M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Si l’on devait s’arrêter lorsqu’il y a des élections, on ne ferait pas souvent grand-chose : il faut bien avancer !

Monsieur le sénateur, nous avons proposé aux élus des CRTE. J’entends toutes vos remarques : ce ne serait pas le bon outil, il n’est pas adapté, mais 837 d’entre eux ont tout de même été acceptés, à une seule exception, celui de la communauté de communes d’Issoudun, dans l’Indre. Ces contrats rencontrent donc un certain succès.

Je comprends votre attachement à la présence des municipalités. Je l’ai dit et répété à la conférence des maires : j’ai été maire, j’ai été, dans la majorité comme dans l’opposition, membre d’une intercommunalité, et je me faisais entendre en demandant une réunion des maires. Je rappelle d’ailleurs que la conférence des maires est devenue obligatoire.

S’agissant du financement, monsieur le sénateur, et je répondrai ainsi également à l’orateur précédent, avant la relance, nous avions déjà accordé des dotations supplémentaires, notamment en conservant la DSIL créée par le Gouvernement précédent pour compenser la baisse de la DGF, et ce alors que nous ne la baissions plus. Il n’y a pas de raison de ne pas continuer ainsi.

M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.

M. Didier Mandelli. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. J’ai également été maire et président d’une intercommunalité, et je sais par expérience, alors que nos concitoyens nous demandent de les écouter, que nous avons besoin de temps d’échanges et de concertation sur un certain nombre de projets. Je disais simplement que le temps est limité pour favoriser les échanges entre les élus.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. J’ai déjà répondu !

M. Didier Mandelli. Évidemment, les responsables d’exécutif ont saisi l’opportunité, mais le calendrier n’offre pas le temps d’échanges et de concertation au sein des conseils municipaux permettant le partage des décisions avec chacun des élus. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Madame le ministre, si j’ai bien compris, la politique contractuelle de l’État se décline à deux niveaux : un niveau régional avec les CPER ou leur pendant dans les départements et régions d’outre-mer, et un niveau infrarégional avec les CRTE, appelés à remplacer les contrats précédents.

Ma première question porte sur l’articulation des CPER avec les contrats existants. J’ai lu en effet dans la circulaire du Premier ministre aux préfets de novembre 2020 que « lorsqu’un axe stratégique du projet de territoire correspond à un contrat préexistant au CRTE, ce contrat a vocation à être inclus dans le CRTE. » Dois-je en conclure que les financements qui étaient associés au contrat existant sont automatiquement fléchés dans le nouveau CRTE sans qu’il soit besoin de déposer un nouveau dossier ? (Mme la ministre acquiesce.)

Ma seconde question porte sur l’articulation entre les CPER et les CRTE. Sur le site de votre ministère, on lit que l’État et les collectivités s’engageront réciproquement dans le cadre d’accords régionaux de relance et, au niveau infrarégional, dans le cadre de CRTE, qui pourront être la déclinaison du volet territorial du CPER.

Les préfets, dans l’instruction qui leur a été transmise en février 2021 sur l’emploi des crédits de la DSIL, sont expressément invités à veiller à l’intégration des crédits de la DSIL à la démarche d’élaboration des CRTE, de manière à assurer une bonne articulation des moyens de l’État avec les CPER et la cohérence de l’ensemble de ces financements. Or j’ai aussi lu que le financement des CPER doit passer par le volet territorial, désormais nommé cohésion des territoires, qui est facultatif. Que va-t-il se passer pour les régions qui n’auraient pas de volet territorial dans leur CPER ?

M. Jean-François Husson. C’est le grand bazar !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. J’ai répondu par l’affirmative à votre première question, madame le sénateur.

Onze engagements de CPER, qui seront finalisés à l’automne, ont été signés et tous comportent un volet territorial. Nous avons demandé aux régions de s’engager sur un volet territorial. Cependant, tout n’est pas décidé verticalement, contrairement à ce que l’on dit souvent ! Le volet territorial découle aussi de l’horizontalité des négociations entre les présidents de région, de département et les intercommunalités. L’État est généralement présent, mais il s’agit plutôt d’une négociation horizontale.

