M. Philippe Dallier. J’espère, parce que les outils sans argent…

Mme Élisabeth Borne, ministre. Une boîte à outils, cela veut dire que l’on facilite et que l’on aide financièrement les élus qui veulent mettre en place des solutions de covoiturage, des véhicules électriques en libre-service ou du transport à la demande.

Nous avons d’ores et déjà prévu de mobiliser 500 millions d’euros durant le quinquennat au travers de la dotation de soutien à l’investissement local, pour soutenir financièrement ce type de projets concrets. Cela n’est pas assez connu, et j’invite les élus à s’en saisir dans les territoires, en liaison avec les préfets : l’État est bien là.

Pour apporter les meilleures réponses à la diversité des besoins, nous pouvons compter sur le formidable potentiel offert par l’innovation. La loi portera l’ouverture des données en temps réel des offres de mobilité pour voir émerger de nouveaux services porte-à-porte.

Autre élément essentiel : l’accès aux services de vente. C’est la condition nécessaire à l’émergence de services intégrés de mobilité. Nous devons encore trouver un bon équilibre entre la mission des autorités organisatrices et les initiatives des acteurs économiques.

La loi donnera également tous les outils nécessaires pour accompagner le développement de l’autopartage, le transport à la demande ou le covoiturage, avec de nouveaux leviers, en vue de permettre leur déploiement ou encore, très prochainement, la mise en service de navettes autonomes. Ces innovations ne doivent pas être l’apanage des grandes villes, mais elles doivent profiter à tous dans tous les territoires.

La méthode à laquelle je crois, c’est un cadre normatif adapté et une impulsion. C’est tout l’objet de la démarche France Mobilités : elle permet le développement et la diffusion de ces innovations par l’accompagnement et la mise en relation des territoires et des porteurs de solutions.

Les projets soutenus sont d’une remarquable diversité. Je vous invite d’ailleurs à relayer les soixante-dix projets nés dans vos territoires, car ils sont une illustration opérationnelle de cette « intelligence des territoires » à laquelle le Sénat est, je le sais, attaché. Je lancerai prochainement une plateforme en ligne, France Mobilités, pour mieux les faire connaître.

Ne soyons pas naïfs ! Ces innovations posent aussi un certain nombre de défis, qui nécessitent une régulation adaptée. Je pense notamment aux nouveaux services de mobilités en libre-service et au nécessaire cadre de protection pour les travailleurs de cette nouvelle économie. Ce sont des sujets importants, et nous aurons à en débattre.

Ne soyons pas non plus attentistes ! Nous devons avoir en permanence un temps d’avance. C’est pourquoi nous proposons une habilitation portant sur l’expérimentation dans le monde rural. Celle-ci permettra d’avoir un cadre pour imaginer et tester de nouveaux services entre particuliers en expérimentant, par exemple, l’assouplissement de certaines règles liées au covoiturage, sans prendre le risque de créer une concurrence déloyale vis-à-vis des professionnels.

Je dirai un mot sur les ordonnances.

Je sais que les commissions se sont émues du nombre d’ordonnances. Les rapporteurs pourront en témoigner, nous avons partagé les textes qui étaient d’ores et déjà disponibles. Le choix de passer par ordonnances s’explique principalement par le niveau de technicité, qui aurait eu pour conséquence d’alourdir considérablement la loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons prendre une autre révolution à bras-le-corps, celle de la transition écologique : elle est une chance, pour que nous changions durablement notre façon de nous déplacer.

Le projet de loi s’inscrit dans l’agenda ambitieux de l’accord de Paris et du plan Climat. Il fixe des objectifs clairs, progressifs, partagés, qui permettent à tous d’anticiper et d’être acteurs de la transition. Il prévoit des mesures d’accompagnement concrètes afin que cette transition ne laisse personne sur le bord de la route.

Des transports plus économes, c’est un impératif pour la planète, c’est aussi une opportunité pour nos concitoyens. C’est en ce sens que nous proposons des dispositifs de soutien aux usages vertueux. Je pense au « forfait mobilités durables » pour permettre aux employeurs de soutenir le covoiturage et le vélo. Je pense aussi à la conversion des parcs, avec, notamment, la prime à la conversion ou le soutien au déploiement des infrastructures de recharge et d’avitaillement. Je vous propose aussi des mesures fortes pour développer les mobilités actives. Je suis heureuse de voir que l’impulsion du plan Vélo a bien été relayée par votre commission, avec des apports nécessitant peut-être quelques ajustements, mais ceux-ci vont dans le bon sens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, ce texte a pour ambition d’apporter des réponses au plus près des besoins. Cela rejoint pleinement ce qui s’est exprimé dans le grand débat, dont je tire trois enseignements.

