’agriculteurs et de consommateurs.

Enfin, monsieur le ministre, où en êtes-vous de la mise en place des paiements pour services environnementaux, tant attendus ? (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.

Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous commençons cette nouvelle session parlementaire en abordant un sujet qui m’est cher : l’agriculture et l’avenir de nos agriculteurs.

Nous devons penser une nouvelle France agricole si nous ne voulons pas que les agriculteurs disparaissent et si nous souhaitons leur permettre de viser des marchés d’excellence en France et à l’export.

Une transformation est nécessaire, car le modèle dans lequel nous sommes aujourd’hui enfermés n’est plus soutenable : le solde extérieur de l’agriculture reste certes positif, mais il est passé de 12 milliards d’euros à 8 milliards d’euros, et les Français doutent de leur alimentation.

Mon groupe l’a rappelé tout au long de nos débats, le projet de loi que nous pourrions examiner aujourd’hui propose cette réforme ambitieuse dont l’agriculture française a besoin.

Depuis le début des États généraux de l’alimentation, l’année dernière, nous affirmons des objectifs clairs, qu’il nous incombe de graver dans le marbre : d’abord, faire en sorte que chaque agriculteur puisse vivre dignement et sereinement du fruit de son travail ; ensuite, rétablir la confiance entre l’ensemble des membres des filières et des interprofessions, afin de sortir des postures et d’aller vers de véritables négociations et compromis ; enfin, répondre aux nouvelles attentes des consommateurs, qu’elles soient sanitaires ou environnementales.

La version du texte adoptée au Sénat nous éloigne de la concrétisation de ces objectifs. Certains articles essentiels ont été supprimés. Toutefois, au regard du bon déroulé des débats au sein de notre hémicycle et de l’ouverture d’esprit dont avait fait preuve le ministre de l’agriculture, le groupe La République En Marche s’était abstenu sur le texte, dans l’espoir d’une commission mixte paritaire conclusive.

Je ne retracerai pas l’intégralité des débats qui ont lieu en juin dernier, mais il me paraît utile de rappeler quelques points dont le souvenir a pu s’estomper à la faveur de la trêve estivale.

En ce qui concerne le titre Ier, j’entends les critiques de certains, qui estiment qu’il faudrait aller dans le sens d’une économie administrée, où l’État se substituerait au marché pour fixer les prix.

Ce que nous proposons, au contraire, c’est que les interprofessions se coordonnent, s’organisent et se responsabilisent pour établir un partage plus juste de la valeur. Nous croyons profondément que ce sont les filières qui sont le mieux à même de construire les outils économiques adaptés à leur activité. Sans consensus au sein des interprofessions, nous n’arriverons jamais à renverser le rapport de force entre les producteurs et la grande distribution. Nous souhaitons donner aux interprofessions le pouvoir de choisir leurs indicateurs et ainsi mettre en place un cadre afin de rendre le marché plus efficace et plus juste pour les producteurs. Ce n’est pas à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires de le faire. L’État ne peut pas imposer d’indicateurs dans le cadre d’une relation contractuelle entre deux entreprises privées.

C’est cette responsabilisation des acteurs qui guide notre philosophie de l’action publique et politique. Nous avons des positions profondément divergentes sur le sujet, mais, afin de rassurer les opérateurs représentés dans les interprofessions, les députés ont adopté un amendement permettant à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires d’évaluer a posteriori l’effet des indicateurs sur les prix payés aux producteurs.

Sur le titre II, j’entends d’autres critiques, selon lesquelles le texte n’irait pas assez loin en matière de politique environnementale et de prise en compte des attentes du consommateur.

Pourtant, le titre II ouvre la voie à la construction d’une véritable éthique de l’alimentation, assortie d’un pacte pour la préservation de l’environnement et pour le respect du bien-être animal.

Si nous nous félicitons de l’accord sur l’introduction de 20 % de produits biologiques dans la restauration collective, nous regrettons vivement la suppression par le Sénat de l’une des mesures phares pour permettre une véritable refonte environnementale de notre modèle agricole : je veux parler de l’interdiction des remises, rabais et ristournes et de la séparation capitalistique du conseil et de la vente des produits phytosanitaires.

