PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient

vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le programme 144 voit ses crédits progresser de 8,9 %.

Ces crédits commenceront en 2021 à financer le nouveau fonds innovation défense, le FID ; d’après ce que nous avons compris, sa montée en puissance se fera sur cinq ans. Le montant de 200 millions d’euros constituera-t-il bien, madame la ministre, un socle minimal auquel pourra venir s’ajouter la participation d’autres acteurs publics ou privés ? Nous sommes tout à fait désireux d’en savoir plus sur ce sujet.

Cela étant, bien que ce nouveau fonds aille dans le bon sens, je le souligne, il ne saurait régler le fond du problème, à savoir les difficultés croissantes qui pèsent sur le financement des entreprises de la défense, conduisant les plus fragiles d’entre elles à être rachetées par des acteurs étrangers. Les entreprises de la base technologique et industrielle de défense, la BITD, font état des difficultés croissantes qu’elles rencontrent à se financer auprès du secteur bancaire, et cela, d’ailleurs, quels que soient leur taille et leur domaine d’activité.

Les causes sont multiples. Tout d’abord, il n’est jamais facile pour une entreprise d’aller se plaindre de son banquier. De plus, il existe des éléments factuels incitant les banques à la prudence : je pense en particulier aux sanctions extraterritoriales américaines, qui avaient frappé BNP Paribas d’une amende de 9 milliards d’euros en 2014, sujet qui nous renvoie tout simplement à notre souveraineté. Enfin, certaines ONG agissent pour orienter l’opinion publique dans le sens d’une hostilité montante aux ventes d’armes, voire à la production de ces dernières.

Nous pensons à ce stade, madame la ministre, que pour faire évoluer la situation, il faudrait agir dans trois dimensions : établir un réel dialogue autour des représentants de l’État, entre les entreprises de la BITD et les banques ; faire comprendre, au-delà de la communauté de défense, la relation directe entre l’existence de la BITD et la souveraineté nationale ; œuvrer à défendre notre souveraineté économique. C’est un vaste sujet, que nous ne réglerons pas lors de ce débat.

Enfin, je voudrais signaler que nous avons été étonnés, pour ne pas dire choqués, de découvrir la réduction de voilure de notre réseau de missions militaires à l’étranger, dans des postes pourtant très sensibles : Alger, Tunis, Amman, Tbilissi – ce poste couvre l’Arménie et l’Azerbaïdjan –, et même Londres et Moscou sont ainsi concernés. Cela constitue un contresens total dans le contexte actuel : il semble que l’on cherche à économiser quelques centaines de milliers d’euros, alors que le budget de la mission augmente de 1,6 milliard d’euros !

Ne conviendrait-il pas, madame la ministre, de revoir ce dossier ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le programme 144 porte une partie des crédits du renseignement pour un peu plus de 400 millions d’euros. Il concerne deux services du premier cercle, qui dépendent du ministère des armées : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).

J’évoquerai tout d’abord la situation de la DGSE, dont les crédits sont plus importants dans ce programme.

Le service voit ses moyens augmenter, conformément à la priorité affirmée dans la loi de programmation militaire. Dans le programme 144, ses crédits s’établiront en 2021 à 388 millions d’euros, soit une hausse de 11,4 %. Cette augmentation notable traduit la poursuite d’un effort d’investissement très important.

Il s’agit, d’une part, de mettre le parc immobilier à niveau, à la fois pour faire face à la croissance des effectifs et pour rénover certains bâtiments vétustes, d’autre part, d’accroître les capacités techniques, en particulier dans des domaines où le progrès technologique impose des investissements soutenus pour qu’ils soient maintenus à un bon niveau. Il faut savoir que les capacités techniques de la DGSE ont vocation à être partagées avec les cinq autres services du premier cercle.

Pour avoir une vision consolidée de la situation de la DGSE, il convient d’examiner aussi ses moyens humains. La DGSE compte aujourd’hui environ 7 100 personnes. Ses effectifs devraient rester stables l’an prochain, avant de reprendre leur progression pour atteindre 7 800 agents en 2025. En intégrant les dépenses de personnel, les crédits de la DGSE s’établiront en 2021 à 880 millions d’euros, soit une hausse de 7,7 %.

