M. le président. La parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous infliger une voix pénible à entendre, mais je n’en serai que plus bref. (Sourires.)

Avec cette discussion, nous sommes face à un ensemble d’enjeux vitaux. D’un côté, le temps de la vie doit reprendre, qu’il s’agisse de la vie éducative, familiale et amicale, du redéploiement de l’activité, de la création de richesses ou de la consolidation des emplois. De l’autre, les décisions que le Gouvernement va prendre avec notre accord mettent en jeu des milliers de vies.

On a avancé, avec de vrais arguments, que le confinement avait épargné des dizaines de milliers de vies. Si nous nous trompons, si nous choisissons mal les cibles et les méthodes d’encadrement pour les prochains mois, nous risquons de nouveau de créer des drames. Nous voulons bien sûr les éviter. Il faut donc continuer à agir pour faire barrage à la contagion.

Nous engageons un programme regroupant de multiples actions publiques soutenues par un dialogue permanent et par un grand nombre de partenariats indispensables. Depuis des semaines, le Gouvernement mène, à cette fin, un travail intensif, auquel le Parlement est fortement associé. Nos deux débats d’aujourd’hui en témoignent ; viendront ensuite nos missions de suivi, grâce auxquelles nous pourrons nous assurer que le bon cadre a été choisi.

La reprise de l’activité scolaire va s’engager dans une semaine. Il s’agit, là aussi, d’un moment de réunion de volontés. La rapidité de cette remise en route scolaire, décidée il y a trois semaines par le Président de la République, provoque des débats souvent intenses, traduisant parfois un certain malaise. C’est difficile – nous en convenons tous –, mais il fallait commencer. Nous le savons bien, huit ou quinze jours de plus n’auraient rien changé aux problèmes.

Un esprit constructif se manifeste dans la plupart de nos communes, dans la plupart de nos équipes enseignantes. Il faut l’encourager, afin qu’il l’emporte, même si la progressivité de la reprise scolaire est indispensable au succès futur de nos enfants et à l’équilibre des familles.

Bien sûr, ce travail pose la question de l’élargissement de la protection de nos collègues élus locaux et des autres responsables publics, étant donné la responsabilité légale qu’ils engagent par leurs actes.

Le cadre légal de base est clairement satisfaisant. En cas de simple négligence ou de simple ignorance, la loi Fauchon et la jurisprudence permettent déjà d’éviter que la responsabilité ne soit mise en jeu. Néanmoins, nous souhaitons très majoritairement compléter le code pénal et la jurisprudence à cet égard, et je crois que nous trouverons la bonne solution.

En parallèle, ce projet de loi comporte deux dispositions particulières : la précision des mesures d’encadrement individuel et le système d’information.

M. Bas l’a déjà indiqué, les mesures d’encadrement individuel, de tradition très ancienne, sont nécessaires pour éviter la diffusion du virus. Elles se limitent pour l’instant à la quarantaine extérieure, qui semble faire l’objet d’un consensus.

Comme l’a rappelé M. Milon, s’y ajoute le contrôle, même incomplet, des citoyens réfractaires, contrevenant aux mesures de précaution. Ce choix est en débat. Notre groupe, comme d’autres, sera probablement partagé. À titre personnel, j’ai vraiment la conviction qu’il faut une méthode, au moins partielle, de contrôle des individus défiant les obligations de protection d’autrui : c’est une question de cohésion sociale.

Au sujet du système d’information, Philippe Bas a également été d’une grande clarté. Il a d’ailleurs mobilisé son expérience d’ancien ministre de la santé. La nécessité d’un tel dispositif est évidente ; il reprend des usages prévus de longue date par le code de la santé publique. Habituellement, ces derniers s’appliquent à des contagions de moindre ampleur ; nous sommes face à un changement d’échelle, mais, précisément, l’ampleur et la vigueur de la contagion justifient de légiférer.

Mes chers collègues, nous le savons tous, légiférer n’est pas facile, compte tenu de la confrontation inévitable entre les intérêts publics et des intérêts privés légitimes. Toutefois, j’en suis convaincu, et, à cet égard, notre groupe sera unanime, il faut soutenir ce système d’information, étape clé de la réussite du déconfinement.

