M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement. Nous allons maintenant procéder au débat sur la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre pays traverse l’un de ces moments de fièvre politique qui ont émaillé son histoire. Nul ne saurait s’en réjouir, hormis ceux qui font toujours du tumulte, de la division et de la haine leur fonds de commerce électoraliste.

Alors que le peuple s’exprime avec force, parfois avec violence, il est de notre devoir d’élus d’en comprendre les raisons. Et d’y répondre avec sincérité et responsabilité, avant que les excès de fièvre ne cassent irrémédiablement le thermomètre de la démocratie. Cette réponse, justement, doit être d’abord politique. Et le Sénat doit y avoir toute sa place.

Toutefois, il y a, à notre sens, un préalable absolu : le maintien de l’ordre républicain. Les dérapages quasi factieux qui se sont déroulés la semaine dernière sont intolérables. Ils appellent une réponse ferme de la justice. Mon groupe salue l’engagement et le dévouement de nos forces de l’ordre sur l’ensemble du territoire national. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe La République En Marche. – M. Loïc Hervé et Mme Sophie Joissains applaudissent également.) J’insiste : force doit être donnée aux lois de la République et au respect de l’ordre public.

Monsieur le Premier ministre, nous le savons, nos démocraties occidentales subissent, aujourd’hui, la pression croissante de forces contradictoires qui veulent mettre à bas l’héritage des Lumières. Nous devons prendre très au sérieux ce qui se passe aux États-Unis, en Italie, en Pologne ou en Hongrie, pour ne citer que ces pays.

À cela s’ajoute la mutation de l’information, sous l’effet des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu.

M. Jean-Claude Requier. Jamais l’information n’a circulé aussi vite. Jamais elle n’a subi autant de déformations. Jamais non plus elle n’a autant défié notre socle démocratique, avec des risques de sur-réactions de certains de nos concitoyens.

Pour autant, la crise que nous vivons ne ressemble à aucune autre, car elle se rattache à l’un des plus grands défis de l’humanité. À l’instar de l’immense majorité de nos concitoyens, mon groupe est convaincu depuis longtemps de la menace que fait peser le réchauffement climatique sur l’homme, ainsi que de l’urgence d’une transition écologique et énergétique. C’est aussi notre modèle de croissance qui doit être interrogé, tout comme la redistribution des richesses.

Sans doute cette transition appelle-t-elle aussi à imaginer cet avenir à l’échelle de nos concitoyens, afin qu’ils deviennent des acteurs pleinement conscients de cette transformation profonde.

Oui, le besoin de réformer est une évidence ! Néanmoins, réussir à réformer suppose d’user de pragmatisme et de simplicité. Dans le respect de chacun, l’écoute et l’attention, pour répondre aux besoins quotidiens.

Il est vrai que les revendications d’une grande partie des « gilets jaunes » sont hétéroclites, pour ne pas dire parfois contradictoires. On ne peut pas réclamer dans le même souffle la baisse des impôts et davantage de services publics. Mais il est certain qu’il faut donner l’attention nécessaire à ceux qui souffrent et veulent vivre dignement de leur travail ! En revanche, nous déplorons que la parole soit donnée sur des plateaux de télévision à ceux qui appellent à la sédition et au coup de force. (Mme Françoise Laborde approuve.)

Nous voyons encore dans cette crise le symptôme de la déconnexion qui s’est progressivement installée entre gouvernants et citoyens. La fiscalité écologique cédera la place demain à un autre sujet sans doute, car cette crise ne se résoudra pas en quelques semaines.

Vous avez déjà annoncé un certain nombre de mesures, que nous considérons pour notre part comme nécessaires, mais insuffisantes : suppression de la hausse de la fiscalité des carburants – le Sénat l’a fait en premier –, gel de l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité, suspension du nouveau contrôle technique automobile.

Vous souhaitez également lancer avec la Commission nationale du débat public un grand débat « national et local », « institutionnel et informel », selon des « formules de représentation innovantes », consacré aux grandes questions qui préoccupent les Français. Nous en prenons acte.

