M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, notre pays fait face à une crise inédite, inédite par sa soudaineté, sa gravité, et du fait de notre méconnaissance du virus.

La prolongation pour deux mois de l’état d’urgence est une mesure de prudence nécessaire, car le déconfinement – il faut le rappeler ici – n’est pas synonyme de fin de l’épidémie, une deuxième vague n’étant pas à exclure.

Ces derniers jours, un débat s’est engagé au sein de la société et de notre assemblée sur la ligne de crête qui existe entre la protection des libertés individuelles et la protection de la santé publique. L’efficacité du traçage des cas contacts dépendra en effet de multiples facteurs, dont l’adhésion de la population et des professionnels de santé de première ligne. Or des questions restent encore aujourd’hui en suspens concernant le respect de la vie privée, la protection des données individuelles et du secret médical pour les médecins.

Pour ma part, je m’interroge sur la cohérence du discours des pouvoirs publics : d’un côté, la restriction de certaines libertés publiques est présentée comme indispensable pour lutter contre le Covid-19, de l’autre, l’extension du port obligatoire du masque, justifiée médicalement, est laissée dans le flou.

D’autres pays ont diffusé des messages clairs à ce sujet. Je pense par exemple au Luxembourg, où le masque est depuis aujourd’hui obligatoire dans toutes les situations – transports en commun, magasins –, partout où une distance de 2 mètres ne pourra être respectée.

En France, ce message me semble brouillé. Le masque est recommandé, mais pas obligatoire, sauf dans les transports publics et dans les commerces qui le demandent. Or on sait qu’une information précise conditionnerait le respect des consignes et apaiserait les tensions dans l’espace public. On sait aussi que l’efficacité d’un masque porté, retiré, puis reporté, potentiellement avec des mains n’ayant pu être lavées, décroît considérablement.

Aussi, ma question est la suivante : pourquoi ne pas rendre obligatoire le port du masque dans tous les lieux publics, au besoin exclusivement dans les zones rouges si vous préférez une mesure plus restreinte, conformément aux recommandations du conseil scientifique et de l’Académie de médecine, et comme le demandent de nombreux élus ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Merci pour votre question, madame la sénatrice Guillotin.

Les recommandations sont claires : le port du masque est recommandé en population générale dès lors que les gestes barrières et la distanciation physique ne sont pas applicables. Le pays que vous avez cité le recommande dès lors que la distanciation physique n’est pas possible.

Le port du masque est recommandé dans les magasins, parfois sur le lieu de travail. Il sera rendu obligatoire dans les transports en commun, où il sera plus difficile qu’ailleurs de faire respecter la distanciation physique. On sait également qu’il sera difficile pour les enseignants de faire respecter les règles de distanciation à l’école, car on ne peut pas garantir que les enfants, qui courent partout, les appliqueront en toutes circonstances. En outre, un enseignant pourra être amené à intervenir auprès d’un enfant et à se rapprocher de lui. Pour ces raisons, le port du masque sera donc obligatoire. Dans les autres situations, il sera recommandé, conformément aux préconisations, qui ont beaucoup évolué, je le rappelle, depuis le 1er avril, et que nous avons suivies tout à fait naturellement. Le port du masque fait partie de l’arsenal que nous mettons en œuvre pour lutter contre une reprise épidémique.

Permettez-moi de vous poser une question. Imaginons que l’on rende le port du masque obligatoire dans la rue pour tous les Français : cela signifie qu’un mécanisme de sanction devra être prévu pour ceux qui ne le porteront pas. Or la distanciation physique, le lavage des mains, le fait de tousser dans son coude, de ne pas mettre dans sa poche un mouchoir usagé afin de pouvoir le réutiliser plus tard si on venait à en avoir besoin, sont des gestes barrières absolument essentiels, dont on sait, depuis le début, qu’ils fonctionnent. Pour autant, nous n’avons pas rendu leur application obligatoire dans la sphère publique. Personne ne se verra infliger une amende parce qu’il aura toussé dans sa main sans faire attention ou parce qu’il se sera touché le visage.