La prolongation de l’état d’urgence sanitaire, de deux mois ou d’un mois et demi, qui va de pair avec l’élargissement de la liberté de mouvement, va supposer de réviser une série de mesures prises au titre de la loi du 23 mars dernier ou des ordonnances successives. Ces mesures découlaient du confinement complet. Ainsi, comme l’a relevé M. le rapporteur, un certain nombre de reports de délais de procédure ou de décision ne se justifient plus dans cette seconde période. Il faudra donc procéder à un toilettage, en particulier dans la réorganisation décidée en mars des procédures et des processus administratifs. Les services publics doivent reprendre, et il faut tout faire en ce sens.

Monsieur Retailleau – je suis heureux que vous soyez revenu en séance –, vous nous avez annoncé votre intention de saisir le Conseil constitutionnel de ces dispositions. Permettez-moi de m’en réjouir ! Bien entendu, ce débat s’inscrit également dans un contexte de combat politique. Durant toute ma vie législative, j’ai entendu des annonces – j’en ai même parfois prononcé – de saisine du Conseil constitutionnel par volonté d’opposition. Mais, une fois que le Conseil constitutionnel a tranché, la vérité juridique est dite et, en conséquence, la sécurité de nos lois est assurée.

Cette saisine rendra donc service à tout le monde. Nous n’avons pas pu y recourir pour la première loi, car nous voulions qu’elle entre en vigueur tout de suite ; mais cette fois nous disposons d’un petit délai, et nous pourrons apporter cette sécurité, qui conforte notre volonté commune de soutenir le rétablissement de la vie de la Nation.

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, au nom du groupe Les Républicains, je salue l’engagement et le courage des professionnels de santé et je rends hommage à l’ensemble des salariés et des fonctionnaires qui assurent le maintien des services essentiels à la population depuis le début de la crise.

Les circonstances exceptionnelles qui nous réunissent appellent, certes, des mesures exceptionnelles, mais les conditions d’examen qui nous sont imposées pour ce texte ne sont pas propices au travail du Parlement. Depuis le vote de la première loi d’urgence sanitaire, plus de six semaines se sont écoulées. Or nous travaillons aujourd’hui sur un texte dont le contenu est connu depuis seulement quarante-huit heures et dont l’examen en commission a eu lieu ce matin même. Le Gouvernement aurait très bien pu organiser la présentation de ce texte dans des délais moins contraints.

J’en viens au texte.

L’ensemble des mesures de ce projet de loi ainsi que leurs enjeux ont été parfaitement présentés par les présidents-rapporteurs Philippe Bas et Alain Milon, que je tiens à saluer. Ce texte est une étape vers la sortie progressive du confinement. Néanmoins, une question nous paraît essentielle : notre pays est-il préparé au déconfinement ? Dans son discours, le Premier ministre a clairement énoncé un triptyque offensif maintenant très bien connu – protéger, tester, isoler –, qui, selon nous, aurait dû être mis en place bien avant.

Derrière ces trois mots, quelle est la réalité ?

La première nécessité est de protéger. Le port obligatoire du masque dans les transports en commun constitue certes une avancée, mais il reste une exception dans la sphère publique, où la recommandation continue de l’emporter sur l’obligation. Si nous voulons que les Français soient protégés, ne faudrait-il pas rendre obligatoire le port du masque dans l’ensemble de l’espace public ?

Les incohérences successives dans la communication gouvernementale et le changement de doctrine quant au port du masque ont profondément abîmé la confiance des Français en la parole publique. Monsieur le ministre, vous qui faites appel au sens des responsabilités des Français, vous nous expliquiez, voilà quelques semaines, que personne n’avait besoin de porter un masque.

M. Olivier Véran, ministre. Je n’ai pas dit personne !

M. Philippe Mouiller. Aujourd’hui, nous observons un changement de discours du Gouvernement : il devient préférable, dans de nombreuses circonstances, de porter un masque plutôt que de ne pas en porter.

Pour expliquer ce revirement, le Gouvernement a mis en avant un changement de doctrine. Or, depuis le 22 janvier dernier, alors que le virus circulait en Chine, des infectiologues ont signalé la nécessité de mettre un masque pour éviter toute contagion. Au moment où les Français vivent une épreuve inédite, difficile et parfois cruelle, il est important de dénoncer les fausses informations ; néanmoins, avant de prétendre labelliser comme « véridique » telle ou telle information, n’aurait-il pas fallu dire la vérité aux Français concernant la pénurie de masques ?