Mais nous notons surtout que le Sénat, et mon groupe en particulier, travaille sur ces questions depuis longtemps sans être dans la posture ou le tweet permanent. Nous cherchons d’abord à répondre aux besoins spécifiques des territoires, dans leur diversité. Non, tout le monde n’a pas vocation à créer une start-up ! Pas plus que le numérique ne doit devenir l’alpha et l’oméga de toute réforme. Pensez aux zones qui attendent encore la 1G, c’est-à-dire le téléphone portable ! (Sourires.) Cessons de ne donner la parole qu’aux financiers ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Mon groupe a toujours privilégié le dialogue à la verticalité du pouvoir. Pour nous, l’empathie, c’est-à-dire le fait d’aimer les gens, est une méthode de gouvernement, sans doute parce que nous sommes tous élus locaux et fiers de l’être. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Il faut donc réhabiliter les corps intermédiaires : élus locaux, syndicats, monde associatif, eux qui sont en prise avec les forces vives de la Nation. Redonnons à leur voix toute sa vigueur !

Il faut aussi écouter ces Français qui subissent la fracture territoriale, laquelle s’amplifie depuis trop longtemps. Eux qui ont l’impression de ne même plus exister vu de Paris. Eux qui subissent le recul continu de l’accès aux services publics. Eux qui ont vécu l’instauration technocratique du 80 kilomètres à l’heure comme un oukase surréaliste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Vincent Éblé applaudit également.) Eux qui n’ont que leur voiture pour se déplacer et aller travailler. Dans le monde rural, on a plus besoin de voitures que de trottinettes électriques. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

Il faut comprendre ces retraités à faibles revenus à qui l’on a brutalement annoncé qu’ils devraient changer leur chaudière à fioul, mais à qui aucune banque ne prêtera l’argent nécessaire. (Mme Brigitte Lherbier applaudit.)

Il faut encore, monsieur le Premier ministre, que la technostructure fasse montre d’un peu moins de certitudes et d’un peu plus d’humilité. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Nous constatons aujourd’hui les effets de décisions bureaucratiques complètement déconnectées des réalités. Aimer les gens n’est pas une incongruité ; c’est le devoir des personnes en responsabilité. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées.)

Vous l’aurez compris, nous appelons de nos vœux des mesures pragmatiques et simples, qui répondent aux problèmes de nos concitoyens et que ces derniers pourront immédiatement s’approprier : valorisation du travail, accès aux services publics, mobilités, fiscalité, protection sociale… Ces sujets mobilisent les Français, mais n’y répondons pas par une énième structure technocratique.

Les constats sont connus : allons au but ! Pour cela, vous pourrez toujours compter sur les élus locaux et les parlementaires, le Sénat en particulier.

Comme l’écrivait Pierre Mendès France, « la démocratie est d’abord un état d’esprit ». Le groupe du RDSE, dans toutes ses expressions, est fier de porter chaque jour cet état d’esprit ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. (Exclamations sur de nombreuses travées.)

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, dix-huit mois après son élection, le chouchou, pour ne pas dire le joujou, de la finance, celui que la presse avait déifié, celui qui avait fait de ses adversaires acharnés de doux ministres flagorneurs, celui qui ne pouvait plus seulement présider, mais qui s’apprêtait à régner, ce Président tout puissant, est aujourd’hui contraint de fuir la France en colère !

Mais qu’a-t-il bien pu se passer pour que des Français qui n’avaient jamais manifesté descendent dans la rue, pour y crier « Macron démission ! » ? Cet effondrement est la conséquence de trois hausses : tout d’abord, la hausse des insultes par celui qui était censé être le protecteur des Français, qu’il qualifiait tour à tour d’« illettrés », de « fainéants », de « cyniques », d’« extrêmes », de « Gaulois réfractaires au changement » et même de « lépreux » , pour 11 millions d’entre eux ; ensuite, bien entendu, la hausse des taxes et des prélèvements en même temps que la baisse des prestations et la disparition des services publics, et, au nom de la transition écologique, la hausse vertigineuse des taxes sur les carburants, qui représentent 60 % du prix du litre à la pompe ; enfin, la hausse du mépris envers un mouvement populaire, apolitique et pacifique. (Exclamations sur de nombreuses travées.)

