Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire :

Mme Mireille Jouve.

1. Procès-verbal

2. Questions d’actualité au Gouvernement

grand débat national (i)

M. Jean-Marc Gabouty ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

violences policières lors des manifestations de « gilets jaunes »

Mme Esther Benbassa ; M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.

grand débat national (ii)

M. Patrick Kanner ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Patrick Kanner.

migrations sur l’île de la réunion

M. Jean-Louis Lagourgue ; M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.

grand débat national (iii)

M. Marc-Philippe Daubresse ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Marc-Philippe Daubresse.

hausse des tarifs autoroutiers

M. Vincent Delahaye ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Vincent Delahaye.

trafic de drogue

M. Antoine Karam ; M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.

décret relatif aux droits et aux obligations des demandeurs d’emploi

Mme Nadine Grelet-Certenais ; Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail ; Mme Nadine Grelet-Certenais.

politique fiscale

Mme Catherine Deroche ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances ; Mme Catherine Deroche.

retenue collinaire de caussade

M. Jean-Pierre Moga ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

liberté de la presse

M. Julien Bargeton ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.

avenir du sénat et du cese

Mme Muriel Jourda ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; Mme Muriel Jourda.

annonces fiscales

Mme Brigitte Micouleau ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances.

3. Souhaits de bienvenue à une nouvelle sénatrice

Suspension et reprise de la séance

4. Rappel au règlement

M. Jean Louis Masson ; M. le président.

5. Retrait britannique de l’Union européenne – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

Débat interactif

Mme Colette Mélot ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; Mme Colette Mélot.

M. Laurent Duplomb ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

M. Bernard Cazeau ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; M. Bernard Cazeau.

M. Éric Bocquet ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

M. Jean-Marc Todeschini ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

M. Jean-Noël Guérini ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

M. Jean Louis Masson ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

Mme Anne-Catherine Loisier ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

Mme Hélène Conway-Mouret ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

M. Olivier Cadic ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

M. Yves Bouloux ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

Mme Hélène Conway-Mouret ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

M. Ronan Le Gleut ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; M. Ronan Le Gleut.

Mme Fabienne Keller ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.

M. Sébastien Meurant ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; M. Sébastien Meurant.

Conclusion du débat

M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains

6. Mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

M. André Gattolin

M. Éric Bocquet

M. Jean-Marc Todeschini

M. Jacques Mézard

M. Olivier Henno

Mme Colette Mélot

M. Jean Bizet

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Vote sur l’ensemble

Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaire :

Mme Mireille Jouve.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je renouvelle à chacune et à chacun d’entre vous mes meilleurs vœux pour cette année qui commence. Je tiens aussi à vous remercier de ceux que vous m’avez adressés, nombreux et chaleureux, qui sont en cours de lecture.

L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.

Je suggère, en ces temps de vœux, que nous prenions pour 2019 la bonne résolution de rester attachés aux valeurs essentielles du Sénat que sont le respect des uns et des autres ainsi que le respect du temps de parole, plus prosaïque certes, mais également important.

grand débat national (i)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le Premier ministre, l’année 2018 aura été marquée par l’irruption des « gilets jaunes », mouvement social inédit et, au départ, spontané, qui témoigne d’un profond malaise de notre société.

Qu’elles soient légitimes et généreuses, souvent contradictoires ou irréalistes et parfois provocatrices, les revendications exprimées doivent être écoutées. Toutefois, elles ne sauraient en aucun cas justifier le déferlement de violences, de menaces, d’invectives et de dégradations que subit notre pays depuis mi-novembre. Le bilan humain dramatique – 10 morts et plus de 2 500 blessés – devrait un peu plus interroger les acteurs de ce mouvement et ceux qui l’ont soutenu avec parfois un objectif malsain de récupération.

Je tiens ici, au nom du groupe du RDSE, à renouveler tous nos remerciements et notre soutien aux forces de l’ordre, aux personnels de santé et aux services d’urgence, très sollicités pendant cette période.

Sur le plan économique et social, cet épisode a flétri l’image, et donc l’attractivité, de notre pays et a été destructeur d’activités et d’emplois.

Au-delà des mesures très significatives – 10 milliards d’euros – que vous avez annoncées et qui ont été votées courant décembre par l’Assemblée nationale et le Sénat, le débat national, engagé avant-hier, va s’enrichir de propositions concernant, en particulier, la démocratie de proximité, les services publics, la fiscalité et le pouvoir d’achat. Ce grand débat va susciter beaucoup d’espoirs, qu’il ne faudra pas décevoir.

À côté de réformes structurelles plus longues à mettre en place, des mesures concrètes d’application immédiate seront attendues par nos concitoyens. Comment envisagez-vous d’y répondre, dans quels domaines et selon quel calendrier ? Pensez-vous associer le Parlement, en particulier le Sénat, représentant des territoires, à l’élaboration de ces mesures et de ces réformes, en amont d’un examen strictement législatif des projets de loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Gabouty, je vous remercie de votre question, qui va me permettre d’apporter certains éclairages.

Vous posez la question de l’association des parlementaires, singulièrement des sénateurs, au grand débat national qui va s’ouvrir. Tout d’abord, vous avez raison de dire que ce débat va sans doute susciter de grands espoirs auxquels il va falloir répondre.

Je vous répondrai en trois temps.

Premier temps : le débat est en train de s’ouvrir. Je tiens, à ce sujet, à saluer les parlementaires et les responsables de groupe, au Sénat et à l’Assemblée nationale, qui ont annoncé qu’ils s’y associeraient, en dépit des divergences, afin de faire en sorte que les Français puissent se saisir des questions qui leur sont soumises, voire d’autres questions. Les parlementaires pourront ainsi être des témoins vigilants et, d’une certaine façon, des porte-parole de ce qui va se dire.

Deuxième temps : le Premier ministre a adressé un courrier aux présidents des deux assemblées pour créer un comité de suivi afin de permettre à chaque groupe politique – il s’agit bien de politique ! – de suivre les débats et de se les approprier.

Troisième temps : la traduction législative, ce qui est le fond de votre question.

Alors que la démocratie représentative est parfois mise en cause par ceux qui manifestent, il est bon que ce travail préalable, ce débat, trouve une issue législative. Certains textes sont déjà sur la table, même si nous avons décidé d’en aménager le calendrier, comme c’est le cas pour la révision constitutionnelle – ces projets pourront être enrichis grâce aux débats qui ont lieu. D’autres naîtront du débat qui est en train de se nouer dans les territoires. Ainsi se jouera l’articulation entre le débat et notre capacité à traduire les questions évoquées.

Vous avez raison : certaines solutions devront être de long terme – il faudra alors le dire – et d’autres de court terme. C’est bien dans ce cadre que se déroulera le débat. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

violences policières lors des manifestations de « gilets jaunes »

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Esther Benbassa. Ma question s’adresse au ministre de l’intérieur.

Mutilés, éborgnés, défigurés, subissant quotidiennement la violence symbolique et sociale imposée par les politiques gouvernementales, c’est désormais dans leur chair que sont frappés de nombreux « gilets jaunes ». (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Face à cette crise majeure et à des rassemblements protestataires, qui ne sont certes pas exempts, parfois, de violences, l’unique réponse apportée par l’exécutif est une répression disproportionnée : plus de 5 600 interpellations et gardes à vue, plus de 1 000 condamnations ; on recense 3 000 blessés, dont 94 graves.

Les violences policières vont crescendo, avec l’usage d’armes toujours plus dangereuses : grenades de désencerclement, flash-ball et autres LBD 40, sans oublier le tabassage et le gazage quasi systématique. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

C’est bien parce que c’est vrai que ça vous énerve ! Maintenant, vous pouvez vous taire ! (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Dernier cas en date : Olivier, un père de famille de quarante-sept ans, pompier volontaire, qui manifestait pacifiquement avec son épouse le 12 janvier à Bordeaux, a été touché à la tête par un tir de flash-ball. Il est dans le coma. En principe, seuls le torse et les membres inférieurs peuvent être visés par les policiers !

Mme Sophie Taillé-Polian. Il ne faudrait pas l’oublier !

Mme Esther Benbassa. Depuis l’acte I du mouvement des « gilets jaunes », l’IGPN a été saisie de 200 cas de violences policières, dont 78 font actuellement l’objet d’une enquête interne.

Ma question est simple : n’est-il pas temps de mettre un terme à cette répression d’une brutalité intolérable (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) et d’interdire, comme le préconise le Défenseur des droits, l’utilisation d’armes non létales par les forces de l’ordre ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur. Madame la sénatrice Benbassa, je tiens à rappeler le contexte dans lequel se déroulent les manifestations auxquelles vous faites allusion : des manifestations jamais déclarées, jamais encadrées, avec des manifestants qui s’en prennent, non pas parfois, mais très souvent, de manière extrêmement violente et agressive, en leur jetant divers projectiles, aux policiers, dont beaucoup nous disent avoir le sentiment qu’on cherche à les tuer.

C’est donc dans ce contexte que s’organise la riposte policière, madame la sénatrice, et uniquement dans ce contexte, c’est-à-dire quand se produisent des agressions ou quand il s’agit de disperser des attroupements violents. Cette riposte est extrêmement encadrée et, vous le savez très bien, elle est toujours proportionnée. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Elle se fait à l’aide de ce qu’on appelle des armes intermédiaires, dont les conditions d’utilisation sont très surveillées.

Ce ne sont pas 200 plaintes dont a été saisie l’IGPN, mais 81 enquêtes judiciaires qui ont été ouvertes pour des suspicions de violences policières. Il y a donc bien un contrôle qui s’exerce sur la riposte, laquelle s’effectue de manière proportionnée face au comportement extrêmement violent des manifestants et aux véritables agressions dont font l’objet les forces de l’ordre, alors même que celles-ci sont là pour nous protéger et pour protéger ces manifestations.

Vous évoquez les moyens intermédiaires de défense. Effectivement, les policiers utilisent des grenades lacrymogènes, des grenades de désencerclement et parfois, quand ils sont vraiment acculés, le lanceur de balles de défense. Cette utilisation, encore une fois, se fait dans des conditions d’emplois très strictes, que nous avons rappelées, avec Christophe Castaner, à l’ensemble des policiers.

Si les forces de l’ordre ne faisaient pas usage de ces moyens de défense, certains de leurs membres auraient peut-être été lynchés, comme le montrent les nombreuses tentatives de lynchage auxquelles nous avons assisté. (Protestations sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Ce n’est pas acceptable, et c’est cela que nous voulons que vous condamniez ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

grand débat national (ii)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, nous allons entrer dans le grand débat lancé par le Président de la République. Comme nous l’avons déjà dit publiquement, les parlementaires socialistes en prendront toute leur part sur le terrain, dans les communes.

Nous sommes de fervents défenseurs du dialogue et du débat politique avec les Français. Nous répéterons, à cette occasion, les propositions que nous avons déjà faites et que vous n’avez malheureusement pas suivies. Il en est une, toutefois, dont nous ne savons plus si nous aurons le droit de la formuler. Je veux parler, bien sûr, du rétablissement de l’ISF.

Le Président de la République a soufflé le chaud et le froid sur ce point. Qui devons-nous croire ? Le Président de La Lettre aux Français, qui exclut toute remise en cause de sa ligne économique et sociale, ou celui du débat en Normandie, qui ouvre le droit à parler de l’ISF ?

Ce sujet pose plus largement la question de la prise en compte de la parole des Français dans ce débat, à l’image de vos reculs contraints sur une partie de l’augmentation de la CSG pour les retraités, sur la taxe carbone, sur le coup de pouce au SMIC via la prime d’activité et, désormais, sur vos 80 kilomètres par heure. Entendez-vous infléchir votre politique économique et sociale si contestée ou ce débat ne sera-t-il qu’un exercice de communication sans suite ?

Enfin, monsieur le Premier ministre, permettez-moi une dernière question : comment envisagez-vous la conclusion de ce grand débat ? Accepterez-vous, comme vous l’ont demandé certains syndicats, qu’elle prenne la forme d’une vraie négociation avec les partenaires sociaux, que vous avez négligés jusqu’ici ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Kanner, vous m’interrogez sur le grand débat, son organisation, le sens et la portée qu’il aura, ainsi que sur ses conclusions ou, plus exactement, sur la méthode qui sera retenue à son terme. Vous posez un certain nombre d’autres questions auxquelles je peux parfaitement répondre.

Ce débat va se tenir pendant les deux mois qui viennent pour faire en sorte que tous les Français, où qu’ils vivent – ça compte ! –, quels que soient leur âge, leur situation professionnelle, leur statut, puissent s’exprimer. Vous le savez comme moi, il serait déraisonnable d’imaginer interdire aux Français de discuter d’un sujet. Ils ont toute latitude pour s’emparer de tous les sujets qu’ils souhaitent évoquer. C’est pour cela que le Président de la République a souhaité « cadrer » le débat, non pas pour faire de tel ou tel sujet un tabou, mais pour dire quel est le cadre dans lequel nous allons prendre en compte ce que diront les Français. Je vais vous donner un exemple, qui, parce qu’il est évident, illustrera cette logique.

Imaginez – j’espère que ce ne sera pas le cas, évidemment – que les Français veuillent remettre en cause la forme républicaine de nos institutions. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne crois pas qu’ils le feront, même si nous devons faire attention à préserver ce qui nous semble parfois acquis. Cependant, si tel était le cas, il est évident que nous ne nous engagerions pas dans cette logique. Je prends cet exemple, car il est tellement excessif qu’il vous indique clairement les choses.

M. David Assouline. Quel est le rapport avec l’ISF ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Les éléments qui constituent le socle de l’engagement du Président de la République comme de celui des parlementaires de la majorité ont été posés au moment d’une élection. Vous reconnaîtrez, comme moi, qu’ils ne peuvent pas être écartés, qu’ils constituent des points qui fondent la confiance et sur lesquels cette majorité – que vous avez parfaitement le droit de critiquer – s’est engagée. La légitimité qui découle de l’élection doit, elle aussi, être respectée.

Beaucoup de questions – trente-cinq ou trente-six – ont été posées directement aux Français par le Président de la République dans la lettre qu’il leur a adressée. En répondant à ces questions, en s’exprimant sur ces sujets, les Français vont nous donner un certain nombre d’indications. Il appartiendra ensuite au Gouvernement, au Parlement, à l’ensemble de ceux qui concourent au débat public, d’en faire leur miel, de s’en inspirer, dans la réponse qu’ils apporteront aux questions profondes et anciennes qui taraudent notre société. C’est dans cet esprit que nous nous engageons.

Vous évoquez la proposition formulée par certaines organisations syndicales – pas toutes – et reprise, d’ailleurs, par certaines associations d’élus d’organiser, au terme de l’exercice, une grande conférence territoriale et sociale qui permettrait à l’ensemble des acteurs d’échanger sur ce qui ressort du grand débat et de le transformer, le cas échéant, en propositions. C’est une bonne idée, et je l’entends.

À mon sens, le débat devra vivre après que nous l’aurons lancé et, au fur et à mesure qu’il avancera, nous pourrons répondre à certaines questions et à certaines propositions, comme celle-ci. Il me semble, toutefois, que, si nous voulons être logiques, il faut que ceux qui ont l’ambition de participer au terme du débat, à la définition des solutions, choisissent, d’une façon ou d’une autre, de participer au débat lui-même pendant qu’il a lieu. À défaut, il serait curieux de demander de participer à la fin sans pour autant participer au déroulé.

M. Patrick Kanner. C’est vrai !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Si ce débat prospère, comme nous le souhaitons et comme, à mon sens, un très grand nombre de Français l’espère, alors peut-être faudra-t-il faire droit à cette proposition. Je crois qu’il est un peu tôt pour répondre à cette question, car il faut laisser au débat le temps de commencer, en garantissant aux Français, ainsi que nous l’avons fait, que le Président de la République l’a dit et que je le redis ici, devant les sénateurs, que nous tiendrons compte des éléments qui seront formulés à l’intérieur du cadre proposé par le Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, j’entends votre réponse et je vous confirme que les parlementaires socialistes participeront au grand débat national qui a été lancé par le Président de la République.

La démocratie participative peut enrichir la démocratie représentative, mais elle ne peut pas s’y substituer. Je tiens ainsi à insister sur le fait que nous défendrons bec et ongles le bicamérisme. (Vifs applaudissements.) Le Sénat, comme lanceur d’alerte, doit être respecté, et vous seriez parfois bien inspiré d’écouter ses conclusions ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

migrations sur l’île de la réunion

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Jean-Louis Lagourgue. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Le 15 décembre dernier, un navire de pêche était intercepté au large de La Réunion avec, à son bord, près de soixante-dix personnes, dont des femmes et des enfants, originaires du Sri Lanka.

Quelques jours plus tard, un autre bateau accostait, transportant cette fois sept passagers et portant à cinq le nombre de navires ayant rejoint, en 2018, les côtes réunionnaises en provenance de cette île voisine de l’Inde, située à 4 200 kilomètres.

Ces faits laissent penser qu’une nouvelle filière est en train de se structurer pour fuir la crise politique, ethnique et religieuse qui divise l’ancien Ceylan. Dix ans après la fin de la guerre civile, qui causa la mort de près de 100 000 personnes, les minorités tamoule et chrétienne restent en proie aux persécutions.

La Réunion représente une porte d’entrée vers la France, pays des droits de l’homme, où la diaspora sri-lankaise est évaluée à environ 150 000 personnes.

Sur les quelque quatre-vingts migrants qui ont rejoint notre île en l’espace de dix mois, certains ont formulé des demandes d’asile, d’autres ont déjà été reconduits chez eux, avec les conséquences que l’on peut imaginer.

En plus de nous alerter sur le drame humain que vit cette population, l’ouverture de cette nouvelle voie migratoire vers La Réunion suscite de vives inquiétudes dans la population.

Monsieur le ministre, les autorités disposent-elles de moyens adéquats pour assurer la surveillance des côtes réunionnaises ? Quelle position le Gouvernement compte-t-il adopter face à ce phénomène aussi soudain qu’inattendu qui touche La Réunion ? Comment accompagner cette population sans risquer une amplification du flux migratoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur, je vous confirme que, depuis le mois de mars de l’année dernière, nous avons enregistré l’arrivée de quatre navires sur les côtes réunionnaises, transportant un certain nombre de personnes qui auront donc fait un périple de plus de 4 000 kilomètres en mer.

Les autorités françaises à La Réunion ont mis en place un dispositif d’accueil et de prise en charge, d’abord sanitaire, puis administratif, lequel a conduit à considérer certaines des demandes d’asile. Nous avons également pris des décisions de non-admission et procédé à des éloignements effectifs.

Les mesures mises en œuvre ont visé, d’abord, à renforcer la surveillance des côtes réunionnaises, comme vous le souhaitez, mais aussi, bien en amont de cela, à prendre contact avec les autorités du Sri Lanka afin de définir ensemble une politique susceptible de les inciter à détecter les départs. Ces échanges ont été positifs, dans la mesure où plusieurs navires ont été empêchés de quitter le Sri Lanka pour se rendre à La Réunion. Nous allons poursuivre ces discussions : une réunion se tiendra le 25 janvier avec les autorités du Sri Lanka à la direction générale des étrangers en France pour aborder précisément ce thème.

Vous le voyez, notre ambition est de respecter le droit légitime de certaines personnes à être protégées, mais également de faire preuve de fermeté afin d’éviter que ne se reconstitue une filière d’immigration clandestine du Sri Lanka vers La Réunion, qui serait, au final, une nouvelle filière de traite des êtres humains. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

grand débat national (iii)

M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le Premier ministre, dans le livre Révolution, qu’il a publié juste avant d’être élu Président de la République, Emmanuel Macron écrivait : « Aujourd’hui, les Français ont l’impression que leurs gouvernements ne gouvernent plus. L’Europe, les partis, les marchés, les sondages, la rue, il existe une confusion sur le détenteur du pouvoir. Quand il n’y a pas de clarté du Gouvernement, le peuple se cabre. Il faut savoir expliquer plutôt que de faire de la communication. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) Une nouvelle étape de la déconcentration de l’État est nécessaire. Je crois dans un nouveau partage démocratique. C’est le fondement de la République contractuelle dont nous avons besoin, la République qui fait confiance aux territoires, à la société et aux acteurs pour se transformer. Les collectivités locales et leurs élus doivent jouer un rôle accru. C’est une nouvelle étape de transfert des pouvoirs vers ces collectivités que nous devons décider. »

M. André Gattolin. Excellent texte !

M. Marc-Philippe Daubresse. Nous ne saurions mieux dire, monsieur le Premier ministre ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Au moment où la crise des « gilets jaunes » se traduit par une rupture brutale du lien de confiance entre le peuple, le Président et son gouvernement, pouvez-vous nous expliquer pourquoi, depuis deux ans, le Président de la République fait très exactement le contraire de ce que préconisait le candidat Macron, en recentralisant à outrance et toujours plus, en rejetant le rôle prééminent des maires, que vous prenez subitement en considération ?

Êtes-vous enfin prêt à mettre en œuvre les conditions d’une déconcentration de l’État, comme vous le disiez, ainsi qu’une nouvelle étape de décentralisation massive et d’expérimentation en faisant confiance aux élus locaux et aux partenaires sociaux, comme vous le demande, dans les conférences, le président du Sénat, garant, aux termes de la Constitution, de l’équilibre des pouvoirs et des territoires ? Bref, êtes-vous prêt à changer radicalement de méthode en agissant du bas vers le haut et non plus du haut vers le bas, pour éviter que votre grand débat ne se transforme en grande débâcle ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Daubresse, je vous remercie de votre question, parce qu’elle me permet, outre le fait de souligner vos saines lectures, de préciser de nouveau ce qu’est la politique du Gouvernement, notamment en ce qui concerne le grand débat. À cet égard, nous avons assisté mardi dernier à un exercice entre le Président de la République et les maires qui a démontré, à ceux qui pouvaient en douter, notamment parmi les manifestants, le rôle des maires, leur capacité à saisir la situation de leur territoire et à en être les représentants. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le Gouvernement, depuis qu’il est installé, a envoyé un certain nombre de messages, mais ils n’ont peut-être pas été assez entendus. (M. Marc-Philippe Daubresse sexclame.)

Monsieur Daubresse, vous avez été maire d’une grande commune, Lambersart ; j’ai été maire d’une commune située un peu plus au sud du même département.

M. Marc Fesneau, ministre. Nous partageons donc cette connaissance et cet amour des territoires et des collectivités locales.

Alors que, durant les cinq années précédentes, les dotations avaient fortement baissé, le Gouvernement a décidé de les stabiliser.

M. Jean-François Husson. Ce n’est pas la question !

M. Marc Fesneau, ministre. Ce n’est peut-être pas la question, mais cela montre le signal de confiance envoyé aux collectivités. Il en va de même de la contractualisation, même si cela a peut-être été mal perçu.

Le Président de la République avait indiqué devant le congrès des maires en 2017…

Un sénateur du groupe Les Républicains. Cette année, il n’est même pas venu !

M. Marc Fesneau, ministre. … qu’il souhaitait entamer une nouvelle étape de la décentralisation avec le droit à la différenciation. Nous aurons un débat sur ce texte, même s’il a été reporté. Quoi de mieux, en effet, que le droit à la différenciation pour permettre aux collectivités de se saisir des sujets ?

Enfin – le Président de la République en avait également parlé aux maires –, nous souhaitions collectivement, y compris les associations d’élus, faire une pause en matière de grandes réformes territoriales, car les précédentes avaient donné aux uns et aux autres le sentiment d’un tourbillon. Cependant, au vu du constat que nous faisons tous, il apparaît qu’une question se pose, s’agissant de la loi NOTRe, autour des périmètres et des compétences. Le Président de la République s’est déclaré ouvert à des ajustements, non pas pour tout refonder une fois de plus, mais pour répondre aux exigences pratiques des maires. Cela sera également l’enjeu du grand débat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour la réplique.