Enfin, mentionnons également l’existence des fonds spéciaux. La part principale des 76,4 millions d’euros de fonds spéciaux va à la DGSE.

Pour porter une appréciation sur ce niveau de crédit, il faut considérer néanmoins que l’effort financier de la France dans le domaine du renseignement extérieur reste sans doute encore un peu inférieur à celui de l’Allemagne et très sensiblement inférieur à celui du Royaume-Uni.

J’en viens maintenant à la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, un service en transformation qui réoriente de plus en plus son activité sur le renseignement. Rappelons que, avec 1 500 agents, ce service doit mener un nombre très élevé d’enquêtes administratives – 311 000 l’année passée – en vue d’assurer globalement la protection de nos forces. La DRSD a donc dû beaucoup se moderniser et mettre en place des outils d’aide au traitement des dossiers en recourant notamment, et de plus en plus, à l’intelligence artificielle. Ses crédits inscrits dans le programme 144 progresseront de 12,2 %. En y incluant les dépenses de personnel, les crédits du service s’établiront à 143,2 millions d’euros.

Au vu de ces éléments, notamment des crédits du renseignement qui sont marqués par une hausse sensible, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées émet un avis favorable à l’adoption des crédits du programme 144. (Applaudissements sur les travées du groupe SER – M. le président de la commission applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi de programmation militaire consacre un effort en hausse de 17 % à la préparation et au soutien aux activités opérationnelles. Or l’amélioration de l’activité opérationnelle n’apparaît pas comme une priorité du budget, contrairement à l’entretien programmé des matériels (EPM), qui bénéficie en 2021 de 39 % des crédits du programme, soit 4,12 milliards d’euros.

Il va m’être difficile d’aborder en trois minutes tous les sujets liés au programme 178. Aussi, j’insisterai sur quelques constats qui doivent appeler notre attention. Compte tenu des enjeux, l’actualisation de la LPM ne pourra avoir lieu que dans un projet de loi !

Premier constat : la situation de l’activité opérationnelle et de la disponibilité technique opérationnelle (DTO) n’est pas satisfaisante.

La remontée de l’activité opérationnelle aux normes d’activité de l’OTAN a été repoussée à 2025. Nos soldats ne sont donc pas assez entraînés par rapport aux normes internationales et ne le seront pas avant 2025. Cela n’est plus compatible avec le constat que nous faisons de la multiplication et du durcissement des conflits.

Deuxième constat : les capacités industrielles des acteurs chargés de la maintenance et de leurs sous-traitants doivent faire l’objet d’une grande vigilance.

Troisième constat : les crédits consacrés à l’entretien programmé du matériel devaient s’établir à 4,4 milliards d’euros par an. Nous n’y sommes pas : au total, 900 millions d’euros manqueront au cours des trois premières années d’exécution de la LPM.

D’autres facteurs s’ajoutent encore pour accroître les besoins en EPM. Certains sont conjoncturels, tels que le coût de réparation de la Perle pour 70 millions d’euros, le surcoût lié à l’utilisation d’aéronefs vieillissants ou la livraison des 12 Rafale destinés à la Grèce.

D’autres facteurs sont structurels et découlent de la mise en œuvre de la politique de verticalisation des contrats d’EPM, notamment dans le domaine aéronautique.

Ces contrats verticalisés se traduisent paradoxalement, dans un premier temps, par des surcoûts : mise en œuvre de nouvelles chaînes industrielles d’EPM, remise à niveau des stocks de pièces de rechange étatiques transférées lors de la mise en œuvre du contrat verticalisé à l’industriel.

Tous ces facteurs s’ajoutent à la projection de nos troupes sur de multiples théâtres d’opérations extérieures et à la sur-exécution des contrats opérationnels, qui avait conduit à l’inscription de 500 millions d’euros supplémentaires pour les deux dernières annuités de la précédente LPM.

Pour répondre à ces défis, l’EPM devra bénéficier d’au moins 2 milliards d’euros supplémentaires lors de l’actualisation de la LPM.

Mes chers collègues, sous réserve de ces observations et en recommandant une grande vigilance en vue de l’actualisation de la LPM, nous vous proposons d’adopter les crédits du programme 178. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le président de la commission applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le modèle de soutien des forces armées a souffert du double effet de la révision générale des politiques publiques et de la précédente loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019. La commission a d’ailleurs souligné le décalage entre moyens alloués et impératifs d’efficacité, dans un contexte de haute intensité sanitaire.