Mme Patricia Schillinger. Oh, ça suffit !

M. Stéphane Ravier. La contestation est devenue lame de fond.

Qui sème l’insulte, l’appauvrissement et le mépris récolte la colère ! La colère d’un peuple qui n’arrive plus à vivre. Beaucoup de nos compatriotes sont contraints de puiser dans leur épargne modeste pour survivre. Des millions de Français que votre politique ultralibérale a jetés sur le bas-côté, sur la bande d’arrêt d’urgence sociale et qui n’ont pas d’autre choix que de porter ce gilet jaune, signe extérieur de détresse ! Colère légitime de millions de Français qui travaillent, qui paient leurs impôts et vos taxes. Des Français qui constituent le « peuple central » méprisé par le pouvoir central.

Ces Français ne sont ni les « très aidés », où l’on retrouve les bataillons de l’immigration (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.),…

M. David Assouline. Le fascisme est là ! « Présent » !

M. Stéphane Ravier. … ni les « très aisés », qui bénéficient de tous les cadeaux fiscaux de votre gouvernement.

Ces Français en colère que vous n’avez pas vus venir, ce sont ces salariés, ces artisans, ces commerçants, ces fonctionnaires, ces chômeurs, ces jeunes, ces retraités… Tous ces Français qui sont sur les Champs-Élysées, ce sont les mêmes que l’on a vus devant l’église de la Madeleine l’année dernière. La France des « gilets jaunes », c’est la « France Johnny Hallyday » ! (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. David Assouline. Eux paient leurs impôts en France !

M. Stéphane Ravier. C’est la France enracinée, la France qui ne demande qu’à travailler et à vivre des fruits de son travail. (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. David Assouline. C’est une honte !

M. Stéphane Ravier. C’est la France périphérique, la France des terroirs et des clochers, qui est obligée de parcourir des dizaines de kilomètres pour aller travailler ou pour chercher du travail, faute d’en trouver en traversant la rue ! C’est cette France contrainte de payer des taxes en même temps qu’elle voit disparaître les services publics de proximité, engloutis par la politique de la ville, dont la carte ressemble étrangement à celle de l’immigration ! (Protestations et huées sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Éliane Assassi. Il faut arrêter de raconter n’importe quoi, monsieur Ravier !

M. Stéphane Ravier. C’est cette France qui, d’habitude, se tait, mais qui crie aujourd’hui qu’elle ne veut pas mourir et que vous avez tenté en vain de décrédibiliser !

Alors, si l’on suit votre logique du pollueur-payeur, pourquoi ne pas avoir taxé les plus gros pollueurs que sont les compagnies aériennes et les compagnies de navigation ? Avions et super porte-conteneurs polluent bien davantage que toutes les voitures du monde ! Mais, fidèle à sa ligne et à ses amis de l’hyperclasse, Emmanuel Macron protège les forts et matraque les faibles.

Vous allez taxer les Français en assénant qu’ils seraient responsables du réchauffement climatique, alors que nous n’émettons que 0,9 % du total des émissions de gaz à effet de serre : l’Allemagne en émet deux fois plus, et la Chine… trente fois plus !

En réalité, monsieur le Premier ministre, vous tentez de culpabiliser les Français pour mieux les racketter, car il faut tenir les engagements que vous avez pris devant Bruxelles. Alors, tout est bon, même les plus gros bobards : « Passons au tout-électrique, et nous sauverons la planète. » Or la production de voitures électriques est plus polluante que celle de véhicules à essence ; la production et le recyclage des batteries constituent une hérésie écologique et nous mettront de plus sous dépendance économique chinoise.

Non seulement votre transition écologique est une imposture, mais en plus elle ruine nos compatriotes.

M. David Assouline. On se demande bien de qui vous êtes le porte-parole !

M. Stéphane Ravier. Vous taxez les Français, réduisez leurs pensions, leurs allocations, comme ce sera bientôt le cas avec la réforme de l’allocation logement, qui touchera 1,2 million de Français. Certains bénéficiaires perdront jusqu’à 1 000 euros par an.

