Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled. (M. Loïc Hervé applaudit.)

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise vise à inscrire dans le code civil le principe selon lequel l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. Cela permettra à la France de se conformer à ses engagements internationaux et de rejoindre les autres pays européens, dont la quasi-totalité ont affirmé un principe analogue.

L’adoption de ce texte conduira également à faire évoluer la jurisprudence pénale, qui admet pour l’heure un « droit de correction » des parents.

Cette proposition de loi prévoit la formation des assistantes maternelles à la prévention des violences éducatives ordinaires. Elle comporte aussi une demande d’un rapport dressant un état des lieux des violences éducatives et envisageant les moyens de renforcer les politiques publiques de soutien à la parentalité et de formation des professionnels de l’enfance.

Ce texte part d’une bonne intention : lutter contre les violences faites aux enfants. Cette intention, nous la partageons tous au sein de cet hémicycle, bien évidemment. Maltraiter un enfant est inacceptable, le violenter est intolérable. Je ne peux toutefois m’empêcher de m’interroger sur le bien-fondé de cette énième proposition de loi « anti-fessées »…

Au mois de mars dernier, déjà, nous avions examiné et adopté un texte similaire, déposé par notre collègue Laurence Rossignol. Aujourd’hui, nous sommes saisis d’une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par la députée Maud Petit.

Or, en son état actuel, notre droit offre tous les outils nécessaires : l’article 222-13 du code civil interdit déjà toute forme de violence physique envers les enfants et érige en circonstance aggravante le jeune âge de la victime.

La règle posée ici est de nature exclusivement civile. Elle n’est pas assortie d’une sanction. Sa portée reste donc limitée. Elle vise simplement à affirmer un principe devant guider l’attitude des parents à l’égard de leurs enfants. Ce texte a surtout une portée symbolique et pédagogique.

Dès lors, nous sommes légitimement amenés à nous interroger sur notre mission de législateur, car la loi ne saurait être seulement symbolique : elle doit avoir une portée certaine ! De même, la loi ne saurait être floue ou imprécise. Or ce texte ne définit à aucun moment ce que sont les violences éducatives ordinaires contre lesquelles il s’agit de lutter.

Il s’agit bien d’un texte symbolique, qui ne prévoit pas de sanction pénale et ne désigne pas précisément les faits ou comportements entrant dans son périmètre.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aucune violence contre les enfants, qu’elle soit physique, verbale ou psychologique, n’est acceptable ni excusable. Nous souscrivons tous à ce principe, mais, tout comme celle de notre collègue Laurence Rossignol, cette proposition de loi suscite au sein du groupe Les Indépendants un sentiment très mitigé.

Toutefois, il apparaît inutile de prolonger la navette sur un texte dont la disposition centrale, à l’article 1er, a déjà été adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

Cette proposition de loi s’inscrivant dans le prolongement des lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016 relatives à la protection de l’enfance, son adoption sans délai mettra la France en phase avec la majorité de ses partenaires européens. C’est donc dans un esprit de consensus que le groupe Les Indépendants la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous nous retrouvons une nouvelle fois pour débattre de l’interdiction des violences éducatives ordinaires, quatre mois seulement après avoir voté une proposition de loi socialiste quasiment identique à celle qui nous est soumise aujourd’hui.

Aussi, mes chers collègues, je m’interroge : que doivent penser nos concitoyens du temps que nous passons à ressasser les mêmes questions ? Ne devrions-nous pas consacrer notre précieux temps législatif à d’autres sujets qui préoccupent réellement les Français ?

J’aurais ainsi préféré que l’on mette à profit ce temps pour réfléchir aux moyens à mobiliser pour lutter contre la maltraitance des enfants ou même contre les violences faites aux femmes. Une nouvelle fois, on s’amuse avec le sujet de la fessée, mais on ne propose rien de concret pour empêcher et sanctionner la vraie violence.

Notre position est la même qu’il y a quatre mois : cette proposition de loi n’apporte rien de révolutionnaire.

