M. André Gattolin. Très bonne question !

M. Claude Malhuret. Le groupe Les Indépendants, lui, soutient ce projet de loi, car il est convaincu que nous sommes parvenus, en l’état actuel du texte, à de justes équilibres. Nous espérons que la distribution de la presse y puisera un nouveau souffle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « C’est parce que je veux la souveraineté nationale dans toute sa vérité que je veux la presse dans toute sa liberté », déclarait Victor Hugo devant l’Assemblée nationale législative, le 9 juillet 1850.

Près d’un siècle et demi plus tard, la question de la sauvegarde du pluralisme de la presse se pose une nouvelle fois à nous, avec une acuité toute particulière. En effet, l’irruption du numérique nous contraint à adopter désormais une approche renouvelée du sujet de la distribution de la presse.

Or, cela, les auteurs de la loi Bichet ne l’avaient naturellement pas pris en compte, lors de l’adoption de ce texte, en 1947. C’est pourquoi cette réforme apparaît, d’une part, pleinement nécessaire, et, d’autre part, pertinente quant aux enjeux qu’elle a vocation à traiter.

Ce projet de loi nous semble constituer une réponse pragmatique à la crise que traverse la distribution de la presse.

Nous ne reviendrons pas sur le détail de la situation très précaire de Presstalis, déjà évoquée en commission, à de multiples reprises. La solution médiane, consistant à maintenir l’obligation d’un statut coopératif pour les éditeurs – il était proposé de supprimer cette obligation dans l’avant-projet de loi Schwartz – tout en permettant l’ouverture du marché à de nouveaux acteurs, paraît une solution mesurée.

Assurément, la forme coopérative est celle qui, depuis l’origine, permet de garantir l’équité de distribution entre les éditeurs et d’éviter toute situation d’abus de position dominante. En cela, l’article 1er permet de préserver le caractère singulier du système de distribution de presse français.

De plus, le recentrage de la régulation du système autour d’une autorité unique, l’Arcep, et l’élargissement des compétences de celle-ci, vont incontestablement dans le sens d’une plus grande efficacité : efficacité en matière de régulation, puisque l’Arcep agréera les sociétés de distribution et disposera d’un pouvoir de sanction à l’encontre des différents acteurs ; efficacité d’un point de vue économique également, l’Arcep étant reconnue pour son expérience en matière de réseaux et de marchés.

Il est aussi question, dans ce projet de loi, de la distribution numérique de la presse, sujet dont il était à l’évidence impossible de faire l’économie. Si le livre numérique subit déjà un phénomène de stagnation, la presse numérique, elle, explose.

Le cas des jeunes générations est d’ailleurs édifiant : c’est d’abord par le recours aux agrégateurs de contenus que celles-ci accèdent à l’information, et ensuite seulement, éventuellement, via des titres de presse papier.

Or légiférer sur ces agrégateurs, c’est précisément œuvrer pour une meilleure protection des jeunes publics, souvent plus vulnérables que les autres. À cet égard, le texte vise à renforcer la responsabilité des acteurs majeurs d’internet, à savoir les agrégateurs, qu’il s’agisse d’améliorer l’information des internautes en matière d’utilisation de leurs données personnelles ou d’obliger lesdits acteurs à rendre publics les critères qu’ils prennent en compte pour agréger les titres de presse.

Bien sûr, nous encourageons ces évolutions. Mais il est difficile de ne pas poser la question de leur efficience. En un mot : les agrégateurs de presse vont-ils vraiment jouer le jeu ?

Par ailleurs, s’agissant des kiosques numériques, qui posent moins de difficultés, nous considérons, nous aussi, qu’il revient au législateur d’inscrire dans la loi l’obligation pour ces sites d’accueillir la presse d’information politique et générale sur demande.

Quant à la réaffirmation, dans le projet de loi, des valeurs essentielles de la loi de 1947, elle est à nos yeux essentielle. D’ailleurs, le choix du Gouvernement d’inscrire la réforme dans le cadre même de la loi Bichet, plutôt que dans un nouveau texte, est une décision particulièrement bienvenue d’un point de vue symbolique.

Ainsi, la reprise, à l’article 1er, du principe de liberté de diffusion de la presse et son extension à la presse non imprimée pérennisent tout en l’actualisant une liberté qui est au fondement de notre démocratie.