Nous sommes aujourd’hui dans la même logique d’accompagnement des Français. Nous leur faisons confiance et nous comptons sur leur sens des responsabilités. Cela étant, vous avez raison, les consignes doivent être claires, y compris concernant l’usage du masque. Nous aurons l’occasion d’y revenir auprès du grand public dans les jours qui viennent, en prévision du 11 mai.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en un seul semestre, notre pays aura connu trois périodes totalement distinctes, et ô combien singulières : celle d’avant le confinement, où on ignorait à peu près tout du Covid-19 ; celle du confinement, à partir du 17 mars, où, à juste titre, l’impératif sanitaire l’a emporté sur toute autre considération ; puis, à partir du 11 mai, la période que nous appelons, un peu vite sans doute, celle du déconfinement, période inédite durant laquelle notre pays devra conjuguer cette fois l’impératif sanitaire et l’impératif économique et social.

Il faut le dire avec gravité, nous abordons des terres inconnues. Les amortisseurs et les dispositifs d’aide publique ont permis d’éviter l’effondrement de notre appareil productif. À présent, il faut impérativement favoriser la meilleure transition pour qu’une majorité de salariés passe du chômage partiel au travail, sans passer par la case Pôle emploi.

C’est un enjeu considérable, qui exige la confiance de tous, celle des Françaises et des Français, celle des entrepreneurs et celle des partenaires sociaux. Il s’agit d’éviter à tout prix une augmentation massive du chômage et une crise sociale sans précédent, un véritable drame. Hervé Marseille l’a dit avant moi, rien n’est plus fragile que la confiance.

Madame la ministre, quelle méthode de dialogue social envisagez-vous avec les partenaires sociaux ? Les sujets à aborder sont nombreux : l’Unédic, les secteurs à l’arrêt – je pense au tourisme, à la culture, aux intermittents du spectacle, aux cafés et aux restaurants – et la participation – pourquoi pas ? –, car il faudra aussi donner des perspectives aux futurs salariés, lorsque la croissance reviendra. Enfin, ne pensez-vous pas que l’ampleur des sujets à aborder mérite l’organisation d’une conférence sociale de sortie de crise ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Olivier Henno, oui, nous vivons des moments que nous n’avons jamais connus auparavant et que nous ne pouvions pas imaginer il y a quelques mois.

Je pense que nous pouvons nous réjouir pour la France et pour les Français que nous ayons collectivement décidé de mettre en place un dispositif de chômage partiel profondément rénové, élargi, amplifié et massif. Ce matin, 11,7 millions de Français et 911 000 entreprises étaient protégés par le chômage partiel. Sans cette mesure, on peut dire que des centaines de milliers de personnes, probablement des millions, auraient déjà perdu leur emploi, comme c’est le cas aux États-Unis pour 30 millions de personnes.

Le dispositif de chômage partiel massif, que nous avons étendu à toutes les catégories et rendu universel jusqu’à 4,5 fois le SMIC, ce qui n’était pas le cas dans le système précédent, nous permet certainement d’éviter dans cette première phase ce que nous avons connu en 2008-2009, c’est-à-dire des licenciements assez massifs et immédiats.

Maintenant, il faut réussir la deuxième phase, comme vous l’avez dit. Il faut une reprise de l’activité plus importante – elle est aujourd’hui en baisse de 36 % – et progressive en fonction des secteurs. Évidemment, l’hôtellerie, les bars, les restaurants redémarreront plus tard, une partie du secteur du tourisme et de la culture aussi, mais il faut repartir.

Pour cela, le dialogue social est la clé, à tous les niveaux. Il est essentiel dans les entreprises, où l’on discute partout aujourd’hui des conditions de la reprise et de l’organisation du travail lors du déconfinement. Hier, nous avons publié un protocole national de déconfinement pour les entreprises, qui complète les cinquante et un guides métiers déjà produits – d’autres seront réalisés. C’est très important, car il faut se mettre d’accord au sein des entreprises sur les modalités de reprise.

J’ai, deux ou trois fois par semaine, une conférence téléphonique d’une heure et demie avec les partenaires sociaux à l’échelon national. Tous les sujets que vous avez évoqués, notamment le partage de la valeur, mais d’autres également – je pense à la formation – sont à l’ordre du jour. Étape par étape, nous construirons ensemble, après le confinement, le déconfinement, puis la relance.