L’article 1er complète l’article 371-1 du code civil en précisant que l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette pétition de principe, car toute violence laisse des traces psychologiques, parfois irréversibles, chez les enfants. Cependant, notre droit permet déjà de sanctionner et de condamner les parents qui se rendraient coupables de maltraitance. Est-il nécessaire d’en rajouter ? Je n’en suis pas certaine… Il suffit d’appliquer la loi.

La rédaction du texte est plus symbolique que juridique, puisqu’elle ne prévoit aucune sanction pénale. L’objectif proclamé est d’instituer un levier d’action efficace pour réduire les maltraitantes, l’échec scolaire, les suicides, les comportements antisociaux et la délinquance : pour que cet objectif puisse être atteint, il faudrait que ce texte soit réellement applicable ! Or le dispositif proposé se borne à énoncer, sans encadrer.

La règle ici posée est de nature exclusivement civile, elle n’est assortie d’aucune sanction. Elle vise à énoncer un principe ayant, selon l’exposé des motifs, « vocation à être répété aux pères et mères ». N’est-ce pas là la fonction d’un discours politique plutôt que d’un article du code civil ? La loi ne doit pas être seulement symbolique, elle doit avoir une portée certaine.

Le dispositif proposé soulève une autre difficulté : que sont précisément les violences éducatives ordinaires ? Veillons à ne pas confondre ce qui relève de la maltraitance avec ce qui vise à mettre un terme à certaines pratiques des enfants. À un moment donné, il faut bien leur dire « non ». N’est-ce pas un certain François Bayrou, alors candidat à l’élection présidentielle, qui, en 2002, avait giflé un enfant dans la rue pour l’empêcher de lui faire les poches ?

Doit-on bannir toute éducation qui pourrait comporter parfois, sans forcément une intention évidente des parents, un geste ferme pour indiquer à un enfant de ne pas toucher aux plaques de cuisson chaudes, aux produits ménagers ou aux prises électriques ? Quels gestes relèvent des violences ? Quels gestes sont au contraire « tolérables » ? La rédaction proposée est peu intelligible de ce point de vue. Une fois de plus, son application, alors qu’elle a vocation à clarifier une jurisprudence, ne semble pas évidente. Si le droit n’est pas clair, comment espérer son application uniforme ?

Enfin, les Français en ont assez de cette ingérence de l’État, qui voudrait les « rééduquer » et leur dire comment éduquer leurs enfants.

L’éducation relève en premier lieu des parents et du cercle familial. Être mère, être père, c’est une responsabilité. Elle doit être assumée pleinement. C’est un devoir à l’égard de l’enfant, mais aussi de la société dans laquelle celui-ci est amené à vivre, à grandir, à faire des choix, à agir. Si le rôle du politique est de rappeler cette obligation aux parents, il importe aussi de respecter la liberté éducative de ces derniers.

Bien sûr, il faut parfois aider certains parents à l’être. Je salue à cet égard l’article 2 du texte, qui prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur les moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une politique d’accompagnement des futurs parents. J’espère toutefois qu’il ne restera pas lettre morte et que son adoption aboutira à la mise en place de dispositifs concrets de soutien à la parentalité.

Mes chers collègues, je pense qu’il est temps de cesser d’opposer les « bons », qui seraient contre les violences, et les « méchants », qui seraient pour. Nous sommes tous opposés aux « vraies » violences contre les enfants. Nous sommes tous favorables aux initiatives qui visent à préserver le bien-être de l’enfant et son intérêt. Nous sommes tous convaincus que l’éducation est un sujet crucial, au fondement même de la société.

Par souci de cohérence, nous voterons ce texte, car il correspond peu ou prou à ce que nous avons voté voilà quatre mois. Même s’il revêt un caractère essentiellement symbolique, il a au moins le mérite de rappeler une règle de bon sens, dont la violation est déjà sanctionnée par la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour la seconde fois en l’espace de quelques mois, notre assemblée examine un texte dont l’objet est de faire reculer les violences éducatives en inscrivant dans notre droit civil le principe d’une autorité parentale non violente.