M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le ministre, vous l’aurez compris au vu de ce que j’ai lu, nous préférons les preuves d’amour aux déclarations d’amour.

Nous attendons une grande conférence territoriale et une grande conférence sociale après le grand débat. Nous attendons une loi de décentralisation et nous attendons que vous mettiez en pratique les choses en respectant le Sénat, qui est tout de même la première assemblée désignée par la Constitution pour représenter les collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)

hausse des tarifs autoroutiers

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Vincent Delahaye. Les Français regardent les sociétés d’autoroutes avec suspicion, et pour cause ! Si la qualité de service y est globalement élevée, les tarifs le sont aussi, ce qui est inversement proportionnel à la transparence financière qui régit cet oligopole.

Depuis les conditions de privatisation très discutables de 2005, ces sociétés prétendent ne pas gagner beaucoup d’argent. Elles nous en feraient presque pleurer ! Pourtant, elles ne savent pas quoi inventer pour demander aux gouvernements successifs d’allonger les durées des concessions. Malheureusement, l’État désargenté cède à chaque fois aux mirages de travaux plus ou moins utiles – réalisés par les propres filiales des opérateurs –, contre quelques années encore de punition tarifaire pour les automobilistes. Et ne parlons même pas des turpitudes électoralistes d’une ministre du précédent quinquennat qui vont conduire à alourdir de nouveau la facture dès le 1er février !

À l’heure où les Français veulent retrouver du pouvoir d’achat et exigent plus de transparence, il est temps de faire la lumière sur cette situation.

Ces sociétés seraient prêtes, prétendument, à faire un geste, mais nous n’en connaissons pas les conditions financières et nous ne sommes donc pas capables d’apprécier si l’effort envisagé est réel ou s’il s’agit d’une aumône presque insultante.

Le Gouvernement étudie actuellement ces propositions. À partir de quel niveau les jugera-t-il acceptables ? Les sociétés d’autoroutes abandonneront-elles 20 %, 30 % ou 50 % des augmentations prévues ?

Il semble aussi que leur lobbying soit intense pour prendre en charge de nouvelles sections d’autoroute, contre un allégement de la durée des concessions. Qu’en est-il ? Pouvez-vous nous assurer que les discussions seront menées sans opacité et en prenant en compte la réelle situation financière de ces sociétés ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme Éliane Assassi. Il faut les renationaliser !

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Delahaye, nous partageons globalement votre analyse. (Mme Éliane Assassi sesclaffe.) Comme vous le savez, les tarifs des péages sont fixés selon des règles qui figurent dans les contrats de concession d’autoroutes. Ce principe ne date pas d’aujourd’hui : la première concession a été accordée par une loi de 1955, à la société Escota, qui gère notamment des autoroutes dans le sud de la France.

En 2005, les sociétés d’autoroutes, qui appartenaient majoritairement à l’État, ont été privatisées. Cette mesure a rapporté de l’argent à l’État à l’époque, mais ne nous laisse plus aucune marge de manœuvre pour renégocier les contrats avec ces sociétés.

Si, par démagogie, nous promettions aux Français des baisses de tarifs, les conséquences en seraient répercutées sur les années suivantes. C’est ainsi que nous payons, cette année encore, la promesse démagogique faite en 2015 de baisser les tarifs.

Un sénateur du groupe Les Républicains. Une promesse Royal !

Mme Sophie Taillé-Polian. Vous l’aviez soutenue !

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Ce ne sont pas ceux qui promettent qui paient, mais les automobilistes !

Mme Éliane Assassi. Où étiez-vous à l’époque ?

M. François de Rugy, ministre dÉtat. Nous avons demandé aux sociétés d’autoroutes de faire des efforts sur la base de leurs tarifs et de leurs recettes. Élisabeth Borne, ministre chargée des transports auprès de moi,…

Mme Sophie Taillé-Polian. La ministre des transports était au cabinet de son prédécesseur…

M. François de Rugy, ministre dÉtat. … négocie en ce moment même avec elles, s’agissant notamment des abonnements, pour que les automobilistes qui empruntent les autoroutes tous les jours pour aller travailler bénéficient de fortes réductions. Voilà qui sera un gain concret pour un certain nombre de nos compatriotes.

Par ailleurs, nous sommes tout à fait opposés à une prolongation supplémentaire de ces contrats, que nous trouvons trop avantageux pour les sociétés d’autoroutes. (Mme Éliane Assassi ironise.) Celles-ci proposaient de faire un geste en échange d’un allongement des contrats : nous l’avons refusé ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour la réplique.

M. Vincent Delahaye. J’aurais aimé une réponse sur ce que le Gouvernement considérera comme raisonnablement acceptable. Pour notre part, nous disons « stop » à la rentabilité maximale et à la transparence minimale pour les sociétés d’autoroutes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

Mme Éliane Assassi. Très bien !

trafic de drogue

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour le groupe La République En Marche.

M. Antoine Karam. Dimanche dernier, 19 kilos de cocaïne ont été retrouvés dans les bagages d’une mère et de ses enfants à l’aéroport Félix-Éboué de Cayenne. Voilà le quotidien des Guyanais ! (Lorateur brandit le fac-similé de la une d’un journal.)

En quelques années seulement, la Guyane, terre d’Amérique du Sud, est devenue un espace majeur de transit vers l’Europe. Imaginez que, entre 2014 et 2018, les saisies ont augmenté de 335 %, passant de 145 à 631 kilogrammes ! Si bien que, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, près de 30 % du marché français, évalué entre 25 et 30 tonnes, proviendrait de la Guyane.

Concrètement, on compterait de 20 à 30 « mules » par avion, soit plus de 3 000 personnes par an, dont seulement 10 % sont interpellées.

À l’origine de ce trafic, un ennemi sans visage, qui se cache derrière le destin tragique de ces « mules », qui transportent la drogue dans leurs bagages, quand elles ne l’ingurgitent pas au péril de leur vie. Moi-même, j’ai vu une jeune femme mourir d’overdose en plein vol, sous les yeux de son fils.

Ces « mules » sont toutes nos enfants : elles sont les proies faciles de trafiquants sans scrupule, qui puisent dans le vivier des jeunes inactifs. Parce que la société n’est aujourd’hui pas en mesure de leur proposer un emploi, de leur offrir un avenir, ces jeunes risquent volontiers leur vie contre le mirage de quelques milliers d’euros.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous sais préoccupé par ce problème. Je sais aussi que les autorités sont mobilisées et conscientes de l’ampleur du phénomène. Néanmoins, force est de constater que les moyens de lutte sont insuffisants et que les tribunaux sont aujourd’hui saturés, tandis que le trafic s’accroît considérablement et, avec lui, le nombre de ses victimes. C’est pourquoi je vous le demande solennellement : le Gouvernement entend-il déployer un plan ambitieux de prévention et de lutte contre le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.

M. Laurent Nunez, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur. Monsieur le sénateur Karam, vous avez raison sur le constat : le trafic de stupéfiants en provenance de la Guyane est en forte augmentation. Ce département est une des voies d’acheminement vers la métropole de la cocaïne d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, transportée in corpore, soit par ingestion, par des personnes qui exposent ainsi leur vie.

Compte tenu de cette augmentation exponentielle et après qu’un groupe interministériel s’est réuni impliquant les ministères de l’intérieur, de la justice et des solidarités et de la santé, nous avons pris trois mesures.

D’abord, nous avons décidé de renforcer de manière importante les contrôles au départ, à Cayenne, et à l’arrivée, à Orly. Ce renforcement des contrôles s’est accompagné d’un renforcement des effectifs. Cette première mesure s’applique dès à présent.

Ensuite, nous avons renforcé tout au long de 2017-2018 les effectifs chargés de la lutte contre les trafics de stupéfiants sur le territoire guyanais. Ces agents de la gendarmerie nationale, de la police nationale et des douanes mènent un travail en profondeur pour lutter contre les réseaux de trafic de stupéfiants.

Enfin, plus généralement, nous mettons en œuvre, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, un plan global de lutte contre les trafics de stupéfiants, qui inclut un partenariat avec les pays de provenance de la cocaïne, pour une meilleure efficacité.

Monsieur le sénateur, vous pouvez compter sur la détermination du ministre de l’intérieur et de l’ensemble du Gouvernement pour lutter contre le fléau qu’est le trafic de stupéfiants, notamment en provenance de la Guyane. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

décret relatif aux droits et aux obligations des demandeurs d’emploi

M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Nadine Grelet-Certenais. Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail.

Le 30 décembre dernier, pour les fêtes de fin d’année, est paru un décret d’application de la loi joliment intitulée « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », un décret visant à renforcer le contrôle des chômeurs, dans l’idée que les Français les plus fragiles seraient responsables de leur exclusion.

Voici donc comment ce décret entend responsabiliser « ceux qui déconnent », qui « n’ont pas le sens de l’effort », selon les termes choquants employés sans vergogne par le Président de la République : dès le premier refus d’une offre, le chercheur d’emploi pourra être radié des listes de Pôle emploi ; l’offre raisonnable d’emploi est redéfinie, le salaire précédent n’étant plus un motif de refus ; dès le premier manquement, l’allocation sera non plus suspendue, mais supprimée, et le chercheur d’emploi ne conservera donc plus ses droits ; enfin, la surveillance sera assurée par un journal de bord numérique permettant le contrôle des chômeurs en temps réel.

Bien sûr, les syndicats ont fortement réagi contre ce nouveau caporalisme déshumanisé visant les demandeurs d’emploi. On ne peut pas vouloir baisser le chômage en radiant les allocataires ou en accroissant la précarité des exclus de l’emploi.

En raison de la masse des dossiers suivis et de l’explosion des CDD de moins d’un mois, les agents de Pôle emploi estiment que ce climat de suspicion dénature leur mission. Sans compter que vous avez supprimé 800 postes dans la dernière loi de finances…

Ne serait-il pas temps, madame la ministre, à l’heure où vous semblez vouloir adopter une autre attitude à l’égard des syndicats et en vue du grand débat, de modifier votre analyse de la situation de l’emploi, de privilégier enfin l’accompagnement des précaires plutôt que leur sanction et de questionner non seulement l’employabilité des personnes, mais aussi le nombre et la qualité des emplois proposés par les entreprises ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Grelet-Certenais, vous m’interrogez sur le décret du 30 décembre dernier pris en application de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Le sens du contrôle est double : d’une part, dans tout système de solidarité collective, il faut un équilibre de droits et de devoirs ; d’autre part, il a été empiriquement constaté, par les équipes de Pôle emploi, que le contrôle permet parfois de remobiliser. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Sur les 300 000 demandeurs d’emploi contrôlés aléatoirement par Pôle emploi au cours de la dernière vague, 66 % cherchaient activement un emploi et 20 % étaient découragés. On peut comprendre que, après avoir entrepris de très nombreuses démarches, on baisse un jour les bras, parce que la situation paraît un peu désespérante. Dans ces cas, le contrôle a permis une remobilisation du demandeur et des équipes de Pôle emploi, avec à la clé de très beaux succès.

Restaient 14 % qui ne cherchaient pas activement un emploi, sans avoir de difficultés particulières de santé, de logement ou d’éloignement, difficultés compréhensibles dont le contrôle tient compte. Pour ceux-là, oui, le contrôle a été revu.

Il l’a été aussi parce qu’il était injuste et inéquitable. En effet, dans le cadre de l’offre raisonnable d’emploi, un dispositif que les gouvernements précédents n’ont jamais supprimé et que vous avez donc également soutenu, madame la sénatrice, une femme seule habitant en zone rurale et contrainte par les horaires de crèches pour pouvoir travailler pouvait être sanctionnée parce qu’elle avait refusé un emploi, alors qu’un cadre vivant dans une métropole et exerçant un métier pour lequel il n’y a pas de chômage n’était pas forcément sanctionné.

Nous avons simplement instauré un dispositif plus équitable, fruit de l’expérience de terrain des agents de Pôle emploi, dans lequel on ne pourra plus être sanctionné pour une raison sur laquelle on n’a pas prise.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Concrètement, le demandeur d’emploi et son conseiller définiront dès le premier jour sur quelles bases l’emploi sera recherché et contrôlé. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour la réplique.

Mme Nadine Grelet-Certenais. Avec ce décret, madame la ministre, vous poursuivez une logique technocratique et ajoutez de la culpabilité à la précarité. Vous mettez en danger une population déjà affectée par le sentiment d’injustice.

M. François Patriat. Vous n’avez pas écouté la réponse !

Mme Nadine Grelet-Certenais. Ce décret est de très mauvais augure en vue de la réforme systémique de l’assurance chômage actuellement sur la table des négociations.

Vous parlez d’équilibre des droits et des devoirs, mais quid des fraudeurs fiscaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)

politique fiscale

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et porte sur la politique fiscale.

Depuis plusieurs mois, nous assistons à des atermoiements successifs du Gouvernement. Songeons à la taxe sur les carburants, à l’impôt sur les sociétés, à l’exit tax, aux charges sur les heures supplémentaires et à la CSG, entre autres sujets. La liste est très longue…

Récemment, nous avons entendu des déclarations contradictoires sur la taxe d’habitation, l’impôt sur les successions et l’impôt sur la fortune.

Mardi dernier, le Président de la République a encore ajouté au catalogue les 80 kilomètres par heure et les pensions de réversion…

Le Gouvernement peut-il tenter d’éclairer le Sénat sur sa feuille de route en matière de politique fiscale pour répondre aux exigences fixées par le Président de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Madame la sénatrice, je vais vous rassurer : notre feuille de route, c’est baisser les impôts, pour les ménages comme pour les entreprises.

M. Pierre-Yves Collombat. Vous les baissez surtout pour les spéculateurs !

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour les ménages, nous baissons la taxe d’habitation. Vous connaissez ma conviction sur le sujet : j’estime que cet impôt doit être supprimé pour l’ensemble des ménages. (M. Olivier Henno applaudit.) Cela n’exclut pas que la question soit posée aux Français, mais je vous rappelle ma position.

M. Bruno Le Maire, ministre. S’agissant de l’impôt sur la fortune et du prélèvement forfaitaire unique, je réaffirme cette conviction forte : il faut baisser l’impôt sur le capital pour que nos entreprises puissent investir, innover et créer des emplois. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Pierre-Yves Collombat. Quelle blague !

Mme Éliane Assassi. Plus personne n’y croit !

M. Bruno Le Maire, ministre. C’est pourquoi je suis favorable au maintien de la suppression de l’impôt sur la fortune et à celui du prélèvement forfaitaire unique.

Tous, je pense, vous souhaitez la réindustrialisation de notre pays. Eh bien, il n’y aura pas de reconquête industrielle en France si nous ne baissons pas les impôts et les taxes sur le capital et les impôts de production sur l’industrie ! (Marques de dénégation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Voilà vingt ans que l’on fait croire aux Français qu’on peut avoir une industrie forte avec des impôts élevés. Le million d’emplois supprimés dans l’industrie montre que ce n’est pas la bonne voie.

Nous poursuivrons donc la baisse des impôts sur l’industrie et sur l’ensemble des entreprises françaises, en ramenant le taux de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % d’ici à 2022.

Baisser les impôts pour tous les Français et pour notre économie de 1 point au minimum sur cinq ans n’empêche pas d’aller chercher l’argent là où il se trouve (Rires et exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.) en mettant en place, comme nous allons le faire, une juste taxe sur les géants du numérique, qui s’appliquera à compter du 1er janvier 2019, pour que tous les géants du numérique payent en France le même montant d’impôt que nos PME ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.

Mme Catherine Deroche. Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir exposé vos convictions. Seulement, certains de vos collègues ministres ont fait de nombreuses déclarations contraires…

Après vingt mois d’une politique péremptoire, vingt mois sans aucun écho à nos propositions, nous voilà dans l’incertitude jusqu’à la fin du grand débat. Que de temps perdu ! Que le Gouvernement n’a-t-il écouté les sénateurs, qui sont au plus près du terrain et connaissent la vraie vie !

Ces pas de tango permanents dans les déclarations sont terriblement anxiogènes pour les chefs d’entreprise, les agriculteurs et les particuliers, pour les classes moyennes et les familles, bref pour tous nos concitoyens. Les règles changent tout le temps, et chacun voit bien que ce qui est donné d’une main est repris de l’autre doublement, voire plus…

Comme l’a dit un économiste pourtant modéré, la politique fiscale du Gouvernement n’est plus une usine à gaz, mais toute une zone industrielle ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

retenue collinaire de caussade

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le ministre de la transition écologique et solidaire, j’appelle votre attention sur la création et l’exploitation d’une retenue d’eau collective, le lac de Caussade, en Lot-et-Garonne. Il s’agit d’un lac collinaire de moins de un million de mètres cubes, destiné à l’irrigation. La réalisation de ce lac serait pour les agriculteurs un espoir : une partie des eaux de pluie hivernales pourrait être stockée pour être utilisée en période estivale. Ce serait aussi une opportunité de maintenir un étiage convenable du petit ruisseau en aval de la retenue pendant l’été.

Les porteurs de projets dans le monde agricole, comme d’ailleurs dans d’autres secteurs, se heurtent à des textes qui rendent quasiment impossible la réalisation de telles opérations. C’est peut-être cette complexité des lois et des normes qui a poussé les agriculteurs à enfreindre la loi et à entreprendre la construction de l’ouvrage, solution que je déplore mais qui est une réalité. Dans ce contexte, nous risquons de vivre un nouveau Sivens, avec des agriculteurs à la place de zadistes.

Monsieur le ministre d’État, maintenir la paix sociale avec le monde agricole avant qu’il ne soit trop tard est une priorité absolue. Les agriculteurs sont des gens respectables qui doivent irriguer leurs cultures pour nourrir la population. Confrontés aujourd’hui comme jamais à d’importantes mutations, ils sont à bout. Je vous demande donc quelles mesures vous envisagez de prendre pour résoudre ce problème et permettre une sortie par le haut.

Vous le savez comme moi, le changement climatique est malheureusement en marche, et le monde rural va connaître des sécheresses de plus en plus graves. Aussi, envisagez-vous d’adapter la loi sur l’eau afin de mieux répondre aux défis majeurs qui nous attendent ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Moga, vous avez raison : l’accès à l’eau est l’un des enjeux clés liés aux effets du dérèglement climatique, en particulier dans la grande région Sud-Ouest, où, aujourd’hui déjà, de graves déficits en eau sont constatés tous les ans. C’est pourquoi nous en avons fait la priorité de la deuxième phase des Assises de l’eau. Tous les acteurs, élus locaux, représentants des agriculteurs, des industriels et des consommateurs, réfléchissent à la réforme de notre politique de l’eau pour l’adapter au dérèglement climatique, notamment à la question du stockage de l’eau – il faut bien appeler les choses par leur nom.

S’agissant de la situation à Caussade, je tiens à rappeler que les défenseurs de ce projet n’ont jamais pu apporter la preuve de sa compatibilité avec le schéma d’aménagement et de gestion de l’eau, le fameux SAGE que tous les élus locaux connaissent bien, et avec les directives européennes en vigueur, cela malgré plusieurs alertes. J’ai donc demandé, avec Stéphane Travert, alors ministre de l’agriculture, le retrait de l’arrêté préfectoral de juin 2018, pris contre l’avis de deux préfets de région. Nous en avons d’ailleurs tiré les conséquences en ce qui concerne la préfecture de département.

Malgré ce retrait, le projet a été lancé illégalement par son porteur, un peu, comme vous l’avez dit, dans une situation inversée par rapport à celle de Sivens, de triste mémoire. J’ai immédiatement donné des instructions pour que l’ensemble des démarches soient engagées, notamment par la justice, afin de constater l’illégalité des travaux, ce qui a été fait. Des systèmes d’astreinte financière pour non-respect d’une décision de justice existent ; ils vont être enclenchés par l’État.

Cet exemple négatif ne doit pas nous détourner de l’objectif que Didier Guillaume, ministre de l’agriculture, et moi-même partageons : trouver des solutions concrètes pour le stockage de l’eau et la gestion de la ressource en eau, entre fortes pluies et périodes de sécheresse. L’exemple des Deux-Sèvres est à cet égard très instructif. Nous allons continuer d’agir en ce sens ! (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)

liberté de la presse

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République En Marche.

M. Julien Bargeton. « La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une, c’est attenter à l’autre. » Ainsi parlait Victor Hugo, l’un de nos éminents devanciers.

Or cet édifice commun est aujourd’hui trop souvent attaqué. Inadmissibles, les agressions répétées de journalistes mettent en danger le pacte républicain ! En s’attaquant à la presse, en bloquant la diffusion de journaux, en menaçant une journaliste de viol, comme à Toulouse, en lançant en permanence des insultes sur les réseaux sociaux, c’est la République que l’on agresse. Mais personne ne tordra le bras à la République. La France n’acceptera jamais de banaliser le bâillon !

Ailleurs, la liberté de la presse est peut-être un luxe ou une chimère. En France, c’est un droit fondamental d’informer, de créer le débat, de divertir. N’oublions pas que, dans le monde, des journalistes ont payé cette liberté de leur vie. N’oublions pas non plus les victimes de l’attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo : elles aussi ont payé du prix de leur vie cette liberté fondamentale.

Alors que les Français gardent en mémoire ce souvenir, la meilleure façon d’honorer nos morts est de défendre, sur le terrain comme en ligne, la liberté de la presse et le travail des journalistes.

À l’heure où toute la France s’apprête à débattre, quelles mesures le Gouvernement prend-il pour défendre cette liberté et sanctionner ceux qui souhaiteraient y attenter ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Bargeton, je vous remercie pour votre question dans ses fondements, mais aussi pour l’occasion qu’elle m’offre d’aborder les questions que vous soulevez.

Aux termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ». Sans cette liberté, sans les médias, sans les journalistes et leur travail, il n’y a pas démocratie possible. Les journalistes sont les vigies de la démocratie, et une démocratie qui ne défend pas sa presse est une démocratie qui s’oublie, une démocratie qui se nuit à elle-même.

Le journaliste peut évidemment être contesté, critiqué ; il doit bien sûr faire l’objet de controverses et il doit aussi rendre des comptes. Mais rien ne justifie les appels à la défiance, puis à la haine, puis à la violence, que nous avons entendus. Rien ne justifiera que l’on cherche, par la force ou par la peur, à bâillonner les uns ou les autres.

Dans ce débat qui nous occupe, où les journalistes sont de plus en plus souvent mis en cause, il est une arme essentielle : l’éducation aux médias. Nous ne ménageons pas nos efforts en la matière.

Le traitement de l’information appelle aussi l’exigence déontologique la plus forte. C’est pourquoi le Gouvernement a confié une mission à Emmanuel Hoog, qui procède depuis quelques semaines à la concertation la plus large possible sur le sujet, pour aboutir à des propositions.

Défendre la liberté de la presse, c’est aussi lutter contre les tentatives de manipulation de l’information que nous avons vues encore à l’œuvre. C’est la vision qui préside à la loi promulguée le 25 décembre dernier. C’est aussi soutenir le modèle économique de la presse, comme nous le faisons au niveau européen et comme cela est fait aussi au sein des deux assemblées.

Défendre la liberté de la presse, c’est rendre possible la diffusion des idées sur tout le territoire. C’est pour cela que nous prenons à bras-le-corps la question de la distribution de la presse en soutenant le redressement de Presstalis.

Défendre les libertés et la démocratie, c’est aussi défendre les parlementaires et les élus locaux menacés, ainsi que les citoyens privés de leur droit à circuler ou à exercer une activité librement ; c’est défendre les institutions menacées et les ministères envahis.

De fait, cette question démocratique concerne la presse, mais aussi l’ensemble des institutions. Je crois que, les uns et les autres, nous y sommes sensibles. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

avenir du sénat et du cese

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Muriel Jourda. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.