Bien évidemment, nous recherchons en permanence la cohérence. Cela me permet de préciser au sénateur de la Vendée que nous avons prévu une clause de revoyure dans les CPER, ce qui est nouveau. Les CRTE sont également évolutifs : nous ferons régulièrement le point sur leur évolution, les souhaits de réorientation vers d’autres projets. Nous avons la volonté de créer un cadre contractuel offrant une souplesse dans les relations entre l’État et les collectivités territoriales.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe auteur de la demande.

M. Ronan Dantec, pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires. Monsieur le président, il est difficile de synthétiser un débat aussi riche, ayant suscité de nombreuses remarques pertinentes. Je note que beaucoup d’intervenants n’ont pas jeté le bébé avec l’eau du bain. Le CRTE intéresse et suscite évidemment des interrogations, puisqu’il s’agit d’un nouveau dispositif.

Les délais, intenables, suscitent de fortes inquiétudes. À cet égard, je remercie Mme la ministre de la clarté de son propos, fruit de nos échanges de cet après-midi : le CRTE ficelé, complet, contractuel, financé n’est plus attendu le 30 juin. Je présume que nous avons jusqu’à l’automne pour ce faire. Cette précision est de nature à rassurer les territoires.

Le protocole d’engagement, requis, est d’abord un protocole sur la méthode. Il doit être l’occasion d’associer l’ensemble des communes et des maires au CRTE. Or certains présidents d’intercommunalités, on le sait, prennent les décisions directement avec les services, le préfet. Le CRTE pourra ainsi constituer un levier pour améliorer la démocratie à l’échelle des intercommunalités. Les situations sont extrêmement disparates suivant les territoires ; revenir sur ce point dans le cadre du protocole d’engagement est donc essentiel.

Autre point essentiel : ce contrat ne doit pas avoir d’écologique que le nom. Dès lors que l’État contractualise avec des territoires en définissant des axes principaux, le protocole d’engagement doit comporter une méthode pour que ce CRTE soit réellement écologique. Or l’élément du projet de territoire le plus avancé est le plan climat-air-énergie territorial. Le lien avec le PCAET, dans lequel sont déjà définies un certain nombre d’actions, doit donc être plus clairement affirmé. Cela favorisera en outre l’évaluation à venir, indispensable si l’on veut un contrat évolutif.

Enfin, l’ingénierie suscite légitimement beaucoup d’inquiétudes. L’ANCT n’est pas encore présente partout, Guy Benarroche l’a encore rappelé. Les mois qui restent doivent être l’occasion pour l’État de mobiliser plus clairement l’ANCT ou d’autres moyens pour finaliser les contrats, éventuellement avec le soutien, vous l’avez dit, des départements et des régions.

Sans vouloir me substituer à l’exécutif, madame la ministre, je pense qu’il serait utile d’adresser aux préfets une circulaire complémentaire sur le protocole d’engagement. Les collectivités locales ont besoin d’un discours de la méthode plus précis, comme en témoignent les questions des élus locaux que nous avons relayées.

Finalement, ce contrat n’est-il qu’un cadre listant les anciens appels à projets de l’État, dans une logique descendante ? Ou bien s’agit-il pour l’État de fixer des priorités, en laissant les territoires définir à leur échelon les meilleurs projets pour y répondre ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Oui !

M. Ronan Dantec. À l’usage, la méthode et le dialogue entre l’État et les territoires seront cruciaux.

Enfin, j’avais posé la question en introduction : quid de l’après-plan de relance ? Si les financements sont massifs à très court terme puis s’effondrent, ils peuvent avoir un effet démobilisateur et interdire l’action cohérente, dans la durée, associée à la logique de ce contrat. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Contrat de relance et de transition écologique (CRTE), ne pas confondre vitesse et précipitation. »

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

Impact de la réduction de loyer de solidarité (RLS) sur l’activité et l’avenir du logement social

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « L’impact de la réduction de loyer de solidarité sur l’activité et l’avenir du logement social. »

Dans le débat, la parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, un rapport de la Cour des comptes publié fin décembre 2020 dresse un premier constat sur la mise en œuvre de la réduction de loyer de solidarité (RLS). Il confirme les préventions du Sénat et justifie l’opposition de notre groupe à cette sinistre mesure.

Pourquoi organiser ce débat maintenant ?

La RLS a largement concouru à la chute très préoccupante de la construction de logements sociaux et, malgré les déclarations gouvernementales, son maintien ne permettra pas de restaurer un haut niveau de production et de réhabilitation des logements HLM. Or, il y a urgence !

