Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec l’augmentation progressive de l’espérance de vie et l’évolution de notre société, les questions d’euthanasie agitent et animent régulièrement nos débats sociétaux, ainsi que nos bonnes consciences.

En 2005, la loi Leonetti a permis de faire un grand bond en avant en autorisant toute personne en phase terminale d’une maladie incurable à décider de limiter ou de stopper ses traitements. Si le patient est inconscient, le non-acharnement thérapeutique est décidé à l’issue d’une procédure collégiale. La notion d’obligation de soins palliatifs et d’accompagnement a déjà été introduite dans cette loi.

Rappelons que ce sont des soins actifs et positifs, avec administration d’antalgiques, de corticoïdes ou poursuite de certains traitements, mais dans le seul objectif de soulager le patient jusqu’à la fin. Il n’est aucunement question de provoquer le décès par injection d’une substance létale. L’usage de certains antalgiques, notamment de la famille des opiacés, à forte dose, est autorisé pour des raisons d’efficacité, même s’ils peuvent accidentellement entraîner le décès prématuré du patient.

Il s’agit donc de préserver la dignité de la personne en lui épargnant autant que faire se peut douleurs et souffrances psychologiques.

En 2016, un nouveau pas a été franchi avec la loi Claeys-Leonetti, qui a introduit les notions fondamentales de « directives anticipées » et de « sédation profonde et continue ». Après accord du patient et de la famille, le médecin, à l’aide de produits anesthésiques, peut altérer la conscience du patient et arrêter les traitements, afin d’entraîner un décès en douceur.

La différence fondamentale avec le suicide assisté est simple : ce dispositif s’adresse non pas à des personnes qui veulent mourir, mais à des personnes qui vont mourir.

La loi Claeys-Leonetti a marqué un progrès fondamental dans le traitement des maladies incurables. Il convient désormais – vous l’avez rappelé fort justement, monsieur le ministre – de la faire connaître, de la relayer sur le terrain et de veiller à son application. Un nombre trop important de médecins et de soignants refusent encore, sous prétexte de craintes souvent injustifiées, de mettre en œuvre ses dispositions.

Cette loi a gravé dans le marbre des actes que les médecins pratiquaient déjà dans l’intérêt du patient et des familles, avec beaucoup de compassion et d’humanisme.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui nous invite, avec le suicide assisté, à un changement de paradigme fondamental.

Il ne s’agit pas simplement, comme certains le pensent, de déterminer si nous y sommes prêts ; il s’agit de savoir si nous considérons qu’une telle option constitue, ou non, un choix de société souhaitable.

Un tel débat ne peut pas se résumer en dix articles. Un encadrement juridique bien plus détaillé est nécessaire.

Le texte soulève beaucoup plus de problèmes qu’il n’apporte de solutions. Je pense par exemple à l’amalgame qui est opéré à l’article 9 entre soins palliatifs et suicide assisté, ou encore au fait d’assimiler, à l’article 3, le suicide assisté à une mort « naturelle »… Très beau sujet de réflexion pour les juristes et les assureurs !

Mes chers collègues, à mon sens, cette proposition de loi ne permet pas d’évaluer et d’encadrer correctement tous les cas de souffrances psychologiques ou physiques qui relèveraient d’un suicide assisté.

Chaque cas est unique et devrait être traité individuellement, après avis d’un comité d’éthique médicale.

Les équipes de soignants le savent : judicieusement appliquée et adaptée en fonction de certaines circonstances, la loi Claeys-Leonetti permet de traiter la grande majorité des cas. Elle me paraît largement suffisante et satisfaisante pour l’heure. Laissons faire les médecins.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du droit individuel à bénéficier de l’aide active à mourir, dans un cadre strictement défini et contrôlé, s’invite régulièrement dans l’actualité. Plusieurs propositions de loi ont été déposées en ce sens à l’Assemblée nationale. Autour de nous, des pays légalisent cette pratique. La population française, dans sa diversité, y est massivement favorable. Il nous faut donc comprendre ce qui insiste comme ce qui résiste dans ce débat en France.