Oui, nous pourrions refaire le débat sur le glyphosate : ce serait la septième fois depuis le début de l’examen du texte. Nous sommes tous d’accord ici pour affirmer qu’il faut en finir avec cette substance. Inscrire son interdiction dans la loi servirait-il à quelque chose ? J’en doute.

Le Président de la République a été très clair avec ses homologues européens : la France sortira du glyphosate d’ici à trois ans. C’est encore une fois en nous appuyant sur notre philosophie de responsabilisation des acteurs que nous souhaitons y arriver. Cette méthode trouve sa traduction concrète dans le plan de sortie du glyphosate que vous avez proposé en juin dernier, monsieur le ministre, conjointement avec l’ancien ministre de l’environnement, Nicolas Hulot.

Enfin, je tiens à rappeler que, malgré le caractère passionnel des sujets qui ont été abordés, nous avons tous contribué, dans cet hémicycle, à ce que nos débats se tiennent dans un climat apaisé et fait preuve de sagesse. Nous ne nous sommes pas laissé enfermer dans des débats enflammés qui n’auraient pas fait avancer les choses ; nous sommes restés paisibles et constructifs, ce qui a favorisé la qualité des débats. Nous pouvons nous en féliciter.

C’est confiant en cette sagesse et à la lumière de nos débats que le groupe La République En Marche s’était abstenu en juillet dernier, dans l’espoir que les deux chambres trouvent un accord en commission mixte paritaire. Aujourd’hui, la majorité sénatoriale refuse un nouveau débat sur le texte et s’enferme dans une posture à l’égard de l’Assemblée nationale. Pourtant, près de 40 articles sur 110 ont été adoptés conformes durant la navette parlementaire. Ce débat est donc avant tout instrumentalisé à des fins politiques (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), ce que je déplore. C’est pourquoi nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable.

Monsieur le ministre, nous vous soutenons et déplorons la posture adoptée par le Sénat. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Didier Rambaud applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en nouvelle lecture est décevant à plus d’un titre.

Il est décevant sur le fond, car ce texte devait être l’expression des conclusions des États généraux de l’alimentation. Ce long moment d’échanges a été apprécié par tous ses participants. Leurs conclusions étaient ambitieuses et avaient suscité de l’envie et de l’espoir, non seulement pour les citoyens, mais aussi pour les agriculteurs.

Comme trop souvent avec ce gouvernement, monsieur le ministre, les discours sont volontaristes et rassurants, mais les textes qui suivent sont minimalistes, voire contradictoires avec la politique annoncée. Vous allez même jusqu’à détricoter ce qui fonctionne, par exemple la sécurisation des pratiques contractuelles et des engagements pluriannuels adaptés à la filière viticole.

Ce texte est décevant aussi sur la forme, en particulier au regard des échanges avec l’Assemblée nationale. En première lecture, les rapporteurs et les sénateurs de tous les groupes ont apporté leur contribution, en tenant compte du fait que les compromis sont essentiels au bicamérisme. Mais, comme c’est le cas pour presque tous les textes, la commission mixte paritaire n’a pas été conclusive, car la majorité de l’Assemblée nationale est restée figée sur les positions du Gouvernement, parfois même en contradiction avec ses propres votes.

Nous ne pouvons pas accepter que notre travail soit sans cesse balayé d’un revers de main par les députés. Alors que, initialement, notre regard était constructif et bienveillant, le texte issu de nos débats a été totalement ignoré. Pourquoi continuer à chercher à améliorer le texte, si nos efforts sont voués à être vains ?

Enfin, ce texte est décevant, voire alarmant, pour notre économie. Je suis inquiète, et mon groupe avec moi, pour nos agriculteurs et pour notre industrie. Je le disais au début de mon propos : vos actes sont trop souvent en contradiction avec vos discours. Les effets économiques de la mise en œuvre des dispositions de ce projet de loi seront nuls, voire dangereux.

Ce rendez-vous devait être l’occasion de revaloriser le revenu de nos agriculteurs. Il devait permettre d’inverser le rapport de force entre producteurs et grande distribution. Ce n’étaient là que des paroles, et les effets attendus de la mise en œuvre de ce projet de loi sont chimériques. En somme, c’est de la poudre de perlimpinpin !

Les députés se sont éloignés de ces objectifs. Ils ont ainsi refusé aux agriculteurs le droit de s’appuyer sur des indicateurs incontestables pour la construction de leur prix grâce à l’intervention de l’Observatoire de la formation des prix et des marges en cas de défaut de l’interprofession : c’est une erreur.