Comme la proposition de loi de notre collègue Laurence Rossignol que nous avons adoptée le 6 mars dernier, le texte qui nous arrive de l’Assemblée nationale complète, en son article 1er, l’article 371-1 du code civil en ces termes : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »

Notre groupe approuve pleinement cette modification du code civil. Elle est bien plus que symbolique, puisque le juge pénal, le juge aux affaires familiales et le juge des enfants pourront s’appuyer sur cette définition utilement complétée de l’autorité parentale. Il faut en effet affirmer haut et fort que la violence, le châtiment, l’humiliation n’ont aucune vertu « pédagogique ».

Est-il besoin de le rappeler, nombre d’études révèlent les graves conséquences des violences éducatives sur le développement de l’enfant : atteinte à la confiance en soi, culpabilisation, troubles du comportement et de l’apprentissage, encouragement à percevoir la violence comme un mode acceptable de règlement des différends, potentielle transmission intergénérationnelle de la maltraitance. Aussi est-il important d’être plus volontaristes encore pour informer et sensibiliser l’ensemble de notre société aux vertus d’une éducation bienveillante et non violente, ce qui n’exclut pas pour autant la discipline.

Disons-le toutefois haut et fort : l’autorité n’est pas la violence, dans la famille comme ailleurs.

Les articles 1er bis et 2 de la proposition de loi n’appellent pas de remarque particulière : ils prévoient l’un la formation des assistantes maternelles en matière d’éducation sans violence, l’autre la remise d’un rapport par le Gouvernement.

Notre groupe votera ce texte, en félicitant celles et ceux qui ont œuvré au rapprochement des deux propositions de loi, au premier rang desquels Mme la rapporteure.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà quelques mois, sur l’initiative de notre collègue Laurence Rossignol, nous adoptions une proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires. Cette fois, c’est d’une proposition de loi tout à fait similaire, issue de l’Assemblée nationale, que nous sommes appelés à débattre : cela prouve que le sujet tend à prendre une véritable importance.

Depuis les années quatre-vingt, de nombreux pays ont adopté une législation abolitionniste, notamment la Suède, dès 1979, la Finlande, en 1983, et la Norvège, en 1987. Actuellement, trente-deux des quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe ont interdit les châtiments corporels envers les enfants. Il est grand temps que la France se dote d’un dispositif législatif similaire et effectif.

Tel est l’avis de nombreux neurologues et pédopsychiatres, selon qui l’interdiction des châtiments corporels et moraux est avant tout un impératif de santé publique. Les conséquences d’une éducation violente sur la santé sont multiples. L’agressivité et les sévices habituent les enfants aux relations de domination et aux humiliations. Cette brutalité se répercute ainsi sur les rapports sociaux et s’étend à toutes les autres sphères de la vie sociale.

Françoise Dolto, célèbre psychanalyste, déconstruisait déjà, au début des années soixante-dix, l’idée que l’éducation devait se conjuguer avec l’autorité et la punition. Ses travaux ont permis à l’enfant d’accéder au statut de personne à part entière. Trente ans après son décès, nous sommes enfin prêts à inscrire dans la loi l’interdiction des violences éducatives ordinaires.

Longtemps, nous avons toléré le « droit de correction » dans la sphère familiale et dans les milieux éducatifs. Cette acceptation, consciente ou inconsciente, relève des derniers vestiges du patriarcat et d’une époque où la soumission au pater familias était culturellement la règle.

Ce « droit de correction », admis par la jurisprudence, nous a valu de nombreuses condamnations par les instances européennes pour non-respect des obligations en matière de protection des enfants.

L’aide à l’enfance et la défense du mineur ne se limitent d’ailleurs pas à la sphère familiale. Que dire des mineurs étrangers isolés, des enfants placés et des pupilles de la Nation, qui subissent parfois de plein fouet une violence institutionnelle, doublée des violences éducatives ordinaires qui ont cours dans certains services de la protection de l’enfance ?

Mes chers collègues, je souhaite vous rappeler les chiffres suivants : deux enfants meurent chaque semaine à la suite de violences, 73 000 par an en sont victimes.