« Je crois au bicamérisme, qui garantit une démocratie mieux équilibrée. Il n’est pas de République forte sans institutions puissantes. Nées de temps troublés, nos institutions sont résistantes aux crises et aux turbulences. » Sans doute, monsieur le Premier ministre, aurez-vous reconnu les mots d’Emmanuel Macron (MM. Julien Bargeton et André Gattolin applaudissent.), Président de la République, prononcés devant le Congrès en juillet 2017 et en juillet 2018.

Il avait raison : nous connaissons une crise sociale, une crise culturelle, une crise territoriale, mais nous ne connaissons pas de crise des institutions.

Mme Muriel Jourda. Pourtant, dans sa Lettre aux Français, le Président de la République met en discussion la transformation du Sénat. Monsieur le Premier ministre, quelles sont vos intentions à l’égard de notre assemblée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la sénatrice, vous avez cité le Président de la République s’adressant au Congrès. Vous auriez pu citer aussi – même si je reconnais que cela a moins de prestige – le Premier ministre s’exprimant pour la première fois devant le Sénat. (MM. Julien Bargeton et André Gattolin applaudissent.) Dans ce discours, en effet, j’avais marqué mon attachement au bicamérisme et au rôle essentiel, dans une démocratie, du dialogue permanent entre deux assemblées tirant leur légitimité de modes de désignation et de temporalités différents. C’est un élément constitutif de notre équilibre démocratique. Il n’est d’ailleurs pas propre au génie français, même si celui-ci est considérable, puisque, dans toutes les démocraties, c’est ce dialogue qui permet une forme de sagesse et d’équilibre.

Je n’ai donc aucun problème, madame la sénatrice, à dire, aujourd’hui comme toujours, mon attachement au bicamérisme et au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.) Dire cela, vous pourrez le reconnaître, ne doit pas nous exonérer d’une réflexion sur le bon fonctionnement du bicamérisme ni sur la bonne désignation de ceux qui siègent dans ces deux instances.

Vous avez fait référence au mouvement des « gilets jaunes » : reconnaissez avec moi que, dans la très grande masse des revendications qui sont exprimées, dans leur très grande diversité, il y a aussi des questionnements, non pas forcément sur l’existence de telle ou telle assemblée, mais sur la capacité de telle ou telle à représenter correctement la population française.

M. François Grosdidier. Et l’exécutif ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je ne dis pas que ces revendications sont les seules, mais nous pouvons, je crois, reconnaître que ces questions peuvent se poser dans une démocratie comme la nôtre.

Le Président de la République, dans le débat qu’il a engagé, a ouvert un chapitre sur la démocratie et la citoyenneté. Posons donc les questions qui concernent la démocratie et la citoyenneté, qu’il s’agisse de la participation de nos concitoyens à la prise de décision, aux niveaux local comme national, de leur représentation, du fonctionnement de nos institutions ou du besoin de participation de nos concitoyens.

Le chef de l’État a souhaité ouvrir le débat sur ces sujets. Le président du Sénat, lors d’une conférence de presse tenue ce matin, a indiqué, comme il lui appartenait, l’attachement rappelé par le Président de la République au bicamérisme. Cette question ne se pose donc pas.

En revanche, je serai toujours ouvert à la discussion, qui doit être continue dans le temps, visant à faire en sorte que nos institutions fonctionnent mieux, que notre bicamérisme fonctionne mieux et que nos concitoyens soient toujours convaincus qu’il fonctionne comme il devrait fonctionner. Tel est le sens du débat : je crois que ces questions sont très raisonnables et intéressent nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour la réplique.

Mme Muriel Jourda. J’entends votre réponse, monsieur le Premier ministre. Nous sommes d’accord sur le fait qu’une réflexion doive être menée. Il faut d’ailleurs noter que celle-ci avait commencé dans les assemblées avant de se dérouler sur les ronds-points et que, à aucun moment, le Sénat ne s’y était montré hostile.

Puisque nous sommes en temps de grand débat, permettez-moi de faire quelques observations.

Tout d’abord, je rappellerai que, aux termes de la Constitution, le Président de la République est avant tout le garant des institutions.

Mme Muriel Jourda. Sans doute devra-t-il résister à la tentation de jeter ces institutions en pâture à la population pour que le mécontentement de cette dernière change d’objet… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

J’ajoute que, ces derniers temps, le Président de la République semble finalement beaucoup s’inspirer du Sénat.

Ainsi, quand il évoque le travail mené sur le statut de l’élu devant les maires de l’Eure, il parle en réalité du rapport de Jean-Marie Bockel et de Mathieu Darnaud. Lorsqu’il évoque l’évolution de la loi NOTRe, il parle en fait de la proposition de loi de nos collègues Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud. Quand il évoque l’adaptation locale de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure, il parle du rapport de nos collègues Michel Raison, Michèle Vullien et Jean-Luc Fichet. Lorsqu’il évoque les objectifs annuels en matière d’immigration dans sa Lettre aux Français, le Président de la République parle du récent amendement de notre collègue Roger Karoutchi.

M. le président. Il va falloir conclure, ma chère collègue ! La liste est tellement longue… (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme Muriel Jourda. Lorsqu’il veut prendre des mesures contre les casseurs, il reprend la proposition de loi du président Retailleau.

Avant de songer à transformer le Sénat, peut-être l’exécutif devrait-il songer à transformer son regard sur le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.) Nous ne sommes pas qu’un contre-pouvoir encombrant ; nous sommes aussi et avant tout la voix des territoires de France ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

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M. le président. La parole est à Mme Brigitte Micouleau, pour le groupe Les Républicains.

Mme Brigitte Micouleau. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.

Monsieur le ministre, chaque samedi depuis maintenant deux mois, en marge des manifestations des « gilets jaunes », un certain nombre de centres-villes de notre pays sont le théâtre de violences et d’affrontements inacceptables. (M. Julien Bargeton applaudit.) On ne compte plus les commerçants, artisans, membres des professions libérales qui ont vu leurs locaux attaqués, dégradés ou pillés. Quant à ceux qui ont eu la chance d’échapper à ce déchaînement gratuit de haine, ils vivent dans l’angoisse des samedis à venir et constatent de semaine en semaine, la mort dans l’âme, le déclin de leur activité. Craignant pour leur sécurité, les clients délaissent en effet massivement les centres-villes. Chiffre d’affaires en baisse de plus de 40 %, chômage technique, licenciements constituent aujourd’hui le lot quotidien de nos commerçants, artisans, restaurateurs et hôteliers. Si rien ne change, si rien n’est fait pour les soutenir, on assistera très probablement à une explosion du nombre des dépôts de bilan. Or, monsieur le ministre, ces commerçants et ces artisans jouent un rôle non seulement économique, mais aussi social.

Plusieurs municipalités, conscientes qu’il ne peut y avoir de centre-ville sans commerces, vont prendre des mesures d’urgence. C’est le cas de Toulouse, où un conseil municipal exceptionnel examinera un plan d’aide de plusieurs centaines de milliers d’euros. Mais les communes ne peuvent pas tout : les maires prennent leurs responsabilités ; l’État doit également prendre les siennes !

Plusieurs propositions d’aides individualisées seront formulées, notamment l’exonération, et non le simple report, des charges sociales patronales pour les mois de décembre et de janvier, l’exonération de la CFE, ainsi que le report de la mise en application de la révision des valeurs locatives commerciales.

Monsieur le ministre, entendez-vous le désespoir des commerçants et artisans des centres-villes ? Comptez-vous leur venir en aide ? C’est urgent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Madame la sénatrice Micouleau, je partage totalement vos propos. Il y a plus d’un mois, j’ai déjà eu l’occasion de dire que ces violences, ces dégradations de magasins, ces menaces contre des commerçants, ces pillages étaient inacceptables, et qu’ils avaient un impact catastrophique sur notre économie. Je maintiens ces termes aujourd’hui.

Ces faits concernent notamment les plus petits commerces, surtout ceux de centre-ville, qui ne peuvent plus exercer librement leur activité. Ils ont également un impact très important sur les grandes surfaces, qui ont du mal à s’approvisionner, ainsi que sur les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie, du jouet, de l’alimentation, de l’habillement, dans une période de fêtes où le chiffre d’affaires est normalement élevé. Nous ferons le bilan des soldes d’ici à quelques jours pour évaluer concrètement cet impact.

Je vous confirme que nous avons mis en place une cellule d’urgence au ministère de l’économie et des finances. Avec Muriel Pénicaud, nous travaillons à un allégement de charges pour les professionnels qui ont été le plus touchés. Nous restons en permanence ouverts au dialogue avec les représentants des commerçants et des artisans.

Je vous confirme également que nous avons demandé aux assureurs de répondre le plus rapidement possible aux difficultés des commerçants.

Par ailleurs, nous sommes en train de réaliser une évaluation précise de l’impact du mouvement en cours et des violences auxquelles il a donné lieu sur la croissance française et sur notre économie.

Ma porte, comme celle de Muriel Pénicaud, reste en tout cas ouverte en permanence aux parlementaires, ainsi qu’aux représentants des commerçants, des artisans et de tous les secteurs économiques, pour travailler ensemble à élaborer les solutions le plus efficaces possible. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Bruno Sido applaudit également.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi 22 janvier 2019.

3

Souhaits de bienvenue à une nouvelle sénatrice

M. le président. Mes chers collègues, avant de suspendre la séance, je voudrais saluer la présence dans notre hémicycle de Mme Françoise Ramond, devenue sénatrice d’Eure-et-Loir le 2 janvier dernier. En votre nom à tous, je lui souhaite la bienvenue parmi nous. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.

M. Jean Louis Masson. Hier, la Grande-Bretagne a décidé de rejeter la logique d’un accord négocié avec l’Union européenne. Cela posera problème pour l’application de la décision du Conseil de l’Union européenne du 13 juillet 2018 établissant une nouvelle répartition des sièges de député européen entre les États membres. À mon avis, cette décision est intervenue un peu trop vite, le Conseil anticipant le retrait définitif du Royaume-Uni de l’Union européenne. Or, à cet égard, on ne sait plus où l’on en est !

Quoi qu’il en soit, il est absolument impensable que le Sénat puisse être appelé à ratifier la décision du 13 juillet 2018 selon la procédure d’examen simplifié, qui nous interdit d’avoir un débat en séance publique et même d’expliquer notre vote !

J’avais déjà fait un rappel au règlement sur cette question. Il arrive aujourd’hui ce que je subodorais alors : on ne sait plus du tout où l’on en est, et la décision du Conseil de l’Union européenne du 13 juillet dernier est à moitié en suspens. J’admets que l’on puisse nous demander de voter, mais la moindre des choses, étant donné l’importance du sujet, serait tout de même que le Sénat puisse débattre, monsieur le président ! Je trouve scandaleux, honteux que l’on puisse envisager de nous empêcher non seulement d’avoir un débat, mais aussi de prendre la parole pour simplement expliquer notre vote !

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue. Je m’entretiendrai avec le président de la commission.

5

Retrait britannique de l’Union européenne

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le retrait britannique de l’Union européenne.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe auteur de la demande.

M. Cyril Pellevat, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans les mois ayant suivi son accession au poste de Premier ministre, Theresa May avait pour habitude de répéter sur le ton de l’évidence que le Brexit signifiait le Brexit. Or, aujourd’hui, plus de deux ans et demi après le référendum du 23 juin 2016 et à soixante-dix jours à peine de l’échéance du 29 mars, force est de constater que rares sont ceux à qui cette évidence apparaît encore et qui savent ce que le Brexit signifiera réellement.

La seule certitude qui se dessine chaque jour plus clairement est que le Brexit sera tout sauf la marche glorieuse vers la liberté et l’Eldorado que certains avaient promis. Quelle que soit la forme qu’il prendra, il ne fera en définitive que des perdants, au Royaume-Uni comme dans le reste de l’Europe.

Le brouillard qui entoure le processus de retrait demeure et s’est même encore épaissi. Il avait pourtant semblé un peu se dissiper en novembre dernier avec la conclusion, après dix-sept mois de laborieuses négociations, d’un accord de retrait et une déclaration politique esquissant les grandes lignes des futures relations entre le Royaume-Uni et le continent.

Je tiens à cet égard à saluer une nouvelle fois l’action de mon collègue des pays de Savoie Michel Barnier, qui a su admirablement maintenir l’unité des Vingt-Sept tout au long des discussions, ce qui est suffisamment rare pour être souligné.

M. Cyril Pellevat. Le texte qu’il a négocié était peut-être imparfait ; comment aurait-il pu d’ailleurs en être autrement avec un gouvernement britannique prisonnier de ses propres contradictions, longtemps incapable d’assumer le fait qu’il lui faudrait bien trancher un jour entre, d’un côté, les exigences des Brexiters, et, de l’autre, la préservation des intérêts économiques du Royaume-Uni et l’absence d’une frontière physique en Irlande ?

Si certains ont pu juger la position européenne trop inflexible, insuffisamment pragmatique, il n’en reste pas moins que ce projet d’accord était sans doute le meilleur possible au regard de la complexité de la situation et, bien sûr, de la nécessité de protéger les intérêts de l’Union européenne, au premier chef l’intégrité de son marché unique.

Cependant, comme on pouvait malheureusement s’y attendre, en particulier depuis le 10 décembre et le report du meaningful vote, qui n’aura finalement pas eu l’effet escompté, les contradictions britanniques ont resurgi à la Chambre des communes. Elles ont abouti à un rejet massif de l’accord de retrait, pris sous les feux croisés et – disons-le – les calculs politiques des hard Brexiters, des soft Brexiters et des Remainers de tous bords.

Plus que jamais, le processus semble échapper à tous, dans un climat politique de plus en plus dégradé. À ce stade, tous les scénarios restent en théorie ouverts, sauf peut-être celui d’élections générales anticipées, Theresa May ayant, en dépit de son échec cuisant, conservé hier soir la confiance de sa majorité. Mais ses marges de manœuvre sont désormais extrêmement réduites, d’autant que les Européens ont à plusieurs reprises, et encore hier par la voix de la Commission européenne, exclu toute renégociation du texte finalisé en novembre.

Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer si cette position vous paraît en réalité toujours aussi ferme ? Au regard de la situation actuelle et malgré la lassitude qu’inspire ce feuilleton sans fin, certains États membres pourraient-ils être tentés d’accéder à une demande de renégociation de l’accord de retrait ? Par exemple, comment interpréter la déclaration faite hier par Angela Merkel, selon laquelle « nous avons encore le temps de négocier » ? Cette ouverture s’appliquerait-elle seulement à la déclaration politique sur les relations futures entre Royaume-Uni et Union européenne ?

En tout état de cause, nous devrions a priori être fixés rapidement sur les intentions britanniques puisque, à la suite de l’adoption la semaine dernière d’un amendement parlementaire, Theresa May dispose non plus de vingt et un jours, mais de seulement trois, pour présenter sa feuille de route, que la Chambre des communes pourra en outre finalement amender. Elle devrait ainsi s’exprimer lundi prochain.

Le Parlement britannique, où certains cherchent à reprendre la main sur le processus, pourrait par exemple être amené à se prononcer sur différentes options, afin qu’une majorité puisse enfin se dégager pour déterminer la marche à suivre. Quant à l’option de la tenue d’un second référendum, bien que fermement écartée par Theresa May, et malgré les désaccords profonds sur la ou les questions à poser dans le cadre de cette nouvelle consultation, elle a repris une vigueur certaine et ne peut plus être exclue. D’autres issues, que nous n’anticipons peut-être pas encore, pourraient également se faire jour.

Dans un certain nombre de cas, un report de l’échéance du 29 mars serait vraisemblablement nécessaire. Si un tel cas de figure est bel et bien prévu par l’article 50 du traité de l’Union européenne, comment le concilier avec la tenue au mois de mai prochain des élections européennes, prévues sans représentation du Royaume-Uni et qui ne sauraient être prises en otage par les vicissitudes de la vie politique britannique ?

Il reste un dernier scénario que je n’ai pas encore évoqué, et qui est peut-être celui qui a le plus pris corps avec le rejet de l’accord de retrait, bien qu’une majorité de députés britanniques affirment s’y opposer. Il s’agit évidemment du scénario du no deal, dont le risque, selon les mots de Michel Barnier, « n’a jamais paru aussi élevé » qu’aujourd’hui. Je note d’ailleurs que le Premier ministre a déclenché le plan destiné à faire face à un Brexit sans accord.

Même si l’issue d’un no deal est redoutée depuis des mois, l’impression qui domine est que personne jusqu’à maintenant n’a semblé vouloir véritablement y croire. À cet égard, l’état de préparation, ou plutôt de non-préparation, de nos entreprises est significatif. Je ne suis pas non plus convaincu que chacun, en Europe comme au Royaume-Uni, ait tout à fait pris conscience de l’ampleur des implications d’une sortie sans accord, qu’un membre de l’équipe européenne de négociation a récemment qualifiées de « tectoniques ».

Par exemple, l’accord de retrait prévoyait que le Royaume-Uni s’acquitterait de l’ensemble des obligations financières qu’il a contractées en tant qu’État membre, ce qui implique, en particulier, le règlement de sa participation au budget de l’Union européenne pour les années 2019 et 2020. Qu’adviendrait-il en cas de no deal ? En effet, à défaut de paiement de sa contribution par le Royaume-Uni, il faudrait trouver pas moins de 10 milliards d’euros en 2019 pour compenser les sommes non versées par Londres entre mars et décembre, et 12 milliards d’euros de plus pour l’ensemble de l’année 2020. Madame la ministre, je n’ai pas le sentiment que cette éventualité ait été sérieusement étudiée, mais peut-être pourrez-vous me détromper ?

Dans l’hypothèse d’une sortie « sèche » du Royaume-Uni, où aucune période de transition ne trouverait à s’appliquer, c’est presque du jour au lendemain que quarante-cinq ans d’acquis communautaires seraient effacés. Plus aucun lien juridique, plus aucun cadre de coopération autres que ceux qui sont prévus par les accords bilatéraux et multilatéraux ne lieraient dès lors le Royaume-Uni à l’Europe.

Le choc d’une telle rupture serait évidemment brutal et ses conséquences seraient aussi innombrables qu’immédiates, même si des mesures de contingence sont en cours de finalisation au Royaume-Uni, au niveau européen et, comme nous le verrons tout à l’heure, au niveau national. Madame la ministre, pourriez-vous nous informer de l’état d’avancement des mesures de préparation proposées par la Commission européenne, mais aussi des éventuels engagements pris par le Royaume-Uni au sujet des droits des citoyens européens en cas de no deal ?

Ne nous y trompons cependant pas, ces dispositions ne régleront pas tout et ne remplaceront pas un accord permettant un Brexit aussi ordonné que possible et la construction d’un nouveau partenariat. Elles n’en ont d’ailleurs pas l’ambition.

Ce sont ainsi quasiment tous les aspects de notre relation économique et commerciale avec le Royaume-Uni qui, à plus ou moins brève échéance, seraient affectés. Les perturbations qui en résulteraient feraient peser des risques supplémentaires sur la croissance et l’emploi, notamment dans nos territoires qui bordent la Manche, qui se retrouveraient dès lors en première ligne.

C’est également tout un pan de notre partenariat en matière sécuritaire et stratégique qui serait mis à bas, alors même que les risques et les menaces planant sur notre continent se font aujourd’hui de plus en plus pressants.

Dans un contexte où, après trois ans de débats et de négociations, tant de liens qui nous unissent encore seraient si brusquement rompus, où les échanges humains que nous entretenons se trouveraient nécessairement réduits, je m’interroge sur la capacité des Européens et des Britanniques à retisser rapidement les fils d’une relation solide et de long terme. Pourtant, celle-ci sera demain toujours aussi essentielle pour faire face ensemble aux défis du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant-hier soir, la Chambre des communes s’est prononcée à une très large majorité contre la ratification de l’accord de retrait. C’est une mauvaise nouvelle, que nous regrettons, d’abord parce que l’accord de retrait que Theresa May a soumis à ratification a été négocié pendant près de deux ans. C’est le seul accord possible, résultat du travail remarquable de notre négociateur européen, Michel Barnier, qui a exploré énormément d’options avec les Britanniques avant de parvenir à ce texte.

Vous le savez, cet accord de retrait et la déclaration politique sur les relations futures avaient fait l’objet d’un accord entre les négociateurs, avant d’être approuvés par les chefs d’État et de Gouvernement des vingt-sept États membres, réunis à l’occasion d’un sommet extraordinaire le 25 novembre dernier.

Conformément aux orientations du Conseil européen (article 50) pour les négociations sur le Brexit, adoptées le 29 avril 2017, le texte négocié visait à assurer un retrait ordonné du Royaume-Uni, en fixant les modalités selon lesquelles celui-ci se sépare de l’Union européenne. L’objectif principal était de réduire les incertitudes et de limiter les perturbations provoquées par le retrait, en particulier pour les citoyens, les acteurs économiques et l’ensemble des parties prenantes.

Les inquiétudes des parlementaires britanniques conservateurs, notamment, portaient principalement sur le mécanisme de backstop, de « filet de sécurité » pour éviter le rétablissement d’une frontière dure entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord si la nature des relations futures ne l’empêchait pas.

Pour y répondre, les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne avaient, en amont du vote, confirmé à Mme May que, conformément aux conclusions du Conseil européen du 13 décembre et aux propos tenus à cette occasion par le Président de la République, le filet de sécurité, s’il devait être activé, aurait bien vocation à n’être que temporaire, dans l’attente de son remplacement par un accord ultérieur permettant d’éviter le rétablissement d’une frontière physique, et que, par ailleurs, l’Union européenne était prête à ouvrir aussitôt que possible les négociations pour parvenir à cet accord ultérieur. Cela n’aura de toute évidence pas suffi, et le rejet de l’accord, même s’il tient à des raisons différentes selon les bancs, est plus profond.

Mme May ayant remporté le vote sur la motion de censure qui a été organisé hier soir à la Chambre des communes, il lui revient de décider des conséquences qu’elle tire de ce rejet et de préciser ses intentions pour les prochaines étapes. Elle le fera dès lundi 21 janvier devant la Chambre des communes, après d’intenses consultations parlementaires dans le cadre d’un processus transpartisan. Si elle parvient à des avancées sur le fond, elle reprendra contact avec la partie européenne.

Ce n’est évidemment pas à nous Français, Européens, de dire aux Britanniques ce qu’ils doivent faire. En revanche, nous pouvons et, je crois, nous devons leur dire qu’il leur faut se dépêcher. Il ne reste effectivement guère plus que deux mois avant l’échéance du 29 mars et le moyen d’obtenir une séparation ordonnée, permettant que le Royaume-Uni, à l’avenir, reste proche de l’Union européenne, est connu : c’est la ratification de l’accord de retrait.

La plus grande incertitude pèse aujourd’hui sur les intentions britanniques. Aucune option ne peut être théoriquement exclue, y compris une demande de report de la date de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Celui-ci est juridiquement et techniquement possible, à condition qu’il y ait un accord à l’unanimité des vingt-sept États membres de l’Union européenne et que nous soit précisée par le Gouvernement britannique la nature de ce report, s’il devait le demander : jusqu’à quelle échéance ? En vue de quel type d’accord ? Avec quelles garanties que cette demande recueillera le soutien d’une majorité des parlementaires britanniques ? À quoi servirait, sinon, un report de quelques semaines ou de quelques mois, qui poserait la question délicate et baroque du mode de désignation de députés européens britanniques au parlement de Strasbourg ?

Un report aurait cependant du sens par exemple pour finaliser la ratification d’un accord de retrait, ou encore si le Royaume-Uni évoquait la possibilité de rester dans l’Union européenne. Notre porte reste bien entendu grande ouverte, mais la vérité oblige à dire qu’à ce stade il s’agit d’un scénario de politique-fiction, que rien ne vient conforter de la part du Gouvernement britannique.

Dans ce contexte délicat, deux points me semblent importants.