De la même façon, le texte prône la continuité, la neutralité et l’efficacité économique de la distribution de la presse, ainsi qu’une bonne couverture du réseau des points de vente. Ces principes doivent être et demeurer au cœur de la loi.

Mes chers collègues, permettez-moi, pour conclure, de m’associer au concert de louanges adressé à notre collègue rapporteur Michel Laugier pour la qualité de son travail ; il a fait preuve d’une grande clarté sur un sujet pourtant complexe, montrant par là qu’il le possède bien, de façon toute professionnelle.

Comme le remarquait Jean-Paul Sartre, « on croit que le droit à la liberté de la presse, c’est un droit du journaliste. Mais pas du tout, c’est un droit du lecteur du journal ». Or le projet de loi que nous soumet aujourd’hui le Gouvernement tend précisément vers un juste équilibre entre les intérêts des acteurs de la distribution de la presse et ceux, tout aussi essentiels, des lecteurs.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi, tel qu’il a été élaboré par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de l’exprimer solennellement le 11 octobre 1984 lors de l’examen de la loi visant à limiter la concentration des entreprises de presse, le pluralisme n’est effectif que « si le public est à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ».

Si cette affirmation nous semble aujourd’hui frappée du sceau de l’évidence, elle a néanmoins le mérite de rappeler – elle le fait de manière très pertinente – l’un des fondements de notre démocratie, incarné par la fameuse loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse posant la liberté de diffusion comme consubstantielle à la liberté d’expression.

Auparavant, et depuis 1789, la distribution de la presse était soumise à un monopole postal impliquant de fait un contrôle étatique et une censure préalables. Sans la liberté de diffuser, la liberté de la presse est sans effet ; c’est bien ce que réaffirme la loi Bichet du 2 avril 1947 en donnant à ce principe un cadre réglementaire, fondé sur le pluralisme et le triptyque « Liberté, égalité, impartialité ».

La loi Bichet visait – on le sait – à tourner définitivement la page de la sombre période qui avait précédé, où l’occupant nazi avait réquisitionné les messageries pour s’assurer un contrôle total de la presse.

Ce que l’on oublie parfois, c’est que la loi Bichet a également été mise en place, plus prosaïquement, pour répondre à l’inquiétante dégradation de la situation économique des Messageries françaises de presse, qui avaient été instaurées en août 1945 par le Gouvernement provisoire de la République française, situation qui, au passage, n’est pas sans rappeler nos inquiétudes actuelles quant à la pérennité économique de la principale coopérative de distribution de la presse dans notre pays.

Rappelons aussi que, à l’époque où la loi Bichet fut votée, la presse écrite était essentiellement une presse d’information et d’opinion de périodicité quotidienne : 180 quotidiens, en 1946, contre à peine 72 aujourd’hui, chiffre au demeurant très généreux, qui inclut les gratuits et certains titres régionaux appartenant aux mêmes groupes et partageant en grande partie les mêmes contenus.

Nul n’est besoin de rappeler que la presse écrite d’information a successivement subi, depuis 1947, la concurrence des médias audiovisuels, celle de l’abondante prolifération de la presse magazine spécialisée, notamment durant les années 1970 et 1980, puis celle, plus récemment, de l’information en ligne et des réseaux sociaux, qui divulguent gratuitement des nouvelles dont il est de plus en plus rare qu’elles soient produites par des journalistes professionnels.

La raréfaction des points de vente s’accélère, et la société Presstalis est aujourd’hui lourdement lestée de 400 millions d’euros de fonds propres négatifs.

Oui, monsieur le ministre, vous avez raison de dire, concernant la réforme de la loi Bichet, qu’il faut « la moderniser sans la casser ». Le texte qui nous est présenté aujourd’hui, sous des apparences parfois complexes et même très techniques, a la grande qualité, au travers de ses compromis et ses jeux subtils d’équilibre, de respecter ce juste postulat.

Il respecte notamment certains fonctionnements qui ont fait leurs preuves, tout en prenant en compte les attentes des principaux acteurs de la filière, à savoir les marchands de journaux, et les évolutions techniques autant que technologiques.

Le principe de l’organisation de la distribution sous forme coopérative est maintenu, malgré les critiques – certains ont même proposé d’y mettre un terme. Cela permet de continuer à associer les éditeurs au fonctionnement des messageries de presse, tout en offrant désormais la possibilité d’ouvrir leur capital à d’autres acteurs de la distribution.