L’objection première est qu’un tel choix résulterait d’un défaut d’accompagnement de qualité de la fin de vie, d’une non-application ou d’une mauvaise application des lois existantes, ou de l’absence d’unités de soins palliatifs.

Certes, on meurt mal en France. Et, effectivement, les soins palliatifs attendent depuis trois ans un nouveau plan. Les fermetures, toujours en cours, de dizaines de milliers de lits de spécialités médicales, en cancérologie, en pneumologie, en gériatrie, où l’accompagnement de type palliatif s’exerçait, ont de facto diminué l’offre de lits palliatifs. Mais le cas de la Belgique, pionnière des soins palliatifs, et qui a ensuite légalisé l’aide active à mourir, nous le prouve : tout cela n’épuise pas la question, même si, au final, très peu de personnes et de situations sont concernées.

D’ailleurs, cette proposition de loi réaffirme le droit effectif universel à accéder à des soins palliatifs dans tous les départements, proportionnellement à leur population.

La société garantit alors de dignes conditions d’accompagnement et de soins. Pour autant, elle ne peut prétendre définir à la place de la personne atteinte d’une maladie grave et incurable lui infligeant une souffrance inapaisable ni ce qui fait sens pour cette dernière dans le temps qu’il lui reste à vivre ni sa conception personnelle d’une mort digne.

Ce qui insiste donc, c’est la demande que la société entende et respecte le choix, irréductible à l’individu, de décider du moment de partir, et qu’elle permette l’effectivité de ce choix individuel dans le cadre collectif qu’elle a défini.

À l’inverse, même si la société ne condamne pas le droit de se donner la mort – rappelons qu’elle n’attache « pas de réprobation sociale au suicide » –, elle refuse l’aide active de soignants, jamais contraints, puisqu’ils peuvent opposer la clause de conscience. Ce refus condamne souvent à des suicides violents et prématurés, à des pratiques illégales à la seule discrétion des médecins – faut-il dire « du pouvoir médical » ? –, au départ à l’étranger ou à des fins de vie vécues comme indignes par la personne et son entourage.

Ce que le législateur reconnaît par cette proposition de loi, quand la médecine elle-même se retire, c’est le droit de chacun à être aidé pour choisir – j’emprunte cette expression – le moment d’« éteindre la lumière ».

Paulette Guinchard-Kunstler a souhaité que son suicide assisté soit connu dans l’espoir de faire bouger les lignes. Rappelons que, après la première loi Leonetti, défenseuse du développement des soins palliatifs, elle estimait que l’état de la loi française permettait de répondre à toutes les situations. Quand, malade, elle a pris la décision de ne pas aller plus loin, et alors que la loi française ne permettait pas d’accéder à sa demande, elle s’est résolue à partir en Suisse.

Je pense que tout le monde a droit à ce cheminement de liberté et je vous invite à voter la loi le permettant. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de la fin de vie anime régulièrement le débat public, ravivée à chaque exemple douloureux d’une fin de vie de souffrances pour un patient et sa famille.

Ces débats ont permis des avancées législatives significatives en matière d’accompagnement pour une fin de vie digne, en particulier grâce aux lois Leonetti et Claeys-Leonetti, votées respectivement en 2005 et en 2016.

Mais pour les malades et leurs familles, pour les associations qui les soutiennent et pour un grand nombre de nos concitoyens, le dispositif législatif actuel demeure insuffisant.

Bien sûr, des mesures telles que l’interdiction de l’obstination déraisonnable, la désignation d’une personne de confiance ou encore l’instauration des directives anticipées constituent des avancées concrètes, quoique parfois méconnues par nos compatriotes, qui y ont encore peu recours.

La législation existante se borne en outre à limiter le choix des patients entre une sédation profonde et continue, souvent suivie d’une lente agonie, et un statu quo thérapeutique entraînant trop fréquemment des souffrances insupportables.

La proposition de loi de notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie, que je suis heureux d’avoir cosignée, prend ainsi tout son sens. Elle s’inscrit dans un contexte où la demande des Français d’obtenir le droit de mourir dans la dignité est unanime.

