compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Daniel Gremillet,

M. Loïc Hervé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 22 octobre 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Éloge funèbre de Colette Giudicelli, sénateur des Alpes-Maritimes

M. le président. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre délégué, se lèvent.) Monsieur le ministre, mes chers collègues, cher Jean-Claude Guibal, chères Géraldine et Céline, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris, le 24 septembre dernier, la disparition de notre collègue Colette Giudicelli, sénateur des Alpes-Maritimes depuis 2008.

Mme Dominique Estrosi Sassone, elle-même sénateur des Alpes-Maritimes, a représenté le Sénat aux obsèques, célébrées le 28 septembre en la basilique Saint-Michel-Archange de Menton, en présence du Prince souverain de Monaco, du préfet des Alpes-Maritimes et de nombreux collègues élus du département, obsèques qui ont rassemblé une foule de Mentonnais, venus témoigner de leur gratitude et de leur attachement à une femme dynamique et passionnée, qui a consacré une grande partie de sa vie à ses concitoyens et à la ville de son cœur.

Première femme dans l’histoire parlementaire à être élue sénateur des Alpes-Maritimes en 2008, réélue en 2014, elle siégeait dans notre hémicycle depuis près de douze ans.

Nous garderons d’elle le souvenir d’une collègue fortement impliquée dans les travaux parlementaires concernant, notamment, les questions sociales et la santé, mais aussi l’image d’une élue de terrain devenue une figure emblématique du pays mentonnais, une personnalité attachante au caractère bien trempé.

Colette Giudicelli fut, dès sa jeunesse et tout au long de sa vie, une femme de convictions, fidèle à ses engagements pour défendre ses idées et ce qu’elle croyait juste.

Née le 24 novembre 1943 à Alger, elle était issue d’un milieu modeste : son père était ouvrier et président de l’Association des Corses d’Alger ; sa mère était femme au foyer. Ses grands-parents paternels, agriculteurs originaires de Sainte-Lucie-de-Porto-Vecchio, étaient venus s’installer en Algérie.

À Alger, Colette Giudicelli résidait dans le quartier de Belcourt, où toutes les communautés se mélangeaient, chrétiens, musulmans et juifs vivant alors dans une réelle harmonie. Elle garda toujours un merveilleux souvenir de cette convivialité.

À l’issue de ses études secondaires au lycée Delacroix, elle poursuivit des études de philosophie et de pharmacie. Amoureuse de la langue russe, elle apprit à la parler.

Après l’indépendance de l’Algérie, sa famille vint s’établir à Lyon, puis Colette Giudicelli finit par trouver à Menton un peu de l’atmosphère méditerranéenne qui lui manquait tant.

Animée par l’envie de se mettre au service des autres, elle s’engagea très tôt au sein du secteur associatif, tant éducatif que social.

Ainsi, elle devint représentante des parents d’élèves de l’institution Saint-Joseph, établissement d’enseignement accueillant les enfants de la maternelle à la terminale, puis, pendant de nombreuses années, cette femme de cœur assura avec une attention sans faille sa fonction de présidente du conseil d’administration de l’institut médico-éducatif Bariquand-Alphand, qui accueille des enfants souffrant de handicaps mentaux. Elle s’est également beaucoup impliquée dans l’association caritative mentonnaise Les Cœurs de Campanin, qui fournit une aide alimentaire aux personnes en difficulté.

C’est en suivant Jean-Claude Guibal, qui allait devenir son époux et dont elle a été la première adjointe à la mairie de Menton pendant vingt ans, que Colette s’était engagée en politique, alors que rien, dans ses goûts et ses affinités, ne la prédestinait a priori à cet engagement.

Elle accéda ainsi pour la première fois à des fonctions politiques en étant élue conseillère municipale de Menton en 1989, auprès de celui qui est resté à ses côtés jusque dans les dernières épreuves. Ils formèrent ensuite, pendant des années, un « couple » de parlementaires, elle comme sénateur et lui comme député.

Quelques mois seulement après son élection au conseil municipal de Menton, Colette Giudicelli devint première adjointe au maire, chargée de l’administration générale, des finances et du personnel, fonction qu’elle exerça avec ténacité et dévouement durant deux décennies.