Le service du commissariat des armées (SCA) a perdu 30 % de ses effectifs au cours des six dernières années. Nous veillerons tout au long de l’exécution de la LPM à ce que la direction centrale ne soit pas de nouveau confrontée à une pénurie de moyens humains, comme ce fut le cas lors de la précédente période de programmation. De même, la professionnalisation des filières du SCA dépend de sa capacité à bâtir des parcours et des carrières. Le niveau de qualification des personnels affectés par les armées au SCA doit correspondre plus systématiquement aux profils des postes.

Le service de santé des armées (SSA) a perdu 8 % de ses effectifs durant la précédente LPM. La loi relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 ne prévoit de remontée modérée des effectifs qu’après 2023 !

La mise en œuvre du nouveau modèle hospitalier militaire sera l’un des axes de la stratégie SSA 2030 qui est en cours de définition. Les cartes ont été rebattues par la pandémie. Les huit hôpitaux d’instruction des armées participent à l’offre de soins à l’échelle d’un territoire. À cet égard, les élus locaux doivent être étroitement associés à la définition de cette offre de soins.

La principale difficulté du SSA concerne la médecine des forces. Faute d’effectifs suffisants, les mêmes personnels supportent la charge de projection en OPEX. Le taux de projection des équipes médicales est supérieur à 100 %, malgré l’apport des réservistes et il atteint 200 % pour les équipes chirurgicales. Cette sursollicitation nuit à la fidélisation des personnels. Les conclusions du Ségur de la santé pèseront sur l’attractivité du SSA et devront sans doute être compensées dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire.

Enfin, la vaccination contre la covid en France ne sera peut-être pas intégrée aux recommandations vaccinales adressées aux militaires. Or les militaires embarqués ou déployés en OPEX doivent absolument bénéficier de mesures de protection adéquates face à la pandémie. Je souhaiterais entendre Mme la ministre sur ce sujet sensible pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. le président de la commission applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette année, nous resserrons la focale sur l’attractivité de la condition militaire. Cette dernière, qui repose en partie sur le régime des pensions militaires, a de forts effets sur le recrutement, rendu plus difficile cette année par la crise sanitaire. Marie-Arlette Carlotti évoquera ce sujet.

Les pensions militaires viennent de faire l’objet d’un rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, le HCECM, qui montre comment les pensions militaires servent la défense en maintenant la jeunesse des troupes tout en les fidélisant.

Les règles des pensions sont particulières : liquidation possible au bout de vingt-sept ans pour les officiers de carrière, de dix-sept ans pour les non-officiers, liquidation sans décote deux ans plus tard, durée de cotisation sensiblement majorée par des bonifications spécifiques.

Ce système encourage les reconversions en milieu de carrière et sert une démographie qui doit s’accorder avec la « haute intensité ». Or, du fait des réformes paramétriques successives, l’âge moyen des militaires s’est accru de près de trois ans jusqu’en 2016, avant que la croissance des effectifs ne stoppe ce vieillissement. Toutefois, des entrées plus tardives sur le marché du travail et l’effet du chômage sur les reconversions incitent à la prudence.

Dans le système à points envisagé par le Gouvernement, les primes seraient prises en compte. En contrepartie, l’ensemble de la carrière, et non plus les dernières rémunérations, servirait au calcul de la pension. Il est difficile, dans ces conditions, de présumer de l’équilibre final, car il dépendrait à la fois du rendement du système, de la traduction des bonifications et de la décote, de la part que représentent les primes dans la rémunération – elles diffèrent selon les cadres et sont en cours de refonte –, ainsi que du profil de carrière, plus ou moins ascendant. Les modalités des réversions seraient aussi à surveiller.

Dans ce contexte, les pensions suscitent une inquiétude chez les militaires. C’est la raison pour laquelle la commission continuera à exercer son devoir de vigilance et à étudier ce sujet, que nous serons certainement amenés à creuser par la suite.

Je me suis par ailleurs intéressé aux méthodes de recrutement de l’armée de terre, à la fois innovantes et prometteuses. Elles misent sur le big data et l’intelligence artificielle pour repérer sur les réseaux sociaux les profils pertinents et leur adresser messages ou vidéos ciblés. Le ciblage s’améliore en fonction des retours.