Comme cela a été rappelé, selon un sondage de l’institut Ipsos réalisé au mois de mars 2019, 96 % des personnes interrogées sont favorables à la reconnaissance d’un droit à l’euthanasie. Un tel pourcentage est éloquent et ne peut pas nous laisser indifférents !

Cette proposition de loi vise en outre à rompre avec un système aujourd’hui inégalitaire face à la fin de vie, car seules les personnes qui en ont les moyens peuvent décider de partir à l’étranger afin d’y terminer leur existence conformément à leurs souhaits.

Soulignons à cet égard que, après les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, un quatrième pays européen, le Portugal, vient d’adopter, le 29 janvier dernier, une loi dépénalisant l’euthanasie. L’Espagne est en passe de faire de même, le Congrès des députés ayant approuvé une proposition de loi de régulation de l’euthanasie au mois de décembre 2020, qui devrait être adoptée définitivement à l’issue de la navette parlementaire.

Si comparaison n’est pas raison, nous ne pouvons pas faire fi de cette évolution sociétale, qui s’étend désormais de part et d’autre de nos frontières.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise ainsi à mettre en place un dispositif juste et sécurisant pour les malades et les praticiens en ouvrant enfin le droit pour les patients de solliciter l’aide active à mourir, dans un cadre législatif rigoureux.

Le texte reconnaît à tous les citoyens le droit de pouvoir choisir de mourir dans des conditions dignes et strictement conformes à leurs souhaits.

Mes chers collègues, l’heure de la mort fait légitimement appel pour chacun d’entre nous à des sentiments profonds et personnels, à des convictions intimes. C’est pourquoi il n’est jamais aisé de légiférer en la matière.

Pourtant, et comme d’autres l’ont fait avant nous au sein de la Haute Assemblée, nous pouvons choisir de donner à chacun de nos compatriotes le droit de maîtriser les conditions de sa mort, comme chaque être humain est en droit de choisir les modalités de sa propre vie.

Ce texte prévoit donc d’inscrire dans le code de la santé publique le droit de bénéficier de l’aide active à mourir. Il en définit précisément les conditions de mise en œuvre, ainsi que les critères permettant aux patients de pouvoir y avoir recours.

Considérant qu’il ne peut pas y avoir de fin de vie digne sans qu’un environnement adapté et suffisant soit mis en place autour du patient et de sa famille, la proposition de loi détermine également les modalités de désignation des personnes de confiance et renforce la prise en compte des directives anticipées, en réaffirmant leur caractère contraignant pour l’équipe soignante et en actant la création d’un registre national automatisé. Elle permet par ailleurs à la personne de confiance de demander l’aide active à mourir lorsque le patient a indiqué vouloir en bénéficier dans ses directives anticipées et alors qu’il se trouve hors d’état d’exprimer sa volonté.

Enfin, il ne saurait y avoir d’ouverture de droits nouveaux en matière de fin de vie sans que l’on offre à nos concitoyens la garantie pour tous, où qu’ils se trouvent sur le territoire national et dès lors que leur état de santé le requiert, d’un accès effectif aux soins palliatifs.

Cette proposition de loi institue donc un droit universel d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement, dont la mise en œuvre devra faire l’objet d’un rapport annuel de la part du Gouvernement. Les inégalités territoriales restent en effet criantes en la matière et nécessitent des moyens financiers et humains à la hauteur des enjeux.

Mes chers collègues, au-delà de nos conceptions philosophiques et de nos appréciations personnelles et intimes, de notre propre rapport à la mort, le texte soumis aujourd’hui à notre examen constitue fondamentalement une loi de liberté. Il n’impose rien, mais il vise à permettre à chacune et chacun d’avoir la faculté ultime de choisir sa fin de vie.

C’est la raison pour laquelle, au-delà de nos sensibilités politiques, je vous invite collectivement à faire en sorte que notre Haute Assemblée soit le fer de lance de cette liberté nouvelle en votant en faveur de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Sophocle écrivait : « Si j’étais mort, je ne serais pas un tel sujet d’affliction pour mes amis ni pour moi-même. » Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi instaurant un droit à mourir, et cette pensée antique s’inscrit parfaitement dans le débat actuel.