Par ailleurs, une polémique est apparue au cours des derniers jours sur la capacité de la grande distribution à mettre à disposition du public une quantité importante de masques, mais le problème n’est pas là ; il réside plutôt dans l’approvisionnement des pharmacies, qui doivent, par ailleurs, avoir suffisamment de masques pour les professionnels de santé et pour les Français les plus fragiles. Que comptez-vous faire pour remédier à cette situation ?

La deuxième nécessité est de tester. En matière de dépistage, les temps ont changé, selon les propos que le Premier ministre a tenus lors de la présentation du plan de déconfinement. Or, depuis le 16 mars dernier, le directeur général de l’OMS indique qu’il faut tester le maximum de personnes pour stopper la chaîne de contamination du Covid-19.

Les chiffres sont là : l’OCDE signale que, en date du 15 avril, le nombre de personnes dépistées en France était de 5,1 pour 1 000 habitants, plaçant notre pays derrière la Turquie, dont le ratio est de 5,3 personnes pour 1 000 habitants ; c’est près de trois fois moins que la moyenne des pays de l’OCDE, et nous sommes loin derrière l’Allemagne.

Devant la mission parlementaire de l’Assemblée nationale, le directeur général de la santé assurait, le 23 avril dernier, que, désormais, 165 000 personnes étaient dépistées chaque semaine. Le lendemain, on annonçait devant les micros plutôt le chiffre de 300 000. Finalement, quels sont les bons chiffres ? Là encore, la confusion ne suscite pas la confiance…

Il semblerait que, malgré l’augmentation de la capacité à réaliser des tests RT-PCR, grâce à l’autorisation accordée aux laboratoires départementaux de le faire – je rappelle l’action en ce sens de notre président de groupe, Bruno Retailleau –, des difficultés logistiques persistent. Quid de l’approvisionnement en réactifs biochimiques et en différents équipements, comme les écouvillons, sans oublier les équipements de protection pour le personnel habilité à prélever ? Nous avons bien noté l’objectif des 700 000 tests hebdomadaires, mais comment ferez-vous pour l’atteindre, compte tenu des difficultés qui existent dans le déploiement d’une stratégie massive de dépistage ?

La troisième nécessité est l’isolement. Sauf à ce qu’elles aient la possibilité de s’isoler dans une pièce à part, les personnes dépistées positives au Covid-19 ne devraient pas retourner dans leur famille, contrairement à ce que nous avons malheureusement laissé faire jusqu’à présent, au risque qu’elles infectent leur entourage. Une large palette d’hébergements doit être mise à la disposition des Français qui ne pourront pas s’isoler chez eux, avec toute la logistique qui va avec. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Pour ce qui concerne le texte, le principe, inscrit à l’article 2 du projet de loi, du consentement et de la responsabilité individuels pour les mesures de mise en quarantaine et d’isolement a finalement été retenu par le Gouvernement, sauf pour les personnes entrant sur le territoire. Là encore, ce qui a été annoncé samedi dernier n’était déjà plus d’actualité ce matin. La mesure ne concerne donc que les personnes provenant de l’extérieur de l’Union européenne, de l’espace Schengen et du Royaume-Uni.

Nous soutenons la proposition du président Milon consistant à sécuriser, au sein de l’article 6, le périmètre des données de santé. Il est en effet essentiel que les données collectées soient strictement circonscrites et limitées au seul statut virologique du patient.

Enfin, dans les circonstances actuelles, nous sommes favorables à la prolongation, prévue à l’article 1er, de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet prochain. Cette date, retenue par la commission des lois, nous paraît plus pertinente au regard des incertitudes qui pèsent encore sur les conditions dans lesquelles sera mené le déconfinement.

Bien entendu, d’autres points importants seront traités par notre collègue François-Noël Buffet, notamment pour ce qui concerne la question, essentielle dans ce débat, de la responsabilité des élus locaux et des chefs d’entreprise.