Premier enseignement : nos concitoyens ont besoin de solutions « sur mesure ». Aussi, nous travaillons avec Muriel Pénicaud, Jacqueline Gourault, les partenaires sociaux et les associations d’élus pour renforcer le « forfait mobilités ». Les discussions avancent, et je souhaite que nous aboutissions dans les prochaines semaines, afin de rendre ce forfait systématique, voire obligatoire.

De la même façon, la prime à la conversion doit être complétée. Pour certains de nos concitoyens, le reste à charge est encore trop élevé et ne permet pas de franchir le pas. Je suis favorable à des solutions de microcrédits ou de location longue durée ; nous y travaillons avec ma collègue Christelle Dubos.

Deuxième enseignement : la proximité et la subsidiarité. Plus personne ne comprend que les décisions doivent systématiquement remonter à Paris. Tel est bien l’esprit du projet de loi. Aussi, je vous propose d’aller plus loin sur un sujet qui vous est cher, celui des petites lignes ferroviaires.

Ces lignes, qui n’ont de « petites » que le nom, ont été les grandes sacrifiées de notre réseau ferroviaire pendant des décennies et elles accusent aujourd’hui un retard en termes d’investissement, que nous devons rattraper. Avec la réforme ferroviaire, nous avons engagé un effort sans précédent dans la régénération du réseau et nous avons confirmé les engagements de l’État dans les contrats de plan État-région. Mais nous devons faire mieux, en engageant un plan de bataille région par région pour redonner un avenir aux petites lignes.

Sans attendre les conclusions de la mission que j’ai confiée au préfet Philizot, j’ai souhaité répondre à la demande exprimée par plusieurs régions de gérer directement certaines de ces lignes. Pourquoi s’y opposer au moment où le pays aspire à davantage de proximité ? Tel est le sens de l’amendement que le Gouvernement a déposé.

Ce que je retiens aussi des attentes exprimées par les territoires, c’est la nécessité de recréer de la confiance dans la parole publique et, plus particulièrement, dans les engagements de l’État. Telle est l’ambition de la programmation des infrastructures.

Cette programmation, c’est d’abord le fruit d’un travail exigeant et reconnu, celui du Conseil d’orientation des infrastructures, dont je veux de nouveau saluer ici les membres siégeant ou ayant siégé sur ces travées : le président Maurey, le sénateur Dagbert et votre ancien collègue Gérard Cornu.

Cette programmation, c’est également le fruit de choix difficiles et assumés pour mettre fin à des décennies de promesses non tenues ; j’ai déjà eu l’occasion de les présenter dans cet hémicycle lors des débats que vous avez utilement engagés.

Votre commission a fait le choix d’en faire le premier titre de la loi. Je le déplore, car je considère que cette première place revient aux collectivités, qui seront, demain, les plus à même d’apporter les solutions concrètes que nos concitoyens attendent. De plus, pendant trop longtemps, les infrastructures ont été l’alpha et l’oméga de notre politique des transports. Toutefois, pour la clarté des débats, je ne proposerai pas, à ce stade, de revenir sur ce choix.

Cette programmation, c’est une forte augmentation des investissements de l’État, avec 13,4 milliards d’euros sur cinq ans, soit 40 % de plus qu’au cours du dernier quinquennat. Elle est le contraire d’une liste de grands projets. Elle consacre la priorité donnée aux transports du quotidien avec cinq grands programmes prioritaires : l’entretien et la modernisation des réseaux existants ; la désaturation des grands nœuds ferroviaires ; l’accélération du désenclavement routier des villes moyennes et des territoires ruraux ; le développement de l’usage des mobilités propres, partagées et actives ; le soutien au report modal dans le transport de marchandises.

Au sein des grands projets, priorité est donnée aux opérations concourant d’abord à l’amélioration des déplacements du quotidien. Le choix et le calendrier des projets qui seront financés ont été pris en concertation et sont cohérents. Je ne peux donc que vous mettre en garde contre la tentation d’ajouter tel ou tel projet à la liste, sans conserver la cohérence des enveloppes globales.