M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Monsieur le ministre, vous connaissez sûrement Mary Mallon, cette Américaine porteuse saine de la fièvre typhoïde au début du XXe siècle, qui, pour avoir dénié de manière persistante la maladie dont elle était atteinte, a contaminé plus de cinquante personnes et provoqué la mort de trois d’entre elles.

Vous savez aussi, vous en avez entendu parler, que la maladie de Kawasaki touche actuellement pas mal d’enfants sur le territoire national. La semaine dernière, 23 enfants atteints de cette maladie avaient été hospitalisés en Île-de-France. Cette semaine, ils étaient 60 sur l’ensemble du territoire national, selon les spécialistes de l’hôpital Necker, qui se sont réunis ce midi et m’ont transmis leur rapport tout à l’heure. On ne sait pas exactement si la maladie de Kawasaki qu’ils présentent est liée directement au Covid-19, mais les risques que tel soit le cas sont élevés.

Le texte du Gouvernement prévoyait le confinement et l’isolement obligatoire, ces mesures ont été supprimées à la suite de la réunion du Gouvernement samedi. Pourquoi ?

Par ailleurs, est-il nécessaire de prévoir l’ouverture des écoles, sachant que la maladie de Kawasaki est en train de s’installer sur l’ensemble du territoire national ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Merci, monsieur le président Alain Milon, pour votre question.

Vous l’avez dit vous-même, Mary Mallon, cette Américaine, était porteuse de la maladie et l’a transmise sans le savoir et sans le vouloir.

Pour notre part, nous prônons une quatorzaine ou un isolement systématique des personnes malades. Cela signifie que nous allons informer ces personnes qu’elles sont malades, qu’elles sont potentiellement contagieuses, et leur dire qu’elles prendraient le risque, si elles sortaient, de contaminer des êtres chers de leur entourage ou des inconnus qu’elles pourraient croiser.

Le Gouvernement ne fait pas le choix de la méfiance a priori. Les personnes à qui l’on annoncera qu’elles ont le Covid-19 savent pertinemment aujourd’hui ce qu’est l’épidémie. Elles seront prises en charge, protégées, appelées à rester chez elles. Dès lors, il ne nous semble pas indispensable de mettre en place des mesures contraignantes pour sanctionner tout manquement à ce que je considère être à la fois du civisme et du bon sens sanitaire. (M. Alain Milon sexclame.) Monsieur le président Milon, c’est le choix qui a été fait, et nous l’assumons.

Les Français ont fait preuve à notre égard de la même confiance que celle que nous leur portons. Ils respectent de façon remarquable le confinement depuis bientôt huit semaines.

Vous m’interrogez par ailleurs sur la situation de plusieurs dizaines d’enfants en France, atteints de la maladie de Kawasaki. Ce nombre augmente parce que, à ma demande, les autorités de santé ont lancé un appel à toutes les unités de réanimation pédiatrique de France afin qu’elles fassent remonter tous les cas qui pourraient être apparentés à cette maladie et impliquer le coronavirus.

Une enquête est en cours au jour le jour. Je me tiens informé, directement ou par mon cabinet, notamment auprès des réanimateurs pédiatriques de l’hôpital Necker ou d’autres afin de tenter de comprendre les tenants et les aboutissants. Le problème n’est pas franco-français, il touche aussi l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne.

Les pédiatres nous disent que cette maladie apparaît de temps en temps après des épidémies virales, qu’il s’agit d’un mécanisme réactionnel. J’attends de disposer d’éléments plus étayés, des résultats des recherches phénotypiques sur l’ARN du virus. Je n’entrerai pas dans les détails, au risque que M. le président me coupe le micro – et il aurait raison, car j’ai été bien trop long –, mais nous aurons peut-être l’occasion de revenir dans quelques heures sur votre question.

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le Premier ministre, lors de votre conférence de presse du 19 avril, vous avez énuméré tous les secteurs d’activité, sauf la culture, que vous avez oubliée.

Pourtant, je sais que si je vous disais que la culture n’est pas un supplément d’âme, mais qu’elle est notre âme, vous seriez d’accord.

Si je vous disais que la culture dans sa diversité est ce qui nous permet de rêver, d’imaginer, de connaître, de nous rencontrer, de nous projeter, de chercher du sens et d’en donner, vous seriez d’accord aussi.