En outre, la mise en place d’un logiciel de recrutement interarmées intitulé Sparta, pour système du parcours de recrutement des armées, facilitera le suivi et devrait raccourcir la procédure. Pour la réduire encore davantage, nous préconisons dans notre rapport pour avis de pérenniser la simplification du contrôle médical mise en œuvre pendant la crise du covid, les recrutements n’ayant plus donné lieu qu’à une visite au lieu des deux visites normalement prévues. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2021 suit le trait voulu par le Président de la République et par vous, madame la ministre, à travers la loi de programmation militaire.

Alors que nous étions engagés dans une phase de reconstitution des effectifs, marquée par un rythme de recrutement soutenu, une crise sanitaire sans précédent est intervenue. Nous avons donc voulu savoir quelles pouvaient être, à travers le programme 212, les conséquences de la covid-19 sur le recrutement et l’attractivité du si singulier métier de militaire.

Certes, la crise sanitaire a perturbé les recrutements. Au printemps dernier, au creux de la vague, alors que le déficit était de 27 000 équivalents temps plein, les armées ont été réactives et ont mis en place des innovations afin d’atteindre les objectifs, comme le maintien en service au-delà des limites d’âge, le maintien de la durée du service ou du contrat, le réengagement d’anciens militaires, l’anticipation du recrutement de contractuels ou l’assouplissement de l’organisation des concours.

En bref, une plus grande souplesse a été mise en œuvre dans les procédures de recrutement, du premier contact à l’incorporation. Les publics ont été mieux ciblés, grâce à des campagnes de recrutement mieux adaptées et plus modernes. La situation de l’emploi, c’est-à-dire la hausse du chômage, a entraîné plus de candidatures et a facilité la sélection.

L’attractivité dépend également beaucoup de la condition militaire. En 2017, une série de mesures ont été prises pour améliorer la qualité de vie des militaires et de leur famille, dans le cadre du plan Famille. À mi-parcours – et nous y sommes, madame la ministre –, il serait utile de connaître son application concrète sur le terrain, sachant que nous avons eu des retours très différents sur ce sujet.

De plus, nous avons été fortement alertés sur la vétusté des logements et des hébergements des militaires et de leurs familles. Alors que les conditions d’hébergement sont déplorables – déplorables ! –, nous n’observons toujours pas d’améliorations suffisantes aujourd’hui. À cet égard et ce serait peut-être une solution, le Val-de-Grâce va-t-il rester dans le giron de l’armée ?

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis. Globalement, dans le contexte de la crise sanitaire, l’armée a su s’adapter à l’urgence – nous l’indiquons dans le rapport pour avis. Ainsi, pour l’ensemble du ministère, le schéma d’emploi perdrait 112 emplois en 2020 sur les 300 équivalents temps plein prévus dans la loi de programmation militaire, soit une réalisation de 188 emplois.

En revanche, madame la ministre, nous sommes très inquiets concernant la qualité des recrutements. Depuis 2014, on assiste de manière régulière à une dégradation de la qualité des viviers et à une augmentation de l’attrition. Certes, l’augmentation des recrues est un objectif important, mais il ne doit pas être le seul. Il faut aussi cibler des profils adaptés à ce métier si prestigieux, mais si difficile. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption des crédits de la mission « Défense », elle émet toutefois plusieurs réserves.

Je regrette tout d’abord, au sein du programme 146, « Équipement des forces », l’annulation de 124 millions d’euros de crédits de paiement en loi de finances rectificative. Ensuite, je note que la solidarité interministérielle prévue par la LPM pour le financement du surcoût des OPEX et des missions intérieures (Missint) n’est pas mise en œuvre. Enfin, qu’en est-il aujourd’hui du dégel attendu de 504 millions d’euros de réserve de précaution ?

L’année 2021 doit être celle de l’actualisation de la loi de programmation militaire. Cette actualisation devra consolider la programmation : ce n’est que dans la durée, d’ici à 2030, que la LPM actuelle et la suivante produiront tous leurs effets. Nous serons très vigilants, car nos trois armées ont de nombreux besoins sous-financés ou non encore programmés. Depuis trois ans, l’effort va dans le bon sens. La modernisation est en cours, mais, nous le savons tous, les marches les plus hautes restent à franchir.