La lutte contre les violences éducatives ordinaires concerne tous les mineurs et ne se limite pas à la sphère familiale. Beaucoup reste encore à faire en la matière. Développons les services d’aide à la parentalité, et ce dans tous les milieux, aisés comme défavorisés. Quartiers huppés ou banlieues paupérisées, tous les territoires sont concernés.

À celles et ceux qui objecteront que cette loi culpabilisera les parents, qu’il y a ingérence de l’État dans les relations intrafamiliales, je réponds par avance qu’il n’en est rien. Il y a quelques décennies, on considérait aussi les violences faites aux femmes comme une affaire privée, un droit de correction marital. Contrairement aux femmes qui, face à la violence conjugale, ont désormais la possibilité, même si cela n’est jamais aisé, de dire « non » et de menacer de partir ou de divorcer, les enfants ne peuvent quitter le foyer. C’est donc à la société de poser une interdiction très claire de toute violence, si minime soit-elle. C’est à la société de lutter contre la banalisation des violences.

Si ce texte, accompagné d’une campagne de sensibilisation, peut permettre de faire évoluer les mentalités et de clarifier le rapport d’autorité liant les parents à leurs enfants, nous ne pouvons que le soutenir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Françoise Dolto, dès la fin des années soixante-dix, affirmait que « l’enfant, dès son plus jeune âge, est un être de langage, il convient de l’écouter avec sérieux. Il est à égalité d’être avec un adulte, à ce titre il est un analysant à part entière. »

Il faudra ensuite attendre 1989 pour que soit adoptée la Convention internationale des droits de l’enfant, consacrant l’enfant comme une personne à part entière.

Définir et renforcer les droits des enfants, c’est faire un pas vers l’égalité, donner aux enfants une véritable place dans la société et prendre en compte l’importance d’une étape de la vie au cours de laquelle se développe la perception des autres.

Cette prise en compte est primordiale, car elle intervient à une période essentielle de la construction de l’individu. C’est là qu’il acquiert des valeurs et des normes qu’il internalise et qui conditionneront l’adulte de demain.

Depuis plusieurs années, les études le prouvent : le recours à la violence, notamment la fessée considérée encore comme une méthode éducative, favorise pourtant l’agressivité des enfants, conforte la baisse de leur estime et peut pénaliser leurs résultats scolaires. Plus alarmant, cette violence est parfois la porte d’entrée de châtiments plus graves. Aussi, il est important que nos enfants n’identifient plus la violence comme un mode d’éducation.

Si certains pays comme la Suède ont légiféré à ce sujet depuis près de quarante ans, la France, elle, continue de violer ses engagements internationaux. Doit-on s’accommoder de cette loi du plus fort, où il suffit d’en venir aux mains pour régler un conflit et éduquer un enfant ?

Si le code pénal interdit déjà toute forme de violence physique envers les enfants, notamment les plus jeunes, en en faisant une circonstance aggravante, rien n’est prévu à ce sujet dans le code civil. Cette proposition de loi, en prévoyant à l’article 371-1 du code civil que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques », vient clarifier la situation et poser un principe clair. Aucune éducation ne peut se faire par le châtiment corporel. En faisant un pas dans cette voie, la France honore enfin ses engagements internationaux.

Ici, il s’agit de poser l’interdit de manière civile. Le but n’est pas de stigmatiser, ni de culpabiliser les parents, mais d’orienter vers un changement des pratiques sur le long terme. Le but n’est pas, comme nous avons pu l’entendre, de s’immiscer dans la vie familiale, mais bien de poser un interdit pour faire évoluer les mentalités dans un pays où 85 % des parents ont encore recours à la fessée.

J’en conviens, l’éducation n’est pas toujours chose aisée, à une époque où les parents sont le plus souvent sous pression. Le lien familial s’est transformé ces dernières années, mais il est aujourd’hui nécessaire de faire évoluer les modes d’éducation. De nombreux exemples montrent qu’il existe des méthodes plus douces et vertueuses pour se faire écouter des enfants.

Si j’en reviens au texte, outre la disposition prévoyant que l’autorité parentale s’exerce sans violence, ce dernier prévoit également une sensibilisation aux violences éducatives ordinaires lors de la formation des assistants maternels. Ils peuvent ainsi mieux identifier l’impact de telles pratiques sur l’enfant et développer un environnement éducatif plus sain.

