M. Philippe Bas, rapporteur. Même nous, nous le connaissons ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. M. Bas le connaît et l’a même précisé : c’est un point sur lequel nous sommes d’ailleurs d’accord. Monsieur Bas, nous sommes en désaccord avec votre position sur l’article 1er, mais c’était en revanche une très bonne chose que de préciser les dispositions de l’article L. 3131-1 et leurs conditions d’application à l’article 1er bis A.

Je pense, monsieur le ministre, que vous devriez en être satisfait, car cet article vous permet de prendre des décisions dont la portée est large et qui peuvent être importantes en cas de circonstances sanitaires exceptionnelles. Ceux qui ont introduit cet article savent bien qu’il existe des cas où il faut que le ministre de la santé intervienne de toute urgence : c’est prévu, et vous n’avez donc pas besoin de l’article 1er.

Par ailleurs, si vous aviez besoin de mettre en œuvre un nouvel état d’urgence, faites appel au Parlement. Nous ne sommes pas d’accord avec l’idée, qui consiste en quelque sorte à prendre une assurance pour éviter un retour devant le Parlement : s’il faut légiférer de nouveau, et même si c’est au mois de septembre, comme l’a dit tout à l’heure le président Bas en commission, nous reviendrons ! Nous connaissons les devoirs qui sont les nôtres. Vous pouvez donc saisir le Parlement et utiliser très largement cet article du code de la santé publique rénové. Notre position est à cet égard très claire.

J’ajoute quelques mots pour nos collègues de l’outre-mer et, tout particulièrement, pour Mme Catherine Conconne, qui, au nom de plusieurs de ses collègues, nous a incités à déposer un amendement pour maintenir des contrôles sanitaires, non pas aux frontières, mais pour les personnes qui souhaitent se rendre dans les territoires d’outre-mer, quand cela se justifie pour des raisons de santé publique.

Cette mesure nous semble tout à fait nécessaire, raisonnable et évidente, monsieur le ministre. Nos compatriotes d’outre-mer pensent qu’elle est utile pour que le tourisme puisse se développer – c’est une source de revenus – en toute sérénité dans leurs territoires. De même, il nous paraît nécessaire que des mesures spécifiques soient prises s’agissant de Mayotte et, surtout, de la Guyane.

Enfin, nous n’avons pas proposé la suppression de l’article 2. Nous ne serions d’ailleurs pas défavorables à une loi qui se réduirait à cet article. En effet, je dois dire que, à mon sens – je rejoins ainsi les propos de M. Bonnecarrère –, l’Assemblée nationale a fait un bon travail. Il me semble que, dès lors que le recueil des données est prolongé pour une durée très limitée et exclusivement pour des impératifs de recherche scientifique, il est raisonnable et peut être approuvé.

Voilà les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, nous pensons que ce texte n’est pas utile sous cette forme et voilà pourquoi nous serons malheureusement contraints de ne pas l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (M. Franck Menonville applaudit.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à l’heure où nous parlons, la vie des Français poursuit son retour vers la normalité et, avec elle, l’application des lois de la République.

Une grande part de l’activité économique a repris, avec, dès la première heure ce matin, la réouverture des cinémas, des centres de vacances et des casinos. Le retour en classe signe également la reprise de l’école républicaine obligatoire. C’est aussi, pour tous les élèves concernés, un moyen de retrouver camarades et professeurs pour clore symboliquement l’année scolaire avant les grandes vacances, après l’expérience souvent difficile du confinement.

Hier, déjà, dans les villes où elle n’avait pas été interdite, la fête de la musique a pu être célébrée, parfois avec des débordements, mais toujours dans un grand élan de liberté retrouvée, après des mois d’isolement.

Dans les hôpitaux et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la situation sanitaire est désormais sous contrôle, à l’exception de certains territoires français d’outre-mer – je pense à Mayotte et à la Guyane où la situation est toujours préoccupante, j’y reviendrai.

Dans quelques jours, nos concitoyens seront également appelés à voter pour le second tour des élections municipales, après une période inédite de suspension de la vie démocratique locale.

Tous ces éléments laissent à penser que l’urgence sanitaire est dernière nous. Si tel est le cas, le maintien de l’état d’urgence n’est plus justifié.