Pour l’armée de terre, les deux tiers du programme Scorpion restent à contractualiser. L’effort sur les équipements « à hauteur d’homme » doit se poursuivre. Pour la marine, il est urgent de lancer le porte-avions de nouvelle génération. À cet égard, la commission préconise une propulsion nucléaire, mais la décision présidentielle est attendue depuis maintenant près d’un an.

Nous serons vigilants, car nous avons le sentiment que, entre deux LPM, le Parlement, en particulier les rapporteurs de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, est mis à l’écart de la réflexion. Nous le ressentons tous, madame la ministre, je tenais à vous le dire avec la plus grande sincérité.

Il n’est pas concevable que la trajectoire financière et, donc, les ambitions de la politique de défense puissent être demain révisées en dehors de tout contrôle parlementaire. Madame la ministre, nous confirmez-vous, comme vous l’a déjà demandé le rapporteur spécial, que la voie législative est bien celle qu’a retenue le Gouvernement ?

J’en viens au contrat d’exportation du Rafale en cours de négociation avec la Grèce, qui conduit à prélever 12 avions sur nos forces et à décaler de plusieurs mois les livraisons à l’armée de l’air d’appareils neufs prévues à partir de 2022. Nous craignons des conséquences opérationnelles, voire un effet déstructurant si l’opération devait se renouveler avec la Croatie, ce que nous espérons par ailleurs.

L’exportation du Rafale est évidemment une bonne nouvelle. Ce pari de la LPM, qui est en passe d’être tenu, permettra, je le rappelle, de maintenir en activité les chaînes de production.

Des questions financières se posent : le produit de cession doit revenir au ministère des armées, sans diminution concomitante de ses ressources budgétaires Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que c’est bien ainsi que cela se passera ?

Les montants sont en cours de négociation, non seulement pour les appareils eux-mêmes, mais aussi pour les capteurs et l’ensemble du matériel qui sera cédé. La somme de 600 millions d’euros est évoquée. Celle-ci sera évidemment loin d’être suffisante pour financer l’acquisition d’avions et d’équipements neufs. Il manque plusieurs centaines de millions d’euros. Comment dégagerez-vous les crédits nécessaires, madame la ministre, alors que les budgets sont déjà conçus au plus juste ?

Nos armées, nos industriels ont besoin de perspectives de long terme, encore plus en cette année de crise et alors que la base industrielle et technologique de défense est la grande oubliée du plan de relance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la ministre, nous avons très largement abordé les questions budgétaires lors de vos nombreuses auditions devant la commission. Nous voudrions aujourd’hui que vous nous apportiez des précisions sur un certain nombre de points, qui se limiteront à trois, puisque je ne dispose que de trois minutes ! (Sourires.)

L’exportation du Rafale à la Grèce, dont nous nous réjouissons tous, Cédric Perrin l’a souligné, risque fort de poser un problème de disponibilité des avions pour l’armée de l’air et de l’espace dans les cinq ans à venir sans anticipation de notre part dès à présent. En effet, même s’ils étaient commandés aujourd’hui, les avions neufs ne seraient pas livrés avant 2025. Or, madame la ministre, vous nous avez annoncé il y a quelques semaines la commande de douze appareils neufs. La commande grecque a été annoncée au mois de septembre dernier, nous sommes au début du mois de décembre : quand ces contrats seront-ils finalisés ? Nous confirmez-vous que les commandes seront passées avant la fin de l’année ?

La France fait le pari de la coopération avec le programme de système de combat aérien du futur (SCAF) et le futur char de combat MGCS, pour Main Ground Combat System.

Pour le SCAF, le projet de démonstrateur doit impérativement être lancé en 2021. Il nous semble souhaitable de négocier un cadre global avec notre partenaire allemand plutôt qu’une suite de contrats exigeant des validations politiques successives, d’autant que l’Allemagne et la France entreront en période électorale, respectivement en 2021 et en 2022.

Madame la ministre, étant donné le rôle des parlementaires allemands, le Gouvernement n’a-t-il pas intérêt à compter davantage sur la diplomatie parlementaire française en associant les parlementaires au dialogue franco-allemand ?