Ce texte vient apporter de nouveaux droits aux enfants et prendre en compte leur intérêt supérieur, conformément à la convention internationale des droits de l’enfant.

Comme l’avait dit ma collègue Josiane Costes lors de la lecture du texte proposé par notre collègue Laurence Rossignol, c’est aux magistrats de la chambre criminelle de la Cour de cassation de se saisir de cette loi pour mettre fin à cette pratique d’un autre temps.

Ma conviction profonde, c’est qu’il nous faudra à l’avenir être toujours plus vigilants sur les droits de l’enfant. Le récent rapport du Défenseur des droits sur ces sujets va d’ailleurs dans ce sens, en préconisant par exemple que les conseils départementaux ou les établissements hospitaliers désignent des référents en protection de l’enfance, ou en suggérant d’inscrire dans la loi l’interdiction de toute rétention administrative pour les familles avec enfants, et ce quelles que soient les circonstances.

Enfin, je rappellerai que notre intervention dans le domaine des droits de l’enfant est essentielle. Comme l’explique Pierre Verdier, nous sommes passés d’une conception d’intérêt de l’enfant à une définition des droits de l’enfant. Le droit, justement, vient alors comme un régulateur de pratiques. Il accompagne avant de sanctionner, il protège avant de punir et offre un cadre législatif pour une meilleure éducation.

Je conclurai mon intervention par une remarque de forme : je trouve regrettable, en matière de travail législatif, que nous ayons eu à nous prononcer deux fois sur un texte quasi identique. Même si le temps législatif est long, j’espère qu’à l’avenir les différents groupes à l’Assemblée nationale comme au Sénat travailleront de concert afin que cette situation se reproduise le moins possible.

M. Stéphane Piednoir. Ce ne serait pas mal !

Mme Maryse Carrère. Hormis cette remarque, vous l’aurez compris, l’ensemble des membres du groupe du RDSE approuvera ce texte qui marque une étape supplémentaire dans la reconnaissance des droits de l’enfant. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.

Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en mars dernier, lors de la discussion générale sur la proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, je terminais mon intervention par une critique. Je la reformulerai, comme un certain nombre d’entre vous, mes chers collègues, en commençant mon intervention d’aujourd’hui.

Face à un sujet sociétal aussi important que les violences éducatives ordinaires, il est regrettable d’assister à l’examen en parallèle de deux textes sensiblement identiques. Ce double débat est incompréhensible pour nos concitoyens ; c’est une perte de temps et cela abîme le Parlement. Quelle image renvoyons-nous quand, en mars dernier, nous avons examiné puis adopté – forcément – la proposition de loi de Mme Rossignol, alors que nous aurions pu adopter définitivement le texte de la députée Maud Petit ?

Mme Laurence Rossignol. Il fallait l’inscrire dans votre niche parlementaire !

Mme Élisabeth Doineau. Le Sénat et l’Assemblée nationale auraient pu sortir grandis, cela vient d’être dit, en démontrant leur capacité à s’unir sur ce sujet essentiel. Certes, monsieur le secrétaire d’État, la pédagogie est affaire de répétition, mais sur un sujet sociétal qui pouvait recueillir l’unanimité, nous aurions pu trouver le moyen de gagner du temps.

Aujourd’hui, il est donc temps de mettre fin à un débat qui a secoué sporadiquement notre pays pendant plusieurs décennies, débat qui s’est bien souvent résumé à des discussions de comptoir sur le thème « pour ou contre la fessée ? », tendant à rendre invisibles les autres violences, notamment psychologiques.

Comme nous le rappelle la Fondation pour l’enfance, « violenter son enfant, c’est le marquer pour longtemps ». Aucun acte de violence n’est anodin. Aujourd’hui, l’idée a fait son chemin. Les parents aspirent à une nouvelle forme de parentalité, positive, et à une relation avec l’enfant construite sur la confiance et l’apprentissage. Nombre de livres, d’émissions, de podcasts traitent de la parentalité bienveillante. Une prise de conscience s’affirme : la violence n’est pas une pratique éducative.