Cette programmation, c’est un cap clair que je vous propose de partager, une vision sur dix ans, déclinée en priorités.

J’ai entendu, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, les interrogations, voire les inquiétudes concernant le financement de cette programmation et, plus largement, de ce texte ; je veux y répondre.

Sur la forme, tout d’abord : vous le savez, les financements n’ont pas vocation à figurer dans cette loi, car il ne s’agit pas d’une loi de finances. En cela, ce projet de loi ne diffère pas des autres exercices de programmation auxquels vous êtes habitués. Je pense à la loi de programmation militaire que vous avez adoptée.

Sur le fond, ensuite : pour l’exercice 2019, l’État est bien au rendez-vous. Je me félicite que, malgré une situation conjoncturelle compliquée, le budget de l’Afitf, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, ait été adopté en hausse de 10 % par rapport à 2018. Pour l’année 2020 et les années suivantes, la question du financement reste en débat. Vous le savez, nous aurons à dégager 500 millions d’euros supplémentaires par an à partir de l’an prochain.

Sur ce sujet, qui, je le sais, suscite beaucoup d’intérêt, nombre de nos concitoyens ne comprennent pas que des files de camions traversent notre pays sans faire le plein en France et donc sans contribuer au financement de nos infrastructures. C’est un sentiment que je partage, et leur contribution me paraît être une piste légitime. Mais nous n’arrêterons aucune décision en la matière avant d’avoir étudié toutes les propositions issues du grand débat.

M. Jean-François Husson. Il faudrait suspendre les travaux ! (Sourires.)

Mme Élisabeth Borne, ministre. Se pose également la question des ressources disponibles pour les collectivités ne mettant pas en œuvre des services réguliers ou dont le potentiel fiscal est insuffisant.

Votre commission a fait le choix d’introduire dans ce texte des dispositifs de financement. Cela me semble prématuré, car de nombreuses questions sont ouvertes.

Le versement mobilité à 0,3 %, introduit en commission, est un prélèvement complexe à mettre en œuvre ; ce n’est peut-être pas la meilleure réponse. D’autres options sont possibles, je pense notamment à la CFE. De même, nous devons continuer à travailler sur les mécanismes de solidarité pour les collectivités les plus fragiles. Mais je veux l’exprimer clairement devant vous : pas de prise de compétence sans ressources adaptées. Dans les deux cas, il y a donc un engagement du Gouvernement à trouver des réponses qui auront leur place dans la réforme de la fiscalité locale. Surtout, et sans attendre ces échéances, l’État mobilise d’ores et déjà de nombreux leviers pour accompagner les initiatives locales, qu’il s’agisse des appels à projets de l’Ademe, des certificats d’économies d’énergie – 60 millions d’euros ont été mobilisés en faveur du vélo au cours des derniers mois – ou encore, comme je l’ai déjà évoqué, de la dotation de soutien à l’investissement local, à hauteur de 100 millions d’euros par an.

Nous aurons ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs, et je m’en réjouis.

Avant de conclure, je voudrais signaler que le projet de loi comporte des dispositions sur le cadre social pour accompagner l’ouverture à la concurrence des transports urbains franciliens, votée voilà dix ans. À l’issue d’une cinquantaine de réunions de concertation menées avec les organisations syndicales représentatives, dont je tiens à souligner l’esprit de responsabilité, les employeurs et, naturellement, l’autorité organisatrice Île-de-France Mobilités, le Gouvernement a déposé une série d’amendements visant à préciser les garanties sociales conservées par les salariés de la RATP en cas de transfert.

Mesdames, messieurs les sénateurs, votre regard et l’expérience qui est la vôtre des collectivités locales seront précieux pour enrichir ce texte.

Je mesure le travail accompli en commission, et je me réjouis que l’équilibre général du texte en sorte conforté. Je souhaite remercier le rapporteur pour la qualité des échanges que nous avons eus et l’approche constructive qu’il a adoptée, avec le soutien de l’ensemble des membres de la commission et du rapporteur pour avis.