Les marchands de journaux, aujourd’hui pris à la gorge tant par l’obligation à laquelle ils sont tenus de présenter nombre de titres qu’ils ne réussissent pas à vendre que par la baisse générale des ventes de titres de presse, vont pouvoir compter sur davantage de « souplesse ».

S’ils seront dans l’obligation de vendre la presse IPG, c’est-à-dire les titres d’information politique et générale, et les titres CPPAP, c’est-à-dire les titres reconnus par la commission paritaire des publications et agences de presse, ils pourront, via des accords interprofessionnels, choisir ce qu’ils souhaitent vendre parmi les autres titres de la presse magazine. Ils pourront ainsi adapter leur offre et se montrer plus pertinents au regard des attentes effectives de leurs clients. Cette possibilité de choix contribuera à sauver le maillage actuel des marchands de journaux, voire à le revitaliser.

Le fait, par ailleurs, de confier la gestion des négociations de distribution à l’Arcep simplifie la régulation du secteur, en supprimant les deux actuelles autorités en charge de celle-ci, le CSMP et l’ARDP, qui étaient trop souvent, il faut le dire, juges et parties dans les arbitrages.

Les compétences de l’Arcep en matière de régulation du secteur postal pourraient être très utiles s’agissant de la distribution de la presse, de même que l’ouverture qu’elle offrira sur le monde des réseaux de communications, désormais essentiels à la circulation de l’information.

Qu’en est-il, d’ailleurs, d’internet et de la presse écrite ?

Il est précisément prévu, dans ce texte, plusieurs changements de taille. Les kiosques numériques auront notamment l’obligation d’intégrer tous les titres IPG, dans les mêmes conditions que dans l’univers physique.

Autre innovation portée par ce texte : la « responsabilisation » des agrégateurs d’information, Google News, Apple News, MSN, Yahoo! et tant d’autres, qui seront soumis à une obligation de transparence, telle que celle qui est prévue pour les opérateurs de plateformes en ligne.

Mes chers collègues, cette réforme de la loi Bichet, avec ses multiples apports novateurs, suscite – c’est vrai – nombre de commentaires.

Quoi qu’il en soit, je voudrais saluer le travail effectué par le rapporteur, notre collègue Michel Laugier, qui mérite les propos uniformément élogieux qui lui ont été adressés. Il a su écouter tous les acteurs du secteur et améliorer le texte par de nombreux amendements d’ajustement et de correction dont je rappelle qu’ils ont tous été adoptés à l’unanimité, la semaine dernière, par notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues : le groupe La République En Marche votera, bien évidemment, en faveur de ce texte. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Laurent Lafon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la modernisation de la presse que nous examinons aujourd’hui était très attendu.

Nous le savons : la distribution de la presse est en grande difficulté ; sa messagerie Presstalis est au bord du redressement judiciaire, et, avec elle, à terme, des milliers d’emplois sont menacés. Quel avenir, alors, pour la presse ? Qu’elle soit quotidienne, régionale ou magazine, c’est la grande question qui se pose à nous aujourd’hui.

Internet, pour elle, a été un choc ; il l’est toujours, après plusieurs années. Son avènement a mis les journaux en difficulté et a poussé les groupes à se restructurer. Vous le savez, monsieur le ministre, avec ce projet de loi, il n’y va pas d’un simple problème économique ; il est aussi question de sujets plus fondamentaux pour notre démocratie, tels que le droit à l’information et la liberté de la presse.

À cet égard, nous ne pouvons que nous féliciter que ce projet de loi soit soumis en premier lieu au Sénat. Cette reconnaissance est à la hauteur du travail mené par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, sous la présidence de Catherine Morin-Desailly, et de l’investissement sans faille de notre rapporteur Michel Laugier – je tiens à les remercier, l’un et l’autre, de la grande qualité des travaux menés.

Le défi à relever est de taille. En effet, nous ne vivons pas uniquement une crise de la distribution, mais aussi une profonde mutation de la presse dans notre pays.

Il est mis fin, par ce texte, à l’obligation à laquelle étaient tenues les sociétés de distribution d’avoir leur capital majoritairement détenu par les coopératives d’éditeurs. Ces dernières pourront ainsi contracter avec des sociétés agréées, suivant un cahier des charges précis.