En effet, ce texte a été présenté afin d’offrir aux patients volontaires une mort digne, grâce à l’euthanasie ou au suicide assisté.

Lors de l’examen du texte en commission des affaires sociales, la présidente Catherine Deroche soulignait que la dignité d’un homme était préservée jusqu’à son dernier souffle, malgré la déchéance physique, que nous ne pouvons pas considérer comme indigne.

La question suivante se pose : l’accélération de la fin de vie est-elle un moyen de préserver la dignité humaine ? Mon âme de médecin me fait penser que non.

L’article 2 de la proposition de loi édicte un certain nombre de critères qui permettent aux médecins d’apprécier la recevabilité de la demande d’aide active à mourir. Celle-ci renvoie à la notion de « dernière volonté ». Or comment s’assurer que ce souhait constitue une volonté définitive ? Toute erreur de jugement de la part d’un patient souhaitant bénéficier d’une aide active à mourir serait irréversible. À cet égard, l’exemple évoqué par René-Paul Savary est édifiant.

En dépit de la clause de conscience proposée, le médecin engagerait sa responsabilité morale en acceptant ou en refusant un tel acte. La loi est-elle en mesure d’apporter des réponses appropriées à toutes les situations ? Chaque dossier médical, chaque patient diffère selon les contextes de vie et d’hospitalisation. Il me paraît audacieux de généraliser une pratique aussi exceptionnelle qu’intime.

Par ailleurs, l’article 4 de la proposition de loi définit le régime de la personne dite de confiance, en prévoyant un classement « par ordre de préférence ». Mes chers collègues, je suis père de quatre enfants. Je vous assure être dans l’incapacité la plus totale d’établir un ordre de préférence entre eux.

La position que je défends aujourd’hui semble être similaire à celle du Comité consultatif national d’éthique, qui rappelait en 2019 que la loi n’avait pas vocation à arbitrer ou à résoudre les questions éthiques « nécessairement déchirantes » liées à la fin de vie, mais qu’elle devait poser « un cadre nécessaire pour la cohésion et la solidarité entre les individus dans une société ».

En revanche, je salue l’apport de l’article 9 de la proposition de loi, qui instaure un droit universel aux soins palliatifs. Ce texte nous accorde ainsi la possibilité de dresser un bilan de l’offre de soins palliatifs en France, qui reste bien trop insuffisante à ce jour. Je partage pleinement l’objectif de rendre effectif le droit de bénéficier de ce type de soins. Il me paraît essentiel d’augmenter les moyens afin de permettre au système hospitalier d’accueillir davantage de patients en fin de vie.

Ce mardi, Jean Castex a annoncé la mise en œuvre du deuxième volet du Ségur de la santé, à savoir le « lancement d’une nouvelle politique d’investissements dans le système de santé ». Ce plan est composé d’une enveloppe de 19 milliards d’euros, mais les soins palliatifs n’y sont pas mentionnés. Monsieur le ministre, j’entends vos annonces avec espoir, mais également avec vigilance.

Il me semble contradictoire de concrétiser un droit universel aux soins palliatifs dans cette proposition de loi, sans détailler les moyens qui y seront dévolus, tout en légiférant sur le suicide assisté et l’euthanasie.

Dans son rapport, notre collègue Michelle Meunier fait référence à un sondage publié par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie au mois en février 2021, selon lequel seuls 18 % des Français ont rédigé des directives anticipées. C’est une proportion encore très faible, cinq ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti. Par ailleurs, 54 % des personnes interrogées ne souhaitent pas en rédiger. Ces chiffres nous invitent à tirer la conclusion selon laquelle la majorité des Français ne semblent pas attendre une évolution législative dans ce domaine.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons contre cette proposition de loi.