Devant les juridictions, le retour à la normale ne manque pas de fragiliser les actes et les décisions pris sur le fondement de l’état d’urgence sanitaire. Le 13 juin dernier, par exemple, une ordonnance de référé du Conseil d’État a suspendu la décision d’interdiction des manifestations organisées par l’association SOS Racisme et plusieurs syndicats.

Après les nombreux bouleversements que nous venons de connaître, il importe que les règles applicables soient claires et les plus stables possible, afin de ne pas ajouter aux déstabilisations qui minent déjà le pays. Le retour au droit commun doit être la norme.

Au moment de la prorogation, nous avions insisté sur l’importance du principe de proportionnalité des mesures prises par rapport aux circonstances de temps et de lieu. Certains juristes regrettaient d’ailleurs que ce principe n’ait pas été appliqué plus rigoureusement dans les zones épargnées par le virus au nom de la protection des libertés.

La lecture des dispositions du code de la santé publique par le Conseil d’État est dorénavant claire : il en résulte que, sous le régime de l’état d’urgence sanitaire, les manifestations et les rassemblements ne sont illégaux que si les circonstances épidémiques le justifient et aucune précaution sanitaire adaptée n’est prise. Nous aborderons l’examen de ce texte avec ce même souci de la protection des libertés.

Or l’article 1er du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui permet au Premier ministre, en même temps qu’il met fin à l’état d’urgence en France métropolitaine et dans la plupart des territoires d’outre-mer, de conserver un certain nombre de compétences au-delà de la période de l’état d’urgence, pour une période certes limitée.

La prudence du Gouvernement est compréhensible : à l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus scientifique, tant ce virus demeure mystérieux. Toutefois, les dernières semaines nous permettent d’exercer une vigilance optimiste, comme au moment de la prorogation de l’état d’urgence, dont la durée avait d’ailleurs été raccourcie du 23 juillet au 10 juillet par le Sénat, une position défendue par notre collègue Joël Labbé et plusieurs membres du groupe du RDSE.

Nous étions donc a priori majoritaires à nous opposer au maintien de compétences rappelant l’état d’urgence au-delà d’une véritable urgence sanitaire.

Compte tenu de l’évolution du texte, des amendements votés à l’Assemblée nationale et de ceux qui ont été adoptés ce matin sur l’initiative de notre rapporteur, la majorité d’entre nous s’apprêtent désormais à se prononcer en sa faveur, en vue d’une sortie définitive à l’automne. L’article 1er en ressort quasiment vidé de sa substance initiale.

En définitive, nos réserves portent essentiellement sur la façon de légiférer. Cette période a considérablement affaibli l’autorité de la loi, soit en la marginalisant au profit des ordonnances, soit en comprimant le calendrier du travail législatif, menaçant d’en détériorer la qualité, soit encore en fragilisant les accords trouvés au Parlement, via la mise en discussion répétée et constante de certains sujets.

Je pense notamment à la question de l’utilisation des données personnelles à des fins de lutte contre l’épidémie. La mise en débat simultanée de deux dispositifs aux finalités différentes – prévention ou recherche scientifique – et aux modalités différentes – application ou fichier – a considérablement brouillé les échanges. Il n’était pas très respectueux du Parlement de mettre une nouvelle fois ce sujet sur la table, comme l’article 2 du projet de loi le prévoyait avant l’intervention des deux chambres.

Lorsque la crise sera véritablement derrière nous, que des traitements efficaces et des vaccins auront été trouvés, il faudra réfléchir à la multiplication de ces régimes de crise et, après avoir tenu compte d’un retour d’expérience, évaluer la pertinence de ce nouveau régime pour l’ensemble des crises sanitaires graves qui sont envisageables.

C’était une exigence déjà formulée par le radical Jacques Genton, député du Cher et rapporteur à l’Assemblée nationale de la loi du 3 avril 1955 instituant un état d’urgence en Algérie : il eût été préférable, disait-il, « de légiférer à ce sujet de manière abstraite et générale, c’est-à-dire de faire une loi en une période où elle n’aurait pas eu à s’appliquer dans l’immédiat et de ne pas prendre le prétexte d’une situation spéciale et contemporaine sur un point du territoire pour provoquer une intervention législative ». Ses mots restent d’actualité.