Au rebours des a priori de votre majorité, les agriculteurs réagissent face aux enjeux et portent l’ambition d’un « contrat de solutions ». Mais, monsieur le ministre, vous ne les écoutez pas.

Ce contrat, associant plus d’une trentaine d’organisations agricoles et d’organismes de recherche, intègre toutes les productions, tous les territoires et toutes les filières. Il vise à développer l’innovation, le conseil, la formation et l’adoption des alternatives pour la protection des cultures afin de répondre concrètement aux attentes sociétales en matière d’utilisation des produits phytosanitaires, tout en garantissant la compétitivité de la ferme France.

Au travers de ce contrat, plus de 250 solutions d’avenir ont d’ores et déjà été identifiées en matière de pratiques agronomiques, de recours au numérique, d’innovation variétale ou encore de techniques de pulvérisation et de mécanisation. La proposition de partenariat de ses parties prenantes n’est pas, elle, décevante, mais vous n’en tenez compte nulle part !

Comme je n’en ai pas trouvé trace dans ce texte, j’imagine que vous n’avez pas eu communication de ce contrat, monsieur le ministre. Je vous le remettrai donc tout à l’heure, de la part des agriculteurs. Vous en ferez un bon usage, je n’en doute pas !

Hier, lors de notre déplacement en compagnie de Mme la présidente de la commission des affaires économiques dans la Marne, sur le site du pôle de compétitivité Industries et Agro-ressources, le pôle de la bioéconomie, l’idée de former dans les écoles supérieures de ce territoire les élites de la Nation a été avancée. Cela leur permettrait de mieux connaître les spécificités et les enjeux du monde agricole. Je vous assure qu’elles ne seraient pas déçues ! Les agriculteurs et les techniciens seraient ravis de travailler avec elles sur les perspectives de la ferme France pour les dix prochaines années.

Monsieur le ministre, l’État devrait plus souvent s’appuyer sur les territoires pour accomplir un véritable travail en partenariat. On le voit bien, ce texte en a manqué ! Pour ces raisons, le groupe Union Centriste soutiendra la position de nos rapporteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, je tiens à saluer la détermination de nos rapporteurs, qui ont réalisé un travail remarquable pour traduire de façon lisible la volonté du Sénat et, surtout, son ambition pour la « ferme France », une ambition partagée par les citoyens et les consommateurs français.

Monsieur le ministre, les États généraux de l’alimentation, lancés le 20 juillet 2017, ont fait naître beaucoup d’espoirs parmi les producteurs, les entreprises de commercialisation et de transformation, les consommateurs, notamment en termes d’amélioration des relations commerciales entre distributeurs et entreprises de transformation.

On pouvait imaginer, à l’issue de ces états généraux, que vous alliez véritablement donner des perspectives à la ferme France en promouvant une ambition agricole au sein de l’Union européenne, en pleine négociation du Brexit, à un moment où la France et l’Europe ont besoin de conforter leur positionnement international. Tous les grands pays ont une politique stratégique agricole et une politique d’indépendance alimentaire à moyen terme.

Ensuite sont venues les annonces du Président de la République aux paysans, le 11 octobre 2017 à Rungis : « rassurez-vous, vous allez vivre du juste prix », le but étant « de permettre à tous dans la chaîne de valeur de vivre dignement ». Il ajoutait : « Je le redis très clairement, nous devons permettre aux agriculteurs ne plus dépendre des aides », grâce à des prix rémunérateurs « construits à partir des coûts de production », l’ambition étant à terme de se passer d’un budget agricole qui, je le rappelle, contribue largement au revenu des agriculteurs. Le Président de la République concluait qu’il s’agissait de « permettre à chacune et à chacun d’avoir accès à une alimentation saine, durable, sûre ».

Lors des débats de première lecture au Sénat, une très forte volonté de consensus avait été affichée. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas dire le contraire : dans la perspective de la CMP, le Sénat a élaboré des propositions sur l’ensemble des points en discussion ; l’Assemblée nationale n’en a pas fait autant, elle qui a refusé de débattre. La manière dont cette commission mixte paritaire s’est déroulée est bien éloignée de l’esprit du bicamérisme, de l’affirmation d’une ambition pour l’agriculture de la France… Nous sommes passés de la naissance d’un espoir à l’avortement d’un projet, des annonces fermes du Président de la République à la renonciation aux engagements pris.

Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure, à juste titre, que nous étions intégrés à une économie de marché et soumis au droit européen. Le problème, c’est qu’il y a une incohérence complète entre vos affirmations, que l’on peut partager, et le contenu de ce texte à l’issue de sa deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

Nous partageons totalement le jugement de notre rapporteur sur le titre Ier : il manifeste un véritable renoncement. Ses dispositions concernant les indicateurs régionaux, nationaux et européens sont moins puissantes que celles qui avaient été votées par le Sénat dans le cadre de la discussion de la loi Sapin 2.

Si le Sénat s’apprête à voter une motion tendant à opposer la question préalable, c’est qu’il entend rester fidèle aux positions qu’il a adoptées en première lecture, contrairement à l’Assemblée nationale, qui revient en deuxième lecture sur les votes qu’elle avait précédemment émis ! Par exemple, le Sénat persiste dans sa volonté d’en finir avec la surtransposition des textes européens. On ne peut pas affirmer une position politique puis la renier le lendemain. Les conséquences de la mise en œuvre de ce texte seront terribles pour nos territoires, nos paysans, nos entreprises, nos filières économiques, nos savoir-faire : les surtranspositions les fragiliseront.

Nous partageons également le jugement porté par Anne-Catherine Loisier sur les dispositions du titre II : elles aussi fragiliseront notre économie, nos entreprises, nos territoires. Monsieur le ministre, la majorité du Sénat a voulu que les exigences sanitaires, environnementales et de production auxquelles sont soumis les produits français s’appliquent également aux produits d’importation, faisant suite en cela aux propos du Président de la République. Ce choix du Sénat, il faut le respecter ! L’absence de volonté politique du Gouvernement me surprend vraiment…

Le groupe Les Républicains votera la motion tendant à opposer la question préalable. C’est une question de respect pour les agriculteurs, pour les femmes et les hommes qui travaillent sur nos territoires, pour les consommateurs. On ne peut pas continuer à fragiliser l’indépendance alimentaire de la France. Nous allons établir la facture que représentera la mise en œuvre de ce texte pour la ferme France, pour les consommateurs, pour les agriculteurs, pour notre économie. Comme le disait Charles Péguy, « le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Françoise Férat a exposé avant moi la déception de notre groupe devant le contenu du texte qui nous est soumis aujourd’hui. Je ne m’attarderai donc pas sur le manque d’ambition économique et sur l’éloignement de la réalité des difficultés des agriculteurs qu’il reflète. Nos doutes sur l’efficacité des dispositions du projet de loi, tel qu’issu de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, pour revaloriser le revenu des agriculteurs sont plus que sérieux.

Je souhaite exprimer ici les regrets du groupe Union Centriste quant à la méthode adoptée par les députés de la majorité et le Gouvernement.

Au Sénat, les deux rapporteurs au fond, le rapporteur pour avis et l’ensemble des groupes ont travaillé sérieusement en première lecture : qu’ils en soient remerciés. Nous avons eu des débats de fond et nous avons fait des propositions sur tous les titres du texte. L’objectif était clair : amender le projet de loi, mais sans trop l’éloigner des choix des députés, afin qu’il soit ensuite possible de construire ensemble un compromis. Quelle déception de devoir constater que, tant en commission mixte paritaire qu’en nouvelle lecture, la majorité gouvernementale n’a même pas étudié les positions du Sénat.

Je prendrai quelques exemples de mesures qui auraient mérité davantage de considération.

Tout d’abord, nous avions souhaité donner un rôle important à l’Observatoire des prix et des marges dans la construction des indicateurs de prix. C’était une garantie de professionnalisme et d’indépendance dans cette démarche si importante pour le revenu des agriculteurs et si cruciale dans les relations entre les producteurs et les distributeurs. Au lieu de cela, les indicateurs de prix seront élaborés et diffusés par les interprofessions, et l’observatoire n’interviendra qu’a posteriori.

Un autre point de discorde tout à fait regrettable tient à la suppression par l’Assemblée nationale de la création d’un fonds d’indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques. Cette création était une proposition mesurée, adoptée à l’unanimité par la Haute Assemblée. Comment pouvait-on imaginer qu’elle serait rejetée par les députés ?