En outre, le dispositif doit être revu fin 2022 et, comme le souligne la Cour des comptes, des décisions doivent être prises très en amont. L’une des deux recommandations formulées par les magistrats consiste d’ailleurs à mesurer, dès 2021, « les impacts réels de la RLS sur la situation financière et les capacités d’investissement des bailleurs sociaux ».

Le Sénat doit donc se faire entendre. Selon notre groupe, la décision qui s’impose est la suppression pure et simple de la RLS.

La plupart des arguments mis en exergue dans le rapport de la Cour des comptes confortent ce choix. Souvent habituée à un langage diplomatique, la Cour a choisi cette fois pour structurer son avis des titres très clairs, qui en disent long.

Elle critique « un dispositif conçu ex nihilo et sans concertation préalable, aux conséquences indirectes préjudiciables », mais aussi « une réforme peu lisible et complexe » – si la Cour des comptes trouve un dispositif complexe, c’est qu’il l’est vraiment ! Elle estime aussi que l’impact financier sur les acteurs du logement social devra être évalué avant 2022.

À la lecture de cette dernière rubrique, on voit poindre les risques majeurs qui pèsent sur les organismes HLM.

Après la baisse de 5 euros des aides personnalisées au logement (APL) décidée dès l’été 2017 – une prétendue erreur qui n’a jamais été corrigée –, Emmanuel Macron et le gouvernement d’Édouard Philippe ont organisé dans la loi de finances pour 2018 une ponction massive sur les HLM afin de diminuer les crédits d’APL inscrits au budget de l’État. Initialement prévue pour une somme de 1,5 milliard d’euros annuels, celle-ci sera réduite les premières années grâce à l’intervention du Sénat et à la mobilisation des acteurs du logement social et des associations nationales d’élus. Elle sera finalement ramenée théoriquement à 800 millions d’euros en 2018 et 2019 – la Cour des comptes montre qu’une somme supérieure a été prélevée en réalité –, puis à 1,3 milliard d’euros en 2020, l’objectif étant de passer à 1,5 milliard d’euros ensuite.

La RLS porte très mal son nom. Il ne s’agit pas d’une réduction de loyer, puisque la plupart des locataires ne voient pas leur quittance diminuer. Quant à la solidarité, elle n’est pas au rendez-vous, bien au contraire.

La RLS représente une somme considérable. Aucun autre secteur de l’activité publique n’aura connu pareille ponction budgétaire ! On ne peut pas parler de solidarité alors que la suppression de l’ISF et l’instauration de la flat tax coûtent 3 milliards d’euros à l’État et que les HLM doivent quasiment en financer le tiers. La RLS, c’est l’anti-solidarité : ce sont les plus modestes qui paient pour les plus riches !

On ne peut pas parler de solidarité non plus quand le Gouvernement fait passer une partie du financement des aides personnalisées au logement (APL) de la solidarité nationale à la solidarité entre locataires HLM, c’est-à-dire entre les plus modestes de notre pays. Et ce n’est pas rien, car le montant de la RLS équivaut chaque année à 4,5 % des loyers versés !

Qui plus est, la Cour des comptes explique que les organismes qui accueillent le plus d’allocataires APL et qui pratiquent les loyers les moins élevés sont les plus touchés. La RLS étant forfaitaire, plus les loyers sont faibles, plus son incidence est forte. En clair, plus le logement est social, plus il paie. Nous l’avions souligné tous ensemble, ici même, dès la loi de finances pour 2018, et la pseudo-mutualisation promise n’y a rien changé.

Oui, la RLS a eu des effets négatifs sur le niveau de la construction, des réhabilitations et des loyers de sortie. La chute de la construction a commencé en 2018, année de sa mise en place, et donc avant la crise du covid. Elle se confirme depuis. Les municipales et le coronavirus ont bon dos !

Au-delà des chiffres, la Cour des comptes observe que la perte de recettes locatives, programmée dans la durée, est évidemment intégrée aux coûts des opérations. Cela induit, premièrement, une difficulté à boucler de nouvelles opérations, sauf à obtenir des financements publics suffisants – or l’État s’est complètement désengagé des aides à la pierre – et, deuxièmement, une hausse des loyers de sortie, dont le décalage avec les capacités contributives des catégories populaires et des plus pauvres est grandissant.