Pour conclure, je dirai que ce texte est loin de répondre à toutes les questions que pose le déconfinement. Le vote du groupe Les Républicains dépendra donc de l’évolution de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

M. Emmanuel Capus. La sortie de crise repose sur une procédure en quatre étapes : détecter, avec l’appui des médecins traitants et du traçage numérique ; tester, en mobilisant toutes nos capacités ; isoler et surveiller, dans la limite des libertés individuelles et de la confidentialité des données médicales utilisées. Le Gouvernement a fait le choix de restreindre l’obligation de mise à l’isolement et de quarantaine aux nouveaux arrivants provenant d’un pays extracommunautaire.

Dans l’ensemble, le texte qui nous est soumis propose un juste équilibre entre santé publique et libertés individuelles.

Nous le savons, l’immunité collective nécessaire pour endiguer la propagation du virus pourra uniquement être atteinte par voie artificielle, c’est-à-dire par vaccination. Pourtant, nous ne pouvons maintenir plus longtemps la France à l’arrêt sans prendre la responsabilité de faire des victimes indirectes, bien plus nombreuses. Il s’agit non pas d’un calcul entre économie et santé, mais d’une équation à multiples inconnues, qui nous oblige à la prudence. En effet, nous ne connaissons pas le nombre réel de personnes asymptomatiques ou paucisymptomatiques ni le degré de contagiosité de ces personnes ; nous ne connaissons pas non plus la durée d’efficacité de l’immunité des personnes guéries ; enfin, nous ne connaissons pas l’ampleur des dommages que le virus cause à long terme.

La distanciation sociale, les gestes barrières, le port du masque : toutes ces mesures élémentaires relèvent de la prévention. Le maillon faible de notre système de santé, trop longtemps absorbé par les politiques de l’immédiateté, se révèle être, en l’absence de traitement, le meilleur rempart contre cette épidémie. Pour cela, encore devons-nous mettre à disposition de la population des masques, à un prix raisonnable et non dix fois plus élevé qu’il y a deux mois.

Restons pragmatiques et poursuivons nos efforts pour surmonter cette crise. Les prochaines semaines seront décisives pour les mois à venir ; pour préserver les libertés et la santé du plus grand nombre de Français, le civisme et la responsabilité individuelle de tous seront plus que jamais nécessaires. Plus que jamais, l’unité nationale doit être le geste barrière de nos institutions. C’est pourquoi, mon collègue Dany Wattebled l’a indiqué précédemment, le groupe Les Indépendants apporte son soutien au Gouvernement sur ce texte, comme sur celui qui l’a précédé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – M. Alain Richard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce soir pour examiner un texte important, qui, rappelons-le, a été déposé seulement samedi dernier par le Gouvernement sur le bureau du Sénat, soit, pour ainsi dire, il y a quelques heures. Il s’agit d’un texte qui vise à préparer le déconfinement, d’où la nécessité d’être précis dès ce soir sur ce que nous allons faire. Je salue, comme Philippe Mouiller, le personnel soignant, mais aussi ceux qui assurent, depuis le début, les missions des services essentiels.

Quel tableau du déconfinement ce texte dessine-t-il ? Une peinture un peu incomplète, parfois même problématique. Commençons par les absences.

D’abord, nombre de mesures de déconfinement relèvent du domaine réglementaire. Nous n’aurons donc pas à les examiner, mais, soyons-en certains, la mission de suivi de la commission des lois restera vigilante pour que se poursuive le bon exercice de la fonction de contrôle du Parlement, même en cette période difficile.

Ensuite, il y avait quelques silences dans le projet de loi initial. D’une part, le système d’information mentionné à l’article 6 n’est pas la fameuse application StopCovid. Cette application avait pourtant été présentée, au cours des dernières semaines, comme l’outil privilégié du déconfinement. D’autre part – le Gouvernement comprendra notre attention particulière sur ce sujet –, se pose la question de la responsabilité des maires et, au-delà, des élus, face à ce déconfinement. Chacun le sait ici, de nombreuses inquiétudes remontent du terrain. Les élus locaux ont souvent participé, en première ligne, comme beaucoup d’autres, à la réponse publique face à l’épidémie, alors même que, parfois, ils n’avaient pas été réélus lors des dernières élections, voire qu’ils souhaitaient se retirer de la vie publique.

Maintenant, au moment de rouvrir certains services essentiels, dont les écoles, les élus craignent de voir leur responsabilité engagée si des infections venaient à se produire, pour une décision qui, fondamentalement, n’est pas la leur. Cette responsabilité résulte de la coexistence, en la personne du maire, d’un élu local et d’un représentant de l’État dans sa commune.