Néanmoins, l’objectif fixé – ce cahier des charges ne serait établi qu’à l’horizon 2023 – inquiète. On laisserait en effet planer des doutes durant plusieurs années, ce qui ne saurait être bénéfique s’agissant d’un secteur déjà fragilisé. D’autres interrogations demeurent sur le service rendu par ces nouveaux acteurs, et, en particulier, sur l’incidence d’une telle ouverture du marché sur le droit à l’information.

À cet égard, nous avons proposé un amendement visant à garantir que les différents points de vente d’un territoire soient desservis de manière non discriminatoire. Les marchands de journaux auront par ailleurs une plus grande liberté dans la gestion de leurs stocks, compte tenu du nombre croissant de leurs invendus.

Quant à la régulation, elle est une nouvelle fois modifiée, le rôle d’autorité de régulation étant confié à l’Arcep. Cette évolution est bienvenue, car elle confère à cette autorité un pouvoir d’intervention plus important, ainsi qu’un pouvoir de sanction. L’Arcep aura également pour mission d’agréer les nouveaux acteurs souhaitant proposer un service de distribution de presse.

Nous souhaitons toutefois insister sur la nécessité d’accompagner le régulateur dans sa nouvelle mission. Comme l’a rappelé M. Sébastien Soriano à l’occasion de son audition par notre commission, ce rôle de régulateur est inédit pour l’Arcep.

Certains points du projet de loi – je pense notamment au cahier des charges que devront respecter les sociétés de distribution – sont sources d’interrogations. J’espère que, à l’issue de nos travaux, nous les aurons clarifiés.

Il semble en outre nécessaire de ne pas réitérer les erreurs passées et de conférer à l’Arcep un réel pouvoir de réformation. Dans cette perspective, nous avons présenté en commission un amendement visant à donner au régulateur un tel pouvoir de réformation en cas de non-conformité de l’accord interprofessionnel conclu entre les différents acteurs de la distribution de la presse mentionné à l’article 1er.

Ce texte élargit par ailleurs la loi de 1947 au numérique. Venant après la récente adoption par le Parlement européen de la nouvelle directive sur le droit d’auteur, une telle évolution, émanant du législateur, est à la hauteur du défi de notre nécessaire adaptation aux nouveaux enjeux du numérique.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous ne partageons pas la vision apocalyptique d’une presse condamnée par internet, incapable de survivre sans le soutien de l’État. Nous pensons que des possibles s’offrent à elle, que des initiatives peuvent être prises.

Selon la théorie de l’économiste Israël Kirzner, l’entrepreneur est celui qui saisit les opportunités ; de telles opportunités, s’agissant de l’avenir de la presse, existent aujourd’hui ; le présent texte en est une. C’est pourquoi notre groupe le votera.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes très chers collègues, je voudrais commencer par remercier très sincèrement M. le ministre d’avoir fait confiance au Sénat – les travaux de notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication se trouvent ainsi reconnus –, en saisissant la Haute Assemblée en premier sur ce projet de loi.

Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, effectuant un suivi régulier de la situation de Presstalis. Plus généralement, notre commission, très attachée aux médias en général et à la presse en particulier, a toujours suivi les évolutions de la presse avec beaucoup d’attention. Nous tenons beaucoup à un modèle pluraliste et vivant, qui garantisse les conditions de notre démocratie.

J’insisterai sur une dimension de ce texte : la question des plateformes. Le texte que vous nous proposez de réformer a fêté ses soixante-dix ans en 2017, et il traite d’un aspect fondamental de la presse, à savoir sa distribution physique, égalitaire et non discriminatoire.

Cependant, il faut bien admettre que nous accédons désormais de moins en moins à l’information en parcourant des yeux les linéaires d’un diffuseur, et de plus en plus par voie numérique.

Or je m’interroge sur la possibilité de coexistence entre un monde physique, égalitaire et régulé et un monde, de plus en plus dominant, obéissant à une logique exactement inverse, dérégulé et inégalitaire.