La Cour ajoute que les dépenses d’entretien courant, en particulier de gros entretien, ont diminué de 7 % en valeur et que, si cette baisse devait perdurer, elle provoquerait une détérioration des bâtiments et une perte d’attractivité du logement social. Déjà, dans de précédents rapports, la Cour avait insisté sur l’importance de cet entretien, en particulier dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Le Gouvernement ne peut pas faire l’autruche sur ces réalités. À elles seules, elles justifieraient l’abandon immédiat de la RLS pour relancer une production soutenue de logements sociaux avec des niveaux de loyers plus bas et pour assurer un entretien et des réhabilitations réguliers du parc existant.

La RLS menace l’avenir du mouvement HLM et de ses finances. Dès sa création, nos rapporteurs prévoyaient une détérioration de la situation financière des organismes de logement social (OLS) faisant peser de lourdes menaces sur l’avenir.

La Cour constate que l’incidence financière a pu être amortie jusqu’à présent – j’y reviendrai –, mais que la RLS diminue mécaniquement les résultats des organismes. Si le potentiel financier des bailleurs reste quasiment stable, l’autofinancement du secteur HLM a néanmoins diminué, conduisant à une réduction des investissements.

Elle s’inquiète pour l’avenir et estime qu’il importe d’évaluer l’impact global de la RLS sur le modèle économique et financier des HLM, celui-ci étant historiquement fondé sur deux piliers : le réemploi des fonds dégagés par les loyers et les prêts à long terme de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

La baisse des rendements locatifs fragilise considérablement ce modèle. Il faut ajouter que, du fait du désengagement de l’État dans les aides à la pierre, les fonds propres sollicités pour les opérations sont passés de 5 % à 15 % entre 2000 et 2018. C’est l’asphyxie des organismes HLM qui est ainsi programmée avec la RLS.

Notre inquiétude sur la soutenabilité financière des bailleurs sociaux avait été confirmée dès la fin de l’année 2017 par une étude de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET).

Le Gouvernement avait alors dû annoncer, en même temps que la mise en place de la RLS, des mesures dites de compensation. Cette réforme bancale avait dès son origine besoin de béquilles, ce qui témoigne de son absurdité… De plus, les béquilles se sont révélées fragiles, insuffisantes et temporaires, en particulier les prêts de la CDC ou d’Action Logement.

Comme l’écrit aujourd’hui la Cour, les bailleurs « remplacent des ressources issues de l’autofinancement par de la dette, augmentant leur dépendance à l’emprunt et leurs risques à la variation éventuelle des taux ».

Nous avions déjà souligné les graves conséquences de ce transfert, de fait, d’une dette de l’État vers les organismes HLM. Si ce mécanisme ne change en rien l’endettement réel de la France, il fragilise fortement le modèle du logement social et obère lourdement son avenir.

C’est à se demander si l’objectif, finalement, n’est pas de banaliser et de financiariser le logement social, comme certains gouvernements libéraux, dans d’autres pays, l’ont fait voilà des dizaines d’années. Les mêmes, aujourd’hui, font marche arrière… Le Gouvernement a beau s’en défendre, force est de constater que ses actes ne garantissent pas l’avenir du logement social. Au contraire, ils le fragilisent.

L’autre « compensation » qui avait été engagée pour réduire le poids de la facture fut le maintien du taux du livret A à 0,75 %. Ce fut certes très temporairement favorable au mouvement HLM, mais cela revenait à pénaliser les épargnants et à offrir un pactole de plus de 1 milliard d’euros aux banques. La comparaison entre le montant de ce pactole et celui du prélèvement de la RLS nous laisse pantois et montre, s’il en était besoin, que d’autres ressources pouvaient être trouvées pour alléger la dépense publique.

Mais le Gouvernement n’a pratiqué aucune ponction sur les banques, qui se sont enrichies, tandis que les HLM, eux, ont dû contribuer au budget de l’État et se sont appauvris. Cherchez l’erreur !

Ces différentes mesures de « compensation » ne sont en rien durables, alors que Bercy et le Gouvernement souhaitent pérenniser, voire sans doute accroître la RLS.