Emmanuel Macron estimant que les minima sociaux coûtent « un pognon de dingue », il sabre, il supprime… Et c’est ce même Emmanuel Macron qui s’apprête à signer le Pacte mondial de Marrakech, pacte qui fera de l’immigration un « droit de l’homme » qu’il sera impossible de contester. (Protestations et huées sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Stéphane Ravier. Il s’agit là, ni plus ni moins, d’accélérer le processus de submersion et de ruine de notre pays par des millions d’individus qu’il faudra assister en tout, car démunis de tout ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Stéphane Ravier. Vous surtaxez les Français en leur disant qu’il faut faire des sacrifices et, dans le même temps, vous faites savoir à toute la misère du monde qu’elle trouvera en France de quoi être logée, soignée, éduquée et formée : c’est complètement délirant et suicidaire !

Nous vous invitons à tourner la page de l’ultralibéralisme au profit d’un modèle national et protecteur. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste frappent vivement sur leur pupitre. – Brouhaha.)

M. le président. Il faut conclure, monsieur Ravier.

M. Stéphane Ravier. Produisons, consommons (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste frappent de plus en plus vivement sur leur pupitre pour couvrir la voix de lorateur. – Brouhaha.)

M. le président. Il faut conclure, monsieur Ravier.

M. Stéphane Ravier. Difficile de lire dans ces conditions, monsieur le président !

M. le président. Concluez !

M. Stéphane Ravier. Produisons, consommons et retraitons local ! (Des sénateurs du groupe La République En Marche se joignent à ceux du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste pour frapper encore plus vivement sur leur pupitre. – Brouhaha.)

M. le président. Encore dix secondes !

M. Stéphane Ravier. Comme la moitié des pays d’Europe, comme les États-Unis, ne signez pas les accords de Marrakech, supprimez l’AME…

M. le président. Concluez !

M. Stéphane Ravier. … et toutes les pompes aspirantes de l’immigration ! (« Trois, deux un, zéro : cest fini ! » sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, dont les membres ne cessent de frapper sur leur pupitre. – Brouhaha.)

M. le président. Concluez !

M. Stéphane Ravier. Vous pourrez ainsi augmenter le pouvoir d’achat de nos compatriotes. (Mêmes mouvements.) Je conclus, monsieur le président.

M. le président. Concluez maintenant !

M. Stéphane Ravier. En mettant un terme à votre violence fiscale et vos injustices sociales, vous ferez enfin cesser cette violence inadmissible… (Le micro de lorateur est coupé.)

M. Loïc Hervé. Ça fait du bien quand ça s’arrête !

M. Rachid Temal. Au revoir !

M. Martin Lévrier. Par ici la sortie !

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, au moment où nous engageons ce débat, ici, au Sénat, l’atmosphère est étrange. Elle est pesante, insaisissable, souvent inquiétante. Nous avons le sentiment presque d’une veillée d’armes. Certains jettent de l’huile sur le feu, comme on vient de le voir, tandis que le Gouvernement est amené à réviser la doctrine d’emploi des forces de l’ordre.

Comment a-t-on pu en arriver là ? À une France aussi fracturée, parfois désespérée, souvent colérique ? Comment a-t-on pu voir profaner la tombe du Soldat inconnu et saccager l’Arc de Triomphe ? À mon tour, je m’associe à l’hommage rendu par M. le Premier ministre aux forces de l’ordre et aux sapeurs-pompiers, à leur courage, à leur maîtrise, à leur professionnalisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Monsieur le Premier ministre, oui, votre gouvernement a eu raison d’engager des réformes trop longtemps repoussées. Oui, votre gouvernement a raison de vouloir une Europe plus protectrice. Nous subissons non pas trop d’Europe, mais une insuffisance de volonté, de réactivité et d’ambition européennes. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.) Oui, votre gouvernement a eu raison de mettre en évidence l’urgence climatique.