Après avoir siégé au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur de 1998 à 2001, elle fut élue conseillère générale du canton de Menton-Est à partir de 2001, puis élue départementale du canton de Menton tout entier après 2015. Là encore, elle exerça des responsabilités exécutives : comme vice-présidente du conseil général, puis du conseil départemental, et ce de 2001 à 2017, elle défendit avec compétence et pugnacité les dossiers concernant les finances, l’administration générale et le personnel. Depuis 2002, elle était également devenue vice-présidente de la communauté d’agglomération de la Riviera française.

Lorsqu’elle fit son entrée au Sénat en 2008, Colette Giudicelli, fidèle à l’engagement social qui avait toujours été le sien, souhaita tout naturellement rejoindre la commission des affaires sociales. Aspirant à contribuer à ce « que la législation améliore le sort des plus démunis », elle consacra son ardeur au travail et sa force de caractère aux travaux parlementaires dans les secteurs de la santé, du handicap et du logement.

Dès 2010, elle s’investit tout particulièrement dans une mission de contrôle budgétaire sur la mise en place du revenu de solidarité active.

Animée par le souci de favoriser plus de justice et d’équité, elle prit l’initiative de déposer, en 2014, une proposition de loi visant à modifier les conditions d’attribution des logements sociaux, afin de promouvoir la mobilité au sein du parc locatif social.

Son souhait de libérer la parole des médecins pour faciliter le secours aux enfants maltraités fut à l’origine de l’adoption de la loi du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé. La proposition de loi qu’elle avait déposée pour protéger l’ensemble des médecins des poursuites qui pourraient leur être intentées en cas de signalement et, partant, renforcer et encourager leur mission de protection des mineurs fut en effet adoptée à l’unanimité de tous les groupes, au Sénat puis à l’Assemblée nationale.

Colette Giudicelli apporta également une contribution aux travaux législatifs de la commission des affaires sociales, comme rapporteur d’un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne, notamment en matière de santé, en 2011, puis du projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour le secteur médico-social, en 2015. Toujours dans le domaine de la santé, elle fut en outre l’auteur d’un rapport d’information sur la prévention du suicide.

Son engagement en faveur des handicapés fut consacré par sa nomination, en 2014, comme membre du Conseil national consultatif des personnes handicapées.

Sa curiosité d’esprit la conduisit par ailleurs à participer à de très nombreuses structures sénatoriales temporaires, essentiellement dans le domaine social.

Comme présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Monaco, Colette Giudicelli s’est attachée à développer les relations avec la Principauté monégasque, si proche et si chère à son cœur. J’ai le souvenir de ma visite officielle, les 15 et 16 mars 2019, à la Principauté de Monaco, en présence du Prince souverain Albert II. Colette était là, bien que souffrante, lorsque j’ai remis les insignes de chevalier de la Légion d’honneur au président du Conseil national monégasque, et j’étais heureux de cette rencontre entre les deux chambres et le Prince souverain de Monaco. Elle l’avait tellement souhaitée, venant me rencontrer dans mon bureau pour préparer ce déplacement. Christophe-André Frassa, je le sais, s’en souvient particulièrement.

Je célébrais alors la communauté de destin unissant nos deux pays, reposant sur une coopération étroite dans les domaines économique, fiscal, scientifique et culturel. Colette y est restée fidèle tout au long de son engagement.

Sa dernière intervention en séance publique, avant que l’évolution de son état de santé la contraigne malheureusement à devoir renoncer à se rendre au Sénat, fut une ultime démonstration de son attention permanente aux questions de santé : elle tenait ce jour-là, monsieur le ministre, à alerter le Gouvernement au sujet des émanations dangereuses provenant d’huiles de moteur qui peuvent contaminer le système d’alimentation en air des avions, au risque de provoquer de graves perturbations neurologiques.

Je me souviens aussi d’avoir accueilli Colette Giudicelli, dans les salons de la présidence du Sénat, lors de la cérémonie au cours de laquelle Christian Estrosi, alors ministre de l’industrie et maire de Nice, lui avait remis les insignes de chevalier de la Légion d’honneur. Il avait à cette occasion salué une femme pour qui « le sens du devoir [était] toujours passé avant le goût des honneurs ». En réponse, elle s’était alors dite « fière de pouvoir affirmer avoir toujours eu pour seul objectif le bien public et la volonté d’être au service de ses concitoyens ».