Parce que l’éducation joue un rôle fondamental non seulement dans la formation de l’être humain, mais aussi dans l’évolution de la société, il est primordial de l’exercer avec bienveillance. Pourtant, les chiffres illustrent une autre réalité, Mme de la Gontrie et M. le secrétaire d’État les ont cités. Ils montrent à quel point il est juste de débattre de ce phénomène que nous ne devons plus accepter.

Depuis quelques années, les neurosciences ont démontré les conséquences irréversibles de la violence sur les fonctions cognitives de l’enfant. On le sait, la maltraitance émotionnelle entraîne chez l’enfant un stress nocif pour le bon développement de son cerveau. Ce stress peut détruire des neurones qui jouent un rôle dans la mémoire, la gestion des émotions, la résilience et les capacités relationnelles. Par ailleurs, via les neurones miroirs, l’enfant imite les parents. Ce que fait un adulte, l’enfant le reproduit. La bienveillance est donc la clé d’une éducation réussie.

En conséquence, les services compétents en matière de petite enfance proposent des guides et des ateliers à la parentalité qui constituent une véritable formation à être ou à devenir parents. Un travail de sensibilisation de large envergure auprès des jeunes, futurs adultes et parfois futurs parents, reste également à imaginer, même s’il existe déjà des groupes de parole, des ateliers, des consultations aux centres de protection maternelle et infantile, ou PMI, des lieux d’accueil enfants-parents.

Le 27 mars dernier, monsieur le secrétaire d’État, vous lanciez une concertation sur la prise en charge des enfants au titre de l’aide sociale à l’enfance. J’assistais, mercredi dernier, à la restitution de la conclusion des travaux des six groupes de travail. J’en retiens notamment la nécessité de maintenir un environnement stable et sans violence pour l’enfant. Cette proposition de loi y participe.

Enfin, cette semaine est importante pour la protection de l’enfance : après l’assemblée plénière du Conseil national de la protection de l’enfance, hier, l’adoption définitive de cette proposition de loi, aujourd’hui, les Assises nationales de la protection de l’enfance auront lieu les 4 et 5 juillet prochains à Marseille. Des annonces sont attendues ; vous en avez d’ailleurs dévoilé quelques-unes, monsieur le secrétaire d’État. (Sourires.)

Je forme le vœu que nous assistions à un tournant majeur pour la protection de l’enfance dans notre pays. Cette proposition de loi s’inscrit dans l’histoire. Nous rejoindrons ainsi les cinquante-quatre pays dans le monde qui se sont déjà dotés d’une telle loi, quarante ans après la Suède qui en ouvrait la voie. Le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai mon propos par l’extrait d’un verbatim des débats de l’Assemblée nationale : « L’opinion publique est régulièrement choquée par le décès d’un enfant sous les coups de ses parents. Si, heureusement, les violences intrafamiliales ne tuent pas toujours, les spécialistes sont unanimes quant aux dégâts qu’elles occasionnent sur les enfants qui en sont les victimes.

« Pour appeler l’attention de tous sur cet enjeu considérable, il faut compléter la définition de l’autorité parentale prévue à l’article 371-1 du code civil en précisant que, parmi les devoirs qui la composent, figure celui de s’abstenir de toutes les formes de violence et de violence sous toutes ses formes. »

C’est par ces mots, monsieur le secrétaire d’État, que nos anciens collègues députés socialistes avaient choisi, en 2016, de motiver un amendement à la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté visant à interdire la pratique des violences dites « éducatives ordinaires ».

Nous avions souligné alors l’immense portée symbolique de cet article du code civil. Lu dans toutes nos mairies à l’occasion des mariages, il est entendu par toute l’assistance, forcément attentive, en ces moments solennels, à la manière dont les familles se créent.

Cette avancée ne fut qu’une victoire de courte durée. Le Conseil constitutionnel, saisi par certains d’entre vous, a censuré cette disposition, préférant conserver, dans l’intimité de chaque famille, huis clos parfois ravageur, le « droit de correction ». Cependant, nous le savons, mes chers collègues, le privé est politique, et ce pas en avant ne demande qu’à être franchi de nouveau. Aujourd’hui, nous y revenons de manière assumée et non détournée, et c’est tant mieux !