Si je vous disais que tout cela s’est particulièrement démontré pendant cette crise, où les artistes, professionnels et amateurs, celles et ceux qui nous informent, nous apprennent ou nous divertissent ont été indispensables à notre vie confinée pour tenir ensemble et individuellement, vous seriez encore d’accord.

Permettez-moi d’être direct. Vous consacrez 45 milliards d’euros au sauvetage de l’économie. Si vous êtes d’accord avec tout cela, combien allouez-vous à la culture, qui est au bord du chaos ? Si l’on ramenait cette aide globale à la part de la culture dans le PIB, qui est de 3,2 %, il faudrait lui destiner plus d’un milliard d’euros tout de suite. La culture est aussi un secteur économique vital, qui représente sept fois la valeur ajoutée de l’automobile et 1,5 million d’emplois directs.

C’est pourquoi je vous demande, a minima, d’accorder en urgence, pour faire face à cette année noire, une année blanche aux intermittents du spectacle, qui, pour certains, n’arrivent déjà plus à se nourrir. Prolongez les droits des intermittents d’une année au-delà des mois où toute activité aura été impossible.

Je vous demande également des mesures d’urgence pour tous les travailleurs en contrat court, qui ne se verront proposer aucun des emplois que les secteurs d’activités culturels offrent en temps normal, afin de maintenir leurs droits d’indemnisation et leurs moyens d’existence.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Assouline, vous avez raison, les acteurs de la culture, notamment les artistes, jouent un rôle considérable dans notre pays et pour nos compatriotes. Ils ont joué un rôle considérable pendant le confinement et ils vont jouer un rôle considérable pour la sortie de crise.

Je ne peux pas vous laisser dire que le Gouvernement a oublié le monde de la culture. Le Premier ministre a rappelé les dispositions qui ont été prises en urgence pour que les mesures transversales qui bénéficient à toute l’économie bénéficient aussi au secteur culturel : les prêts garantis par l’État, l’accès au chômage partiel, le report des charges sociales et fiscales, sans compter tous les dispositifs spécifiques que le ministère de la culture, notamment au travers de ses opérateurs – le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), le Centre national du livre (CNL), le Centre national de la musique (CNM), le Centre national des arts plastiques (CNAP) – a mis en place en urgence pour accompagner les acteurs de la culture dans la crise.

Toutefois, vous avez totalement raison sur un point : tout cela ne suffit pas pour l’avenir. Cela ne suffit pas pour assurer que les techniciens, les artistes, les artistes-auteurs, les producteurs et l’ensemble des membres du réseau de la culture, ô combien importants dans notre pays, puissent continuer de proposer ce qu’ils proposent et qui est si utile à nos compatriotes.

C’est la raison pour laquelle, depuis plusieurs jours, ma collègue Muriel Pénicaud et moi-même, en lien avec nos collègues du ministère de l’économie et des finances et sous l’autorité du Premier ministre, bâtissons des solutions d’avenir pour nous assurer que cet écosystème si important puisse être sauvé et que nous puissions continuer de nous appuyer sur ces acteurs de la culture.

Les solutions sont complexes. Elles devront être à la hauteur et elles devront être pérennes. Mais vous pouvez compter sur l’engagement du ministère de la culture dans sa diversité et du Gouvernement tout entier pour faire en sorte que les intermittents du spectacle, les artistes-auteurs et l’ensemble des PME, PMI et TPE qui constituent le réseau culturel de notre pays puissent continuer de proposer leurs œuvres à nos compatriotes.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.

M. David Assouline. Monsieur le ministre, je vous ai posé une question précise. Je sais que vous êtes suspendu à la parole du Président de la République, mais nous sommes au Parlement, et je ne doute pas que vous savez aujourd’hui si vous allez accorder cette année blanche aux intermittents qui la réclament à juste titre.

Permettez-moi de vous interpeller sur une autre question : il faut absolument transposer très vite la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) pour les droits d’auteur. J’estime qu’il faut aussi assurer une sanctuarisation de nos actifs, notamment dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel, car des acteurs étrangers sont déjà à l’affût de nos entreprises.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dès la fin du mois de mars, la commission des affaires économiques attirait déjà l’attention du ministre de l’économie sur un point qui est vite apparu comme essentiel pour réussir la reprise économique, à savoir la responsabilité des chefs d’entreprise.