Elle maîtrisait ses dossiers et avait à cœur de poursuivre ses engagements. Reconnue pour son dévouement, notamment auprès des personnes en difficulté sociale, c’était cette élue de terrain que j’ai décrite. Elle avait aussi réussi à conjuguer son action au service du bien commun avec une attention particulière à l’égard de ses enfants et de ses petits-enfants.

Je tiens à rendre hommage à ses qualités humaines : courage et force de caractère, alliés à la bienveillance, la générosité et la gentillesse.

À ses anciens collègues de la commission des affaires sociales – cher Alain Milon, vous l’avez bien connue lorsque vous présidiez cette commission –, à ses collègues des délégations aux droits des femmes et à la prospective – chère présidente et cher président qui êtes présents aujourd’hui –, j’exprime ma sympathie, comme je le fais à l’égard de ses amis du groupe Les Républicains, qui l’ont vue partir quelques jours avant le renouvellement sénatorial.

À Jean-Claude Guibal, maire de Menton, que je salue tout particulièrement, à ses filles Céline et Géraldine, ici présentes, à l’ensemble de sa famille et de ses proches, à tous ceux qui ont partagé ses engagements, à Menton, dans la vie, et ici, au Sénat, je souhaite redire la part que le Sénat prend à leur deuil.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Marc Fesneau, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur, mesdames, tout aussi enracinée, libre et forte qu’ouverte sur le monde et ses horizons, Colette Giudicelli était à l’image de la ville de Menton, qu’elle aimait passionnément. Née à Alger le 24 novembre 1943, issue d’une famille aux origines modestes, elle portait en elle quelque chose des secrets de la Méditerranée. Sans doute cette façon simple et instinctive de se sentir ancrée dans une terre et de vivre une identité plurielle, chaleureuse, mais franche et directe dans son rapport à l’autre, cet autre qui nous ressemble, malgré ses différences.

Cette volonté d’aller vers l’autre, encore et toujours, Colette Giudicelli savait la transmettre d’un regard, d’un sourire ou d’une poignée de main à celles et ceux qui la croisaient dans les rues de sa ville. Il s’agissait du sens même de son engagement politique, de ce qu’elle était profondément.

À Menton, nombreux sont venus s’en souvenir dans le hall d’entrée de la mairie, en se recueillant sur sa photo, posée tout simplement sur une table de bois à côté d’une orchidée blanche. Ils se sont ainsi souvenus qu’en 1985 ils ont fait confiance à cette mère dévouée, qui s’était alors entièrement consacrée à l’éducation de ses enfants, et qu’ils ont aimé la voir prendre goût à l’action locale lors d’une campagne municipale menée aux côtés de Jean-Claude Guibal.

Elle y insuffle toute son énergie, son enthousiasme et son sens de l’initiative, si bien que, en 1989, elle est l’artisan de la victoire de celui qu’elle prendra par la suite pour époux, la ville de Menton devenant le trait d’union de leur engagement.

Conseillère municipale et très vite première adjointe, Colette Giudicelli fait immédiatement preuve d’une détermination et d’une énergie sans faille dans la conduite des dossiers qui lui sont confiés, à savoir l’administration générale, les finances et les quartiers, donnant d’emblée à voir les qualités qui allaient la définir tout au long de sa vie publique.

En 1995, elle poursuit son action locale avec une délégation étendue à la sécurité et à la prévention de la délinquance. De nouveau élue en 2001, elle s’engagera sans compter, comme elle le faisait toujours, en prenant à bras-le-corps les questions relatives au sport, à la communication et à la promotion, ainsi qu’à la vie des quartiers. En 1998, cet engagement municipal va trouver son prolongement avec l’élection de Colette Giudicelli au conseil régional, mais aussi, et peut-être surtout, au conseil départemental des Alpes-Maritimes, mandat auquel elle était profondément attachée. Élue du canton de Menton-Est, elle était chargée de la politique de la ville, de la vie des quartiers et de l’insertion. Son bilan lui permettra d’obtenir de nouveau la confiance des habitantes et des habitants de son canton en 2011. Elle devient alors la première femme vice-présidente du conseil départemental et, sous son impulsion décisive, l’institution fait de la lutte contre les ségrégations urbaines et sociales l’une de ses priorités.