Le premier point, je le redis, c’est que le projet d’accord de retrait endossé en novembre dernier est le meilleur et le seul possible. Comme l’a rappelé le 13 décembre le Conseil européen réuni en format article 50, l’accord ne peut être renégocié dans sa substance. En conséquence, si un Brexit sans accord serait coûteux, d’abord et surtout pour le Royaume-Uni, mais aussi, dans une moindre mesure, pour les États membres, il resterait néanmoins préférable à un mauvais accord, qui ne respecterait pas l’intégrité du marché unique ou ne fournirait pas le « filet de sécurité » dont un pays comme l’Irlande a besoin.

Le second point, c’est donc que nous devons, plus que jamais, nous préparer à un retrait sans accord, à la fois au niveau européen et au niveau national.

Au niveau européen, les travaux préparatoires à une absence d’accord se sont accélérés à partir du mois de novembre 2018. La Commission a publié deux communications sur ce sujet, les 13 novembre et 19 décembre, ainsi que seize propositions de textes législatifs dans différents domaines : visas, efficacité énergétique, services financiers, transport aérien, transport routier, contrôles douaniers, climat, coopération régionale sur l’île d’Irlande, statistiques.

Au niveau français, vous le savez, nous avons également accru notre travail de préparation, avec le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre des mesures par ordonnances que je vous ai présenté en novembre. J’espère que ce texte sera tout à l’heure définitivement adopté dans votre hémicycle, ce qui permettra au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que nous soyons prêts, même en l’absence d’accord.

Nous le serons, et c’est notre responsabilité politique de faire en sorte que les Français qui souhaiteraient revenir du Royaume-Uni, les Britanniques qui vivent en France, où ils sont appréciés, les entreprises qui travaillent avec le Royaume-Uni ou celles qui, installées en France et employant des Français, sont cependant de droit britannique n’aient pas à subir de trop lourdes conséquences d’une absence d’accord. Nous reviendrons sur ces questions ultérieurement. Je me tiens à votre disposition pour participer au débat que vous avez souhaité organiser. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la ministre, je souhaiterais évoquer aujourd’hui plus particulièrement les conséquences du retrait britannique pour l’avenir du programme Erasmus.

Nous le savons tous, le programme Erasmus, dont on a fêté récemment le trentième anniversaire, est l’un des grands succès de l’Union européenne, si ce n’est le plus grand, en tout cas le plus visible d’entre eux, d’une portée symbolique forte.

Cependant, après le Brexit, le Royaume-Uni ne sera a priori plus associé à ce programme. Les étudiants britanniques seront dès lors pénalisés, car ils utilisent très souvent le programme Erasmus pour parfaire leurs études ou accroître leur mobilité.

Les étudiants européens seront, quant à eux, privés d’un passage par les établissements britanniques, très réputés. Ils seront traités comme des étudiants internationaux et tenus de payer les frais d’études élevés propres aux établissements britanniques.

Heureusement, Erasmus est ouvert à de nombreux pays non membres de l’Union européenne, comme la Norvège, l’Islande ou la Turquie. Il conviendrait donc que les négociations prévoient le maintien de cet avantage précieux pour notre jeunesse. Cela permettrait aussi de restaurer le lien entre les nouvelles générations du Royaume-Uni et de l’Union européenne, lien qui a été rompu sur la base de nombreux mensonges et manipulations politiques.

Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que nos étudiants, tout comme ceux du Royaume-Uni, pourront continuer à bénéficier dans des conditions similaires du programme Erasmus ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Sur le plan communautaire, nous devrons, à la fois, gérer les conséquences à court terme du Brexit pour les étudiants et repenser la participation à long terme du Royaume-Uni au programme Erasmus.

À court terme, nous nous attendons à ce que toutes les mobilités en cours continuent jusqu’à leur terme. Cela implique notamment la poursuite du versement des bourses de mobilité, qui sont attribuées par les universités d’origine des étudiants, donc par les universités françaises, et ne sont pas affectées par le Brexit. En matière de sécurité sociale, les étudiants français au Royaume-Uni sont et restent couverts par la sécurité sociale française.

Mais nous nous attendons aussi à ce qu’il n’y ait aucune extension ou aucun renouvellement avant la conclusion d’un nouvel accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni sur Erasmus. Quelles que doivent être les modalités du Brexit, rien ne s’oppose à celle-ci : comme vous l’avez observé, madame la sénatrice, des États tiers participent déjà à ce programme. Il est dans l’intérêt de la France et, je le crois, de l’Union européenne de chercher à conclure un nouvel accord.

Cependant, les conditions de participation sont bien sûr un peu différentes pour un État tiers que pour un État membre. La Commission européenne propose, avec raison, que soit respectée une forme d’équilibre financier entre les contributions et les bénéfices retirés par un État tiers, alors que cette contrainte ne s’applique pas à un État membre.

Au-delà du programme Erasmus, le Gouvernement britannique s’est engagé à maintenir les frais de scolarité des ressortissants européens au niveau de celui des Britanniques pour l’année 2019-2020, qu’il y ait accord ou non, y compris pour les étudiants qui commenceraient leurs études à la rentrée de 2019. En revanche, il n’a pas pris d’engagement au-delà de 2020.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.

Mme Colette Mélot. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre. Je prends bien sûr note de ce qui est déjà entériné concernant les mobilités en cours, notamment en matière de couverture sociale des étudiants français au Royaume-Uni.

De toute évidence, des échanges vont pouvoir s’organiser sur d’autres bases et les universités seront soucieuses de s’impliquer dans cette démarche, mais nous devrons tout de même veiller à ce que ce soit dans des conditions favorables à notre jeunesse.

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb.

M. Laurent Duplomb. Le rejet par les députés britanniques, avant-hier, du projet présenté par Mme May nous fait craindre, à l’approche de la date butoir du 29 mars, un départ du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord. C’est le pire des scénarios pour la France, car un Brexit « dur » aurait de multiples conséquences. Outre qu’il alourdirait considérablement la facture, à hauteur de près de 10 milliards d’euros, il mettrait au jour l’impréparation de l’administration française, qui n’a jamais voulu croire à cette éventualité.

Cette période d’incertitude soulève de nombreuses questions pour nos entreprises agroalimentaires, qui, depuis des décennies, commercent avec l’Angleterre. Je vous livrerai maintenant deux témoignages que j’ai recueillis auprès de grandes entreprises françaises.

« Nous avons de fortes positions en termes de parts de marché, étant le numéro un du camembert et du bleu importés de France. Avec une usine d’emballage sur place, nous sommes déjà impactés par la baisse de la livre sterling et craignons un éventuel retour à des barrières tarifaires. Une partie de notre équipe de direction est française et s’inquiète pour son sort, de même que nombre de travailleurs de notre usine. Le Brexit sans accord voté hier nous remplit donc d’incertitude. Il devrait affecter lourdement notre entreprise au travers de ses emplois, en France comme en Angleterre. »

Le second témoignage est le suivant : « Indirectement, avec Yoplait, nous exportons environ 80 millions de litres de lait. S’il devait y avoir des taxes à l’importation, nous serions désavantagés par rapport aux producteurs locaux. C’est l’équivalent ou presque d’une usine qui est menacé, car nous sommes déjà en surcapacité de production. Nous produisons environ 480 millions de litres de lait pour Yoplait en France. Danone, qui a une usine en Angleterre, sera moins désavantagé, l’autre acteur important étant un producteur local, Müller. »

Madame la ministre, que comptez-vous répondre à ces entreprises, à quelques jours de l’échéance du 29 mars ? Sur ce dossier, le Gouvernement est amené à agir dans l’urgence, ce qui démontre une fois de plus son amateurisme.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Ma réponse sera plus courtoise que votre question, monsieur le sénateur… (M. André Gattolin applaudit.)

Permettez-moi néanmoins de vous contredire : le pire des scénarios serait non pas une absence d’accord, mais un mauvais accord qui porterait atteinte aux intérêts de l’Union européenne, notamment à ceux des entreprises françaises. Leur préservation est notre boussole dans cette négociation.

Vous affirmez que le Royaume-Uni n’acquittera pas sa facture en cas de Brexit sans accord. Sur ce point également, je vous contredis : le Royaume-Uni a pris à cet égard un engagement juridique en tant qu’État membre ; accord ou pas accord, les sommes sont dues !

Vous parlez d’impréparation du Gouvernement français. Il se trouve que le Premier ministre a organisé une première réunion pour envisager le scénario d’un Brexit sans accord dès le mois d’avril, à un moment où personne, au sein de l’Union européenne, ne pensait ce scénario crédible. Seuls deux pays, aujourd’hui, sont véritablement prêts à affronter un Brexit sans accord : l’Allemagne et la France. Tous les autres sont à la traîne et examinent avec attention le texte qui sera soumis au Sénat dans quelques instants, pour s’en inspirer.

Nous sommes prêts, notamment parce que nous rencontrons régulièrement, avec Agnès Pannier-Runacher, les fédérations professionnelles et les entreprises. Les préfets en font autant dans les territoires. Je suis d’accord avec vous sur le fait que toutes les entreprises ne sont pas prêtes, en particulier les PME exerçant leurs activités exclusivement au sein de l’Union européenne, qui ne sont pas habituées aux formalités à accomplir pour commercer avec des États tiers.

Vous évoquez un risque de baisse de la livre. Ce risque, nos entreprises le connaissent déjà aujourd’hui, le Royaume-Uni n’étant pas membre de la zone euro.

Enfin, ce n’est pas le Brexit sans accord qui a été voté mardi : le projet d’accord de retrait n’a pas été ratifié, mais de nombreuses options sont encore ouvertes. Un accord sur la relation future pourra intervenir ultérieurement. Quoi qu’il en soit, nous restons mobilisés pour défendre les intérêts de nos entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mmes Fabienne Keller et Colette Mélot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. La sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne, dont les conséquences sont imprévisibles, suscite de vives inquiétudes chez les 500 000 ressortissants britanniques résidant en France.

Par exemple, plus de 10 000 citoyens britanniques vivent dans le Périgord et près de 230 000 touristes anglais y ont séjourné en 2018. En l’absence de solution négociée, leur venue, qui apporte, chaque année, 153 millions d’euros de retombées économiques à ce territoire, sera fortement entravée par le rétablissement des frontières et les formalités requises pour la délivrance des passeports et des visas. La rapidité et la simplicité des démarches administratives sont essentielles pour maintenir l’attractivité de nos départements et, plus largement, pour garantir la viabilité des aéroports de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie.

Nous savons que le Gouvernement souhaite limiter l’impact économique du Brexit et maintenir la libre circulation des personnes, dans le plein respect du principe de réciprocité. À cet effet, vous nous proposerez dans quelques instants, madame la ministre, d’adopter un projet de loi lui permettant de prendre par ordonnances toutes mesures de nature à permettre à la France de faire face à une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, avec ou sans accord.

Vous entendez mettre en œuvre une démarche en deux temps : une phase transitoire durant laquelle les citoyens britanniques pourront continuer à se déplacer sur notre territoire sous certaines conditions, puis une phase définitive, qui verra ces dispositions confirmées, abrogées ou modifiées en fonction de l’issue des négociations avec les autorités britanniques.

Quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il adopter pour garantir les droits fondamentaux des citoyens britanniques sur notre territoire ? (M André Gattolin applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Les Britanniques seront bien sûr demain tout autant les bienvenus sur notre sol qu’ils le sont aujourd’hui, monsieur le sénateur.

Nous connaissons les inquiétudes des ressortissants britanniques et nous nous efforçons d’y répondre. En particulier, le site internet brexit.gouv.fr mis en place par le Gouvernement leur apporte un certain nombre d’informations.

S’agissant des très nombreux touristes britanniques qui séjournent en France – on en dénombre chaque année environ 4 millions –, il n’est pas question, au niveau européen, de rétablir des visas de court séjour pour les ressortissants britanniques se rendant dans l’Union européenne, à moins que l’idée ne vienne aux Britanniques de le faire pour les ressortissants de l’Union européenne – mais je ne pense pas que cela doive être le cas.

Nous devons simplifier autant que possible les contrôles qui seront effectués à l’entrée sur notre territoire et nous avons augmenté le nombre d’agents chargés de ces contrôles, afin que la fluidité puisse être la règle pour l’entrée des Britanniques sur le territoire national.

S’agissant des Britanniques établis en France, nous souhaitons qu’ils puissent continuer à résider, à vivre, à étudier, à travailler, à se soigner dans les mêmes conditions qu’auparavant. Ce point figure dans le projet de loi d’habilitation que nous examinerons tout à l’heure. Nous proposons d’instaurer un délai de grâce d’un an à compter de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne avant qu’ils ne doivent justifier de la détention d’une carte de résident. Leurs qualifications professionnelles, leurs diplômes seront reconnus.

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour la réplique.

M. Bernard Cazeau. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre ; elles semblent répondre aux préoccupations des sujets britanniques avec qui je me suis entretenu. J’examinerai attentivement les mesures que vous prendrez par ordonnances.

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Le rejet par le Parlement britannique de la proposition d’accord sur la sortie du Royaume-Uni nous rapproche d’un Brexit « dur », qui affecterait de nombreux secteurs économiques, particulièrement les ports et la pêche dans mon département, le Nord.

Depuis deux ans déjà, le trafic transmanche du port de Dunkerque connaît une baisse suffisamment sérieuse pour nous inquiéter. La situation risque de s’aggraver encore si les investissements nécessaires à la fluidification du trafic ne sont pas réalisés.

Nous pouvons déjà nous féliciter de la construction d’un parking dédié de 200 places et de la construction d’infrastructures pour les contrôles, mais tout semble indiquer que davantage d’investissements sont nécessaires. Il faut mesurer l’impact qu’aurait la multiplication des contrôles sur la fluidité du trafic. Au regard des investissements massifs planifiés par le Royaume-Uni dans ses ports, la France semble encore bien en retrait. Le Gouvernement prévoit-il des investissements supplémentaires dans les ports français, notamment celui de Dunkerque ?

La pêche constitue un autre sujet d’inquiétude. Les eaux poissonneuses du Royaume-Uni sont les plus étendues d’Europe. Le soutien massif des pêcheurs britanniques au Brexit tenait tant à une contestation des quotas de pêche européens qu’à la concurrence des pêcheurs étrangers, notamment français. Les pêcheurs de ma région effectuent par exemple 75 % de leurs prises dans les eaux britanniques. Au total, 3 000 emplois pourraient disparaître. Si le gouvernement de Theresa May a affirmé à plusieurs reprises vouloir faire montre d’une certaine souplesse sur ce dossier, la perspective d’une sortie franche de l’Union européenne – toujours possible – risque de remettre en cause le principe d’un accès peu régulé aux eaux britanniques. Cela nuirait fortement aux pêcheurs français, mais aussi au secteur commercial, les exportations de poissons du Royaume-Uni vers notre pays étant gigantesques.

Ces deux problématiques seront-elles au cœur des discussions à venir, madame la ministre ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Vous avez raison, monsieur le sénateur Bocquet, ces deux sujets sont essentiels pour notre pays. Nous les avons toujours abordés au cours des discussions, en particulier avec le négociateur européen.

S’agissant des ports, en cas de Brexit sans accord, il sera évidemment nécessaire de rétablir des contrôles, et donc de réaliser les investissements nécessaires pour la construction d’infrastructures ad hoc.

Nous avons recruté environ 600 douaniers et agents chargés des contrôles sanitaires et phytosanitaires. Ils sont en cours de formation. Les gestionnaires des ports devront investir quelque 50 millions d’euros pour répondre aux besoins, le travail d’identification de ceux-ci ayant été mené par le coordinateur national chargé de préparer la France à un Brexit sans accord. Ces investissements seraient d’ailleurs également nécessaires, en cas d’accord, si le Royaume-Uni sortait de l’union douanière et du marché unique.

Nous avons en outre examiné, avec l’Union européenne, dans quelle mesure les ports français pouvaient être intégrés au corridor mer du Nord-Méditerranée. C’est déjà le cas pour Calais et Dunkerque ; ce le sera pour Le Havre. Le Parlement européen, de son côté, a proposé d’élargir la liste des ports éligibles en y incluant Caen, Roscoff et Saint-Malo. Un désaccord subsiste entre la Commission et le Parlement européen, dont nous soutenons naturellement la position.

Je signale, à ce propos, que le mécanisme européen d’interconnexion bénéficie d’un reliquat de crédits de 67 millions d’euros et que la commission « transports » du Parlement européen a recommandé de flécher ce reliquat vers la construction d’infrastructures nécessaires aux ports pour faire face aux conséquences d’un Brexit sans accord. Pour autant, il faut que les gestionnaires des ports candidatent et soumettent très rapidement des projets. Je n’ai bien sûr pas manqué de le leur indiquer.

Concernant la pêche, il était prévu, dans le projet d’accord de retrait, que nous puissions négocier et conclure un accord dès le premier semestre 2020. En cas d’absence d’accord, nous chercherons à conclure très rapidement un nouvel accord bilatéral sur la pêche avec le Royaume-Uni et, d’ici là, nous demanderons à la Commission européenne de soutenir les activités de nos pêcheurs.

(M. Vincent Delahaye remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.

M. Jean-Marc Todeschini. Le rejet du projet d’accord sur le Brexit suscite de nombreuses inquiétudes quant à la suite de la procédure de sortie de l’Union européenne, le Royaume-Uni n’ayant pas clarifié sa position pour le moment.

Sortir de l’Union européenne ne se fait pas d’un trait de stylo sur un bout de papier ! Toutes les théories fumeuses exploitées par des intervenants politiques en mal de notoriété s’effondrent dès lors que l’on se penche sur les conséquences du Brexit. Vouloir quitter de l’Union européenne sans dégâts est illusoire. Les effets d’une sortie de l’Union européenne sont redoutables pour l’ensemble de nos concitoyens : elle emporte des conséquences négatives sur le quotidien des expatriés, des entreprises, des travailleurs, des consommateurs. Tout le monde est concerné !

Le risque d’une sortie désordonnée du Royaume-Uni de l’Union européenne est aujourd’hui tangible. Même si un report du Brexit est possible, rien ne tend vers un accord durable. Ne règne que le chaos dans lequel les populistes laissent les élus – ces élus qui, eux, gèrent réellement les situations, s’engagent pour l’intérêt général et pour leur pays, demeurent responsables devant leurs concitoyens.

Avant le Brexit, nous défendions l’Union européenne au nom de nos valeurs, au nom de cette paix coconstruite après deux guerres mondiales. Nous devons continuer à le faire, mais, désormais, nous devons aussi défendre très concrètement l’Europe face à celles et ceux qui appellent au repli sur soi. Nous savons que les populistes peuvent remporter un référendum, à force de fake news, de coups de menton, d’effets de manche et autres mensonges. Mais, une fois le vote passé et les caméras éteintes, ils ne laissent qu’un amas de problèmes sans solution. Ils ne sont plus là, dès lors qu’il faut agir pour nos concitoyens.

Oui, une autre politique pour l’Union européenne, plus juste, plus sociale, plus simple parfois, plus proche des citoyens, est nécessaire. L’absence d’Europe n’est pas une alternative crédible. L’absence d’Europe, ce sont des heures d’attente aux postes-frontière, des papiers supplémentaires à remplir pour se déplacer, des diplômes qui ne sont plus reconnus, des entreprises qui ne peuvent plus produire et faire circuler leurs marchandises…

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-Marc Todeschini. Madame la ministre, qu’il n’existe pas au Royaume-Uni de majorité pour demander officiellement un simple report nous inquiète. Que peuvent faire les Européens pour obtenir du Gouvernement britannique de vraies propositions ? Sommes-nous dans l’impasse ? Sommes-nous réellement prêts à faire face à une sortie du Royaume-Uni sans accord ? Faudra-t-il une longue période de transition ? (Mme Hélène Conway-Mouret et M. André Gattolin applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Effectivement, le référendum de 2016 s’est tenu après une campagne marquée, on le sait, par la désinformation. Cela doit nous amener à réfléchir aux moyens de lutter contre la désinformation lors des échéances électorales. Tous les outils sont-ils aujourd’hui en place à cet égard pour que l’instrument du référendum puisse être utilisé en toute confiance et sans risque ?

Mardi, à la Chambre des communes, c’est une coalition des opposants à la ratification du projet d’accord de retrait qui était à l’œuvre ; cela ne fait pas une coalition pour construire quelque chose. On le sait, la classe politique britannique est aujourd’hui extrêmement divisée.

Oui, l’Union européenne est menacée par des casseurs. On les trouve en son sein même, dans presque tous les pays membres, et leur unique objectif est de détruire le projet européen. Souvenons-vous de Nigel Farage, qui proclamait que son premier objectif était de sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne, son deuxième de détruire l’Union européenne. Ne l’oublions jamais, et restons déterminés !

Que pouvons-nous faire aujourd’hui pour faciliter une issue positive du côté britannique ? La balle est dans le camp du Royaume-Uni : nous ne pouvons pas discuter avec le Parlement britannique à la place de Mme May. Nous ne pouvons qu’appeler les Britanniques à se dépêcher, à ne pas croire que l’on peut réinventer un accord qui a été négocié pendant dix-sept mois. Nous voulons maintenir une relation étroite et forte avec le Royaume-Uni, sachant cependant qu’elle ne pourra l’être au même degré qu’avec un État membre de l’Union européenne ; notre relation future avec le Royaume-Uni sera forcément en deçà.

Un Brexit sans accord est aujourd’hui beaucoup moins improbable. Nous nous y préparons depuis longtemps et nous serons prêts, le cas échéant. Il s’agit de faire en sorte que la décision prise par le Royaume-Uni de quitter l’Union européenne ne porte pas atteinte aux intérêts des Européens.

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.

M. Jean-Noël Guérini. Non sans difficulté, depuis maintenant dix-huit mois, le gouvernement de Theresa May et Michel Barnier, négociateur en chef de l’Union européenne, ont posé les bases d’une sortie négociée du Royaume-Uni de l’Union européenne.

L’accord trouvé vient d’être sèchement rejeté par les députés britanniques. Nous constatons que la fracture révélée outre-Manche par le référendum du 23 juin 2016 n’a cessé de se creuser.

Comme de nombreux autres pays en Europe, le Royaume-Uni est aujourd’hui divisé. À l’évidence, les souverainistes et les partisans du Brexit cherchent avant tout à garder deux fers au feu : quitter l’orbite de Bruxelles tout en conservant les avantages liés à l’appartenance à l’Union.

Je veux tirer un enseignement de ce triste feuilleton pour tous ceux qui croient aux vertus de la construction européenne.

La situation britannique est un révélateur de la fragilité de tout notre édifice européen. On doit entendre et comprendre les critiques visant l’orthodoxie de la Commission européenne, jugée technocratique, manquant d’humanité, déconnectée de la réalité, libérale, trop proche des lobbys, et j’en passe.

Est-il sérieux d’ouvrir des négociations d’adhésion avec deux nouveaux pays, l’Albanie et la Macédoine, alors que le dossier britannique n’est pas clos et que de nombreuses questions restent en suspens ?

Nous devons sauver l’Europe d’elle-même et de ses dérives réglementaires. Nous devons nous montrer à la hauteur des défis de la construction européenne, sans céder aux sirènes du populisme, porteur d’inquiétantes pulsions nationalistes. Soyons responsables et osons rappeler que l’Europe nous apporte plus qu’elle ne nous coûte.

Madame la ministre, alors que nous ne pouvons dire avec certitude quels seront les effets concrets du Brexit, la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, objet d’interprétations complotistes, n’est-elle pas une habile réaffirmation du couple franco-allemand ? Le grand débat national engagé par le Président de la République ne constitue-t-il pas une réelle opportunité en vue d’aborder cet horizon commun européen ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, je vous remercie de ce vaste panorama. Au Royaume-Uni, lors de la campagne précédant le référendum de 2016, de fausses informations faisant état du risque d’une invasion du pays par des millions de ressortissants turcs ont circulé. On a aussi affirmé que l’Europe n’était pas assez libérale, ce qui résonne parfois étrangement à nos oreilles de ce côté-ci de la Manche !