Vous l’aurez compris, ce projet de loi, construit dans la concertation, s’adresse en premier lieu aux territoires et a pour vocation de répondre aux grands enjeux de la mobilité d’aujourd’hui et de demain, au service de tous et de tous les territoires. Il est de notre devoir à tous de répondre à cette fracture territoriale et sociale, devenue insupportable pour nos concitoyens. Les ambitions sont claires et, je crois, partagées. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – Mme Fabienne Keller applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Mandelli, rapporteur de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous allons examiner durant les deux prochaines semaines est très attendu.

Depuis la fin des Assises nationales de la mobilité en 2017, les acteurs de la mobilité appellent au développement de nouvelles offres de transports. Les collectivités territoriales attendent, elles, une meilleure gouvernance et une sécurisation de ce développement. Surtout, de très nombreux Français réclament de vrais changements. Ils sont des millions dans ce cas. Ce sont ceux qui vivent dans ce que vous appelez à juste titre, madame la ministre, les « zones blanches de la mobilité » – on les nomme aussi les « assignés à résidence ». Ce sont ceux qui vivent au quotidien les inégalités en matière de transport, condamnés à prendre leur voiture pour aller travailler, faute de moyens ou d’alternatives existantes.

Ces Français subissent aujourd’hui une « double peine », puisqu’ils paient à la pompe des taxes qui ne servent même plus à financer la remise en état de nos routes et le développement d’alternatives à la voiture individuelle. Ils ont moins de moyens, moins de choix et ils payent toujours plus !

M. André Reichardt. Et ils roulent moins vite !

M. Didier Mandelli, rapporteur. C’est l’un des éléments déclencheurs de la crise qui n’en finit pas de secouer notre pays.

L’équation est simple à énoncer, mais difficile à résoudre : comment faire pour que la révolution des mobilités soit, non pas une machine de plus à créer des gagnants et des perdants, mais, au contraire, une machine à « désenclaver » ?

Un grand nombre de mesures de votre projet de loi vont dans le bon sens : meilleure gouvernance, soutien au développement des mobilités propres, plus grande sécurité dans nos réseaux de transport. Les acteurs que nous avons rencontrés nous ont tous dit qu’ils avaient été largement associés à la construction de texte, même si beaucoup de sujets ont disparu au fil des arbitrages successifs de Bercy et de Matignon. Mais, au-delà de ces avancées, subsiste malheureusement une faiblesse majeure qui compromet l’efficacité des mesures proposées : je parle évidemment de l’absence de moyens à la hauteur des enjeux.

Certes, comme vous le répétez souvent, ce projet de loi n’est pas un projet de loi de finances et, effectivement, on peut le voir comme une boîte à outils. Mais combien de sujets ont été renvoyés, au cours des derniers mois, à l’examen de ce texte ? Et comment pourrait-on passer sous silence les 28 milliards d’euros d’investissement de l’État prévus dans le secteur des transports pour les dix prochaines années ?

Vous demandez aujourd’hui à notre assemblée de voter une trajectoire financière de dépenses, alors que les ressources prévues ne sont ni suffisantes, ni stabilisées, ni même, pour certaines, encore connues. En effet, il apparaît clairement que cette programmation suppose, non seulement une ressource complémentaire, que vous estimez à 500 millions d’euros, mais également un niveau de recettes provenant des amendes radars défiant toute crédibilité, afin de compenser la baisse prévisionnelle annoncée de la part des taxes sur les carburants affectée au financement des infrastructures, qui devrait chuter de 1,1 milliard d’euros, aujourd’hui, à 526 millions d’euros en 2022.

Face à ce constat, et avec le peu de marges de manœuvre dont nous disposons, notre commission a fait des choix clairs. Elle souhaiterait que vous puissiez les entendre, afin de garantir la soutenabilité de la programmation.

Tout d’abord, elle n’a pas cédé à la facilité consistant à augmenter artificiellement les dépenses de tel ou tel programme d’investissement ou de telle ou telle priorité. Alors même que le niveau de dépenses que vous avez retenu se situe bien en deçà du scénario central préconisé par le Conseil d’orientation des infrastructures, lequel impliquait 3 milliards d’euros d’investissement par an, la commission a préféré garantir le financement de cette trajectoire, fût-elle décevante, plutôt que de tomber dans les écueils des programmations précédentes et renoncer à toute crédibilité. Nous avons également sanctuarisé les ressources de l’Afitf, afin d’asseoir la programmation sur des recettes crédibles. Porterez-vous une réforme en ce sens dans le prochain projet de loi de finances, afin que les ressources de cette agence ne reposent plus sur des recettes, par nature instables, comme les amendes radars ?