La vie associative des quartiers, dont elle a la responsabilité, l’amène à s’engager dans de nombreux combats : la protection de l’enfance, l’alphabétisation et le soutien aux femmes dans le cadre des contrats de ville. Elle s’investit totalement pour mener à bien chaque dossier en mettant, comme elle le disait, « les mains dans le cambouis ».

Son engagement politique, qu’elle vivait avec entièreté, ne la détournera pourtant jamais des activités associatives auxquelles elle prenait part depuis 1976 au sein des associations de parents d’élèves des écoles et collèges Saint-Joseph à Roquebrune-Cap-Martin et Maurois à Menton. Elle était en effet de toutes les manifestations, que ce soient les sorties pédagogiques, les classes vertes ou les kermesses scolaires.

Celles et ceux qui ont eu à travailler avec elle dans le cadre de ses engagements publics locaux savent que Colette Giudicelli était viscéralement attachée à sa terre et qu’elle avait, par conséquent, aussi à cœur de défendre et promouvoir les Alpes-Maritimes au niveau national. C’est ainsi qu’en 2008 elle devint la première femme sénatrice de son département. Elle aimait profondément ce mandat pour ce qu’il est : celui du lien charnel à un territoire ; celui de l’authenticité et de la proximité ; celui de la confiance qui se gagne par ce qui est fait.

Au Sénat, Colette Giudicelli s’est investie avec enthousiasme et efficacité à la commission des affaires sociales, dont elle a été vice-présidente. Active et engagée sur les sujets liés au social et au médico-social, comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, à l’éducation, au handicap et au grand âge, elle voulait, au travers de chacune de ses interventions, prolonger et, au fond, amplifier l’action qu’elle menait alors au sein du département des Alpes-Maritimes.

C’est dans cette logique qu’elle décidera de porter un combat décisif en faveur de la protection de l’enfance, en étant à l’origine de la loi du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé. Cette loi, qui permet de protéger l’ensemble des médecins des poursuites qui pourraient leur être intentées en cas de signalement des violences faites aux enfants, marque une étape importante et décisive en la matière.

Battante, infatigable, elle s’est éteinte à la fin de son mandat de sénatrice en septembre dernier, comme pour nous dire que sa vie et son engagement au service de son territoire avaient toujours été intrinsèquement liés. À son époux, à ses filles, à ses proches, à ses anciennes et anciens collègues du Sénat, à ses amis et collègues du groupe Les Républicains, à celles et ceux qui ont été à ses côtés dans sa vie publique, aux habitantes et aux habitants des Alpes-Maritimes et, évidemment, de Menton, j’exprime, au nom du Gouvernement, nos condoléances les plus sincères et le témoignage de notre profonde sympathie.

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite maintenant à partager un moment de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre délégué, observent une minute de silence.)

Conformément à notre tradition, en signe d’hommage à Colette Giudicelli, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures quinze, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.)

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-président

Mme le président. La séance est reprise.

3

Rappel des règles sanitaires

Mme le président. Mes chers collègues, pour le respect des règles sanitaires, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire dans l’ensemble du palais, y compris pour les orateurs. Il vous est demandé de laisser un siège vide entre deux sièges occupés.

J’invite chacune et chacun d’entre vous à veiller au respect des distances de sécurité. Je rappelle également que les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.

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Dossier législatif : projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique
Discussion générale (suite)

Accélération et simplification de l’action publique

Adoption des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique
Article 1er

Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (texte de la commission n° 67, rapport n° 66).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. Daniel Gremillet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, cher Jean-François Longeot, mes chers collègues, je suis heureux de présenter aujourd’hui au vote de notre assemblée le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire qui s’est tenue au Sénat le 21 octobre dernier. À une très large majorité, nous sommes parvenus, députés et sénateurs, à nous accorder sur un texte qui apportera des avancées importantes à nos concitoyens.

Pourtant, les conditions d’examen de ce texte étaient compliquées à plusieurs titres.