Mes chers collègues, nous devons nous y opposer et demander l’abandon de la RLS ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Bouad. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Denis Bouad. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pendant dix-sept ans, j’ai eu le plaisir de présider le premier bailleur social du département du Gard, comprenant 16 000 logements, dont la moitié se situe en quartier prioritaire. La question de la mixité sociale au sein de ces quartiers, où l’on comptabilise plus de 40 % de demandeurs d’emploi, représente un enjeu important.

Si la nécessité de produire plus de logements sociaux semble une évidence pour beaucoup, de nombreuses contraintes demeurent sur les territoires. Malgré les effets positifs de la création des établissements publics fonciers et de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, la loi SRU, la question du foncier reste centrale.

La capacité financière des bailleurs sociaux est aujourd’hui largement remise en cause. Depuis la loi de finances pour 2018, la création de la RLS vient très nettement amputer leurs recettes, et les mécanismes de compensation mis en place depuis lors sont loin d’être suffisants, tant s’en faut !

Les prix du foncier sont élevés, les coûts de construction augmentent et la RLS vient alourdir l’addition. C’est notre capacité à produire de nouveaux logements sociaux qui est remise en cause.

Les bailleurs les plus solides financièrement peuvent encore faire face, mais, de jour en jour, ils épuisent leurs trésoreries et leurs fonds propres. Cette situation ne pourra pas perdurer.

Nous devons répondre à la demande et produire plus de logements sociaux. Pour autant, cette priorité ne doit pas nous faire oublier ou négliger nos locataires actuels.

Le parc HLM existant est aujourd’hui dégradé. Les constructions des années 1970 ne correspondent plus aux conditions de vie actuelles ; la mixité sociale n’est plus présente ; le parcours résidentiel n’existe plus… L’entretien et la rénovation de notre parc représentent donc un enjeu majeur.

Depuis 2005, j’ai pu participer aux opérations de rénovation urbaine dans mon département et je peux témoigner de leur efficacité et des résultats positifs de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Néanmoins, ne perdons pas de vue que ces opérations ne s’appliquent pas partout et qu’elles laissent des pans entiers de notre patrimoine sans intervention massive.

Là aussi, les aides publiques n’ont cessé de diminuer. Un signal simple, mais important, pourrait être envoyé aux bailleurs en leur permettant d’intégrer dans leurs investissements les travaux de gros entretien.

Il est urgent, madame la ministre, d’apporter des réponses politiques pour ne pas laisser prospérer un sentiment d’abandon chez les locataires du parc actuel. Pour changer l’image du logement social, nous devons commencer par changer celle de notre parc existant !

C’est un sujet décisif, car nos politiques en la matière peuvent avoir des répercussions positives dans de nombreux domaines.

En portant une ambition pour le logement social, on agit directement sur la qualité de vie des Français, mais aussi sur leur pouvoir d’achat. Habiter un logement social, c’est économiser en moyenne 250 euros par mois de loyer.

Agir sur le logement social, c’est aussi œuvrer pour la transition énergétique que notre pays doit engager. On peut réduire nos émissions de gaz à effet de serre et faire baisser la facture énergétique des ménages les plus modestes. Là encore, un signal pourrait être envoyé en rendant les bailleurs sociaux éligibles à l’ensemble des crédits d’État liés aux rénovations thermiques.

Enfin, alors que la crise sanitaire a eu de sévères répercussions sur l’activité de nos entreprises, la question de la relance économique est au cœur de nos préoccupations. Une réelle ambition et un véritable plan d’investissement en matière de logement social contribueraient à redynamiser l’économie et favoriseraient l’emploi.

Pour toutes ces raisons, nous devons saisir l’opportunité de faire du logement social une politique publique prioritaire et nous donner les moyens d’atteindre nos objectifs.

Le modèle actuel du logement social, fondé sur la solidarité, est soumis à des attaques à la fois sur son organisation et sur son financement.

De grands groupes monopolisent de plus en plus le financement du logement social en France. De surcroît, la législation récente favorise la constitution d’entités plus importantes. Je pense notamment à la constitution des sociétés de coordination (SC), érigées par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, la loi ÉLAN.

Madame la ministre, à l’heure où la crise sanitaire tend à renforcer les inégalités, il est urgent de s’interroger sur la RLS et sur les choix politiques qui ont été faits ces dernières années. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la réduction de loyer de solidarité a été une erreur stratégique. Comment la réparer à présent ?