Au Sénat, l’initiative d’une proposition de loi visant à interdire les violences éducatives ordinaires revient à notre collègue Laurence Rossignol, qui interviendra tout à l’heure. Le Sénat a donc déjà adopté en mars dernier un texte excluant « les violences physiques ou psychologiques » de la pratique de l’autorité parentale. Je remercie notre collègue rapporteure, Marie-Pierre de la Gontrie, de nous proposer une synthèse en quelque sorte, une autre voie pour avancer de façon pragmatique et efficace.

Sur le fond, l’interdiction des violences dites éducatives est un enjeu majeur de l’éducation de nos enfants. Il est aussi, n’en doutons pas, un moyen essentiel de changer le regard de notre société sur elle-même, de refuser que la violence puisse s’exprimer dans tout cadre, qu’elle puisse être tolérée et qu’elle relève de décisions individuelles ou de choix de vie.

Élever les enfants dans la violence – leur parler fort, les menacer, les frapper, les humilier, les réprimer, les dénigrer systématiquement –, c’est dessiner trait à trait une société violente. Être violent devant ses enfants et vis-à-vis d’eux-mêmes, c’est former des adultes à la violence, à être violents.

Nous savons que nos enfants se construisent par mimétisme. Nous mesurons d’ailleurs la place qu’occupent les modèles parentaux dans la construction psychique des enfants. La docteure en psychologie clinique Karen Sadlier nous le rappelle. L’enfant confronté à des violences, dans le couple ou dans la famille, les banalise. Plus tard, il apprécie moins bien la peur et se met plus rapidement en danger et en fait un mode d’expression. Les pédiatres nous rappellent également que les traumatismes vécus dans l’enfance perdurent toute la vie, avec des conséquences psychologiques comme somatiques. Leur prise en charge représente un coût pour la société.

Voilà pourquoi il faut que toute notre société en prenne conscience et agisse. Cette proposition de loi va dans le bon sens. Elle est nécessaire, mais évidemment pas suffisante : lorsque des situations de violence se font jour, elles doivent être signalées. Mes chers collègues, nous avons tous en tête une famille, une situation pour lesquelles nous nous demandons si l’enfant est vraiment bien traité, si la maladresse verbale, l’attitude des parents, leur perte de patience, leurs cris répétés ne nuisent pas à l’intérêt de l’enfant. Et puis, nous regardons ailleurs, la plupart du temps, même si nous en sommes très préoccupés.

Dans ces situations de violences soupçonnées, je tiens à rappeler l’importance du signalement à la cellule de recueil des informations préoccupantes, la CRIP. Cela relève de l’obligation de tous. Nous devons alerter. Ensuite, une enquête sociale sera réalisée par les professionnels des départements. Usons d’excès de prudence, mes chers collègues, plutôt que de laisser une victime potentielle face aux auteurs de violences, même s’il s’agit de l’un de ses parents.

J’en profite pour rappeler que le signalement est également essentiel chez tous les professionnels qui s’occupent d’enfants. Nous devons préciser le cadre législatif pour faire primer la protection de la victime sur l’exercice du secret professionnel.

Les récents travaux de notre mission commune d’information sur la prévention des violences sexuelles sur les mineurs rappellent que nous n’avons pas de temps à perdre sur la question du signalement. Parce qu’être parent n’est pas du ressort de l’inné, parce que derrière un signalement, une aide va être apportée, nous devons signaler. Il y va de la protection des enfants et de la rupture du continuum des violences ; il y va surtout d’un autre regard de notre société sur les rapports de violences.

Je fais le rêve, monsieur le secrétaire d’État, que nos enfants ainsi éduqués ne toléreront plus la violence dans le monde, une fois devenus adultes, dans leur vie quotidienne, leur vie professionnelle, leurs relations intimes. Je fais le rêve d’une société où, lorsqu’ils diront : « Non, je ne veux pas ! », ce refus sera suivi d’effet ; d’une société de confiance où la parole des victimes sera entendue et respectée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)