Enfin, comme je pense que ce sont nos expériences personnelles ou professionnelles qui forgent notre conviction intime sur le sujet, permettez-moi de vous livrer l’une des miennes. Voilà quelques mois, pour la première fois dans ma carrière professionnelle, j’ai annoncé à une jeune patiente qu’elle allait mourir. Elle m’a demandé le droit à vivre dans la dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité
Article 1er (fin)

Article 1er

L’article L. 1110-5 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le second alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce droit comprend celui de bénéficier de l’aide active à mourir dans les conditions prévues au présent code et entendue comme : » ;

2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« 1° Soit le suicide assisté, qui est la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de cette personne, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin ou une personne agréée ;

« 2° Soit l’euthanasie, qui est le fait par un médecin de mettre fin intentionnellement à la vie d’une personne, à la demande expresse de celle-ci. »

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, sur l’article.

M. Bernard Jomier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord les auteurs de la présente proposition de loi, qui nous permettent d’avoir ce débat aujourd’hui.

Nous constatons tous, me semble-t-il, que trop de personnes dans notre pays meurent insuffisamment soulagées, insuffisamment apaisées et, pour tout dire, insuffisamment respectées dans leurs derniers instants. Ce simple fait est une honte collective pour nous tous. La question est de savoir comment nous pouvons avancer. À cet égard, je salue les annonces que M. le ministre vient de faire dans l’hémicycle. Je ne puis que former le vœu qu’elles se traduisent réellement en actes. Ce sera la responsabilité du Gouvernement et la nôtre en tant que parlementaires.

Certains estiment qu’une bonne application de notre législation actuelle suffirait à résoudre de telles situations. C’est très largement exact : beaucoup de personnes dont les conditions de vie sont très dégradées aujourd’hui y trouveraient un bénéfice. Mais il faut regarder les choses en face : il y a un certain nombre de malades pour lesquels la législation actuelle n’est pas adaptée. Ils ne sont peut-être pas très nombreux, mais ils le sont suffisamment pour que le législateur remette le sujet à l’ordre du jour et fasse évoluer la loi.

À mes yeux, le respect de l’autonomie dû aux personnes devrait nous conduire à avancer sur la question de l’aide à mourir, en clair du suicide assisté, et à élaborer un cadre largement acceptable par notre société.

Mais, à titre personnel, je ne partage pas le second volet de cet article 1er, c’est-à-dire l’ouverture du droit à l’euthanasie. C’est la raison pour laquelle je n’approuverai pas cet article.

Je remercie encore une fois les auteurs de cette initiative législative de nous avoir offert l’occasion d’un tel débat. Cela étant, nous savons tous qu’il n’est pas possible de faire évoluer la législation sur un tel sujet dans le cadre d’une proposition de loi. Je m’adresse donc au Gouvernement et lui demande d’inscrire un texte sur cette question à l’ordre du jour du Parlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic, sur l’article.

M. Thierry Cozic. « La mort n’est pas un mal, l’approche de la mort en est un », estimait dans l’Antiquité Quintus Ennius, qui soulevait toute la difficulté à appréhender notre fin de vie.

C’est cette difficulté qui nous réunit aujourd’hui. Les points de vue que nous défendons au sein de la Haute Assemblée ne sont pas tous analogues, mais il est clair qu’un besoin de plus en plus prégnant dans notre société se fait jour. Il est difficile d’expliquer à des familles dont un membre souffre que le seul horizon proposé se résume à une lourde thérapie n’ayant pour fonction que de faire gagner quelques jours de vie supplémentaires. Car de quelle vie parle-t-on ? Une vie faite de souffrances, de douleurs, d’espoirs déçus !

Le besoin impérieux de soulager ceux qui souffrent et ceux qui les accompagnent nous oblige à légiférer.

Le droit à mourir dans la dignité et à bénéficier d’une fin de vie apaisée est attendu par une immense majorité de nos concitoyens. En effet, en 2014, un sondage réalisé par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité révélait que 96 % des Français étaient favorables à l’euthanasie. En 2017, 90 % des Français se déclaraient pour le suicide assisté et 95 % pour l’euthanasie. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Ils témoignent d’une demande forte du corps social.

Jean-Yves Goffi, professeur de philosophie à l’université Pierre-Mendès-France, à Grenoble, spécialiste des questions de bioéthique, explique que l’argument fondamental est le droit ou non de disposer de sa vie. C’est l’argument libéral de la souveraineté sur soi-même. Il est tyrannique de limiter la liberté d’action d’un individu qui, agissant en toute connaissance de cause, ne cause aucun tort aux autres.