Quand je me connecte, des algorithmes sophistiqués cherchent à capter mon attention en me présentant des contenus d’information supposés m’intéresser. Dès lors, il n’y a plus de débat, plus d’échange, plus de surprise : ce que les psychologues appellent le « biais de confirmation » joue pleinement et m’enserre dans mes certitudes. Je ne parle pas ici de quelques sites isolés, mais des fondements mêmes de l’économie de l’internet, désormais dominante, qui déferle sur la presse, mais aussi sur la musique, l’audiovisuel, le cinéma et l’ensemble des secteurs de la culture.

Face à ce défi, monsieur le ministre, je reconnais que votre texte a le mérite d’essayer de faire bouger les lignes aussi loin que possible.

En particulier, vous demandez aux plateformes de fournir à l’internaute « une information claire, loyale et transparente sur l’utilisation de ses données personnelles dans le cadre de la mise en avant de ces contenus ».

C’est déjà beaucoup, car vous faites effectivement le lien entre l’information collectée sur l’internaute et celle qui lui est proposée. Mais c’est aussi très peu, si l’on tient compte du fait que la seule obligation qui pèserait sur les plateformes serait une obligation d’information, rien n’étant dit sur le caractère pluraliste ou diversifié des informations proposées aux internautes.

Vous le savez, le Sénat, grâce à la proposition de loi de notre collègue David Assouline, a été à l’initiative d’une transposition anticipée des dispositions de la directive Droit d’auteur relatives au droit voisin des éditeurs de presse. Nous espérons une issue heureuse pour ce dossier, et une transposition la plus rapide et la plus harmonisée possible de la directive dans les différents États membres – nous comptons beaucoup, en la matière, sur l’ERGA, le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels.

J’ai toutefois peur que les espoirs soient déçus si un réel contrôle n’est pas exercé sur les plateformes – cette crainte a été exprimée par beaucoup de collègues parmi ceux qui m’ont précédée à cette tribune.

Nous avons déjà eu ce débat sur le verrou que constitue, en la matière, la directive sur l’e-commerce de 2000 ; celle-ci ne confère aucun statut spécifique aux plateformes, lesquelles ne sont ni redevables ni responsables de rien, aucun statut intermédiaire n’existant entre celui d’hébergeur et celui d’éditeur – ce sujet, nous l’avons évoqué également à l’occasion de l’examen de la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

À cet égard, monsieur le ministre, je voudrais que le Gouvernement confirme une nouvelle fois sa volonté de porter ce débat au niveau européen – c’est de cette manière que nous pourrons avancer.

Certes, je connais la difficulté de l’exercice. Mais si nous avons été capables d’être fer-de-lance sur les droits d’auteur et les droits voisins, nous pouvons l’être aussi sur la révision et la réouverture de la directive e-commerce.

Disons-le, plaider pour une corrélation ou une autorégulation des plateformes est un leurre ; c’est tout à fait illusoire. D’ailleurs, il faut cesser de dérouler le tapis rouge aux géants du numérique en imaginant pouvoir travailler avec eux. Je rappelle, du temps d’Eric Schmidt, l’ambition de Google était d’« organiser toute l’information du monde »… Vous le voyez, nous ne pouvons pas leur faire confiance.

Par conséquent, il faut travailler à la distribution de la presse numérique. Cela passe nécessairement par une action très volontariste à l’échelon européen.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre. Je souhaite répondre à certaines interventions.

Le rapport de M. Schwartz proposait effectivement un certain nombre de pistes très intéressantes. J’en ai repris certaines, mais pas toutes, dans le présent texte. J’ai notamment souhaité – je le précise à M. Laurent – maintenir le principe des coopératives obligatoires, qui ne figurait dans ce rapport. Cela étant, je salue le travail de Marc Schwartz, qui a été de grande qualité et qui s’est révélé très utile dans la préparation de la présente réforme.

Outre ce travail, il y a eu beaucoup de réflexions sur la réforme de la loi Bichet dans un passé récent ; je pense, par exemple, à vos propres travaux au Sénat, monsieur le rapporteur, ainsi qu’à d’autres rapports.

On ne peut donc pas dire que le projet de loi a été déposé dans la précipitation. Il y a d’abord eu une réflexion de ma part, pour le Gouvernement, et de celle de nombreuses personnalités ayant depuis longtemps réfléchi aux évolutions possibles du système.