Au regard du peu de certitudes que nous avons sur le Covid-19 et sa propagation, force est de constater que le risque de contamination sur le lieu de travail pourrait encore exister malgré le respect des consignes sanitaires. Les chefs d’entreprise et les salariés devront « vivre avec », selon votre expression, monsieur le Premier ministre.

Nous appelons bien sûr à la reprise de l’activité économique, et nous affirmons ici que la protection des salariés est prioritaire, mais la confiance des employeurs pourrait aussi être entamée si, en dépit des efforts fournis, de la bonne application des consignes et de la concertation avec les partenaires sociaux, leur responsabilité pouvait encore être engagée.

Je vous ai bien entendus, madame la garde des sceaux, monsieur le Premier ministre, mais, avec la loi Fauchon, il existera toujours une possibilité qu’un juge considère que toutes les mesures nécessaires n’ont pas été mises en œuvre, puisque cette loi précise que ces personnes seront pénalement responsables si elles ont commis une faute caractérisée. Il faut donc bien que le juge caractérise cette faute ; or vous savez que, en la matière, la jurisprudence a fait des allers et retours.

À la demande des syndicats, le ministère du travail a publié hier un manuel général de déconfinement. Ce manuel est bienvenu, mais il n’est qu’indicatif, car, à moins que vous nous disiez le contraire, il n’a pas de caractère juridique avéré de nature à protéger les chefs d’entreprise. Sa stricte application s’avérera d’ailleurs parfois impossible dans certaines entreprises, ouvrant le champ de l’interprétation sur le terrain.

Enfin, les patrons de PME, de TPE et de commerce sont souvent seuls pour mettre en place ces prescriptions et n’ont donc aucune autre sécurité juridique que celle de leur bon sens. Seuls, ils sont juridiquement plus vulnérables.

Madame la garde des sceaux, quelle est la valeur juridique de ces guides ? S’ils sont pris devant la représentation nationale, vos engagements pourront nourrir la future jurisprudence.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Sophie Primas. Quelles réassurances allez-vous mettre en place pour l’ensemble des acteurs économiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Primas, la reprise d’activité liée au déconfinement suscite effectivement des inquiétudes. Les employeurs craignent de voir leur responsabilité civile engagée par manquement aux règles de protection si par hasard l’un de leurs salariés était atteint par le Covid-19.

Comme M. le Premier ministre l’a rappelé, le Gouvernement est très attentif à la sécurisation juridique de la reprise d’activité. Il considère que cette inquiétude des chefs d’entreprise peut être légitime et qu’il convient d’y répondre.

Vous avez justement rappelé que la nature de l’obligation de sécurité de l’employeur a pu susciter des hésitations jurisprudentielles et doctrinales. Toutefois, depuis l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 2015 dans une affaire impliquant Air France, la jurisprudence est stabilisée. Elle a d’ailleurs été confirmée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2019.

Il est désormais jugé de manière constante que l’employeur qui a pris les mesures de prévention obligatoires respecte ses obligations légales et peut s’exonérer de sa responsabilité civile. Le droit actuel pose donc déjà le principe, non pas d’une obligation de résultat, mais d’une obligation de sécurité ou de moyens renforcée.

L’employeur qui respecte ses obligations de sécurité vis-à-vis des salariés ne peut voir sa responsabilité civile engagée. En revanche, l’employeur qui ne prendrait pas les mesures imposées par la législation commettrait une faute susceptible d’engager sa responsabilité.

Ce cadre juridique est désormais bien établi. Il permet d’assurer, d’une part, la protection des salariés et, d’autre part, la sécurité juridique des employeurs.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Toutefois, comme M. Le Premier ministre l’a indiqué précédemment, nous sommes prêts à accompagner le débat sur ce point et s’il faut clarifier cette question dans la loi, nous sommes en mesure de le faire.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la responsabilité des élus locaux.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, les sénatrices et sénateurs du groupe socialiste et républicain ont déposé plusieurs amendements visant à répondre aux inquiétudes des maires à la suite des décisions et déclarations parfois chaotiques du Gouvernement.