Pourtant, le texte initial était muet sur cette question cruciale ; il ne présentait guère de proposition pour remédier à ce défaut. Nous espérons que, pendant les débats qui s’ouvrent, le Gouvernement entendra la voix des territoires et du Sénat sur ce sujet et ne prendra pas le risque d’abandonner en rase campagne les élus les plus dévoués de notre République. Ce matin, la commission des lois a fait, sur l’initiative de son président-rapporteur, des propositions à ce sujet.

Venons-en à ce qui figure dans le texte. Plusieurs des dispositions ne soulèvent guère de discussion ; nous n’avons pas de remarque particulière à formuler sur le prolongement de l’état d’urgence sanitaire, sur l’élargissement, à certains agents, des pouvoirs de verbalisation ou encore sur les éléments relatifs à nos collectivités d’outre-mer.

Les dispositions du texte relatives à la mise en quarantaine et à l’isolement des personnes entrant sur le territoire national présentent des améliorations significatives par rapport à ce qui était envisagé avant l’avis du Conseil d’État. Le dispositif précédent contenait en effet un risque réel d’atteinte aux libertés constitutionnelles et conventionnellement garanties. Il est heureux que le Gouvernement ait doté le texte de garanties plus solides avant la discussion parlementaire. Parmi celles-ci, nous tenons à relever tout particulièrement le rôle renforcé du juge des libertés et de la détention.

Évidemment, pour rendre effectives ces garanties, encore faut-il permettre au juge de remplir son rôle dans des conditions convenables. Petite digression : la commission des lois, en particulier Patrick Kanner et votre serviteur, qui travaille sur la situation de la justice, constate que celle-ci est en grande difficulté dans la période actuelle ; si nous voulons renforcer de nouveau le rôle du juge des libertés dans les circonstances prochaines, il faudra vraiment donner à ce dernier les moyens d’agir dans de bonnes conditions.

J’en reviens au projet de loi, car un sujet doit encore être évoqué, celui du système d’information prévu à l’article 6.

Nous avons lu les préconisations du comité de scientifiques et l’avis du Conseil d’État ; nous comprenons l’intérêt de procéder à des rassemblements de données pour permettre une lutte plus efficace contre l’épidémie. Néanmoins, la création de bases de données centralisées et interconnectées – étrangement, on parle, au sein de cet article, de « système » et de « systèmes », tant au singulier qu’au pluriel – suscite des interrogations, y compris pour les bases créées avec les meilleures intentions. Une fois ces données agrégées, même si des précautions sont prises à l’égard des personnes pouvant les consulter, des accidents ou des piratages demeurent possibles. Nous n’écartons pas le principe de la mise en place de ce système, surtout si c’est pour sauver des vies, mais le recours à l’ordonnance ou au décret pour son calibrage nous inquiète ; comme souvent, le diable se cache dans les détails…

Enfin, nous ne pouvons nous empêcher de relever que, une fois de plus, nous travaillons dans l’urgence. C’était parfaitement compréhensible, compte tenu des circonstances, pour la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Le Sénat était conscient de la situation ; nous nous étions donc astreints à organiser le travail pour permettre une adoption aussi rapide que possible des mesures dont le pays avait besoin immédiatement, en ajustant ce qui pouvait l’être et en faisant usage de certains raccourcis procéduraux exceptionnels. Toutefois, mon collègue Philippe Mouiller l’a demandé, était-il vraiment impératif de travailler de cette manière cette fois-ci ? N’aurait-il pas été possible, pour le Gouvernement, de mieux anticiper ces travaux dès la semaine dernière, afin d’assurer une bonne information et une préparation correcte des chambres ?