Ensuite, nous avons prévu l’affectation intégrale à l’Afitf du produit de l’augmentation de la TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, sur les véhicules et les poids lourds, décidée en 2014 pour compenser l’abandon de l’écotaxe. Une telle disposition garantirait un niveau de TICPE affectée au financement de nos infrastructures de 1,2 milliard d’euros par an. Il s’agit d’une mesure de justice, qui s’inscrit dans la perspective d’une fiscalité écologique acceptée. N’oublions pas que, en 2014, lorsque nous avons taxé les Français qui prennent leur voiture pour aller travailler et les poids lourds, c’était pour financer nos infrastructures ; or cet argent a progressivement été détourné vers le budget général, comme dans bien d’autres cas, d’ailleurs ! Comment aujourd’hui demander à nouveau 500 millions d’euros aux Français ?

L’économiste Jean Pisani-Ferry lui-même, artisan du programme économique de campagne du Président de la République, a reconnu très récemment dans une tribune le caractère régressif de la taxe carbone, qui s’est traduite par une perte importante de pouvoir d’achat, non compensée pour les classes moyennes et populaires. Pour lui, la leçon est claire : « Pour que la taxe carbone soit acceptée, il ne faut pas qu’elle rapporte à l’État. » Le produit doit en effet être intégralement redistribué pour la transition écologique et la compensation des pertes de pouvoir d’achat. Il ajoute même : « Chaque euro prélevé doit être rendu. »

Cette règle nous semble juste. C’est le choix que fait notre commission : affectons à la transition écologique dans le domaine des transports les taxes que nous prélevons déjà sur les carburants.

Sur les 17 milliards d’euros de TICPE prélevés par l’État, une somme allant de 1,6 milliard à 1,8 milliard d’euros devrait, selon nous, être fléchée vers l’entretien de nos routes et la régénération de nos réseaux. Cela représente le produit de l’augmentation de 2014, auquel il conviendrait d’ajouter, en moyenne, entre 400 millions et 600 millions d’euros dans les années à venir pour garantir la soutenabilité de votre programmation, sur la route comme sur le rail ou pour d’autres moyens de transport.

Ce principe simple permet un financement à la hauteur des ambitions. C’est pourquoi – je le dis par avance – notre commission donnera un avis défavorable à toutes les nouvelles taxes légitimement proposées par nos collègues désireux de trouver des financements pour l’Afitf.

Je veux également dire un mot sur le contrôle de la programmation financière.

Le manque de transparence sur l’affectation de la fiscalité écologique a été l’un des facteurs déclencheurs du mouvement des « gilets jaunes ». Nous avons donc souhaité prévoir un volet dédié au contrôle de la programmation. Celui-ci s’appuiera sur les travaux du Conseil d’orientation des infrastructures, que nous avons pérennisé dans la loi. En se fondant sur ces travaux, le Gouvernement présentera chaque année un rapport sur la mise en œuvre de la programmation, sachant que nous avons intégré au dispositif une révision quinquennale.

Enfin, j’évoquerai brièvement le choix de notre commission de ne pas faire figurer la liste des projets d’infrastructures dans le corps du projet de loi ou du rapport annexé, afin de respecter une logique de moyens, plutôt que de céder à la tentation de promesses non financées. Nos collègues, nombreux, qui ont déposé des amendements pour inscrire tel ou tel projet doivent néanmoins pouvoir interpeller le Gouvernement et obtenir des réponses au cours du débat.

La commission, attentive à leurs préoccupations, a introduit deux dispositifs importants : la réévaluation quinquennale des projets sous l’égide du COI et l’inscription, dans le rapport annexé, de l’objectif de répondre à terme aux calendriers ambitieux prévus par le scénario 3 établi par le Conseil. Avec cette double garantie, la commission demandera aux auteurs de ces amendements de bien vouloir les retirer.

S’agissant de la partie « loi ordinaire » du projet de loi, notre commission a donné aux collectivités, notamment les plus rurales, les moyens que la rédaction du Gouvernement ne prévoyait pas pour organiser les services de mobilité : une extension du versement mobilité aux collectivités n’organisant pas de services réguliers ; l’attribution d’une partie du produit de la TICPE aux territoires ruraux dont les ressources seraient insuffisantes ; le fléchage des certificats d’économies d’énergie vers la mobilité propre.