Qu’il s’agisse de la réouverture des écoles ou des transports publics, les élus locaux n’ont pas été associés à la définition des grandes orientations prises par l’État, dont la faisabilité n’a fait l’objet d’aucune concertation.

Dans mon département, la Saône-et-Loire, les élus, pris en étau entre des injonctions gouvernementales multiples et complexes et une absence criante de moyens et d’accompagnement pour les mettre en œuvre, s’interrogent sur l’opportunité de rouvrir les écoles. Ils en décident en lien avec la population, mais parce qu’ils sont en première ligne, le risque est réel que pèse sur eux une responsabilité qui ne correspond ni à la part qu’ils ont prise dans la décision ni aux moyens dont ils disposent.

Nous considérons que des clarifications et un cadre juridique protecteur sont indispensables. Il est de votre responsabilité de soutenir et d’aider celles et ceux qui ont décidé de vous faire confiance et de vous accompagner dans le déconfinement.

C’est pourquoi notre groupe propose que, à compter de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et jusqu’à trois mois après sa cessation, tout acte accompli par un élu local ou un agent public ayant reçu délégation visant à mettre en œuvre une décision prise par l’État dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire engage exclusivement la responsabilité de l’État.

À l’inverse de ce que le Premier ministre a suggéré dans sa déclaration, il ne s’agit pas d’exonérer les acteurs publics de leur responsabilité, mais de situer la responsabilité à son juste niveau. Or en l’espèce, puisque c’est l’État qui décide de tout et tout seul, il ne peut reporter sa responsabilité sur les élus locaux.

Ma question est donc simple : le Gouvernement apportera-t-il son soutien à ces amendements ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Ainsi que je viens de l’indiquer, monsieur le sénateur Durain, le Gouvernement est très attentif à ce que les employeurs privés, les élus locaux, mais aussi les décideurs publics, qui vont devoir prendre des décisions souvent « engageantes » dans le cadre du déconfinement ne le fassent pas dans la crainte de voir leur responsabilité pénale engagée.

Toutefois, nous le savons aussi, toute décision politique emporte une part de responsabilité qu’il n’est pas question de nier. Il nous appartient donc de trouver un point d’équilibre.

Comme j’ai pu le rappeler devant votre chambre, le code pénal, depuis la loi Fauchon, pose un cadre très strict qui limite la possibilité d’engager la responsabilité des employeurs publics pour mise en danger de la vie d’autrui ou bien pour des infractions involontaires. Ces mises en cause, je le redis, reposent sur la recherche d’un comportement sciemment dangereux, d’une mise en danger délibérée de la vie d’autrui.

La responsabilité pénale ne peut alors être recherchée que dans deux hypothèses : soit sur la base d’une faute délibérée, c’est-à-dire de la violation délibérée d’une norme existante qui impose une obligation particulière, soit, en l’absence de norme, sur la base d’une faute caractérisée. Sur ce point, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, la Cour de cassation exige une appréciation in concreto de cette éventuelle faute.

Au regard de ce cadre juridique, il me semble donc difficile que les élus locaux ou les employeurs qui donneraient les instructions nécessaires en matière de dispositifs liés à la sécurité sanitaire puissent voir leur responsabilité engagée. Nous apprécierons toutefois ensemble si une codification ou une clarification de ces dispositions peut apporter un élément de réassurance supplémentaire. Nous serons prêts à accompagner les travaux du Parlement en ce sens.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.

M. Jérôme Durain. Madame la garde des sceaux, le Premier ministre a demandé de l’adhésion au processus de déconfinement. En contrepartie de cette adhésion, il vous faut lever les doutes sur la responsabilité.

Ces doutes remontent de partout sur le terrain, au sujet des écoles de campagne dont les locaux sont exigus et qui n’ont pas de salle supplémentaire pour faire manger les enfants, mais aussi sur la question des transports scolaires. Ces doutes s’expriment aussi au Parlement, puisque plus de cent cinquante parlementaires ont signé une tribune pour protéger les maires juridiquement.

Vous voulez de l’adhésion ? Nous, élus sur le terrain et parlementaires, voulons de la responsabilité. Il faut nous écouter.