La situation de Presstalis est effectivement complexe, comme je l’ai souligné. Nous voulons absolument donner à cette société les moyens de s’adapter à l’évolution des usages, du marché et des techniques de logistique. Nous souhaitons qu’elle puisse trouver un adossement à une entreprise de logistique ou des partenariats. Cela implique d’adapter la législation. C’est l’un des objectifs du texte.

Certes, le droit de grève est, bien entendu, un droit constitutionnel ; j’y suis particulièrement attaché. Néanmoins, je regrette que l’on ait empêché la distribution de certains titres le 16 mai. Cela relève non plus du droit de grève, mais de la censure ! C’est évidemment tout à fait condamnable.

Comme l’a indiqué M. Assouline, le dialogue avec le Syndicat du livre est bon. Pour autant, ainsi que M. Malhuret l’a très bien résumé, on ne peut pas comprendre le raisonnement selon lequel ce serait en empêchant la distribution de titres de presse écrite que l’on défendrait le mieux possible la pérennisation d’un système à la française en la matière. J’appelle donc chacun à la responsabilité. Encore une fois, pour l’instant, le dialogue avec les différentes organisations syndicales est tout à fait constructif.

Monsieur Laurent, vous défendez une philosophie d’organisation de la distribution de la presse qui est différente. Vous prônez un système monopolistique, qui reviendrait finalement à une nationalisation de la distribution de la presse. Je n’y suis pas favorable : je pense que nous devons conserver la possibilité pour des acteurs différents de distribuer la presse écrite. Pour autant, nous devons nous assurer que le système est régulé et encadré. C’est tout l’objet de la pérennisation et de la modernisation de la loi Bichet.

Je souhaite également vous rassurer sur les barèmes. Les conditions tarifaires pour les trois cercles de presse, IPG, CPPAP et non-CPPAP, seront bien soumises au contrôle et à l’examen du régulateur, afin de garantir leur caractère non discriminatoire. Je suis vraiment convaincu que la protection des petits titres sera ainsi assurée.

M. Assouline et d’autres intervenants, dont M. Gattolin, ont insisté sur l’importance des kiosquiers. Nous devons en effet absolument leur donner la possibilité de s’adapter et de mieux gérer leurs stocks et leurs affaires. C’est vital pour la distribution de la presse, comme pour la cohésion sociale et territoriale. Les kiosquiers sont très importants dans le maillage territorial de la cohésion sociale. Le texte nous permet, j’en ai la conviction, de leur donner quelques outils très utiles pour mieux gérer leurs affaires.

À l’instar de M. le rapporteur, ainsi que de Mmes Laborde et Morin-Desailly, je salue le travail constructif que nous avons mené avec la Haute Assemblée. Je suis ravi que le projet de loi ait d’abord été déposé sur le bureau du Sénat, même si tout se passe très bien aussi avec l’Assemblée nationale.

Monsieur Hugonet, tous les agrégateurs dépassant un certain seuil de connexion seront concernés, qu’ils soient installés en France ou non. Il y aura une obligation de transparence sur la mise en avant des contenus et sur l’utilisation des données personnelles ; ce point est très important. Le contrôle relèvera de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF. Il y aura des sanctions financières et des sanctions réputationnelles, le fameux « nom et honte », pour ne pas dire name and shame.

M. Assouline et d’autres orateurs ont évoqué la période de transition. Mon objectif est de donner la possibilité aux deux acteurs existants de s’adapter à la nouvelle législation que nous proposons. Nous leur laisserons du temps, pour qu’ils puissent prendre en compte les modifications législatives.

Aujourd’hui, le marché est déjà juridiquement ouvert. La nuance est qu’il doit y avoir plus de 50 % d’actionnariat des coopératives dans les messageries, ce qui limite la possibilité d’avoir de nouveaux acteurs. Mais il est ouvert.

Avec ce texte, nous figeons l’ouverture au 1er janvier 2023. Notre objectif est de n’ouvrir qu’à cette date ; en d’autres termes, le décret permettant un éventuel agrément de nouveaux acteurs ne sera publié qu’au second semestre 2022. Cela laissera le temps, le cas échéant, aux agréments de pouvoir être recueillis au 1er janvier 2023, s’il n’y a pas de bouleversement substantiel.

Madame Morin-Desailly, encore une fois, nous voulons que le débat sur la directive e-commerce soit engagé de nouveau à l’échelon européen. C’est très important. Vous défendez cette idée depuis longtemps ; le Gouvernement aussi ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)