La volonté de la majorité de l’Assemblée nationale d’interdire sans discernement et dans la précipitation nombre d’objets en plastique, sans même en mesurer les conséquences pour l’emploi, les collectivités, notre industrie, constitue un autre sujet de désaccord.

Sur d’autres points encore, les députés ont eu des intentions contradictoires, et en discuter avec le Sénat les aurait sans doute aidés à retrouver le chemin de la cohérence et de la mesure. Comment comprendre que l’on veuille interdire la production de produits phytosanitaires en 2022 tout en supprimant le fonds d’indemnisation que je viens de mentionner ? Comment comprendre, enfin, que l’on affirme vouloir simplifier les normes tout en en créant de nouvelles encore plus contraignantes ? Manifestement, les positions de l’Assemblée nationale sont fragiles et changeantes. Les discussions sur ce texte ne sont plus possibles aujourd’hui.

En conclusion, à quoi bon débattre de nouveau de tous les articles de ce projet de loi ? À quoi bon adopter des amendements que les députés ne liront peut-être pas ? Cette situation est plus que regrettable pour nos institutions. Le bicamérisme est le garant de la bonne construction de la loi. Pour qu’il puisse jouer son rôle, il faut un respect mutuel entre les deux chambres. C’est dans l’intérêt des Français.

Ainsi, adopter une motion tendant à opposer la question préalable n’est pas renoncer à nos positions ; ce n’est pas non plus abandonner nos prérogatives : c’est surtout tirer une sonnette d’alarme pour nos institutions. Le groupe Union Centriste votera cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Patrick Kanner applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Brexit, la diminution annoncée des dotations de la PAC, les conséquences possibles de l’application du CETA ou du Mercosur soumettent notre agriculture à rude épreuve. Aussi est-il urgent de lui donner les moyens d’affronter ces défis.

Les États généraux de l’alimentation ont suscité beaucoup d’espoirs chez les agriculteurs, qui s’étaient vu promettre un rééquilibrage des relations commerciales et, au fond, la perspective d’une amélioration de leur revenu.

En première lecture, le Sénat a recherché le compromis et l’équilibre sur bien des points. Comme nos collègues rapporteurs l’ont rappelé, la commission mixte paritaire a voulu revenir, de manière totalement inédite, sur des dispositions votées conformes dans les deux chambres : je pense bien sûr à l’article 1er, mesure phare de ce texte sur laquelle elles étaient parvenues à s’accorder.

En effet, s’agissant de la construction des prix, l’Assemblée nationale a opéré un net retour en arrière, en ne garantissant pas l’obligation d’accords interprofessionnels sur les indicateurs, d’une part, et en affaiblissant le rôle de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, d’autre part.

C’est là une occasion manquée d’assurer la détermination d’indicateurs neutres, objectifs et indiscutables. Sans une rédaction plus contraignante, le juste retour de la valeur vers les agriculteurs risque d’être difficile : ceux-ci resteront à la merci de la grande distribution, toujours trop concentrée.

Monsieur le ministre, vous risquez de susciter une grande déception au sein du monde agricole, qui attendait beaucoup de ce texte. Les agriculteurs seront d’autant plus déçus que l’objectif initial de leur garantir un revenu décent est noyé dans un amas d’articles additionnels dont certains vont créer de nouvelles charges, normes et contraintes, parfois irréalistes et souvent sources de déficit de compétitivité.

Par exemple, s’il est souhaitable d’encourager le développement de la filière bio, imposer que 15 % de la surface agricole utile lui soit affectée au 31 décembre 2022 risque de créer de lourds déséquilibres alors qu’elle se développe déjà très bien.

À ce stade, notre seule consolation réside dans le fait que ce texte ne traite que d’une part de la politique agricole. C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous attendons aussi beaucoup d’autres chantiers tels que ceux de la fiscalité, de l’installation, de l’innovation et, bien sûr, des négociations sur la nouvelle PAC, qui devra être porteuse d’une véritable ambition pour l’agriculture européenne et sa stratégie alimentaire.

Espérons que, sur ces sujets, l’horizon sera plus clément pour nos agriculteurs, qui ne demandent qu’à vivre de leur métier, rien de plus… (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)