D’abord – pardonnez-moi, madame la ministre –, il s’agit encore une fois d’un texte fourre-tout incluant des mesures très disparates. Sans colonne vertébrale, ce projet de loi a enflé au cours de la navette parlementaire, au gré des initiatives parlementaires, mais aussi des remords du Gouvernement, qui, par amendements, n’a eu de cesse d’alourdir la barque avec des dispositions importantes, qui ne sont ni validées par le Conseil d’État ni évaluées. Ce projet de loi est ainsi passé de 50 articles à plus de 160 examinés trop rapidement en procédure d’urgence.

Ensuite, après la première lecture au Sénat au mois de mars dernier, nous avons connu une interruption de plus de six mois due à la crise sanitaire, avant la reprise de la discussion par l’Assemblée nationale.

Si nous avons malgré tout réussi à trouver un accord global, c’est sans doute grâce à une volonté partagée d’écoute et d’ouverture transpartisane entre les commissions spéciales de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je souhaite à cet égard rendre hommage à notre collègue Patricia Morhet-Richaud, rapporteur en première lecture, qui a donné le ton à nos débats. J’ai une pensée émue pour elle qui a conduit tous les débats ainsi que le travail au sein de la commission spéciale, aux côtés de ses membres et de son président. (Mme la ministre déléguée acquiesce.) Je tiens également à remercier le rapporteur de l’Assemblée nationale, Guillaume Kasbarian, avec lequel j’ai eu des discussions franches et constructives.

Cet accord porte la marque du Sénat, qui a fait prévaloir de nouveaux équilibres et de meilleures garanties juridiques.

Je pense précisément à l’attention particulière portée aux collectivités locales, dont nous avons préservé et augmenté les compétences, qu’il s’agisse du renforcement de l’information des maires sur les projets d’installations éoliennes ou de la préservation du permis d’aménager et de l’obligation d’information dans l’exercice du droit d’initiative. Le Sénat y était très attaché : les élections municipales venaient d’avoir lieu et le rôle du maire de proximité avait été réaffirmé. Il était inconcevable que celui-ci ne soit pas au cœur du processus, notamment en matière de permis d’aménager.

Le Sénat a également amélioré les dispositifs concernant la vente en ligne de produits pharmaceutiques et l’alimentation du dossier pharmaceutique. En première lecture, au Sénat, le sujet de la vente en ligne a constitué une question majeure sur laquelle un bon équilibre a été trouvé. Nos collègues députés ne l’ont pas remis en cause. De même, je suis très satisfait que, sur la question de l’alimentation du dossier pharmaceutique par les pharmacies à usage intérieur des établissements de santé et médico-sociaux, le Sénat ait retenu un dispositif qui bénéficiera à tous les patients.

Nous avons aussi obtenu que la volonté de simplification et d’accélération des procédures ne nuise pas à la concertation et à l’information du public. La Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs (CNEF) a ainsi été maintenue et, pour les projets d’éoliennes en mer, la phase de dialogue concurrentiel de la procédure de mise en concurrence ne pourra pas démarrer avant la communication du bilan de la participation du public. Il s’agit là aussi d’un point très important : le Sénat ne pouvait pas imaginer que la CNEF soit supprimée, alors que nous entrons dans un programme de démantèlement pour la première fois dans l’histoire du nucléaire.

Sur les dispositions relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement, au traitement des sols pollués ou encore les dispositions relatives à l’information et à la participation du public, nous sommes parvenus à un compromis assez équilibré, qui permet de préserver la portée du droit de l’environnement, tout en favorisant l’attractivité de nos territoires, donc les installations industrielles et la création d’emplois. L’équilibre n’était pas facile à trouver ; il a été trouvé.

Nous avons également obtenu de bons compromis : sur la suppression de la Commission scientifique nationale des collections, remplacée par des mécanismes visant à garantir un contrôle scientifique préalable à toute décision de déclassement ; sur la possibilité pour les personnes âgées résidant dans un établissement médico-social d’utiliser leur chèque énergie pour régler certaines dépenses ; sur la protection des consommateurs dans le cadre des transferts de réseaux de gaz ; sur l’extension au biogaz des souplesses administratives prévues pour l’électricité renouvelable ; et aussi sur la suppression des certificats médicaux pour l’exercice d’un sport par les mineurs.