N’oublions pas, enfin, la situation des outre-mer et les efforts que continuent de fournir ceux de nos concitoyens qui se trouvent aux confins du territoire français.

Ce n’est en réalité que le début de la fin de l’état d’urgence, pour reprendre le nom initial du projet de loi. Alors que le virus continue de circuler, cette vigilance optimiste que j’évoquais reste de mise. Aujourd’hui, elle passe essentiellement par le respect des gestes de précaution que chacun d’entre nous connaît désormais. (M. Joël Labbé applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.

M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de ce nouveau projet de loi, qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 et dans celui de la protection de la population face au virus, me pousse à employer un mot très utilisé au cours des différents débats sur l’état d’urgence, celui de responsabilité. Ce mot incarne une éthique, un état d’esprit qui anime ce projet de loi.

J’utilise le mot « responsabilité » comme l’employait Hans Jonas dans Le Principe responsabilité, qui décrit justement une attitude à prendre face aux crises. Cet auteur pensait plutôt aux crises écologiques, mais cette pensée sur la meilleure manière d’agir avec éthique, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, peut également s’appliquer aux crises sanitaires.

Alors que l’état d’urgence a été prorogé jusqu’au 10 juillet, il est nécessaire de créer toutes les conditions favorables à la confirmation, dans les semaines et les mois à venir, de l’amélioration de la situation sanitaire de notre pays. Pour ce faire, le texte s’articule autour de trois axes principaux.

Le premier axe consiste à instaurer un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire, qui confère au Premier ministre et aux préfets, pour une durée limitée, certains pouvoirs de police qui demeurent une faculté d’intervention – je tiens à le souligner.

Deux questions se posaient à cet égard : tout d’abord, la situation sanitaire justifie-t-elle que des mesures spécifiques soient encore prises ? Ensuite, si l’on répond à cette première question par l’affirmative, sur quels fondements juridiques prendre ces mesures ?

Il me semble que le Gouvernement, la majorité à l’Assemblée nationale et la commission, ce matin, par la voix du rapporteur, ont plutôt répondu favorablement à la première question : oui, nous avons encore besoin de mesures spécifiques. Certes, la situation s’améliore, mais le virus continue de circuler. On connaît les chiffres : il y a encore 715 cas graves nécessitant des soins en service de réanimation, par exemple.

Le chemin que nous traçons ne peut pas nier, gâcher et entrer en contradiction avec tous les efforts préalablement accomplis, je veux parler du confinement et de l’état d’urgence sanitaire qui ont permis de réduire la vitesse de prorogation du virus, mais aussi de l’investissement sans faille de nos personnels de santé. Je dirai que nous devons à nos concitoyens, bien sûr, mais aussi et surtout à nos personnels de santé de conserver cette vigilance. Certaines situations dégradées sur une partie du territoire, ainsi que la reprise de l’épidémie à l’étranger, nous y enjoignent aussi.

Nous sommes donc tous d’accord pour dire qu’il faut rester vigilant. Une fois ce constat partagé, la question qui se posait était de savoir comment le faire : prorogation de l’état d’urgence sanitaire, retour au droit commun ou instauration d’un régime transitoire ?

Il me semble contradictoire de dire à la fois, comme l’ont fait certains d’entre vous, que la situation n’est pas stabilisée et que plus aucune mesure ne se justifie. Il faut choisir parmi les critiques : à partir du moment où la situation n’est pas entièrement stabilisée, une sortie sèche de l’état d’urgence ne paraît pas satisfaisante ni responsable, pour reprendre le mot que j’ai utilisé.

Le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont donc fait le choix, confirmé par la commission ce matin, d’un régime transitoire permettant de mobiliser certains instruments jusqu’au 30 octobre.

Il n’est évidemment pas souhaitable de maintenir un même registre de contrainte pendant l’état d’urgence et après. Ce serait tout à fait illégitime. Il faut donc saluer le travail qui a été accompli : je pense à l’encadrement des pouvoirs de police du Premier ministre en matière de rassemblement sur la voie publique, par exemple, ou au fait de supprimer l’obligation de présenter les résultats d’un examen de biologie médicale pour les personnes en provenance ou à destination de territoires ultramarins, qui ne font pas partie des zones de circulation de l’infection.