Si l’on compare l’Union européenne et le marché unique à une omelette constituée des œufs mis en commun par les États membres, les Britanniques découvrent depuis deux ans qu’il est très compliqué de reprendre son apport… Ce sont eux qui ont inventé le marché unique, contribuant à imbriquer encore davantage nos économies.

Je partage votre scepticisme quant à un nouvel élargissement, monsieur le sénateur. Il importe de renforcer l’Union européenne, de la refonder avant que de vouloir l’élargir. L’Union européenne est confrontée à des défis immenses ; elle est le bon échelon pour les relever, mais il n’est peut-être pas besoin d’ajouter le défi supplémentaire d’un élargissement, surtout si les pays candidats ne sont pas encore prêts. Nous en reparlerons lorsqu’ils le seront, ce qui n’est pas encore le cas.

Le Président de la République et la Chancelière allemande signeront en effet la semaine prochaine, à Aix-la-Chapelle, un nouveau traité de coopération, venant prolonger le traité de l’Élysée à la fois pour renforcer encore davantage nos liens bilatéraux, à la mesure des enjeux du XXIe siècle, et pour donner un surcroît d’énergie au moteur franco-allemand, sans lequel, on le sait, l’Europe ne peut pas avancer. (Mmes Fabienne Keller et Colette Mélot applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Madame le ministre, je n’ai pas voté la ratification du traité de Lisbonne, estimant que, quand on est démocrate, la moindre des choses est de respecter le résultat d’un référendum.

On assiste à un conflit entre les partisans d’une Europe des nations et ceux d’une Europe supranationale – ce que j’appellerai l’Europe de la chienlit, telle que nous la connaissons actuellement. Il est tout à fait scandaleux que les partisans d’une Europe supranationale – je suis l’un des rares, dans cette enceinte, à ne pas en être, ce qui illustre, au regard des sondages, la représentativité du Sénat par rapport à la réalité de la population française… –, des gens qui n’ont que le mot « démocratie » à la bouche, se permettent d’injurier ceux qui ne pensent pas comme eux, en les traitant de menteurs, de va-t-en-guerre !

Les menteurs, les malhonnêtes, ce sont ceux qui font tout leur possible pour empêcher la mise en œuvre de la volonté exprimée par le peuple au travers d’un référendum ! Je trouve scandaleux que l’Europe, notamment sous l’impulsion du Président de la République française, ait fait tout ce qui était en son pouvoir pour torpiller la négociation avec le Royaume-Uni, en prétendant imposer à celui-ci une frontière à l’intérieur de son propre territoire, entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Là était le point nodal de cette négociation, vous le savez très bien !

M. le président. Posez votre question, mon cher collègue !

M. Jean Louis Masson. En tant que Français, si demain l’Europe voulait nous imposer la création d’une frontière au sein même de notre territoire, je ne serais pas d’accord ! Sur ce point, les Britanniques ont raison.

Madame le ministre, comment pouvez-vous prétendre respecter la démocratie, ce mot dont vous avez plein la bouche, quand vous crachez sur le résultat d’un référendum ? (Mme Joëlle Garriaud-Maylam proteste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous rassurer : je répondrai sur un autre ton que celui qu’a employé l’auteur de la question.

Nous respectons tellement le résultat du référendum que cela fait dix-sept mois que nous négocions avec les Britanniques en vue de sa mise en œuvre. Cela fait dix-sept mois que, à titre personnel, je passe plus du tiers de mon temps à faire en sorte que soit respecté le résultat de ce vote, même si je le regrette. Notre objectif est qu’il puisse être mis en œuvre de façon ordonnée. Dans le projet d’accord de retrait qui a été conclu avec le Gouvernement britannique, la question de la frontière avec l’Irlande est traitée de la manière suggérée par celui-ci, et non selon la proposition initiale de l’Union européenne. Nous avons fait une concession majeure en acceptant que l’ensemble du Royaume-Uni reste dans une union douanière, comme solution de dernier recours.

C’est le Parlement britannique qui a refusé de ratifier ce projet d’accord. Là encore, nous respectons cette décision, même si cela met en danger nos compatriotes et nos entreprises. Le retard pris, cette incapacité à décider, cet esprit d’insularité ont un impact sur les Européens. Nous avons non seulement le droit, mais aussi le devoir de le dire.

Aujourd’hui, nous n’avons qu’une chose à dire aux Britanniques : dépêchez-vous, sachant qu’il n’y a que trois options possibles, à savoir un retrait ordonné tel que prévu par l’accord qui est sur la table, un retrait brutal sans accord ou pas de retrait. (Mme Fabienne Keller applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. J’évoquerai tout d’abord l’approvisionnement en médicaments produits par des firmes britanniques. Certaines ont mis en place très tôt des plans d’urgence pour le cas d’une sortie sans accord afin de transférer les autorisations de mise sur le marché du Royaume-Uni vers l’Union européenne. Cependant, nous le savons, toutes les solutions nécessaires n’ont pas été trouvées, et un certain nombre de médicaments d’importance stratégique, destinés notamment au traitement des cancers de la prostate ou du sein, pourraient ne plus être acceptés par l’Union européenne, ce qui conduirait à une interruption de l’approvisionnement pour plus de 70 000 patients, dont 8 000 en France. Comment le Gouvernement prévoit-il de protéger ces patients après le Brexit ?

J’évoquerai ensuite l’application des réglementations d’urbanisme dans les zones frontalières en cas de no deal et les procédures d’urgence envisagées. Se posent dès aujourd’hui un certain nombre de questions en matière de dérogations à ces réglementations, s’agissant notamment des obligations environnementales et des mesures de compensation, dont la mise en œuvre est, on le sait, longue et complexe. Le Gouvernement envisage-t-il des dérogations dans ce domaine ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, il y a une forme de dissymétrie entre la situation du Royaume-Uni et celle de l’Union européenne en matière de médicaments.

En effet, s’il est facile, pour l’Union européenne, de s’approvisionner en médicaments, à la fois en son sein et dans le reste du monde, ce sera plus compliqué pour le Royaume-Uni, devenu État tiers. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle celui-ci a commencé à mettre en œuvre des plans d’urgence pour constituer des stocks assez importants de médicaments.

En réalité, la préoccupation majeure est d’assurer la fluidité du trafic transmanche. C’est pourquoi nous investissons dans des infrastructures et procédons au recrutement de personnels dédiés. J’espère que, du côté britannique, cette fluidité sera également assurée, même si quelques questions se posent quant au niveau de leurs investissements et de leur préparation.

En tout cas, l’Agence européenne des médicaments a fait son travail. De nombreuses certifications ont été délivrées de manière à permettre des transferts d’autorisations de mise sur le marché de médicaments entre différents pays de l’Union européenne. Il reste encore huit médicaments pour lesquels la procédure n’est pas complètement terminée, mais aucun d’entre eux n’est considéré comme critique. Le ministère des solidarités et de la santé est extrêmement vigilant. Il dialogue avec les industriels en vue que ceux-ci constituent des stocks s’agissant des médicaments pour lesquels il n’existerait pas à ce stade d’alternative.

Par ailleurs, le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne prévoit la possibilité d’ouvrir des dérogations à un certain nombre de réglementations, notamment en matière d’environnement et d’urbanisme, de manière à pouvoir construire des infrastructures temporaires destinées à l’exercice des contrôles nécessaires. Nous serons prêts.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.

Mme Anne-Catherine Loisier. La difficulté tient au fait que les mesures de compensation environnementale s’inscrivent dans la durée, même pour des constructions temporaires ! Cela posera problème aux entreprises qui devront assumer financièrement la mise en œuvre de ces mesures.

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Dans le contexte de grande incertitude que nous connaissons, on me permettra de penser tout d’abord, en tant que sénatrice des Français établis hors de France, mais surtout en tant que résidente française au Royaume-Uni, épouse d’un ressortissant britannique depuis près de trente-cinq ans, élue des Français du Royaume-Uni et d’Irlande depuis trente ans, à mes compatriotes vivant au Royaume-Uni, ainsi qu’aux quelque 300 000 Britanniques résidant en France, que le risque aujourd’hui avéré d’un Brexit « dur », sans accord, plonge dans une angoisse croissante.

Madame la ministre, vous avez rassuré les membres du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne, créé sur l’initiative des présidents Jean Bizet et Christian Cambon, que je salue, en indiquant que, s’agissant des droits des ressortissants britanniques en France, notre pays appliquerait le principe de réciprocité.

Cependant, compte tenu du contexte actuel, je souhaiterais vraiment que la France accomplisse un geste fort envers ces Britanniques résidant en France qui apportent tant à notre pays ; je pense que la France s’en honorerait.

Par ailleurs, estimant qu’il est du devoir d’un parlementaire français d’être pragmatique et concret, j’ai proposé de constituer, en cas d’absence d’accord, un comité de suivi bilatéral, composé de représentants des gouvernements français et britannique, ainsi que de parlementaires et de représentants de la société civile des deux pays, pour traiter des droits des résidents britanniques en France et des résidents français au Royaume-Uni. En effet, il est bien évident que l’application du principe de réciprocité ne réglera pas tout ; des problèmes nombreux, complexes et lourds resteront à traiter : tel serait le rôle du comité de suivi que je propose d’instituer. Sa création dans une perspective de médiation rassurerait nos compatriotes et nos amis britanniques.

Je sais que vous n’avez pas, hélas, la possibilité d’influencer le Gouvernement britannique, mais j’aimerais connaître votre position sur cette proposition.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, je connais votre attachement aux Français résidant au Royaume-Uni et aux Britanniques vivant en France. Vous le savez, nous partageons cet attachement. Le projet de loi d’habilitation a justement pour objet de rassurer à la fois les Français qui devraient rentrer du Royaume-Uni et les Britanniques résidant en France, que nous souhaitons absolument garder.

Que faire pour, de manière pragmatique, améliorer encore les choses ? Commençons par laisser une chance à la ratification de l’accord de retrait, car c’est celui-ci qui apporte les meilleures assurances. Dans cette perspective, il faut laisser se poursuivre le débat entre le négociateur européen et les autorités britanniques. Depuis le début, les Vingt-Sept ont réussi à préserver leur unité, qui s’est construite notamment autour du sort de tous les ressortissants européens vivant au Royaume-Uni, dont 300 000 Français et 1 million de Polonais. Unis, nous sommes plus forts pour parler avec les Britanniques.

S’il s’avère finalement que l’on s’achemine, avec certitude, vers un Brexit sans accord, je recommanderai de commencer par travailler de façon unilatérale, en prenant des mesures nationales, sans négocier avec les Britanniques – c’est d’ailleurs l’objet du projet de loi d’habilitation. En effet, le but de la négociation avec les Britanniques, c’est la conclusion d’un accord de retrait : si nous leur donnons le sentiment qu’ils peuvent obtenir la même chose en négociant avec chacun des vingt-sept États membres, alors à quoi bon un accord de retrait ? Tout le château de cartes s’effondrerait, ce qui ne serait dans l’intérêt de personne.

C’est la raison pour laquelle nous prônons à ce jour une approche nationale unilatérale dans l’hypothèse d’une sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne. Il conviendrait dans un deuxième temps d’instaurer un dialogue bilatéral pour traiter toutes les questions complexes qui seraient demeurées sans solution. Je serai alors heureuse que le dialogue entre les gouvernements s’élargisse à d’autres acteurs.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Ma question ira dans le même sens que la précédente.

Le vote du 15 janvier prolonge la période d’incertitude qui s’est ouverte il y a deux ans lorsque les Britanniques ont voté en faveur du Brexit.

Certes, la France se prépare à faire face aux situations les plus urgentes si aucune solution n’est trouvée d’ici au 29 mars prochain. La Commission européenne prépare de son côté quatorze mesures visant à atténuer les conséquences immédiates d’un Brexit sans accord.

En effet, le rejet par le Parlement britannique de l’accord passé entre le Gouvernement britannique et l’Union européenne remet en cause les dispositions négociées depuis septembre 2016. Cela aura notamment des conséquences sur le statut, les droits et la liberté de circuler des ressortissants français résidant au Royaume-Uni.

L’accord négocié prévoyait le maintien des droits des ressortissants européens jusqu’à la fin de la période de transition, fixée au 31 décembre 2020. Cela assurait à nos concitoyens résidant au Royaume-Uni la possibilité d’y vivre, d’y travailler ou d’y étudier dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. Cet accord leur donnait le droit de continuer à résider au Royaume-Uni, à condition de faire la demande d’un statut de résident permanent avant le 30 juin 2021.

Le groupe de travail du Sénat sur le Brexit considérait pourtant, dans son rapport rendu en juillet dernier, qu’il restait encore de nombreuses questions non résolues, s’agissant notamment des garanties données par les autorités britanniques. Je pense par exemple à l’enregistrement obligatoire des citoyens européens résidents, à l’adoption par le Parlement britannique d’une loi qui sécurise les droits acquis et à l’extinction, en ce qui les concerne, de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne au bout de huit ans.

Le Sénat avait alors également demandé qu’un protocole distinct de l’accord de retrait soit établi pour garantir les droits des ressortissants européens – dont français – en cas d’échec des négociations. À ce jour, il n’existe toujours pas.

La Commission européenne, tout comme le projet de loi français, prévoit la garantie d’un certain nombre de droits pour les ressortissants britanniques résidant sur le continent après le 29 mars, mais sous réserve de réciprocité.

Madame la ministre, quelles garanties avons-nous aujourd’hui de la part des autorités britanniques ? Entrevoyez-vous des avancées possibles, malgré l’épais brouillard qui enveloppe Londres ? Quels sont les différents scenarii sur lesquels vous travaillez ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, le scénario de l’accord de retrait est connu. S’il n’existe pas de protocole séparé relatif aux droits des ressortissants européens au Royaume-Uni, c’est parce que l’accord est un ensemble et que, dans la négociation, se mettre d’accord sur le point le plus facile aurait empêché d’aboutir sur le reste.

Quelles assurances avons-nous reçues à ce jour de la part du Gouvernement britannique concernant la situation des ressortissants européens en cas d’absence d’accord ?

Au mois de décembre, le Gouvernement britannique a publié un document sur les droits des ressortissants européens en cas d’absence d’accord. J’en retiens la garantie que les citoyens européens résidant au Royaume-Uni au 29 mars 2019 pourront rester et que le statut de résident permanent sera mis en œuvre, en cas d’absence d’accord, dans les mêmes conditions qu’en cas d’accord.

Les ressortissants européens présents sur le territoire du Royaume-Uni au 29 mars 2019 auront jusqu’au 31 décembre 2020 pour adresser leur demande. Il sera possible à ceux qui auront obtenu le statut de résident permanent de quitter le Royaume-Uni pendant cinq ans puis d’y revenir. Un statut de travailleur frontalier sera créé, et les citoyens résidant au Royaume-Uni au 29 mars 2019 pourront continuer à bénéficier des prestations sociales dans les mêmes conditions que les citoyens britanniques, tandis que leurs qualifications professionnelles continueront à être reconnues.

Certains éléments sont moins favorables que ceux qui sont contenus dans l’accord de retrait. Par exemple, les résidents au Royaume-Uni ne pourront faire venir des membres de leur famille que jusqu’au 29 mars 2022 et si la relation existait au 29 mars 2019. En outre, il n’y a pas de garantie qu’une carte d’identité européenne suffira, à terme, pour entrer au Royaume-Uni.

Je me rendrai au Royaume-Uni, probablement au mois de février, à la fois pour rencontrer la communauté française, comme je l’ai déjà fait en septembre, et pour obtenir des autorités britanniques confirmation de ces garanties.

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Je vis au Royaume-Uni et, à j-71 de la date prévue pour le Brexit, je demeure convaincu que le bon sens prévaudra et que, en l’absence d’un accord minimal sur la sortie, les parlementaires britanniques révoqueront la mise en œuvre de l’article 50 afin d’interrompre le processus du Brexit : si le Brexit ne veut rien dire, alors le Brexit ne doit pas être.

Cependant, le Brexit sans accord reste une option sur la table. Les 5 millions de personnes intimement concernées par les conséquences du Brexit, à savoir les 3 millions d’Européens résidant au Royaume-Uni et les 2 millions de Britanniques installés en Europe, ressentent de plus en plus l’appel du vide.

Chaque jour, des associations de défense qui les représentent, comme The3million, In Limbo Project ou encore British in Europe, se font l’écho d’une grande désespérance, d’une xénophobie ambiante et de drames humains. Elles témoignent de la situation de ces familles qui risquent de voler en éclats, car certains de leurs membres ne seront plus les bienvenus au Royaume-Uni, du fait de l’application de nouveaux critères liés à la nationalité ou aux revenus. Ce Brexit a déjà un coût humain déplorable.

Je vous remercie, madame la ministre, des réponses que vous avez déjà apportées sur le statut des Britanniques en France : les garanties proposées font honneur à notre pays.

Notre groupe de suivi coprésidé par Jean Bizet et Christian Cambon a reçu ce matin Mme Gina Miller, figure de l’opposition au Brexit qui préside le mouvement Best for Britain. Elle nous a appris que les parlementaires britanniques discutent actuellement de l’établissement d’un nouvel accord potentiel, de type norvégien ? Madame la ministre, pensez-vous que cela puisse être encore envisageable ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Cadic, il est difficile de bâtir sur des hypothèses et de faire des prédictions alors que la situation politique britannique se caractérise par la division et la confusion. Pour autant, ce que l’on peut dire à ce jour, c’est que Mme May a obtenu la confiance de sa majorité et s’est engagée à présenter un nouveau projet lundi prochain.

Effectivement, les parlementaires britanniques réfléchissent à un certain nombre d’options. Vous vous souvenez sans doute du schéma qu’avait présenté Michel Barnier, avec cette espèce d’escalier matérialisant les différentes possibilités ouvertes en termes de relation entre un État tiers et l’Union européenne : on peut évoquer les modèles norvégien, norvégien +, ukrainien, turc, canadien, suisse… Ces diverses options sont bien sûr actuellement examinées. La semaine prochaine, une motion ou des amendements seront certainement présentés à la Chambre des communes, et il sera alors possible de savoir s’il existe une majorité, en son sein, en faveur de l’une ou l’autre de ces solutions. Dans cette hypothèse, si le Royaume-Uni revenait vers nous avec une proposition appuyée par la majorité des parlementaires, afin par exemple de solliciter un statut comparable à celui de la Norvège, nous reverrions naturellement la déclaration politique sur la relation future et serions amenés nous aussi à changer de position. Mais, dans tous les cas de figure, nous nous en tiendrons toujours à nos lignes directrices : l’intégrité du marché unique, l’indivisibilité des quatre libertés et la nécessité que la relation repose sur un équilibre entre droits et obligations.

M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.

M. Yves Bouloux. « Nous ne pouvons pas revenir en arrière et changer le début, mais nous pouvons commencer où nous sommes et changer la fin. » C’est par cette citation de l’écrivain britannique C.S. Lewis que le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans a conclu hier matin son intervention devant le Parlement européen.

Différents scénarios et analyses sont avancés depuis plusieurs mois, et les inquiétudes consécutives au vote intervenu hier à Londres s’inscrivent dans la suite de ce long débat ouvert depuis le référendum britannique du 23 juin 2016 et des préoccupations liées non seulement au retrait du Royaume-Uni, mais également à la fragilisation de l’Union européenne et à l’instabilité actuelle du monde.

Mais il est une réalité qu’aucun scénario ne peut changer : avec ou sans accord de sortie d’ici au 29 mars prochain, le Royaume-Uni ne sera jamais et ne pourra jamais être, de facto, considéré comme un pays tiers.

Le Royaume-Uni est la sixième puissance économique mondiale ; derrière l’Allemagne et la France, il est le troisième pays européen en termes de population, et il représente le premier excédent commercial de la France au sein de l’Union européenne.

L’accord de sortie comme la déclaration politique sur la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne portent sur le cadre juridique, réglementaire, institutionnel et financier, et il ne sera pas définitivement documenté, dans tous les cas, d’ici au printemps, en ce qui concerne les relations qui s’ouvriront après la période de transition, d’ici à 2020 ou à 2022.

La France et le Royaume-Uni ont ouvert une nouvelle ère dans leurs relations en matière de défense, depuis les traités de Lancaster House de 2010, puis le sommet d’Amiens de 2016. Dès lors, le retrait britannique de l’Union européenne investit la France d’une responsabilité particulière, à l’égard tant du Royaume-Uni que de l’Union européenne et du monde.

Madame la ministre, hors du cadre européen, quelles relations le Gouvernement projette-t-il d’entretenir avec le Royaume-Uni à moyen et long termes ?

J’ajoute que la France a une autre responsabilité particulière, et peut-être un atout : le français sera désormais, avec l’anglais, dont le statut devrait évoluer, la seule langue globale et répandue de l’Union européenne. Aussi, madame la ministre, le Gouvernement envisage-t-il la mise en place d’une stratégie claire de promotion et d’enseignement du français dans le cadre de l’Union européenne et de ses institutions, voire au-delà ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, vous avez raison, le Royaume-Uni peut bien sortir de l’Union européenne, il restera en Europe : son histoire et sa géographie sont européennes ! Même en cas de retrait sans accord, nous en viendrons à négocier un nouveau partenariat avec le Royaume-Uni, car nombre de liens, tant bilatéraux qu’entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, méritent d’être maintenus.

Il ne vous aura pas échappé que, l’année dernière, le Président de la République s’est rendu à Sandhurst pour participer à un sommet franco-britannique ayant pour objet de réaffirmer l’intensité de ces liens bilatéraux dans tous les domaines, en particulier celui de la défense depuis les accords de Lancaster House. Nous sommes, en Europe, les deux seuls pays capables de projeter significativement des troupes sur tous les types de fronts et de zones de combat. Nous avons ainsi mené l’année dernière, avec les États-Unis, une campagne de frappes en Syrie en réponse à l’usage d’armes chimiques.

Nous sommes déterminés à continuer à entretenir ces liens particuliers avec le Royaume-Uni, quel que soit le choix qui sera fait en vue du Brexit. Il en ira de même en matière de recherche et d’enseignement supérieur : nous savons combien les chercheurs, aussi bien français que britanniques, craignent les conséquences de la séparation en préparation.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Le vote du Parlement britannique nous place dans une situation inédite et redoutée. Il ne doit pas nous empêcher de continuer à nous préparer à toutes les options, voire à saisir de nouvelles opportunités.

Je rentre d’une mission en Irlande. Mes interlocuteurs et notre ambassadeur m’ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’impact négatif du Brexit sur l’activité économique, mais ils ont aussi souligné l’occasion qu’il représente de renforcer notre relation bilatérale. Ils pensent notamment à l’ouverture de nouvelles routes maritimes entre l’Irlande et la France.

Or, comme l’indique la résolution adoptée par le Sénat en novembre dernier sur la question des corridors maritimes –je salue à cet égard le travail des corapporteurs, Didier Marie, Pascal Allizard et Jean-François Rapin –, la Commission européenne n’a pas pris en compte les conséquences d’un retrait du Royaume-Uni, notamment dans l’hypothèse d’une sortie sans accord, sur le fret maritime entre la République d’Irlande et le continent européen. Aucune étude solide n’a été réalisée sur une réorientation des flux de marchandises à destination de la République d’Irlande. Pourtant, ils transitent aujourd’hui à hauteur de 80 % par le Royaume-Uni, et les exportations irlandaises représentent 42 % du PIB.

Tout nous incite donc aujourd’hui à entamer des négociations avec la République d’Irlande afin d’ouvrir de nouvelles routes maritimes et éviter qu’elle ne soit victime du chaos annoncé en matière douanière.

À l’occasion des travaux d’aménagement en cours des ports français, nous pourrions ainsi envisager la mise en place de couloirs dédiés aux camions de fret en direction ou en provenance d’Irlande. Cette question de l’aménagement est aujourd’hui complexe et urgente ; il est nécessaire d’y dédier fonds et personnels supplémentaires.