Enfin, l’accord trouvé en commission mixte paritaire apporte des avancées significatives à nos concitoyens. J’en citerai deux.

En premier lieu, ont été décidées la réforme de l’assurance emprunteur et la faculté de résilier ces contrats, qui ont recueilli l’unanimité des groupes du Sénat. Je tiens à rendre hommage à notre ancien collègue Martial Bourquin, qui, avec la commission des affaires économiques du Sénat et moi-même, s’était beaucoup engagé sur ce dossier. Nous avons retenu la version adoptée par le Sénat, c’est-à-dire le renforcement du droit de résiliation annuelle, qui est la formule la plus sûre et dont les effets ont été évalués. Nous l’avons assortie d’un renforcement de l’information des emprunteurs par les banques. Les économies potentielles pour les ménages sont très importantes, puisqu’elles s’élèvent à 9 milliards d’euros. C’est un progrès majeur très attendu par nos concitoyens.

En second lieu, nous avons amélioré le dispositif introduit par l’Assemblée nationale et ayant pour objet de renforcer la procédure d’expulsion des squatteurs en limitant les cas dans lesquels le préfet peut refuser de mettre en demeure l’occupant des lieux. Il s’agit des cas où les conditions fixées par la loi ne sont pas respectées – demande incomplète, squat non attesté, etc. – ou lorsqu’un motif impérieux d’intérêt général est en jeu.

Bien entendu, un accord sur l’ensemble du texte ne peut s’établir qu’avec des concessions de part et d’autre. C’est inévitable.

Nous avons d’abord le regret que certains sujets n’aient pas été traités comme ils l’auraient mérité. À ce titre, nous ne pouvons que déplorer le recours excessif aux ordonnances et le fait que des dispositions soient prises sans que le Parlement ait préalablement débattu au fond. La question du service national universel (SNU) est malheureusement exemplaire de ce point de vue : deux articles du projet de loi lui sont consacrés ; le premier article renvoie à une ordonnance, le second traite le cas des militaires retraités qui exercent des fonctions de formateurs SNU. Or jamais un ministre n’a débattu au Parlement des objectifs du SNU, de sa mise en place, des moyens humains et budgétaires à mettre en œuvre, de son calendrier.

Pour ma part, la concession la plus difficile à accepter a été de retenir la rédaction de l’article 33 proposée par l’Assemblée nationale concernant les agents de droit privé de l’Office national des forêts (ONF).

Ces agents nouvellement recrutés pourront ainsi verbaliser les infractions au-delà des seules infractions forestières. Je le regrette, car nous devrions tout au contraire recentrer l’action des agents sur l’entretien et la gestion de nos forêts dont nous connaissons l’état dramatique. Aujourd’hui, nous avons besoin des femmes et des hommes qui forment le personnel de l’ONF pour sauver la forêt française. Nous sommes allés au-delà de ce que prévoit le code forestier, ce qui ne contribuera en rien à relever le défi forestier monstrueux qui nous attend, à savoir la sauvegarde et la diversité de nos forêts. Nous avons besoin d’une véritable prise de conscience des enjeux et je sais que le Sénat reviendra sur le sujet lors de l’examen du projet de finances pour 2021 ou dans le cadre de son pouvoir de contrôle.

S’agissant de l’article 33, je me félicite en revanche de ce que l’habilitation à légiférer par ordonnance sur le conseil d’administration de l’ONF ne figure plus dans le texte final. Par ailleurs, en ce qui concerne la constitution de chambres d’agriculture de région, je me réjouis que la rédaction proposée par le Sénat ait été adoptée et que soient prévus « l’accord des deux tiers des chambres départementales et interdépartementales situées dans la circonscription de la chambre régionale d’agriculture d’origine et l’accord unanime des chambres départementales et interdépartementales comprises dans la circonscription du projet de chambre d’agriculture de région ».

C’est bien parce qu’un accord en commission mixte paritaire ne clôt pas les questions que je vous invite à voter le texte du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), qui résulte des travaux de la commission mixte paritaire.

À ce stade, je remercie le président de la commission spéciale, Jean-François Longeot, qui a présidé la commission mixte paritaire, Patricia Morhet-Richaud et les administrateurs de la commission spéciale qui nous ont permis de traduire les arbitrages que nous avons rendus avec l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDPI.)