Je tiens aussi à saluer la démarche de notre rapporteur, Philippe Bas, qui a exprimé certaines réticences. Il a modifié l’article 1er pour mieux en encadrer les dispositions. J’espère que la commission mixte paritaire pourra être conclusive sur ce point à l’issue des débats.

Au terme de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale et en commission, nous pouvons affirmer qu’il ne s’agit pas d’un état d’urgence déguisé, qui tairait son nom en vertu d’une pudeur mal venue.

Si les deux régimes peuvent se ressembler, c’est aussi par les garanties qu’ils prévoient, comme le caractère proportionné, approprié et nécessaire des mesures prises, toujours sous contrôle du juge administratif, qui peut être saisi en référé. Je pense aussi à la faculté de contrôle et d’évaluation du Parlement sur les mesures prises, ce qui permet d’envisager un retour à l’équilibre obtenu en commission mixte paritaire pour la loi du 23 mars dernier et à la position alors exprimée par la majorité sénatoriale.

Je serai plus bref sur le reste du projet de loi, puisque l’article 2 fait l’objet d’un large consensus. Soulignons là encore le travail de la rapporteure à l’Assemblée nationale : celle-ci a restreint le champ d’application aux données pseudonymisées, au consentement des personnes aux seules fins de contribuer à la recherche et à la surveillance épidémiologiques. Il me semble que l’équilibre qui avait été trouvé précédemment est là aussi respecté.

Enfin, comme cela a aussi été dit, il faut s’arrêter un instant sur les dispositions relatives aux outre-mer, dont les situations sont parfois différentes.

Antoine Karam reviendra bien sûr sur la situation en Guyane : au regard de l’évolution de l’épidémie et du pic qui est attendu, il n’est pas possible de ne pas soutenir la prorogation de l’état d’urgence.

Sur la situation spécifique de Mayotte, cette fois, j’attire votre attention sur la vigilance qu’exercent les collègues de mon groupe, Thani Mohamed Soilihi et Abdallah Hassani, sur les inquiétudes légitimes des acteurs économiques mahorais dans les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, notamment.

Ce texte ménage les équilibres entre les objectifs de santé publique et la nécessité de rester vigilant, tout en retrouvant une vie normale. C’est pourquoi notre groupe le soutiendra.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis moi aussi ravie d’intervenir de nouveau à la tribune.

Depuis plusieurs semaines, la situation sanitaire est en voie de nette amélioration : en France, aucune dégradation notable n’a été enregistrée à la suite des premières phases de déconfinement, ce dont nous pouvons tous nous féliciter, même s’il faut effectivement encore faire preuve de vigilance, donc de responsabilité.

Le Gouvernement a décidé de ne pas prolonger officiellement l’état d’urgence sanitaire, qui devait prendre fin le 10 juillet, mais d’organiser une période dite « transitoire », qui permettra au Premier ministre, durant les trois mois et demi qui suivront la fin de l’état d’urgence, de réactiver par voie de décret plusieurs dispositions déployées dans le cadre même de cet état d’exception.

Autrement dit, au lieu de solliciter l’avis du Parlement pour prolonger l’état d’urgence sanitaire, le Gouvernement lui demande de lui octroyer, d’un coup, jusqu’au 30 octobre, toutes les compétences – ou presque – utiles pour agir seul par voie réglementaire, notamment en ce qui concerne les déplacements et l’accès aux transports, l’ouverture des établissements recevant du public et les rassemblements sur la voie publique.

Ces dispositions font dire à Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public, qu’il s’agit là « d’enrichir la grammaire des droits d’exception d’un nouveau régime dérogatoire ». En plus du droit commun et de l’état d’exception, il y aurait désormais la « sortie », une sorte de zone grise dans laquelle on ne sait pas vraiment si l’on est dans ou en dehors de l’état d’urgence.

Néanmoins, pourquoi vouloir mettre en place un tel régime ? Selon nous, celui-ci est profondément inutile, tant le Gouvernement dispose déjà de tous les outils pour faire face à une nouvelle situation de crise : comme certains l’ont déjà dit, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique offre déjà des pouvoirs extrêmement larges au ministre de la santé en cas de circonstances exceptionnelles. Un décret pour les réactiver aurait suffi en cas de deuxième vague.