Ce texte est naturellement loin de régler toutes les difficultés et toutes les questions qui se posent ; des problèmes entiers demeurent : l’application StopCovid, la responsabilité des élus locaux, en cours de discussion, celle des chefs d’entreprise ou encore les suites des élections municipales ou la tenue des élections consulaires. Nous espérons que les débats porteront sur ces sujets et apporteront une partie des solutions. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains – cela a déjà été dit – réserve son vote à l’issue de la discussion parlementaire. (M. le rapporteur et M. Bruno Retailleau applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Laurence Rossignol. Je veux vous parler, monsieur le ministre, de quelques amendements que vous ne verrez pas lors de l’examen des articles, car ils ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution. Cela me permet également de mettre l’accent sur quelques troubles que provoque la méthode du Gouvernement quant aux questions sociales. En effet, tantôt nous discutons d’un projet de loi de finances rectificative, et l’on nous dit que l’on parle des entreprises mais non des questions sociales, tantôt nous discutons d’un projet de loi d’état d’urgence, et l’on nous dit que l’on parle d’état d’urgence mais non d’urgence sociale. Bref, le Parlement ne discute jamais d’un plan d’urgence sociale et de suivi des salariés et des personnes en grande difficulté.

Je veux donc appeler votre attention sur ces amendements, parce que ceux-ci vous parleront peut-être et peut-être pourrez-vous les reprendre à votre propre compte, au titre de votre capacité d’initiative.

Premièrement, nous avions déposé un amendement tendant à prendre en compte le chômage partiel dans le calcul de la retraite. Je suis désolée de prononcer le mot « retraite », qui est un peu incandescent, mais c’est le moment, je crois, de rassurer les salariés en leur disant que le chômage partiel n’affectera pas négativement le calcul de leur pension.

Deuxièmement, nous avions proposé de prolonger la trêve hivernale en matière d’expulsion durant l’état d’urgence. C’est également une mesure que vous pourriez, fort opportunément, reprendre.

Enfin, troisièmement, je veux vous parler – je le fais chaque fois – des droits sexuels et reproductifs et de l’accès des femmes à l’IVG.

Vous avez pris un certain nombre de mesures pour faciliter l’IVG médicamenteuse, en particulier pour en faciliter la prescription, mais, quand je vous ai interrogé, voilà presque deux mois, sur la question des IVG hors délai, j’anticipais malheureusement sur les chiffres, qui sont, aujourd’hui, parlants. Ainsi, selon le planning familial, nous assistons à une augmentation de 30 % des appels et de 330 % des appels concernant les difficultés liées à l’IVG, à l’accès à l’IVG, au non-respect du droit, à des violences ou au dépassement des délais ; et il y a une augmentation de 184 % des appels à propos des IVG hors délai.

Il est incontestable que le confinement a un effet délétère sur l’accès à l’IVG. Je vous ai donc écrit, monsieur le ministre, et vous m’avez répondu qu’il fallait recourir à l’IMG. Soit ! Mais les médecins se sont trouvés dans une situation un peu difficile : d’un côté, il y a le code de la santé publique et, de l’autre, il y a la lettre du ministre. Or, pour l’heure, le code de la santé publique pèse un peu plus lourd qu’une lettre de ministre…

C’est pourquoi nous vous demandons, les médecins vous demandent – ils sont 150 à le faire et Ghada Hatem doit vous écrire à peu près tous les jours –, d’accepter un amendement visant à lever l’obligation de présence d’un médecin de médecine fœtale ou d’un centre de diagnostic prénatal dans le collège décidant d’une interruption médicale de grossesse. La décision collégiale est normale, réunir quatre médecins l’est aussi, mais à quoi sert un médecin de diagnostic prénatal quand il s’agit d’une IMG pour détresse psychosociale ? Ce n’est pas la question du fœtus qui est en cause ; c’est, bien au contraire, la question de l’évaluation de la détresse psychosociale.

Par conséquent, les médecins proposent que ce médecin de diagnostic prénatal soit remplacé par un médecin d’un centre d’IVG ou de planification ou par un gynécologue obstétricien. Je défendrai cet amendement ultérieurement, monsieur le ministre. J’espère qu’il aura votre soutien et que, au cas où il ne serait pas adopté au Sénat, vous le déposerez, vous-même, à l’Assemblée nationale.

Je vous assure, il est urgent d’agir ; on évoque l’effet qu’aura le confinement sur la prise en charge des maladies chroniques, sur les cancers tardivement dépistés, sur les maladies cardiovasculaires, mais, en matière d’accès aux droits sexuels et reproductifs, nous aurons le même problème. Or nous pouvons l’anticiper et lever aujourd’hui une partie des difficultés. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. le président. Monsieur le ministre, souhaitez-vous dire quelques mots ?