Malheureusement, derrière ces intentions louables, il y a eu beaucoup d’erreurs de jugement et de maladresses ! Je n’en ferai pas la liste. Beaucoup s’en sont déjà chargés. Chaque critique est fondée, légitime, sauf peut-être lorsque ceux qui ont le plus rempli la cruche sont aujourd’hui ceux qui dénoncent avec le plus de cynisme les dernières gouttes versées. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères. Exactement !

M. Hervé Marseille. Le rejet de nos institutions se nourrit aussi de ces comportements médiocres. La France, malheureusement, n’a pas l’exclusivité de telles manifestations. Voyez ce qui s’est passé en 2013 en Italie, avec le mouvement des « fourches » – Forconi –, qui a ensuite donné lieu à l’existence du Mouvement 5 étoiles, et vous connaissez la suite.

L’urgence est absolue. Au-delà de l’impact à l’étranger et du coût économique, un nouveau samedi de chaos nous rapproche d’un bilan dramatique. Le vandalisme, le déchaînement de violences y conduisent. Les réactions de peur et d’autodéfense y mènent tout autant.

Dans ce contexte, la question d’un abandon des nouvelles taxes carburant ne se posait même plus. Le Sénat les avait supprimées. Il est dommage de ne pas nous avoir écoutés dès l’an dernier. (Eh oui ! et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Un freinage à temps aurait mieux valu qu’une sortie de route !

Ce sont des annulations, et le problème du pouvoir d’achat demeure entier. Au demeurant, le problème de l’annulation des hausses sur l’électricité va se poser dramatiquement ; on sait quelle est la doctrine du Conseil d’État en la matière, et il y aura rattrapage.

La crise doit désormais offrir l’occasion de repartir sur de nouvelles bases.

Notre expérience d’élus locaux conduit à quelques certitudes : les réformes doivent avoir un sens ; le ressenti est aussi important que la réalité ; l’égalité des chances à long terme ne peut compenser l’injustice sociale immédiate ; le discrédit partiel des corps intermédiaires ne peut justifier la verticalité de l’exercice du pouvoir ; enfin, les responsabilités de vos prédécesseurs ne vous exonèrent pas de vos propres erreurs.

Ce n’est pas parce que vous avez trouvé des dettes publiques considérables, des prélèvements excessifs, des déficits extérieurs et une compétitivité des entreprises en berne que vous aviez le champ ouvert à toutes les impulsions de la majorité.

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. Hervé Marseille. Monsieur le Premier ministre, les réformes structurelles produisent des ennuis tout de suite et des dividendes différés. C’est bien pourquoi autant de gouvernements ont aussi souvent renoncé. Ne soyons pas hypocrites ! Vous en avez lancé. C’est à porter à votre crédit.

L’insuffisance du pouvoir d’achat est une source terrible de frustration et de colère. Beaucoup de salariés, d’artisans, de travailleurs indépendants, d’agriculteurs témoignent en ce sens depuis des semaines. C’est une désespérance, une humiliation qui se renouvellent chaque mois pour des millions de Français, renforcées par l’indécence de certains revenus ou de comportements issus d’un capitalisme outrageusement financiarisé.

Une réponse doit être adressée immédiatement à ces Français qui expriment leurs difficultés quotidiennes.

Notre groupe propose ainsi de diminuer immédiatement le taux d’imposition de l’impôt sur le revenu sur les deuxième et troisième tranches, celles des revenus modestes et des classes moyennes. Nous proposons également l’exonération des heures supplémentaires pour les salariés aux faibles revenus. Ces mesures peuvent être partiellement compensées par un relèvement de la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus.

La baisse des aides personnalisées au logement a été vécue difficilement par leurs bénéficiaires. Il faut absolument les revaloriser.

Monsieur le Premier ministre, les symboles sont cruciaux. Ils comportent une part d’injustice, mais ils sont ainsi, plus encore depuis l’avènement des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu. Nous avons connu le Fouquet’s, nous avons connu Leonarda ; il y a désormais le « président des riches ».