Nous le savons, le risque zéro n’existe pas, et plusieurs foyers endémiques resurgissent sur la planète. Mais n’avez-vous pas toutes les compétences nécessaires en cas de résurgence du virus dans notre pays ? N’êtes-vous pas prêt à y faire face normalement, en ayant recours au droit commun, comme le font d’ailleurs les pays européens voisins ? Ne devriez-vous pas plutôt continuer à consolider notre système de soins et à combler les carences en personnel au lieu de rogner sur nos libertés publiques ?

Réquisition, encadrement des prix, aide alimentaire, précarité énergétique, moratoire sur les loyers, gratuité des transports en commun pour les travailleurs, toute une série de mesures sociales auraient eu leur place dans un tel texte pour une réelle sortie de l’état d’urgence humaine et efficace, qui réponde aux préoccupations des Français et les rassure.

L’heure est davantage à l’état d’urgence social qu’au prolongement d’un état d’urgence coercitif.

Pourquoi décider de sortir de l’état d’urgence dans ces conditions ? C’est presque pire qu’une simple prolongation ! On nous demande de ne conserver que les mesures restrictives de liberté, alors qu’il existe des mesures pour faire face à une nouvelle crise.

Les peurs légitimes qu’a engendrées la crise sont ici instrumentalisées pour confiner nos libertés. Comme « avoir peur, c’est se préparer à obéir », pour reprendre les mots de Hobbes, il est bien connu que la peur est un outil aisé à mobiliser pour des politiques requérant une adhésion aveugle.

Seulement, les parlementaires que vous avez face à vous, monsieur le ministre, tout comme nos concitoyens, ne sont pas dupes : ils savent décrypter vos intentions, à l’heure où les tensions sociales émergent et sont vives, au moment où les jeunes générations, notamment, se lèvent pour exprimer leurs aspirations et nous faire entrer dans une nouvelle ère pour ce qui est de la lutte contre les discriminations et les violences quelles qu’elles soient, policières ou sociales.

Nous vivrons encore avec ce virus, ou avec d’autres : alors, l’exception ne sera plus, et les dispositions deviendront communes.

Nous définissons aujourd’hui les conditions dans lesquelles nous souhaitons gérer les urgences sanitaires à l’avenir. Pour notre part, nous ne voulons certainement pas le faire en limitant nos libertés publiques, pas plus qu’en étendant les méthodes de surveillance généralisée et le stockage des données personnelles, comme le propose l’une des mesures de ce projet de loi.

Quoi que vous puissiez en dire, les risques de marchandisation des données sont réels, sans parler des ressources et du budget que tout cela nécessite.

Quant à l’application StopCovid, c’est un fiasco, puisqu’elle n’a été activée que par 2 % de la population et que le nombre d’utilisateurs actifs est évalué par des chercheurs – pas par moi ! – à 0,5 % de la population française…

Enfin, monsieur le ministre, je vous alerte une nouvelle fois sur le peu de cas que le Gouvernement fait du Sénat et de son travail, à voir le bousculement de l’ordre du jour et l’examen précipité du texte, qui se déroule en commission et en séance publique le même jour.

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Il serait bon de garder à l’esprit que le Parlement n’est pas une chambre d’enregistrement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, UC et Les Républicains.)

Finalement, vous l’aurez bien sûr compris, nous nous opposerons à ce texte. Certes, la commission des lois propose de réglementer plutôt que d’interdire, mais avouons que nous resterions ainsi au milieu du gué.

Sur le fond, ce projet de loi est inutile, parce qu’il met en place un régime d’exception hybride et dangereux, en pérennisant des mesures qui portent atteinte à notre droit commun. Et cela, j’en suis désolée, monsieur le ministre, mais nous n’en voulons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’épidémie semble sous contrôle pratiquement partout sur le territoire métropolitain.

L’État doit néanmoins continuer à accompagner les territoires dans lesquels le virus circule encore très activement, avant que ces mêmes territoires puissent retrouver une vie normale. Nos compatriotes de Guyane – je salue notre collègue sénateur de ce territoire présent dans l’hémicycle – et de Mayotte doivent savoir que nous ne les oublions pas et que l’État reste à leurs côtés.