Nous savons que vous avez déjà établi un premier dialogue avec le ministre irlandais des affaires étrangères et du commerce en octobre dernier. Qu’est-il ressorti de ces premiers échanges ? Soutiendrons-nous la demande d’une aide financière de l’Union européenne en cas de Brexit sans accord formulée par nos amis Irlandais ? Entendez-vous donner suite à notre résolution, qui vous invite à engager sans tarder une réflexion sur les flux commerciaux entre l’Irlande et le continent ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, vous l’avez dit, ce sujet est bien identifié. Je rencontre très régulièrement mon homologue irlandaise, ainsi que le vice-Premier ministre Simon Coveney, pour parler du Brexit de manière générale, mais aussi de ses conséquences.

Ayons à l’esprit que le risque de voir s’établir de nouveau une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande inspire une très forte inquiétude à nos amis Irlandais. Cette inquiétude est partagée par l’ensemble des États membres de l’Union européenne, avec une solidarité qui mérite d’être saluée.

Au demeurant, le Brexit pourrait présenter des opportunités pour l’Irlande. Ainsi, des entreprises qui étaient installées au Royaume-Uni font souvent le choix de s’implanter en France, et je m’en félicite, mais souvent aussi celui de s’implanter en Irlande. La situation actuelle ne présente donc pas que des aspects négatifs pour la République d’Irlande.

Pour ce qui est des corridors maritimes, la Commission européenne, mal inspirée, avait commencé par imaginer ne rien changer à sa position en matière de routes maritimes entre l’Irlande et le continent, et elle ne s’intéressait donc qu’aux ports belges et néerlandais, sans prendre en compte le fait que, à l’heure actuelle, l’essentiel du trafic de marchandises avec l’Irlande passe par le Royaume-Uni, donc par Douvres et Calais.

Nous avons protesté véhémentement. La ministre des transports s’est entretenue de ce sujet avec la commissaire européenne, et nous avons déjà la certitude que Calais, Dunkerque et Le Havre seront réintégrés au corridor mer du Nord-Méditerranée. De plus, le Parlement européen, je le disais précédemment, s’est engagé à ce que d’autres ports français puissent l’être également.

Par ailleurs, le vice-Premier ministre irlandais m’a fait part de sa préoccupation que les camions irlandais transitant par le Royaume-Uni puissent bénéficier de facilités à leur arrivée sur notre sol, puisqu’ils circulent entre un pays membre de l’Union européenne et d’autres États membres. Il souhaite notamment la mise en place d’une file spécifiquement destinée à ces camions. Cette demande est pleinement prise en compte, au moment où nous sommes en train de revoir nos infrastructures.

M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut.

M. Ronan Le Gleut. Ma question concerne le Brexit et la défense européenne.

« Le Brexit est bien davantage qu’une simple affaire commerciale, c’est aussi une question de sécurité. » Wolfgang Ischinger et Stefano Stefani s’exprimaient en ces termes, en décembre 2017, lors de la conférence de Munich sur la sécurité, en rappelant par ailleurs que les capacités militaires britanniques représentent entre 25 % et 30 % des capacités totales de l’Union européenne. Peut-on raisonnablement s’en passer ? Tout le monde convient que le degré de coopération entre Bruxelles et Londres sur les questions de sécurité et de défense doit être le plus élevé possible. Oui, mais comment faire, concrètement ?

Les Britanniques proposent, dans le Livre blanc sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne de juillet 2018 – c’est le point 68 – et la note technique du 24 mai 2018, de participer à des réunions informelles ad hoc du Comité politique et de sécurité, le COPS, et du Conseil des affaires étrangères, le CAE.

Les Britanniques proposent donc de participer à des réunions informelles des organes décisionnels de la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC, autrement dit d’interférer durant le processus décisionnel, et non pas après. La réponse des Vingt-Sept a été fermement négative. Je renvoie à cet égard à la déclaration politique sur la relation future entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, annexée à l’accord de retrait. Dans ces conditions, que se passera-t-il après le Brexit ? Cette position ferme sera-t-elle maintenue ? Enfin, quelle sera la future relation entre le Royaume-Uni et l’Europe de la défense ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, vous avez raison, le Royaume-Uni est un grand partenaire en matière de défense et de sécurité. Pouvons-nous nous passer de lui ? Je retourne la question : peut-il se passer de nous ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre. Plus précisément, que faisons-nous avec les Britanniques, en matière de défense, dans le cadre de l’Union européenne ? Pratiquement rien…

Nous sommes présents ensemble dans les États baltes, mais sous commandement de l’OTAN. Nous agissons ensemble au Sahel, mais dans le cadre d’une coopération bilatérale. C’est peu dire que le cadre de l’Union européenne a rarement été utilisé par les Britanniques en matière de défense. J’oserai même dire que s’il est un domaine où l’Europe a réussi à avancer ces derniers mois du fait du retrait britannique, c’est vraisemblablement celui de l’Europe de la défense, à laquelle les Britanniques ont toujours été résolument hostiles. Aujourd’hui, au moment où ils quittent l’Union européenne, ils se prennent d’une affection nouvelle pour cette Europe de la défense, parce qu’elle voit le jour. Ainsi, ils ont demandé à participer au processus de décision en matière de sécurité et de défense. Eh bien ce n’est pas possible : en bon anglais, you cant have your cake and eat it. En effet, l’un des principes sur lesquels nous avons fondé nos directives de négociation est la préservation de l’autonomie de décision de l’Union européenne, un principe auquel les Britanniques eux-mêmes étaient fortement attachés tant que le Royaume-Uni était un État membre.

Cela nous empêchera-t-il de travailler avec le Royaume-Uni dans le futur ? Certainement pas, ni sur le plan bilatéral ni sous commandement de l’OTAN. Nous avons aussi prévu, au travers de l’initiative européenne d’intervention, de travailler avec eux à l’évaluation de la menace, à la planification commune, à la création d’une culture stratégique commune entre pays européens, au sens géographique du terme, capables et volontaires, y compris le Royaume-Uni.

M. le président. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour la réplique.

M. Ronan Le Gleut. Merci, madame la ministre, de ces précisions. Permettez-moi de conclure par une citation de nature à nous inspirer, s’agissant de l’Europe de la défense.

« L’Europe forme un tout stratégique », disait Charles de Gaulle le 17 juillet 1961. « Ou bien c’est l’Europe qui défendra elle-même son territoire, ou bien il n’y aura pas, pour l’Europe, de défense qui tienne.

« Il y a l’OTAN. Qu’est-ce que l’OTAN ? C’est la somme des Américains, de l’Europe et de quelques accessoires. Mais ce n’est pas la défense de l’Europe par l’Europe, c’est la défense de l’Europe par les Américains. Il faut une autre OTAN. Il faut d’abord une Europe qui ait sa défense. Il faut que cette Europe soit alliée à l’Amérique. » (M. Sébastien Meurant applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.

Mme Fabienne Keller. Madame la ministre, nous sommes en pleine incertitude depuis le vote de mardi soir, et même sous le choc de l’ampleur de son résultat.

Vous avez rappelé qu’il semble difficile que Theresa May parvienne à renégocier avec les vingt-sept États membres dans des délais aussi courts, et peu probable que le Gouvernement britannique renonce à mettre en œuvre le Brexit.

Nous voici donc confrontés à la menace du no deal et du chaos. Vous avez démontré une nouvelle fois que vous vous préparez activement depuis de longs mois à cette hypothèse de l’absence d’accord, aux conséquences potentiellement graves pour le Royaume-Uni, et a priori guère positives pour la France et l’Union européenne.

Grâce aux efforts de Michel Barnier, la cohésion des Vingt-Sept semble solide, mais la relation future avec le Royaume-Uni est en jeu. Il ne faut pas que cette crise détruise les liens qui nous unissent aux Britanniques, dans un contexte européen difficile, où la montée des populismes et le rejet global de l’Union européenne dominent. Je sais combien vous êtes engagée depuis longtemps, madame la ministre, à travers votre carrière et vos fonctions présentes, en faveur du dialogue avec l’ensemble des Européens, notamment les Britanniques.

Comment sortir de cette situation sans pénaliser durablement la qualité de nos relations avec les Britanniques, tout en préservant la cohésion des vingt-sept États membres ? Qu’est-ce que le Gouvernement est prêt à faire pour éviter une rupture trop brutale et un sentiment de punishment pour les Britanniques ? Enfin, un délai supplémentaire est-il réellement envisageable, sachant que vous avez précédemment indiqué que cette hypothèse relevait de la politique-fiction ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, comment faire pour que notre relation avec le Royaume-Uni ne soit pas trop pénalisée, sans pour autant porter atteinte à la cohésion des États membres de l’Union européenne ? C’est précisément tout l’objet du travail d’orfèvre mené par Michel Barnier, qui a conduit à l’accord de retrait conclu avec le Royaume-Uni. Ce qui est certain, c’est que les relations les plus fructueuses, c’est entre États membres de l’Union européenne qu’elles s’établissent. Toute relation avec un État tiers est, par nature, moins étroite.

Les réactions britanniques relèvent d’une espèce d’effet de souffle du référendum de 2016, avec deux ans de décalage. Lors des débats à la Chambre des communes, il a été assez peu question des conditions du retrait ou de la situation des citoyens britanniques résidant sur le continent. Quant au règlement des sommes dues par le Royaume-Uni, il n’a pas été évoqué du tout. La question irlandaise a certes été discutée, mais sans bien réaliser que le protocole retenu dans l’accord de retrait correspondait à la demande britannique… Sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, on a entendu des choses contradictoires, et il est difficile de trouver un chemin, avec des hard Brexiters qui estiment que tout ira mieux dès lors que leur pays s’éloigne de l’Union européenne et qui affirmaient ce matin encore ne pas s’inquiéter d’un retour des droits de douane du cognac, puisque l’on produit de l’excellent brandy hors d’Europe. Ce sont là des arguments un peu désespérés…

Le meilleur moyen de préserver un équilibre réside dans l’accord de retrait qui est sur la table et ne peut pas être renégocié. Si la relation future doit se construire sur d’autres bases, nous y sommes prêts. Nous serions disposés à envisager un report de l’échéance du 29 mars : c’est techniquement et juridiquement possible. Il faut d’abord que le Gouvernement britannique le demande, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à maintenant, à aucun moment ni d’aucune manière ; il a plutôt affirmé n’en avoir pas l’intention. Il faut ensuite que les États membres soient unanimes pour accepter une telle demande ; une telle unanimité ne pourrait être obtenue, politiquement, que si une véritable voie de sortie était ouverte. Un report, jusqu’à quelle échéance et, surtout, pour quoi faire ?

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant.

M. Sébastien Meurant. À quelques semaines de la date fatidique, la « sœur de la France », comme l’appelait Victor Hugo, semble se diriger vers un no deal historique. Bientôt, les ponts seront coupés avec sa fratrie européenne, nous laissant nous, Français, en première ligne pour amortir le choc frontalier qui se prépare.

Se posent en priorité, à cet égard, des questions de sécurité concernant ces infrastructures particulières que sont les ports et le tunnel sous la Manche.

Une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord aura un impact considérable sur les flux de marchandises et de personnes. Le préfet de la région Hauts-de-France a relevé à la fin de l’année 2018, l’existence de risques réels en matière d’ordre public, alors même que nos forces de l’ordre sont au bord de l’épuisement, comme l’a souligné très récemment notre collègue François Grosdidier dans un rapport sur le malaise des forces de sécurité intérieure.

Dans ce contexte, je souhaite attirer particulièrement votre attention, madame la ministre, sur la question des flux migratoires entre le Royaume-Uni et la France. La restauration des frontières aura une répercussion immédiate sur la fluidité de la circulation des personnes aux points de passage. Les effectifs douaniers prévus pour les trois prochaines années seront-ils disponibles à temps ? Le Gouvernement a-t-il prévu les moyens nécessaires pour lutter contre les filières mafieuses qui entendent bien profiter des embouteillages et des difficultés à venir ? Quelles solutions pouvez-vous nous annoncer aujourd’hui, madame la ministre, en vue de prévenir ces désordres ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, la sécurité de nos infrastructures aux points d’entrée et de sortie du territoire européen est effectivement une question essentielle, sachant que la France est le principal pays d’entrée dans l’Union européenne pour les Britanniques.

Cette question est pleinement prise en compte. Elle l’a encore été ce matin, lors de la réunion organisée autour du Premier ministre avec les ministres concernés et les trois préfets de région les plus directement concernés : ceux des Hauts-de-France, de Normandie et de Bretagne.

Je puis vous rassurer : les effectifs douaniers seront suffisants, comme annoncé depuis longtemps le ministre de l’action et des comptes publics et comme prévu dans le dernier projet de loi de finances. Au total, 700 douaniers seront recrutés, dont 500 dès à présent. Ils viennent renforcer les effectifs existants. Les systèmes d’information de la douane sont également en voie de modernisation. Faisons du défi qui s’impose à nous une occasion d’avancer sur ces questions de contrôle douanier.

Il convient en outre de travailler sur les aires de stationnement, afin de séparer de la manière la plus claire possible les camions en provenance du Royaume-Uni, qui devront faire l’objet d’un certain nombre de contrôles, et les camions à destination du Royaume-Uni, qui sont, nous le savons, un point de fixation pour les trafics de migrants.

De ce point de vue, la coopération bilatérale franco-britannique est étroite en matière lutte contre les trafiquants d’êtres humains. Cette coopération, qui fonctionne à plein, a vocation à se poursuivre et à se développer encore. Au sein même de l’Union européenne, tous les efforts réalisés aujourd’hui pour mettre en réseau les différents systèmes d’information afin de mieux lutter contre le trafic d’êtres humains seront démultipliés, y compris en termes de sanctions individuelles à l’encontre des trafiquants.

Monsieur le sénateur, soyez assuré de notre détermination à ne pas laisser se créer un abcès de fixation en cas de Brexit sans accord.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour la réplique.

M. Sébastien Meurant. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Le Calaisis connaît depuis des années des difficultés liées aux flux migratoires. Vous nous assurez que tous les moyens nécessaires sont mis en place ; espérons-le. Le Royaume-Uni est le seul pays avec lequel nous enregistrons un excédent commercial significatif : puissions-nous le maintenir !

Par ailleurs, l’approvisionnement en médicaments produits au Royaume-Uni est un sujet crucial pour des dizaines de milliers de malades français. Faisons en sorte que ces médicaments puissent entrer sans difficulté sur notre territoire.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe auteur de la demande.

M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le scénario tant redouté est donc advenu. La Grande-Bretagne et l’Union européenne entrent en territoire inconnu. La tonalité générale de notre débat témoigne bien d’un profond désarroi, même si nous pouvions nous attendre à cette issue.

L’Union européenne et ses États membres, dont la France, ont préparé ces derniers mois des dispositions d’urgence pour faire face à une telle éventualité. Nous espérions tous, en notre for intérieur, que ces précautions indispensables n’auraient pas à s’appliquer. Nous péchions sans doute par excès d’optimisme.

Aussi précises soient-elles, ces mesures n’empêcheront cependant pas l’impact désastreux que la décision du Parlement britannique aura pour les deux parties. On sait que plusieurs secteurs économiques seront directement touchés par la sortie du Royaume-Uni. L’industrie française est concernée au premier chef et devra relever plusieurs défis.

Un défi logistique, d’abord, avec l’augmentation du délai des formalités douanières à la frontière, qui provoquera des goulets d’étranglement. Un défi des tarifs douaniers, ensuite : en l’absence d’accord de libre-échange, le Royaume-Uni pourrait instaurer des tarifs douaniers élevés, par exemple dans le secteur automobile, comme autorisé par l’Organisation mondiale du commerce. Cette organisation, bien qu’elle soit chancelante en ce moment, va en effet devenir, pour la Grande-Bretagne, le cadre naturel des négociations commerciales sur les tarifs douaniers et les barrières non tarifaires, dans l’hypothèse d’un Brexit « dur ».

Que dire, enfin, sur l’avenir de la pêche européenne, et en particulier de la pêche française ? Une fermeture des eaux britanniques induirait une perte de revenus, pour la flotte européenne, de l’ordre de 50 %. Certes, le choix de ne pas rester dans l’Union européenne n’implique pas une rupture totale de nos relations avec le Royaume-Uni. Nous devrons, au contraire, maintenir un lien très étroit, en particulier dans le domaine de la recherche ou celui de la sécurité et de la défense.

Comment trouver désormais une solution acceptable par tous en ce qui concerne la frontière physique entre l’Irlande et l’Ulster, qui devient désormais « la » frontière terrestre entre l’Union et le Royaume-Uni, alors même que, depuis 1998, l’Union est, avec les États-Unis, l’un des parrains de l’accord de paix historique du Vendredi Saint, qui posait comme condition essentielle la suppression de toute frontière « dure » entre les deux Irlande ? On a souvent dit que l’Union européenne était un facilitateur de paix. Souvenons-nous que, en 1998 encore, une guerre civile faisait rage au cœur même de l’Union européenne, laquelle aura contribué à la résolution de ce problème.

Pour conclure, je voudrais souligner un point positif dans cet environnement bien morose : l’unité sans faille de l’Union et des Vingt-Sept durant ces longs mois de difficiles négociations. Elle a tenu bon, et nul n’est parvenu, malgré quelques tentatives, à en ébranler la solidité. J’y vois deux raisons essentielles.

La première est la qualité du négociateur en chef Michel Barnier. Il faut lui faire crédit d’avoir contribué, avec beaucoup de patience et de talent, à créer et, surtout, à maintenir cette solidarité politique des Vingt-Sept, qui était loin d’être acquise de prime abord.

La seconde raison est que la lucidité, l’honnêteté politique et la clarté des principes de base de la négociation auront été, durant ces mois, beaucoup plus présentes du côté des Vingt-Sept que de l’autre. Ce sont là des qualités dont on crédite trop peu souvent l’Union européenne et ses institutions ; c’est l’occasion de le faire.

Le résultat du vote de mardi est un revers pour tout le monde : pour les Britanniques d’abord, mais aussi pour l’Union. C’est aux Britanniques désormais et à eux seuls, en particulier à leur Parlement, qu’il revient d’inventer un « plan B » pour baliser le chemin qui mène au 29 mars. Pendant deux ans, ils n’ont pas beaucoup réfléchi et absolument rien écrit sur ce sujet. Il leur reste trois jours pour le faire. Mme la ministre vient de préciser à quelles conditions les Vingt-Sept pourraient répondre favorablement à une demande du Gouvernement britannique de reporter l’échéance pour la mise en œuvre de l’article 50 au-delà du 29 mars : un report, pour quoi faire et pour quelle durée ?

Au-delà de cet écueil, il reviendra aux Vingt-Sept, à la Commission européenne et au futur Parlement européen de continuer et d’amplifier le travail de refondation de l’Union. Le Conseil européen de Sibiu, en mai, sera une première étape importante.

Enfin, comme son intitulé l’indique, notre groupe sénatorial de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne, que Christian Cambon et moi-même avons l’honneur de présider, n’a jamais dissocié les deux enjeux. Il poursuivra ses travaux avec une ambition intacte et un sentiment d’urgence renouvelé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le retrait britannique de l’Union européenne.

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Dossier législatif : projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne
Discussion générale (suite)

Mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne

Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (texte de la commission, n° 213, rapport n° 212.)

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Brexit, décidé au Royaume-Uni, aura des conséquences dans toute l’Europe. Ce divorce est déjà douloureux. Il le sera encore davantage dans les prochains mois lorsqu’il sera effectif et qu’il faudra le mettre en œuvre. Il est donc nécessaire de s’y préparer. C’est ce que le Gouvernement nous propose de faire par voie d’ordonnances avec ce projet de loi d’habilitation, sur lequel la commission mixte paritaire a trouvé un accord.

Le vote négatif du Parlement britannique du 15 janvier réactualise l’hypothèse d’un Brexit « dur », sans accord, que nous redoutions depuis le début du processus. Les dirigeants européens ont rappelé, à juste titre, que l’accord signé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne le 25 novembre 2018 n’était pas négociable. Cet accord est en effet le seul possible, car il ménage une clause de sauvegarde sur la frontière irlandaise et préserve les intérêts essentiels de l’Union européenne. Nous sommes reconnaissants à Michel Barnier d’être parvenu à élaborer ce texte en maintenant un front uni des Vingt-Sept, ce qui n’était pas évident au départ !

Certains, aujourd’hui, espèrent que le Brexit n’ait finalement pas lieu. Ne rêvons pas ! Nous avons surtout le devoir d’intensifier notre préparation aux conséquences juridiques, économiques et sociales d’un Brexit « dur ». Les citoyens, les entreprises, ne sont pas encore tous et toutes conscients de ce que ce scénario implique. Le Brexit « dur » est un divorce non ordonné et sans phase de transition, revenant à effacer brusquement quarante-cinq ans d’acquis européen.

Nous sommes inquiets des conséquences économiques de cette situation sur le secteur agroalimentaire, sur la pêche, ainsi que sur de nombreux secteurs industriels, notamment celui de l’automobile.

De leur côté, les Britanniques craignent des pénuries, notamment dans le secteur du médicament.

Les défis logistiques sont considérables. Le ministère britannique des transports estime, par exemple, que l’axe Douvres-Calais pourrait ne fonctionner qu’à seulement 13 % de ses capacités pendant les six premiers mois suivant le Brexit.

Notre autre préoccupation essentielle, ce sont bien sûr les droits des citoyens. L’accord du 25 novembre 2018 apportait un certain nombre de garanties qui seraient remises en cause faute de ratification. Les citoyens européens du Royaume-Uni et les citoyens britanniques résidant dans l’Union européenne, qui n’ont d’ailleurs pas eu l’occasion de s’exprimer dans le cadre du référendum sur le Brexit, sont aujourd’hui dans l’incertitude la plus totale.

L’échéance du 29 mars 2019, fixée pour la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne, est très proche. L’urgence ne fait pas de doute ; la diversité et la complexité des mesures à prendre ne font pas de doute non plus.

C’est pourquoi le Sénat a accepté cette habilitation à légiférer par ordonnances. Elle a été adoptée, je vous le rappelle, à l’unanimité des voix, y compris, chère Colette Mélot, celles du groupe Les Indépendants – République et Territoires, que j’avais oublié de citer lors de ma première intervention.

Mme Colette Mélot. Merci ! (Sourires.)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Les élus du groupe communiste républicain citoyen et écologiste ont, pour leur part, décidé de s’abstenir.

Madame la ministre, plusieurs orateurs l’ont déjà dit : la législation par ordonnances est une méthode que nous n’aimons pas, car elle prive le Parlement d’un débat légitime. Mais toute une série de mesures doit être prise dans des délais très brefs. Qui plus est – vous l’avez rappelé il y a quelques instants –, ces mesures ont vocation à être temporaires, dans l’attente d’une solution globale ou d’un accord bilatéral avec le Royaume-Uni.

La Constitution a le mérite de permettre à la France d’agir vite lorsque c’est nécessaire, mais cette possibilité est encadrée : il ne s’agit pas de donner un blanc-seing au Gouvernement. C’est pourquoi le Sénat a précisé l’habilitation, tant dans ses finalités que dans ses champs d’intervention, non pas pour fragiliser l’action du Gouvernement, mais, au contraire, pour la consolider juridiquement, car des recours ne sont pas à exclure.

Nous avons notamment précisé le régime applicable aux travaux urgents rendus nécessaires par le rétablissement des contrôles aux frontières. Le Sénat a également souhaité renforcer l’attractivité du territoire français pour les Britanniques appelés à exercer une activité en France après le Brexit et faciliter la reconnaissance des qualifications professionnelles obtenues au Royaume-Uni après le Brexit.

L’Assemblée nationale a conservé la structure et la philosophie générale du texte adopté par le Sénat. Je remercie d’ailleurs le rapporteur Alexandre Holroyd, avec lequel nous avons noué un dialogue franc et constructif.