Madame la ministre, vous avez déposé des amendements de suppression afin de revenir sur ces avancées, mais sans rien proposer en échange. Je ne vous le cache pas, la balle était pourtant dans votre camp ! Nous aurions été prêts à envisager d’amender, pour améliorer ces dispositifs !

En matière de gouvernance, notre commission a apporté souplesse et sécurité pour les acteurs, au premier rang desquels les collectivités territoriales. Elle a notamment allongé le délai accordé aux communes pour décider du transfert de la compétence d’organisation des mobilités aux communautés de communes, ainsi que celui dont disposent les autorités organisatrices de la mobilité pour élaborer leur plan de mobilité. Elle a également prévu un nouveau cas de réversibilité pour les communautés de communes souhaitant récupérer la compétence, en commun accord avec la région. Je tiens à préciser que cette réversibilité ne sera pas possible sans l’accord express des régions – c’est important ! La commission a aussi renforcé la coordination et la concertation entre les AOM, les autorités organisatrices de mobilité, notamment via la réintroduction des contrats opérationnels de mobilité, qui avaient disparu de la version finale du projet de loi.

Concernant les nouvelles mobilités, le développement rapide des services de free floating pose un certain nombre de difficultés, notamment en termes de régulation, de sécurité et de tranquillité publiques.

Notre commission a adopté un amendement renforçant les pouvoirs des autorités organisatrices, en leur permettant de soumettre ces services à des prescriptions particulières via un régime d’autorisation préalable. Il faut bien entendu trouver un équilibre pour apporter aux collectivités le cadre juridique sécurisant qu’elles réclament – c’est une demande très forte de leur part – sans entraver le développement de ces nouveaux services. Là encore, madame la ministre, vous nous proposez de revenir à votre texte initial. Tout en reconnaissant ses faiblesses, vous ne proposez aucune alternative.

La commission a également adopté de nombreux dispositifs permettant d’améliorer les offres de mobilité dans les zones peu denses, notamment au travers du renforcement du « forfait mobilités durables » ou encore d’une meilleure modulation du tarif de raccordement aux infrastructures de recharge publique. Elle a considérablement renforcé le volet dédié aux modes de transports peu polluants, ainsi que celui qui a trait à la sécurité routière et à la sûreté dans les transports.

Je voudrais vous remercier, madame la ministre, d’avoir déposé un amendement tendant à rendre possible le transfert de la gestion de certaines petites lignes ferroviaires d’intérêt local aux collectivités territoriales, en particulier aux régions. Nos collègues avaient été nombreux à déposer des amendements, tombés en commission sous le coup de l’article 40. Nous avions exprimé fortement le souhait que vous puissiez nous présenter un dispositif en séance sur cette question importante. C’est chose faite, et je suis heureux que le Sénat puisse en débattre en toute transparence, plutôt que d’en passer par des ordonnances plus techniques.

Mes chers collègues, pour conclure, je tiens à remercier chacune et chacun d’entre vous, en particulier les membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, pour leur travail, leur coopération et leur attitude constructive tout au long de nos travaux et de la centaine d’auditions que nous avons menées.

Je remercie Mme la ministre pour la qualité et la régularité des échanges que nous avons pu avoir, le président de la commission Hervé Maurey, Françoise Gatel, rapporteur pour avis de la commission des lois, avec qui nous avons travaillé en bonne intelligence, ainsi que Benoît Huré, pour le travail qu’il a réalisé au nom de la commission des affaires européennes.

Je suis convaincu que nous aurons des débats riches et de qualité, car nous partageons tous le même objectif : en finir, une bonne fois pour toutes, avec les fractures territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Gatel, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mobilité est au cœur des enjeux de notre société. L’absence de solution de mobilité assigne à résidence, relègue socialement et professionnellement. Je vous invite d’ailleurs à lire Les Invisibles de la République de Salomé Berlioux, qui décrit comment le manque de solution de mobilité détermine tristement la perspective d’avenir de 60 % des jeunes âgés de 15 à 19 ans.

Ce projet de loi s’inscrit dans une actualité sociale très lourde, née d’un sentiment de déclassement fort et qui a explosé, si je puis dire, à l’occasion d’une augmentation du coût du carburant, en novembre dernier.