Or, depuis le début des années 2000, la législation française a déjà connu à plusieurs reprises des évolutions. Pourtant, les questions liées à la fin de vie n’ont pas toutes trouvé une réponse. La loi Leonetti-Claeys est encore insuffisante. En l’état actuel du droit, de nombreuses personnes en sont réduites à partir à l’étranger, quand elles en ont les moyens, pour y terminer leur vie conformément à leurs souhaits. D’autres parviennent à obtenir d’un médecin une assistance active à mourir. Cela conduit à des inégalités considérables face à la fin de vie.

Mes chers collègues, cette proposition de loi répond à la nécessité de faire évoluer la législation vers une aide active à mourir. C’est la seule voie qui permette d’ouvrir et de faciliter le libre choix de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, sur l’article.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Permettez-moi de profiter de l’examen de cette proposition de loi pour relayer le témoignage d’une famille. Mme Colette Delcourt, habitant le Pas-de-Calais, avec qui j’ai échangé, a vécu une expérience qui doit nous conduire à nous interroger sur les conditions actuelles de fin de vie et, plus précisément, sur la fin de vie des personnes en situation de handicap mental. La loi Leonetti ne prévoit rien concernant le consentement des personnes handicapées mentales.

Je n’évoquerai pas la douleur infinie que peut représenter pour une mère le fait d’accepter d’être à l’origine de la fin de vie de son fils. Mme Delcourt a cherché des réponses et des accompagnements, mais elle a essentiellement reçu en retour de la culpabilisation, des oppositions, de la peur. Enfin, elle a ressenti de la honte.

Je profite donc de mon intervention pour interpeller le ministre sur un sujet qui va au-delà de la présente proposition de loi. Comment est-il possible d’adapter le recueil du consentement des personnes handicapées mentales ? Vers qui orienter les familles pour les accompagner et les conseiller ? Aujourd’hui, une autorité indépendante, externe aux médecins qui s’occupent du patient, est nécessaire. Comment accompagner, après le décès, les familles qui vivent dans la culpabilité d’avoir inutilement laissé souffrir un proche et de ne pas avoir pu mettre un terme plus tôt à ses souffrances ?

À travers ce témoignage, je veux porter le message des familles de personnes handicapées, qui se retrouvent malheureusement bien seules dans de telles situations.

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi devrait être la locomotive des grands changements de notre société, mais c’est parfois la société elle-même qui en est à l’origine. Quand elle en fait la demande, nous nous devons, nous, législateurs, de l’entendre.

L’euthanasie et le suicide assisté sont des dispositifs législatifs déjà en place dans certains pays d’Europe, comme mes collègues l’ont déjà indiqué. Disons-le, en la matière, la France a encore du retard par rapport à ses voisins.

Deux textes, la loi Leonetti de 2005 et la loi Claeys-Leonetti de 2016, prévoient des dispositions à ce sujet, mais ils ne font que préciser les modalités d’accompagnement médical de la fin de vie, en se fondant sur deux piliers : la lutte conte l’acharnement thérapeutique et l’amélioration des conditions de vie du patient en fin de vie. Très concrètement, ces textes ne garantissent en aucun cas la possibilité pour une personne de décider de son sort et de sa fin de vie.

Comme vous le savez, cette situation pousse certains Français à quitter le pays pour terminer leur vie à l’étranger, comme en Suisse, où environ quatre-vingts personnes se rendent chaque année.

Pourtant, la société évolue sur ce sujet : selon un sondage Ipsos de mars 2019, déjà cité, 96 % des Français sont favorables à la reconnaissance du droit à l’euthanasie. Alors, faisons-le : établissons le droit à mourir dans la dignité en France en votant cette proposition de loi !

La grande majorité du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte et nous remercions Marie-Pierre de La Gontrie et Michelle Meunier, respectivement autrice et rapporteure de cette proposition de loi, ainsi que l’ADMD pour son travail et son action. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)