Trois ans après la décision du Président de la République de réduire de 5 euros les aides personnalisées au logement et d’imposer une réduction des loyers aux bailleurs sociaux, les résultats sont là : moins de 90 000 logements sociaux ont été agréés en 2020, contre plus de 120 000 en 2016. Le virus, les élections municipales et les maires réfractaires ont bon dos. En réalité, c’est bien à la suite des décisions de 2017 que la courbe s’est infléchie et c’est bien la politique du Gouvernement qui en est la principale cause.

La RLS, qui a entraîné une ponction de 1,3 milliard d’euros, a considérablement affaibli les capacités des bailleurs sociaux, aussi bien pour entretenir leur patrimoine que pour investir dans de nouveaux logements.

Ces mauvais chiffres ne sont pas conjoncturels, ils sont bien le résultat d’une stratégie délibérée du Gouvernement. Le logement a été identifié en 2017 comme une source d’économies pour rétablir l’équilibre des finances publiques. C’est un fait.

Pourtant, madame la ministre, ces logements non construits auraient rapporté davantage aux finances publiques s’ils l’avaient été que les économies réalisées grâce à la RLS. Selon le rapport annuel du compte du logement, publié fin 2020, les aides au logement sont passées de 2,2 % du PIB en 2010 à 1,6 % en 2019. Si le logement en a été la cible privilégiée, c’est parce qu’on a estimé, au sein de l’État, que la France dépensait trop et mal pour le logement et qu’il fallait changer de modèle.

Les restrictions budgétaires décidées sont un puissant aiguillon pour constituer de grands groupes de bailleurs sociaux, qui pourront ainsi ouvrir leur capital et se financer sur les marchés. Cela rend possible la remise en cause des ressources dédiées au secteur. N’est-ce pas d’ailleurs ce que nous constatons à travers les attaques contre Action Logement et la participation des entreprises à l’effort de construction ?

Par ailleurs, les économies réalisées sur les APL diminuent leur caractère solvabilisateur et constituent une étape vers leur forfaitisation et leur dilution dans un futur revenu universel.

L’erreur stratégique étant commise, comment peut-on la réparer ?

Certaines solutions ont déjà été mises en œuvre par le Gouvernement, et je lui en donne acte. Quelque 500 millions d’euros ont ainsi été mobilisés pour la rénovation énergétique des logements sociaux dans le plan de relance, même si la construction neuve y est complètement oubliée.

Par ailleurs, dans le cadre d’un protocole signé avec le secteur pour la construction de 250 000 logements sociaux d’ici à 2022, Action Logement mobilisera près de 1 milliard d’euros dans le cadre de son plan d’investissement volontaire, tandis que la Banque des territoires portera son enveloppe de titres participatifs de 700 millions à 1 milliard d’euros.

Toutefois, au moment où doivent débuter des négociations pour l’après-2022, on ne peut se satisfaire de la reconduction de l’existant, à l’exception technique de la situation des bénéficiaires de la RLS qui ne touchent pas les APL. Comme le recommande la Cour des comptes, il faut réaliser un véritable audit de la viabilité à long terme des bailleurs sociaux.

Pour ma part, je pense qu’il faut aller au-delà et explorer au moins trois pistes supplémentaires.

Premièrement, il faut compenser les surcoûts de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) sur la construction de logements, qui pourraient atteindre 18 %, et accompagner les bailleurs dans la transition énergétique.

Deuxièmement, il convient de protéger le logement social des effets de l’objectif « zéro artificialisation nette », qui va renchérir le coût du foncier. Faut-il créer une exception pour le logement social ? Ne serait-il pas temps de réexaminer le zonage qui régit les subventions des opérations et qui n’a pas été revu depuis 1978 ? (M. Philippe Dallier marque son approbation.)

Enfin, troisièmement, nous devons encourager les maires bâtisseurs, qui sont aujourd’hui pris en tenailles entre les exonérations d’impôts locaux et les coûts d’accueil de logements sociaux. La compensation de la taxe d’habitation (TH) et l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les nouvelles constructions sont très attendues, madame la ministre.

Au total, c’est un véritable changement de cap que nous demandons, afin d’assurer, face aux défis du XXIe siècle, la viabilité du modèle français de logement social, conçu après-guerre pour offrir un logement abordable et décent au plus grand nombre de Français, et pas seulement aux plus démunis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)