Le défi de la mobilité se double d’une formidable opportunité liée aux innovations, qui créent un bouleversement inédit depuis l’émergence de la voiture individuelle.

La commission des lois a fait le choix de se concentrer sur les dispositions relevant strictement de sa compétence, laissant à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable l’initiative de se prononcer sur les autres sujets. La saisine de la commission des lois concernait donc 16 articles, couvrant cinq thématiques : la définition et la répartition des compétences des collectivités territoriales et de leurs groupements, la protection des données personnelles, la sécurité routière, le droit pénal et la sûreté dans les transports, la domanialité et la commande publiques.

Ce sont 24 amendements qui ont été proposés et adoptés par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, visant à mieux adapter le texte aux réalités locales, à apporter une plus grande sécurité juridique et à garantir la proportionnalité de certaines dispositions.

Le premier axe de la commission des lois a été de favoriser l’exercice des compétences de mobilité par les collectivités territoriales. Nous avons sur ce point souhaité rappeler à tous l’architecture territoriale de notre pays et notre philosophie de l’intercommunalité. Les EPCI ne sont compétents que parce qu’ils se sont vu transférer la compétence par leurs communes membres.

Sur le territoire des communautés de communes, le projet de loi prévoyait un mécanisme complexe pour favoriser la prise de la compétence d’organisation des mobilités par le niveau de collectivité le plus pertinent : l’intercommunalité ou la région. Notre commission a émis deux propositions.

D’une part, nous avons souhaité repousser au 1er juillet 2021 l’échéance du transfert de la compétence aux régions par les communautés de communes qui le souhaiteraient, car, au vu des échéances électorales de mars 2020, la date initialement proposée ne permettait pas de garantir une prise de compétence sereine et pertinente.

D’autre part, nous avons voulu ajouter, aux cas dans lesquels la communauté de communes peut demander à la région de reprendre la compétence d’organisation de la mobilité, celui d’un accord entre ces deux entités.

Enfin, nous avons proposé plusieurs amendements pour améliorer et renforcer la coordination entre les différentes AOM, notamment dans la définition des bassins de mobilité.

Sur cette première partie du projet de loi, le texte issu de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable semble équilibré. Je salue, plus particulièrement, l’introduction de différentes solutions de financement des services de mobilité. En effet, madame la ministre, l’intelligence de votre projet ne pouvait masquer son indigence financière.

Pour protéger les données personnelles dans le domaine de la circulation des véhicules routiers, nous avons proposé de supprimer les habilitations que vous souhaitiez relatives aux traitements de données des « véhicules connectés ». Le champ nous paraissait large et imprécis, alors même que l’atteinte à la vie privée était considérable. Vous avez déposé un amendement tendant à rétablir cette habilitation, avec une rédaction améliorée – notre stimulation n’y est pas pour rien –, ce qui réduit les possibilités d’atteinte aux libertés individuelles.

S’agissant des dispositifs prévus pour faciliter la surveillance automatisée des voies ou des zones réservées à la circulation de certains véhicules, nous avons proposé d’étendre aux services de police municipale la possibilité de recourir à ces dispositifs et, également, de sécuriser certaines phases du traitement des données, nombreuses et très sensibles, ainsi captées, en prévoyant un masquage irréversible des photographies des passagers et des tiers.

Par ailleurs, nous avons veillé à garantir l’équilibre et la proportionnalité des mesures de sûreté et de sécurité, en réservant à l’autorité judiciaire le soin de sanctionner les agressions contre les examinateurs du permis de conduire ; en garantissant la proportionnalité de certaines mesures, notamment en cas de non-paiement de péages sur autoroutes ; en encadrant mieux la possibilité ouverte aux exploitants de services de transport public de recourir à des équipes privées cynotechniques pour la détection d’explosifs ; en s’assurant d’un niveau homogène de sécurité sur l’ensemble des transports du Grand Paris.

Enfin, nous avons amélioré l’article 35 concernant la gestion des ports, pour plus de cohérence.

En conclusion, je souhaite saluer le rapporteur au fond, M. Didier Mandelli, dont les qualités d’écoute ont permis un véritable travail en commun. Le texte proposé nous satisfait sur les points dont la commission des lois s’était saisie pour avis. Madame la ministre, il appartiendra maintenant à l’État d’être à la hauteur de sa promesse républicaine, aux côtés des collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)