La crise sanitaire, que nous espérons être derrière nous, a coûté la vie à près de 30 000 de nos compatriotes. Ce virus a beaucoup perturbé la vie de nos concitoyens, de notre économie et de nos entreprises.

Nous vivons, depuis le 24 mars dernier, en état d’urgence sanitaire. À ce titre, les libertés individuelles ont été contraintes de manière exceptionnelle durant la période. Nous ne pouvons que saluer le civisme et l’esprit de responsabilité dont ont fait preuve nos concitoyens au cours de cette crise.

Si, aujourd’hui, nous retrouvons progressivement notre liberté et une certaine normalité, même si elle demeure contrainte, nous devons garder à l’esprit le caractère particulièrement imprévisible de cette épidémie.

Le projet de loi que nous examinons cette après-midi vise à organiser la fin ou la sortie de l’état d’urgence sanitaire, prévue le 10 juillet prochain. Pour cela, il prévoit une période transitoire, postérieure à l’état d’urgence, mais avec la prolongation de certaines de ses dispositions, et ce jusqu’au 30 octobre 2020.

Certaines d’entre elles n’en sont pas moins importantes, notamment en raison du contexte social tendu dans lequel notre pays est plongé depuis plusieurs mois. C’est le cas de la possibilité de restreindre la liberté de manifester.

Dès la fin du confinement, en dépit des interdictions, des manifestations se sont tenues. Les règles juridiques ont apparemment été balayées par l’émotion…

Dans une décision du 13 juin dernier, le Conseil d’État a jugé que l’interdiction de manifester n’était pas justifiée dans le contexte sanitaire actuel. C’est pourquoi le Gouvernement propose qu’on lui laisse la possibilité de réglementer ces rassemblements.

L’exercice n’est pas simple, et il est particulièrement sensible ! Ainsi, le texte prévoit de soumettre les manifestations sur la voie publique à autorisation, eu égard à la mise en œuvre des mesures barrières destinées à lutter contre l’épidémie.

Dès lors que les règles de distanciation physique ne peuvent être garanties, la seule de ces mesures qui puisse être imposée, nous semble-t-il, est le port du masque… Or cela pourrait poser problème, notamment sous l’angle du maintien de l’ordre et de la sécurité publique.

Pour autant, nous sommes conscients que l’épidémie n’est pas terminée et qu’il importe de ne pas favoriser sa reprise.

Nous serons donc très attentifs à ce que, au titre des dispositions prévues dans ce projet de loi, on n’interdise pas les manifestations pour d’autres motifs que la lutte contre le virus.

Il en sera de même pour la restriction de la liberté d’aller et venir des individus ou encore la réglementation de l’ouverture des établissements recevant du public. Ces mesures sont fortement attentatoires aux libertés individuelles. Nous devons donc veiller à ce qu’elles répondent à des circonstances très précises et qu’elles soient aussi limitées que possible dans le temps.

Force est de constater qu’elles ne seront pas nécessaires partout, car tous les territoires de la République n’ont pas été touchés de la même manière par le virus – certains ont eu la chance d’être plus épargnés que d’autres.

De ce fait, il nous semble important, dans une logique de décentralisation, que le partage de compétences entre l’État et les collectivités locales soit clarifié, en particulier dans les territoires ultramarins. Les collectivités doivent avoir les moyens de protéger au mieux leur population.

Les conditions sanitaires s’améliorent globalement en France, mais il n’en va pas de même dans le reste du monde : le chiffre des contaminations continue de croître ! Nous devons donc faire preuve d’une grande vigilance. Les mesures barrières devront être appliquées tant que le virus n’aura pas disparu et qu’un traitement ne sera pas disponible.

La période qui s’ouvre sera déterminante. La résurgence du virus dans plusieurs pays doit nous inciter à la prudence !

Par conséquent, le groupe Les Indépendants soutient les objectifs portés par ce projet de loi : il nous faut sortir de l’état d’urgence, tout en restant sur nos gardes. Mais les mesures prises pour faire face à cette situation exceptionnelle doivent rester exceptionnelles et limitées dans le temps. C’est la direction que la commission des lois a choisi de prendre, et nous partageons ses conclusions. (M. Julien Bargeton applaudit.)