Votre gouvernement assume que la réussite des uns doit également servir de bienfaits aux autres. Ce raisonnement se défend, et vous avez raison d’essayer, puisque tout le reste a échoué.

Cependant, la mise en œuvre compte autant que la justesse de l’intention. Alors que notre société est assaillie par la précarisation, par la peur du déclassement, il faut mettre sous conditions ce que nos compatriotes ressentent comme des cadeaux accordés aux plus favorisés. Leur légitimité doit reposer sur une utilité sociale probante.

Les entreprises ont été fiscalement matraquées au début de la décennie. Souvenons-nous du mouvement des « pigeons » ! L’ampleur des dégâts a ensuite conduit à diminuer leurs charges. Il s’agit aujourd’hui que les mesures prises en leur faveur soient évaluées, mais également assujetties à des obligations sociales. Les aides ne sont pas faites pour augmenter les rémunérations des dirigeants ou les dividendes. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)

M. Michel Vaspart. Très bien !

M. Hervé Marseille. On l’a vu encore voilà peu chez Vallourec : après avoir distribué de nombreux dividendes, l’entreprise se tourne de nouveau vers la BPI pour solliciter des aides. Les aides sont faites pour augmenter les investissements, préserver les emplois, puis augmenter les salaires.

Pour nous, le montant de l’impôt payé par les entreprises ne doit plus être unique. Il doit être variable en fonction du respect d’un partage équilibré des excédents d’exploitation.

L’optimisation fiscale des grands groupes est devenue insupportable, financièrement et moralement. Ces entreprises s’enrichissent sur le dos des États en ne contribuant en rien à une prospérité dont leurs produits ou services profitent à plein.

L’Europe doit en terminer avec la règle de l’unanimité pour faire évoluer les dispositions fiscales européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.) On ne peut pas construire une Europe solidaire en maintenant une faculté de veto aussi ouverte. On le voit avec le piteux accord sur les GAFA. La règle de la majorité qualifiée doit progressivement s’imposer. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

Dans le schéma du Gouvernement, la suppression de l’ISF était cohérente. Au demeurant, chacun d’entre nous se souvient que nous étions nombreux à l’avoir demandée sur ces travées. Mais abandonner cette icône aurait dû être accompagné par un symbole tout aussi fort : celui d’une contribution des plus aisés au développement de nos petites et moyennes entreprises, principales sources des créations d’emplois à venir. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.) Au demeurant, on voit aujourd’hui que de nombreux chefs d’entreprise demandent à pouvoir donner 10 % de leurs ressources en direction de fondations ou d’institutions. Faisons en sorte d’exaucer leurs vœux, monsieur le Premier ministre.

Le sentiment d’injustice repose aussi sur l’accumulation de dispositifs dérogatoires et illisibles, ainsi que sur l’ampleur des fraudes fiscales et sociales. Rien n’est plus dévastateur que de compter un à un ses euros lorsque d’autres trichent sans vergogne ou abusent sans scrupule. La lutte contre ces fraudes doit être non pas un slogan, mais une priorité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Le sujet central est pourtant celui de la réforme de l’État et des politiques publiques. Il n’y a que sous cet angle que nous pourrons diminuer la dépense publique. Trop d’impôts et trop de prélèvements pour trop peu de résultats. Ce n’est pas la charge qui est choquante ; c’est le décalage entre son importance et l’insuffisance des résultats produits. La table rase dont rêvent certains est un fantasme. Néanmoins, on ne réforme pas sans écoute, sans considération et sans relais d’opinion. Plutôt que de contourner ces supposés enquiquineurs, il faut les revivifier. Ce n’est pas une conviction ; c’est une certitude sur laquelle nous vous avons maintes fois alerté.

La versatilité des peuples rend illusoire la démocratie directe. Au pays des injonctions contradictoires, il faut des enceintes de dialogue et de hiérarchisation des priorités. Des réformes subies font éclore le seul ressentiment.

Nous qui avons tous été élus locaux savons qu’on ne révise pas un plan local d’urbanisme seulement avec une poignée d’élus dans un conseil municipal. (Très bien ! sur des travées du groupe Union Centriste.)