Pouvez-vous également nous donner quelques informations sur les négociations avec notre partenaire espagnol et sur la place qui lui est réservée dans le programme SCAF ?

Enfin, le plan de relance de la fin de l’été ignore la base industrielle et technologique de défense. À titre de comparaison, nos voisins britanniques ont pris des mesures fortes : le Premier ministre Boris Johnson a récemment annoncé un effort massif en faveur de la défense, dont le budget augmentera de 27 milliards d’euros en quatre ans, soit 18 milliards d’euros de plus que prévu.

Ce montant est à comparer aux 600 millions d’euros de commandes que le ministère des armées s’est engagé à passer dans le cadre du plan de soutien à l’aéronautique. L’investissement britannique risque fort d’accélérer le programme Tempest, dont le lancement est prévu en 2035, soit cinq ans avant l’achèvement du programme SCAF. Devrions-nous être plus attentifs à ce programme, potentiellement concurrent ? En tout cas, c’est une raison supplémentaire de regretter que la défense ne bénéficie pas du plan de relance, qui aurait pu très utilement renforcer la LPM. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.  M. le président de la commission et M. André Gattolin applaudissent également.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans une situation économique et financière compliquée, préserver et renforcer l’état de nos fonctions régaliennes est fondamental pour garder la main sur notre destinée nationale, notre autonomie stratégique et notre souveraineté.

Plusieurs indicateurs au sein de la mission « Défense » nous inquiètent.

Tout d’abord, la situation préoccupante de notre activité opérationnelle par rapport aux armées occidentales de même standard est le signe de notre rétrogradation au rang des nations. En effet, l’augmentation de 3,3 % des crédits du programme 178 ne prend pas en compte le surcoût des opérations intérieures de 30 millions d’euros, résultat d’une situation sécuritaire explosive dans notre pays.

Le surcoût des OPEX et des missions intérieures s’élève à 1,4 milliard d’euros. Si tous les ministères ne prennent pas leur part dans ce surcoût, conformément à ce que prévoit la loi de programmation militaire, ce sont nos armées, les hommes et les femmes qui les composent, la réparation et la modernisation des équipements qui en subiront les conséquences.

Sur les quatorze indicateurs d’activité opérationnelle, un seul devrait être conforme aux normes de l’OTAN en 2021, pour nos armées de terre, de l’air et de l’espace et notre marine nationale, à l’heure où la Turquie attise les tensions non seulement en Arménie et en Libye, mais aussi en Grèce, à Chypre et en Méditerranée.

Le chef d’état-major de l’armée de terre en a fait sa priorité, « être prêt à la haute intensité », mais le Gouvernement ne lui donne pas les moyens de disposer d’équipements à la hauteur, des entraînements adaptés, d’une industrie de soutien.

Il n’est pas du tout question du porte-avions de nouvelle génération dans le projet de loi de finances. Pourquoi ne pas commencer à provisionner pour encourager les industriels ? Pourquoi ne pas en prévoir un second pour assurer notre permanence à la mer ? Nous devrions déjà contribuer financièrement en 2021 à l’avenir de cette capacité opérationnelle.

S’il faut saluer l’effort financier important en faveur de la DGSE et de la DRSD, sachons raison garder : nous ne faisons que rattraper partiellement la sous-budgétisation de ces dernières années et nous sommes encore loin des efforts consentis par nos voisins allemands et britanniques.

De la même manière, l’augmentation de 10 % des crédits alloués à la base industrielle de technologie et de défense est une dépense publique en pure perte si l’État ne soutient pas ses entreprises de défense. Ces dernières risquent des sanctions en vertu du principe d’extraterritorialité du droit américain. Elles se heurtent en outre à la frilosité des banques, qui rechignent à leur prêter de l’argent, et sont soumises à des contraintes fiscales.

Sans stratégie de souveraineté économique, ces entreprises meurent ou sont rachetées par des acteurs étrangers. Il faut donc revoir les choses en profondeur pour ne pas jeter de l’argent par les fenêtres et perdre un temps précieux dans la course à l’innovation technique, au moment où la crise vient frapper durement notre industrie de défense, notamment le secteur aéronautique.

Compte tenu de toutes ces insuffisances, de l’absence de vision et d’ambition pour notre défense nationale, je voterai contre l’adoption des crédits de cette mission.