Ainsi, nous avons eu le souci commun de préserver l’attractivité de la France, pour les entreprises britanniques qui souhaiteraient s’y redéployer. Nous nous sommes également accordés sur une disposition innovante relative au contrôle parlementaire de la préparation et de la mise en œuvre des ordonnances.

Notre groupe de suivi du Brexit, présidé par Jean Bizet et Christian Cambon, que je tiens à saluer, disposera ainsi des moyens de poursuivre l’action menée depuis près de deux ans et demi.

Mes chers collègues, en définitive, nous avons pu travailler avec le rapporteur de l’Assemblée nationale à un compromis qui me paraît satisfaisant. Ainsi, la commission mixte paritaire est parvenue à un texte commun, que je vous propose aujourd’hui d’adopter.

Toutefois, madame la ministre, beaucoup reste à faire. La balle est maintenant dans votre camp. Le Brexit est un changement structurel, qui aura des impacts à long terme et qui constitue, dans l’immédiat, un facteur d’incertitude supplémentaire, alors que la France et l’Europe sont dans une situation économique préoccupante.

Nous demeurerons très attentifs et mobilisés dans le cadre du groupe de suivi du Brexit. Ce matin même, avec Jean Bizet, ici présent, nous avons d’ailleurs ouvert de nouveaux travaux pour suivre l’action du Gouvernement et veiller à l’instauration, par le Royaume-Uni, des mesures réciproques auxquelles vous venez de faire allusion ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission mixte paritaire, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons largement eu l’occasion de le dire au cours du débat qui a précédé : le rejet, à une très large majorité – 230 voix d’écart –, de la ratification du projet d’accord de retrait par la Chambre des communes, le 15 janvier dernier, accroît les incertitudes quant aux conditions du retrait britannique.

Il aggrave fortement les risques de perturbations résultant du retrait et la probabilité d’un Brexit sans accord, qui risquerait d’affecter durement, si nous n’agissions pas, les citoyens, les acteurs économiques et l’ensemble des parties prenantes.

Dans ces circonstances, il est indispensable d’accélérer nos préparatifs en vue d’un retrait sans accord. C’est précisément ce que nous faisons.

Je vous l’ai dit précédemment : à l’échelle européenne, la Commission a accéléré ses préparatifs et publié pas moins de seize propositions de textes législatifs dans différents domaines. À l’échelle nationale, le Premier ministre a demandé, dès le mois d’avril 2018, à l’ensemble des ministères d’identifier les conséquences d’une absence d’accord et les mesures à prendre.

Ce travail s’est notamment traduit dans un projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires en cas d’absence d’accord. Nous en avons discuté ici même, et je me réjouis que la commission mixte paritaire soit parvenue à un accord le 18 décembre dernier.

Ce texte permettra au Gouvernement d’être en pleine capacité d’agir au moment le plus opportun, ou de décider de ne pas agir le cas échéant. (M. Jean Bizet approuve.) Ainsi, cinq ordonnances seront bientôt prêtes à être présentées au conseil des ministres – la première d’entre elles sera examinée dès la semaine prochaine. Elles couvriront trois domaines, que je tiens à rappeler.

Le premier est la situation des ressortissants français qui vivent au Royaume-Uni et qui reviendraient en France et, de manière plus générale, les intérêts français, notamment dans le domaine de la défense ou en matière financière.

Le deuxième est la situation des Britanniques en France, qu’il s’agisse, par exemple, des droits d’entrée et de séjour, de l’emploi ou des prestations sociales, étant entendu que ces mesures seront prises dans un esprit de réciprocité.

Le troisième et dernier est la circulation des personnes et des marchandises. Même en cas d’accord, il conviendra de réaliser les travaux de construction ou d’aménagement de locaux, installations, infrastructures portuaires, ferroviaires, aéroportuaires et routières qui seront requis par le rétablissement des contrôles de marchandises et de passagers à destination et en provenance du Royaume-Uni.

Dans ces trois domaines, il s’agit seulement d’assurer les éléments de continuité indispensables, de façon temporaire, avant l’entrée en vigueur, soit d’un accord de retrait, soit directement d’accords européens et nationaux encadrant les relations futures.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les travaux menés avec le Sénat comme avec l’Assemblée nationale au titre de ce projet de loi ont permis des avancées rapides et substantielles. L’adoption et la promulgation de ce texte avant la fin du mois de janvier permettront ainsi de placer la France, avec l’Allemagne, parmi les États membres les plus avancés, au sein des 27, dans la préparation à une sortie sans accord. Le projet de loi sur lequel vous avez travaillé constitue une référence pour plusieurs de nos partenaires européens.

Je tiens donc à remercier le Sénat d’avoir pris toute la mesure de l’urgence de la situation à laquelle nous devons faire face, et d’avoir considéré, au vu de son caractère inédit et de l’importance des enjeux, qu’il pouvait accepter l’habilitation sollicitée.

Je tiens également à vous remercier des discussions que nous avons eues au cours de l’examen de ce projet de loi d’habilitation, ainsi que de vos contributions. Je salue notamment le travail relatif à la structure de ce projet de loi, puisque vous souhaitiez mieux faire ressortir la finalité des ordonnances, ainsi que les précisions utiles que vous avez apportées quant à la reconnaissance des qualifications professionnelles.

Au-delà de ce projet de loi d’habilitation et des ordonnances qui seront prochainement adoptées sur ce fondement, le Gouvernement ne ménage aucun effort pour limiter autant que possible les conséquences d’un retrait du Royaume-Uni sans accord. La mise en œuvre des plans de contingence de chaque ministère fait l’objet d’un suivi étroit et régulier.

Ce matin encore, avec l’ensemble des ministres concernés, j’ai pris part à une réunion sous l’autorité du Premier ministre : il convenait de faire un nouveau point d’étape sur les mesures devant être prises par les différentes administrations, qu’il s’agisse de personnels, d’équipements ou de la construction d’infrastructures. J’ai ensuite pris part, aux côtés du Premier ministre, à un déjeuner avec les présidents de région : nous avons ainsi pu les informer de l’état de préparation de notre pays et les encourager à avancer, eux-mêmes, sur ce dossier.

Des mesures d’information et de communication ont également été prises, en particulier à travers la création d’un site internet interministériel unique d’information dédié au Brexit. Ce site vise à donner des informations générales et à répondre aux questions que se posent les particuliers et les entreprises.

Nous nous préparons à une communication beaucoup plus active et vigoureuse dans ce domaine, mais – je n’en doute pas – le vote du 15 janvier dernier aura pour effet de rendre nos concitoyens et nos entreprises plus sensibles aux risques d’une absence d’accord et à la nécessité de s’y préparer.

Enfin, je vous l’assure, Gouvernement a entendu toutes les demandes qui lui ont été adressées, même celles qui ne pouvaient être satisfaites dans le cadre de ce projet de loi : c’est le cas dans des domaines comme le transport aérien et la politique de la pêche,…

Mme Nathalie Loiseau, ministre. … qui relèvent de mesures de contingence européennes et non nationales. Néanmoins, soyez certains que nous y sommes particulièrement attentifs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, je vous demande de voter ce projet de loi d’habilitation : il est indispensable pour que notre pays puisse faire face à toutes les situations, y compris à une absence d’accord ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que, conformément à la décision de la conférence des présidents, les interventions des orateurs au cours de la discussion générale vaudront explications de vote.

La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi aujourd’hui soumis à notre approbation est le fruit d’une commission mixte paritaire à la fois conclusive et très constructive, grâce au travail remarquable conduit par les deux rapporteurs spéciaux, Alexandre Holroyd, pour l’Assemblée nationale, et Ladislas Poniatowski, que je salue, pour le Sénat.

Tous deux l’ont fort justement souligné durant la commission mixte paritaire du 18 décembre dernier : l’urgence de préparer au mieux notre pays aux conséquences du Brexit justifiait le pragmatisme et la flexibilité dont le Parlement a su faire preuve en cette occasion. En effet, madame la ministre, ce n’est pas rien pour des parlementaires, notamment dans un régime comme le nôtre, marqué par la prééminence de l’exécutif, d’accepter le recours aux ordonnances en lieu et place de la production ordinaire de la loi.

Les négociations conduites par nos deux rapporteurs spéciaux ont heureusement permis, en contrepartie de notre acceptation de légiférer par ordonnances, de renforcer le rôle du Parlement dans l’élaboration, le contrôle et l’évaluation de ces mêmes ordonnances. Il s’agit là d’une très bonne chose.

Néanmoins, voilà tout juste deux jours, la Chambre des communes a rejeté les accords entre le gouvernement britannique et l’Union européenne. Son vote massif nous oriente, hélas, toujours plus vers l’hypothèse d’un Brexit dur au soir du 29 mars prochain ; et il démontre, s’il le fallait encore, que l’intelligence et le pragmatisme de notre représentation nationale, au-delà de ses habituels clivages politiques, ont de quoi faire pâlir de jalousie certains de nos homologues d’outre-Manche !

Cela étant, les raisons de nous réjouir s’arrêtent malheureusement là ; car si la Première ministre britannique est parvenue hier soir, et de justesse, à sauver sa place malgré la motion de défiance présentée contre son gouvernement, l’avenir politique et économique du Royaume-Uni a de quoi nous alarmer. Il nous inquiète, bien sûr, pour la nation britannique, son peuple et ses élites confondues. Mais il nous inquiète également pour nous-mêmes, étant donné les conséquences importantes qu’un Brexit dur aura pour l’économie européenne en général, et pour l’économie française en particulier.

Ces derniers mois, certains d’entre nous se sont parfois enthousiasmés des possibles retombées positives du Brexit pour notre économie, notamment pour la place financière de Paris. Ils oubliaient un peu vite que c’est avec son voisin d’outre-Manche que notre pays jouit de son plus fort excédent commercial…

Notre secteur agroalimentaire a tout à perdre d’une sortie sans accord du Royaume-Uni : c’est vrai, non seulement pour les pêcheurs, mais aussi pour ce fleuron de l’économie française qu’est le marché de Rungis. Ses exportations représentent plus de 10 % de son chiffre d’affaires, et les échanges avec le Royaume-Uni représentent une part importante de ce volume.

Voilà maintenant cinquante-cinq ans, seize auteurs de qualité, dirigés par l’écrivain d’origine hongroise et naturalisé britannique Arthur Koestler, publiaient un ouvrage consacré au Royaume-Uni et intitulé Suicide dune nation ? Ce livre collectif décrivait avec sévérité les atermoiements de la Grande-Bretagne face aux changements en Europe et dans le monde, son attachement à un Commonwealth périmé, que la décolonisation rendait obsolète, son hésitation à adhérer au Marché commun et sa nostalgie d’une grandeur passée qui privait la société britannique de tout dynamisme.

Or, dix ans plus tard, le royaume, dont le gouvernement était dirigé par Edward Heath, adhérait à la Communauté économique européenne, la CEE avec le soutien de Georges Pompidou. Cet acte quasiment révolutionnaire, face à l’apathie anglaise de l’époque, a apporté à la Grande-Bretagne un nouveau souffle historique ; mais, quarante-cinq ans après son entrée dans l’Union, qui, au passage, lui a permis de passer du sixième au cinquième rang mondial et d’en finir avec la guerre civile en Irlande du Nord, le Royaume-Uni a choisi, démocratiquement et en toute irrationalité, de faire le chemin inverse.

Cette grande plume de la presse française qu’est Richard Liscia l’a excellemment écrit, pas plus tard qu’hier : « Voilà comment l’ADN démocratique d’un très grand pays européen a été génétiquement modifié par une bande de voyous populistes, j’ai nommé principalement Boris Johnson et Nigel Farage, des hommes qui ont prospéré sur le mensonge à des fins purement politiciennes, et dont le comportement, en définitive, n’est pas trop éloigné de la trahison pure et simple. » (Mme Colette Mélot et M. Olivier Henno applaudissent.)

M. Jean Bizet. Très juste !

M. André Gattolin. Certes, le propos est violent et n’engage que son auteur ; mais j’estime comme celui-ci que ce grand pays voisin, lequel, par sa culture, demeure fondamentalement européen, s’est engagé dans une forme de suicide, dont nous n’avons pas vraiment à nous réjouir.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. André Gattolin. Je conclus, monsieur le président.

Tout acte suicidaire, qu’il émane d’une personne ou d’une nation, appartient en premier lieu à celui qui le décide. L’intéressé est la première et la plus grave victime de son acte, mais non la seule. Ces proches et ces amis du Royaume-Uni que nous sommes sont les victimes collatérales du Brexit : nous devons vivre avec.

Souhaitons, pour nos amis britanniques et pour nous-mêmes, que le Royaume-Uni profite des prochaines semaines pour se ressaisir enfin ! (M. Jean Bizet et Mme Colette Mélot applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce débat sur la demande d’habilitation du Gouvernement à prendre des mesures de préparation au retrait britannique illustre, comme nous l’avons souligné lors de la première lecture, la crise que traversent aujourd’hui l’Union européenne et le projet européen tout entier.

Nous l’avons souligné : cette crise est inédite par sa gravité et son ampleur, car elle dépasse le cas britannique. L’Union européenne n’est plus, aux yeux de tous, à même de faire la richesse des nations ou d’assurer la prospérité des peuples. À cet égard, je n’approuve pas les propos qu’André Gattolin vient de prononcer, et je constate que nous n’avons pas toujours analysé les causes profondes de la décision du peuple britannique.

Ce débat met également en lumière le rapport de force entre le Parlement et le gouvernement britanniques, qui ne tourne pas toujours au désavantage du premier.

Ainsi, après le vote d’un amendement à la loi de finances qui a fixé des limites au pouvoir du Gouvernement de modifier, à la suite du Brexit, la réglementation relative aux taxations indirectes, de nombreux observateurs de la vie institutionnelle britannique ont relevé le peu de docilité dont les députés de la Chambre des communes ont fait preuve face à l’exécutif, en rejetant le projet de retrait mardi dernier. Or, comme l’a déclaré Theresa May hier, « la Chambre a parlé et ce gouvernement écoutera ».

L’exécutif britannique a donc trois jours pour présenter un nouvel accord au Parlement, au risque de laisser la possibilité à ce même Parlement de définir les conditions du Brexit, si le Gouvernement n’y parvenait pas.

Je tenais à relever ce point en préambule, car, malgré les difficultés, voire le chaos que connaissent nos amis britanniques, le vote d’hier démontre, d’une certaine manière, la vitalité de leur démocratie parlementaire. Le Parlement est un véritable contre-pouvoir à l’exécutif, et les parlementaires de la majorité ne sont pas de simples godillots. C’est aussi cela, une véritable démocratie représentative.

Je regrette donc d’autant plus que, une fois encore avec ce projet de loi d’habilitation, la majorité de l’Assemblée nationale n’ait pas su préserver les avancées votées par le Sénat.

Comme l’a rappelé notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, lors des débats au Sénat, le Gouvernement a supprimé une bonne partie du travail de la commission spéciale. Je reprends ses termes : « Cette dernière a pourtant fait du bon travail et n’a pas cherché à enquiquiner le Gouvernement en le mettant en difficulté. Elle a, au contraire, tenté très sincèrement d’aider en tenant compte de la situation des Britanniques, y compris après le Brexit, qu’il y ait ou non accord. »

Nous l’avions déjà souligné au sujet de ce projet d’habilitation : même si l’urgence est réelle, le Gouvernement demande des pouvoirs dérogatoires à nos yeux trop étendus, qu’il s’agisse de l’urbanisme, de l’aménagement, du respect du droit de l’environnement ou des règles de la commande publique.

D’ailleurs, nous l’avons souligné lors des débats, la question des aménagements nécessaires afin d’assurer le contrôle des marchandises et des passagers en provenance et à destination du Royaume-Uni n’est pas nouvelle, tout comme la faiblesse de nos ports, par manque de vision claire et, surtout, d’investissements. C’est donc en première urgence, dès le début du quinquennat, qu’il aurait fallu construire des bureaux de douane et recruter les agents nécessaires à l’anticipation de cet événement historique qu’est le Brexit.

Toutefois, la finalité des ordonnances telle que précisée par le Sénat a été préservée, et l’information du Parlement a été renforcée.

Aussi, comme en première lecture, nous nous abstiendrons sur ce texte, malgré notre opposition de principe aux demandes d’habilitation, malgré aussi le fait que la situation d’urgence est pour partie le fait du Gouvernement, qui aurait dû anticiper l’hypothèse d’une sortie britannique sans accord ; il a d’ailleurs montré sa capacité à le faire en matière fiscale ou financière, lorsqu’il s’agissait de « renforcer » l’attractivité de la place financière de Paris.

Nous nous abstiendrons, car le sort des ressortissants britanniques installés en France et des Français installés au Royaume-Uni ne peut souffrir d’incertitudes ; le projet d’habilitation permet d’y répondre.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.

M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de l’Entente cordiale nos jours, les relations entre le Royaume-Uni et notre pays sont le fruit d’une longue construction qui a tenu bon malgré les soubresauts de l’histoire, particulièrement lorsque cette dernière s’est montrée sous son jour le plus tragique, lors de la Seconde Guerre mondiale.

Nos deux pays sont liés, et ils le resteront au-delà de la volonté des électeurs britanniques de sortir de l’Union européenne. Ils sont liés parce qu’ils sont voisins et à peine séparés par une bande de mer large de trente-six kilomètres. Ils sont liés par leur histoire entremêlée et leur mémoire commune. Ils sont liés, enfin, par les 200 000 Britanniques vivants sur le sol français et les près de 300 000 Français résidant outre-Manche. De nombreuses entreprises collaborent entre nos deux pays, au point que 30 000 sociétés françaises exportent, outre-Manche, l’équivalent de 3 % de notre PIB.

Malgré tout, rien ne sera sans conséquence pour nos deux pays. Dès lors, au-delà de nos regrets, nous ne pouvons qu’accompagner du mieux possible la décision de sortie de l’Union européenne.

C’est dans cet état d’esprit que nous avons abordé l’examen de ce projet de loi, et c’est dans cet esprit que nous poursuivrons notre travail. Mais, depuis l’annonce des résultats du référendum, la situation a pris une drôle de tournure. Le dernier soubresaut est survenu avec le vote de la Chambre de communes, ce mardi 15 janvier, qui s’est soldé par le rejet de l’accord sur le Brexit. Aucun doute n’a été levé par le Royaume-Uni ; pis encore, de nombreuses incertitudes viennent aggraver une situation déjà hasardeuse.

Ce projet de loi doit permettre de préparer l’éventualité d’un Brexit sans accord. Mais, en tout état de cause, il ne permettra que de gérer cette urgence, et toutes les incertitudes ne pourront être levées.

De très nombreux points d’inquiétude subsistent, d’autant que, malgré ces mesures pour lesquelles le Gouvernement nous demande notre habilitation, malgré les efforts consentis, nous serons difficilement prêts, en cas de Brexit, le 29 mars 2019.

Dans tous les cas, le degré d’impréparation du Royaume-Uni ne manquera pas d’avoir de lourdes conséquences.

Au rang de nos inquiétudes se trouve notamment la gestion des espaces frontaliers qui voient transiter, à titre d’exemple, plus de 5,2 millions de camions chaque année. S’y ajoutent des questions concrètes pour les déplacements de nos concitoyens et des sujets britanniques, pour nos étudiants et pour nos entreprises.

En outre, la Commission européenne doit mieux prendre en compte les conséquences du Brexit sur l’organisation et les activités de nos ports maritimes. Ces derniers méritent autant son attention que les ports hollandais et belges. Je pense notamment aux ports de Cherbourg et du Havre, dont les équipements et les personnels doivent certes être renforcés, mais dont le savoir-faire n’est plus à démontrer pour absorber les flux venus d’Irlande dans les meilleures conditions possible.

Je réitère également, au nom de mon groupe, les propos tenus par mon ami Didier Marie : à nos yeux, notre travail de parlementaires est d’accompagner le Gouvernement, en lui donnant les moyens d’agir avec flexibilité et réactivité, notamment par l’outil des ordonnances. Mais cette méthode doit engager le Gouvernement à garantir la plus grande transparence, en permettant au Parlement d’exercer pleinement ses capacités de contrôle.

Sur ce dernier point, nous serons inflexibles. Le Parlement doit pouvoir contrôler avec régularité et précision toutes les actions du Gouvernement dans le processus de sortie de l’Union européenne qu’a engagé le Royaume-Uni.

Ainsi, au-delà de nos travaux en séance, nous souhaitons avoir le retour du terrain le plus direct possible, et même être en mesure d’aller à la rencontre des différents acteurs, notamment au sujet des frontières maritimes.

C’est pourquoi nous avons apprécié la rédaction proposée par l’Assemblée nationale au premier alinéa de l’article 4 ; elle exprime le souci de garantir un véritable contrôle parlementaire, aussi bien sur la préparation des ordonnances que sur la mise en œuvre des mesures décidées dans le cadre de cette procédure.

Le présent texte confère une large marge d’action au Gouvernement pour prendre des mesures dérogatoires en matière d’aménagement, d’urbanisme et de règles relatives aux commandes publiques. En contrepartie, il importe donc que les parlementaires puissent jouer un véritable rôle de contrôle et d’évaluation des mesures adoptées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant trente-sept ans, j’ai été avocat, et j’ai rarement connu des divorces heureux ; en la matière, il est donc sage de se préparer au pire, pour éviter de le subir.

En l’occurrence, nous voyons les conséquences d’un référendum dans une démocratie considérée, à juste titre, comme exemplaire depuis des siècles. Toutefois, à mon sens, il n’est pas opportun de jeter systématiquement l’opprobre sur les populistes britanniques : nous avons les mêmes chez nous – ils sont peut-être encore pires –,…

M. Jean Bizet. En effet !

M. Jacques Mézard. … et, pour ce qui nous concerne, nous devrions d’ailleurs tirer les conséquences de ce qui se passe de l’autre côté de la Manche.

Les précédents orateurs l’ont rappelé : le Parlement britannique a rejeté, mardi dernier, l’accord proposé par le Premier ministre Theresa May. Ce texte était le résultat du très bon travail accompli par M. Barnier, qui – plusieurs l’ont rappelé ici – a su maintenir l’unité de tous les autres pays européens ; il s’agissait là d’une opération très difficile. (M. le rapporteur acquiesce.)

Il faut être parfaitement clair : dans les prochains débats que nous consacrerons à cette affaire, la réciprocité ne sera pas négociable.

Au cours de son histoire, notre groupe a toujours été attaché à la construction européenne, et il ne peut voir, dans ce qui se passe, que beaucoup de dégâts, résultant de beaucoup d’irresponsabilité.

Nos deux pays ont construit un tunnel, surtout payé, d’ailleurs, par les petits actionnaires français, par lequel nous espérions arrimer la Grande-Bretagne au continent, dans le respect de sa différence. Mais, aujourd’hui, c’est un mur que l’on est en train d’ériger, et un Brexit dur serait une catastrophe pour tout le monde, pour l’Europe comme pour la Grande-Bretagne.

C’est ainsi ; et, j’y insiste, cette situation doit nous conduire à réfléchir.

Nous devons considérer à la fois les problèmes de nos concitoyens français vivant en Grande-Bretagne et ceux des Britanniques présents sur notre sol, lesquels sont, sauf exception, nos amis. Ce qui se passe est extrêmement grave.

Madame la ministre, vous avez beaucoup travaillé en amont ; le Parlement aussi, tout particulièrement le Sénat. Et, par les temps qui courent, il m’est agréable de rappeler l’utilité du Sénat ; dans une belle démocratie, il est, de toute évidence, impossible de se passer du bicamérisme.

M. Jean Bizet. Très juste !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Il est bien de le rappeler !

M. Jacques Mézard. Bien sûr, les élus de notre groupe voteront le présent texte.

Mes chers collègues, nous n’avons jamais été de grands partisans des ordonnances – j’ai eu l’occasion de le rappeler. Certes, en tant que ministre, j’ai dû y recourir, mais vous savez que je l’ai fait avec douceur, et en les réduisant au minimum. Cela étant, en la matière, il était pratiquement impossible de faire autrement.

Nous souhaitons bien évidemment que le Parlement, et le Sénat en particulier, puisse continuer à vous apporter sa réflexion et ses propositions, madame la ministre ; cela nous paraît indispensable.

J’avais eu l’occasion de dire sous le précédent quinquennat, lors des premiers débats sur le Brexit, combien il était important aussi de rappeler les liens que nous avons avec la Grande-Bretagne et de ne rien faire, de notre côté, qui puisse accentuer la fracture, tout en étant très fermes sur les conditions de négociation.

Il ne faut jamais oublier que des Grands-Bretons, comme nous disons, ont beaucoup fait pour notre pays dans les heures les plus sombres. Je ne puis ainsi jamais parler du Brexit sans avoir une pensée pour Winston Churchill, qui a tant fait pour préserver la France, même si son regard portait plutôt vers l’Amérique.

Ne l’oublions pas, et essayons de faire en sorte – je sais que telle est votre conviction, madame la ministre – que la fermeté dans la discussion soit accompagnée du respect de l’histoire. Il est nécessaire de se dire que, malgré toutes ces difficultés, nous pourrons un jour reprendre un dialogue constructif. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est dans un contexte évidemment particulier que nous procédons aujourd’hui à la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi Brexit, dont nous venons de débattre longuement.

La situation politique britannique fait en effet peser encore davantage d’incertitudes sur les conditions de la sortie de ce pays de l’Union européenne. Le scénario du no deal étant de plus en plus probable, cela justifie plus que jamais la prise de mesures d’urgence, donc l’adoption de ce texte.

Malgré le flou qui entoure cette affaire depuis son commencement, il est certain que les effets attendus d’un Brexit sans accord seront probablement graves pour l’économie, tant britannique que française et européenne.

Ainsi, dans mon département, le Nord, mais aussi dans le Pas-de-Calais et dans les territoires qui en sont proches, de très nombreuses entreprises commercent quotidiennement avec le Royaume-Uni et sont dépendantes du principe de libre circulation qui est aujourd’hui remis en cause. Je ne suis d’ailleurs pas certain – c’est un euphémisme ! – que les entreprises aient pris la juste mesure des conséquences et qu’elles soient toutes prêtes.

Il ressort également que les infrastructures routières et portuaires ne sont pas adaptées aux longues files d’attente qu’entraînera nécessairement la remise en place de contrôles douaniers et sanitaires. Or la fluidité du trafic transmanche est essentielle pour l’activité de ces entreprises, et il en va de même pour des milliers d’entreprises ailleurs en France, tout comme chez nos voisins continentaux.

Nos collectivités et nos entreprises ne pourront pas seules faire face à un changement aussi radical et brutal. L’État et les autorités européennes doivent les accompagner et les protéger.

Le Brexit n’affectera pas seulement notre économie : il impactera aussi les droits de nos citoyens établis outre-Manche, la fonction publique, les étudiants en mobilité, et bien d’autres domaines encore. Le projet de loi a justement pour objet de répondre à ces enjeux, et le Gouvernement entend pour cela procéder selon un principe général de réciprocité. Si cette approche est légitime et indispensable, l’absence d’indications de la part de nos partenaires britanniques sur leurs intentions limite nécessairement sa mise en œuvre.

En clair, le problème est que ni le Parlement britannique ni l’opinion britannique ne savent réellement ce qu’ils veulent. C’est d’ailleurs une leçon sur les dangers des consultations populaires improvisées : il est plus facile de construire des majorités contre que des majorités pour. C’est à méditer, alors même que le référendum d’initiative citoyenne, le RIC, surgit dans le débat politique français.

David Cameron a voulu jouer au plus malin, et tel le rat avec l’huître dans les fables de La Fontaine, « tel est pris qui croyait prendre ». Dans la presse de ce matin, il a dit qu’il ne regrettait rien. Que diable, un peu d’humilité ferait du bien ! Je crois que David Cameron, tout comme le référendum en Angleterre, est hors-jeu pour longtemps, voire pour toujours. Tant mieux ! N’est pas Churchill qui veut…

Compte tenu de cette situation de confusion, je veux saluer le travail constructif des deux assemblées. Le Parlement n’est évidemment, cela a été dit, que rarement favorable a priori au recours aux ordonnances. Nous reconnaissons cependant que cette méthode est la plus adaptée pour faire face à l’urgence de la situation. Je pense notamment aux procédures d’urgence en matière d’urbanisme et à beaucoup d’autres encore.

La commission mixte paritaire a abouti à un texte équilibré, à même de permettre au Gouvernement de remplir pleinement ses objectifs pour limiter l’impact du no deal tout en bénéficiant des apports du Parlement. Je veux, à ce stade, saluer le travail du rapporteur Ladislas Poniatowski et le remercier à la fois de l’ambiance qui a régné parmi nous et des conclusions qui ont été rendues. Cette commission a constitué, pour le jeune sénateur que je suis, un moment d’apprentissage assez précieux.

Le groupe Union Centriste restera très attentif à la mise en œuvre des ordonnances prévues par le projet de loi, dans le respect des compétences du Gouvernement et du Parlement. Nous qui sommes des partisans de la belle et grande idée européenne, nous veillerons à ce que les intérêts de notre pays comme ceux de l’Union européenne soient préservés au mieux, dans le respect d’un partenaire historique de première importance. (M. Jean Bizet applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « les bons Européens sont ceux qui savent identifier les difficultés, essaient de les résoudre et ne se laissent jamais décourager ». Il nous revient plus que jamais de suivre cette phrase de Paul-Henri Spaak et de ne pas nous décourager face à la décision radicale prise mardi par la Chambre des communes britannique.

Le Royaume-Uni semble en effet avoir décidé de mettre fin de façon désordonnée à ses quarante-six ans d’appartenance à l’Union européenne, en rejetant un texte négocié durant plus de dix-sept mois ; je tiens, à cet égard, à saluer l’excellent travail mené par Michel Barnier. Ce rejet plonge le Royaume-Uni et l’Union européenne dans un état d’incertitude inédit.

Pourtant, en décembre dernier, Theresa May a réussi à repousser le vote dans l’espoir de parvenir à un accord avec les députés ou d’arracher une concession à Bruxelles. Échec des deux côtés. Or, en parallèle, l’horloge continue de tourner, la date du Brexit se rapproche : soixante-dix jours pour éviter de rompre dans le chaos et l’urgence. Les semaines à venir s’annoncent, à la fois, décisives et terriblement incertaines.

À l’heure du premier bilan, il est difficile d’évaluer la performance de Theresa May. Force est de constater que, en dépit d’élections anticipées catastrophiques, des démissions en série, des confrontations défavorables à Bruxelles, des revirements récurrents et des fausses informations répandues sur les réseaux sociaux, Theresa May a su faire preuve d’une capacité de résilience peu commune. On ne peut que l’admirer pour cela.

Comment ne pas en vouloir à cette classe politique britannique, première responsable de cette faillite collective, à commencer par le parti conservateur, qui risque de précipiter tout le Royaume-Uni dans un Brexit sans accord dont personne ne voulait ? Et que dire de cette coalition baroque regroupant les eurosceptiques et européistes irréductibles, les Écossais indépendantistes et les Nord-Irlandais unionistes, des conservateurs et des travaillistes, réunis pour s’opposer à un accord pour des raisons bien différentes les unes des autres ?

Dès lors, que faire ? Plusieurs hypothèses sont sur la table : renégociation de l’accord, nouveau référendum, élections anticipées, hard Brexit, Brexit sous conditions, motion de défiance… Certains évoquent même un report de la date du 29 mars, avec des conséquences ubuesques sur les élections européennes du 26 mai.

Il est consternant de constater que l’Europe est totalement impuissante et dépendante de la dynamique politique anglaise, alors même que les Européens ont multiplié les efforts et les signaux, y compris pour rassurer les Anglais sur le backstop irlandais.

Il convient de ne pas oublier que ce projet d’accord, froidement rejeté par le Royaume-Uni, s’inscrit à bien des égards dans une perspective plus large, celle de la construction d’une relation future entre les Européens et les Britanniques.

La France devra œuvrer avec ses partenaires européens, en maintenant l’unité et la solidarité des Vingt-Sept, pour trouver rapidement des solutions communes et pérennes. Le Royaume-Uni est et doit rester, d’une façon ou d’une autre, un partenaire de la France et de l’Europe.

Nous devons aller de l’avant, assurer cette continuité, mais aussi penser à l’avenir de l’Union européenne à vingt-sept, ainsi qu’à nos concitoyens, et veiller à répondre au mieux à leurs attentes.

De plus en plus d’hommes et de femmes sur notre continent ont le sentiment de ne pas être écoutés par une Europe qui se ferait sans eux. Les élections européennes de mai prochain, perturbées par le Brexit, ne doivent pas devenir une occasion ratée de faire vivre notre démocratie européenne.

Pour cela, il faut tout d’abord sécuriser les relations avec le Royaume-Uni, en prenant rapidement les mesures d’urgence nécessaires.

Déjà, les États membres commencent à prendre des mesures pour éviter tout vide juridique en cas de no deal : la Commission européenne a sorti en décembre un plan d’action d’urgence comprenant quatorze mesures pour éviter que ce scénario catastrophe ne heurte trop ses intérêts « vitaux », ceux de ses 450 millions de citoyens et de ses dizaines de milliers d’entreprises. Mais, nous le savons, c’est loin d’être suffisant.

Ce projet de loi, qui prévoit la mise en œuvre d’ordonnances en France, n’est sûrement pas la panacée. Toutefois, il permet de répondre dans l’urgence à un no deal et de préserver les intérêts des citoyens et des entreprises. Il permettra d’éviter que les 150 000 ressortissants anglais en France n’aient plus le droit de séjourner, que des avions ne soient cloués au sol ou que des médicaments ne puissent plus arriver jusqu’aux Britanniques, et de la même façon jusqu’en France, aggravant ainsi de part et d’autre le problème de la pénurie de médicaments.

Madame la ministre, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires espèrent que le Gouvernement n’aura pas à prendre ces ordonnances. Cela signifierait l’échec des négociations et une rupture forte avec ce partenaire essentiel.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Colette Mélot. Toutefois, il faut bien admettre qu’il s’agit d’une option dont la probabilité d’application vient de faire un bond considérable en moins de quarante-huit heures. Comme vous l’avez dit, madame la ministre, il vaut mieux un no deal qu’un mauvais deal

Nous voterons, bien entendu, en faveur de ce texte tel qu’il a été amendé par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises lors de l’examen de ce projet de loi en première lecture, les parlementaires apprécient généralement peu le recours aux ordonnances.

À cette occasion, nous avions néanmoins largement estimé sur ces travées que la grande incertitude sur le devenir de l’accord de retrait entre l’Union et le Royaume-Uni permettait de justifier cette solution, en réalité la seule possible pour permettre au Gouvernement d’adopter, dans l’urgence, les mesures qui s’imposent afin de limiter les effets néfastes du Brexit, tout particulièrement en cas d’absence d’accord.

Justement, le rejet mardi soir par la Chambre des communes de l’accord de retrait et de la déclaration politique sur les futures relations euro-britanniques a en quelque sorte « accéléré » cette urgence. Désormais, le retrait sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne au 29 mars est, sinon une certitude, tout au moins une véritable possibilité.

Le scénario catastrophe du no deal tant redouté, souvent décrit au Royaume-Uni comme un « saut de la falaise », a en effet pris davantage corps avec le vote du Parlement britannique. Or l’échéance du Brexit interviendra, sauf retournement de situation, dans à peine un peu plus de soixante-dix jours, c’est-à-dire demain.

Les conséquences d’une sortie sans accord seraient innombrables au niveau tant économique, juridique, financier sécuritaire que géostratégique, ou encore, ne l’oublions pas, humain. Elles restent difficiles à appréhender avec précision, mais il est évident qu’elles seraient absolument considérables, pour Londres en premier lieu, mais aussi pour l’Europe dans son ensemble et la France en particulier, seul pays, je le rappelle, à partager une frontière terrestre, bien que celle-ci soit souterraine, avec le Royaume-Uni.

Sans période de transition pour installer la future relation, la rupture serait brutale et aucune mesure de préparation ne permettrait dans ce contexte un Brexit indolore pour l’économie européenne et nationale.

Toutefois, il est fondamental que tout ce qui peut être fait pour amortir autant que possible le choc soit entrepris sans délai. L’Union européenne a récemment accéléré ses travaux en la matière et finalise en ce moment même plusieurs mesures de contingence dans ses domaines de compétence. Le niveau national doit naturellement faire de même dans les siens.

C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera bien évidemment en faveur de ce projet de loi, que l’excellent travail de notre rapporteur Ladislas Poniatowski, très largement repris par les conclusions de la commission mixte paritaire, a par ailleurs permis d’améliorer à plusieurs points de vue.

Madame la ministre, permettez-moi de rappeler à cette tribune une évidence : l’adoption aujourd’hui de ce projet de loi n’est en rien un aboutissement, bien au contraire. Je n’ose pas dire qu’il s’agit d’un point de départ, puisque certains pans de la préparation au Brexit ont déjà été lancés ; il s’agit plutôt d’un feu vert du Parlement qui doit permettre au Gouvernement, grâce à ces ordonnances, de déployer tous les moyens et d’entreprendre toutes les actions nécessaires.

Je pense bien sûr en premier lieu aux investissements, à la fois humains et matériels, indispensables pour redimensionner et adapter nos systèmes de contrôles douaniers à la nouvelle réalité, notamment dans le domaine sanitaire et phytosanitaire.

Il y a encore quelques semaines, notre pays semblait en retard dans ses préparatifs administratifs par rapport à d’autres États comme la Belgique ou les Pays-Bas, ce qui pourrait avoir, pour les régions bordant la Manche et la mer du Nord, des conséquences aussi fâcheuses qu’immédiates en matière de captation de flux commerciaux. Or il est essentiel qu’un éventuel défaut d’adaptation de nos structures, notamment portuaires, n’en vienne pas à constituer un nouveau désavantage compétitif par rapport à nos voisins, qui sont également nos concurrents.

À ce titre, le Royaume-Uni a récemment alloué 2 milliards de livres à la préparation d’une sortie sans accord, portant à plus de 4 milliards de livres les fonds destinés aux préparatifs en vue du Brexit depuis 2016. Madame la ministre, pouvez-vous nous livrer une estimation des moyens budgétaires qui seront mobilisés à l’échelon national pour faire face à la nouvelle situation ?

Par ailleurs, des efforts considérables devront également être fournis pour mettre en place un accompagnement d’urgence auprès de nos entreprises, qui, pour beaucoup, auront de grandes difficultés à gérer simultanément l’augmentation des droits de douane à venir et l’éventuel changement dans la nature juridique des relations entre l’Europe et le Royaume-Uni. En effet, celles-ci pourraient être bientôt régies par les seules règles de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, et non plus celles du marché unique.

Or les récentes déclarations du président du MEDEF International sur l’état de préparation des entreprises françaises sont particulièrement inquiétantes et laissent entrevoir de nombreuses complications.

Je le répète, mon groupe soutiendra ce texte qui, malgré les précisions utiles apportées lors de son examen parlementaire, propose toujours des habilitations de portée très générale.

C’est pourquoi dans la période tumultueuse qui s’annonce, et pour reprendre la nouvelle rédaction de l’article 4, nous resterons particulièrement attentifs à demeurer informés sans délai et de manière circonstanciée des mesures prises par le Gouvernement dans le cadre des ordonnances, et souhaitons être informés de manière régulière de leur état de préparation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte.

projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l’union européenne

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne
Article 2

Article 1er

I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi pour tirer les conséquences d’un retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord conclu conformément à l’article 50 du traité sur l’Union européenne, en matière :

1° De droit d’entrée et de séjour des ressortissants britanniques en France ;

2° D’emploi des ressortissants britanniques exerçant légalement à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne une activité professionnelle salariée en France ;

3° D’exercice, par une personne physique ou morale exerçant légalement à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, d’une activité ou d’une profession dont l’accès ou l’exercice sont subordonnés au respect de conditions. Les qualifications professionnelles et l’expérience professionnelle acquises au Royaume-Uni sont immédiatement reconnues dès lors que les titulaires de celles-ci exercent leur activité en France à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ;

4° De règles applicables à la situation des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique de nationalité britannique ;

5° D’application aux ressortissants britanniques résidant légalement en France à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne de la législation relative aux droits sociaux et aux prestations sociales ;

6° De contrôle sur les marchandises et passagers à destination et en provenance du Royaume-Uni et de contrôle vétérinaire et phytosanitaire à l’importation en provenance du Royaume-Uni ;

7° De réalisation d’opérations de transport routier de marchandises ou de personnes sur le territoire français, y compris en transit, par des personnes physiques ou morales établies au Royaume-Uni.

Dans les conditions prévues au premier alinéa du présent I, le Gouvernement est également habilité à prendre toute autre mesure relevant du domaine de la loi nécessaire au traitement de la situation des ressortissants britanniques résidant en France ou y exerçant une activité ainsi que des personnes morales établies au Royaume-Uni et exerçant une activité en France afin de préserver les intérêts de la France.

II. – Les ordonnances prévues au I visent, dans l’attente, le cas échéant, de traités ou d’accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni, à tirer les conséquences de l’absence d’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, en définissant les conditions :

1° Du maintien en France des ressortissants britanniques résidant légalement sur le territoire national au moment du retrait du Royaume-Uni ;

2° De la poursuite sur le territoire français des activités économiques liées au Royaume-Uni, en veillant à préserver l’attractivité du territoire français pour les ressortissants britanniques appelés à exercer une activité professionnelle au sein d’entreprises ayant fait le choix de se déployer en France ;

2° bis Du maintien des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique de nationalité britannique recrutés avant la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, dans les conditions de statut et d’emploi qui sont les leurs sans qu’une condition de nationalité ne puisse leur être opposée ;

3° De la poursuite des flux de marchandises et de personnes à destination et en provenance du Royaume-Uni, en veillant à la garantie d’un niveau élevé de sécurité en France, y compris dans le domaine sanitaire ;

4° et 5° (Supprimés)

Ces ordonnances peuvent prévoir des adaptations de la législation de droit commun ou des dérogations, ainsi que des procédures administratives simplifiées et des délais de régularisation pour les personnes morales ou physiques concernées.

Ces ordonnances peuvent prévoir que les mesures accordant aux ressortissants britanniques ou aux personnes morales établies au Royaume-Uni un traitement plus favorable que celui des ressortissants de pays tiers ou de personnes morales établies dans des pays tiers cesseront de produire effet si le Royaume-Uni n’accorde pas un traitement équivalent.

III. – Les ordonnances prévues au présent article sont prises dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi.

Article 1er
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Article 3

Article 2

I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi pour tirer les conséquences d’un retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord conclu conformément à l’article 50 du traité sur l’Union européenne, en ce qui concerne :

1° La prise en compte, pour l’ouverture et la détermination des droits sociaux, des périodes d’assurance, d’activités ou de formation professionnelle exercées ou effectuées au Royaume-Uni jusqu’à six mois après la date de son retrait de l’Union européenne ;

2° La prise en compte des diplômes et des qualifications professionnelles acquis ou en cours d’acquisition au Royaume-Uni jusqu’à cinq ans après la date de son retrait de l’Union européenne et de l’expérience professionnelle acquise au Royaume-Uni à la date du retrait ;

3° La poursuite par les bénéficiaires de licences et d’autorisations de transfert de produits et matériels à destination du Royaume-Uni, délivrées en application des articles L. 2335-10 et L. 2335-18 du code de la défense avant la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, de la fourniture de ces produits et matériels jusqu’à l’expiration du terme fixé par ces licences et autorisations ;

4° L’accès des entités françaises aux systèmes de règlement interbancaire et de règlement livraison des pays tiers, dont le Royaume-Uni, en assurant le caractère définitif des règlements effectués au moyen de ces systèmes, la désignation d’une autorité compétente pour la supervision des activités liées à la titrisation, l’introduction de règles spécifiques pour la gestion de placements collectifs dont l’actif respecte des ratios d’investissement dans des entités européennes, la continuité de l’utilisation des conventions– cadres en matière de services financiers et la sécurisation des conditions d’exécution des contrats conclus antérieurement à la perte de la reconnaissance des agréments des entités britanniques en France ;

5° La continuité des flux de transport de passagers et de marchandises entre la France et le Royaume-Uni à travers le tunnel sous la Manche en vue d’assurer le respect par la France de ses engagements en tant que concédant du tunnel sous la Manche.

II. – Les ordonnances prévues au I visent, dans l’attente, le cas échéant, de traités ou d’accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni, à :

1° Préserver la situation des ressortissants français et des autres personnes auxquelles le droit de l’Union européenne interdit de réserver un traitement différent, dans les champs mentionnés aux 1° et 2° du même I ;

2° Préserver les intérêts de la France.

III. – Les ordonnances prévues au présent article sont prises dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi.

Article 2
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Article 4 (début)

Article 3

I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi rendues nécessaires par le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, afin de prévoir le régime procédural simplifié et temporaire applicable aux travaux en vue de la construction ou de l’aménagement en urgence de locaux, installations ou infrastructures portuaires, ferroviaires, aéroportuaires et routiers requis par le rétablissement des contrôles des marchandises et des passagers à destination ou en provenance du Royaume-Uni.

Les ordonnances prévues au présent article peuvent rendre applicables aux opérations mentionnées au premier alinéa du présent I directement liées à l’organisation de ces contrôles des adaptations ou des dérogations, y compris en matière d’aménagement, d’urbanisme, d’expropriation pour cause d’utilité publique, de préservation du patrimoine, de voirie et de transports, de domanialité publique, de commande publique, de règles applicables aux ports maritimes, de participation du public et d’évaluation environnementale, afin de les adapter à l’urgence de ces opérations.

II. – Les ordonnances prévues au présent article sont prises dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi.

Article 3
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Article 4 (fin)

Article 4

L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai et de manière circonstanciée des mesures prises par le Gouvernement dans le cadre des ordonnances prises en application de la présente loi. Ils sont également informés de manière régulière de leur état de préparation et peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.

Pour chacune des ordonnances prévues aux articles 1er à 3, un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de sa publication.

M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…

Le vote est réservé.

Vote sur l’ensemble

M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

Article 4 (début)
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7

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 22 janvier 2019 :

À neuf heures trente : questions orales.

À quatorze heures trente :

Proposition de résolution en application de l’article 73 quinquies du règlement, sur l’appui de l’Union européenne à la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en Irak, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (n° 156, 2018‑2019).

Explications de vote puis vote sur la proposition de loi organique tendant à actualiser les dispositions applicables aux élections organisées à l’étranger, présentée par M. Christophe-André Frassa et plusieurs de ses collègues (n° 58, 2018‑2019) et sur la proposition de loi tendant à améliorer le régime électoral des instances représentatives des Français établis hors de France et les conditions d’exercice des mandats électoraux de leurs membres, présentée par M. Christophe-André Frassa et plusieurs de ses collègues (n° 57, 2018‑2019).

À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.

À dix-sept heures quarante-cinq et, éventuellement, le soir :

Éventuellement, suite de l’explication de vote puis vote sur la proposition de loi organique tendant à actualiser les dispositions applicables aux élections organisées à l’étranger, présentée par M. Christophe-André Frassa et plusieurs de ses collègues (n° 58, 2018-2019) et sur la proposition de loi tendant à améliorer le régime électoral des instances représentatives des Français établis hors de France et les conditions d’exercice des mandats électoraux de leurs membres, présentée par M. Christophe-André Frassa et plusieurs de ses collègues (n° 57, 2018‑2019).

Proposition de loi relative aux articles 91 et 121 de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 242, 2018‑2019).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)

Direction des comptes rendus

ÉTIENNE BOULENGER