compte rendu intégral

Présidence de Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Martine Filleul,

Mme Corinne Imbert.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mises au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Madame la présidente, mes collègues Nadine Bellurot, Céline Boulay-Espéronnier, Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Jean-François Husson, Ronan Le Gleut, Isabelle Raimond-Pavero, Stéphane Sautarel, Elsa Schalck et Cédric Vial souhaitaient s’abstenir sur le scrutin n° 126 portant sur l’article 4 de la proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, je souhaite moi aussi faire une mise au point au sujet du scrutin n° 126.

Mes collègues David Assouline, Hussein Bourgi, Hélène Conway-Mouret, Michel Dagbert, Gilbert-Luc Devinaz, Martine Filleul, Jean-Michel Houllegatte, Victoire Jasmin, Bernard Jomier, Gisèle Jourda, Claudine Lepage, Jean-Jacques Lozach, Michelle Meunier, Laurence Rossignol, Rachid Temal et André Vallini souhaitaient voter pour et non s’abstenir.

Mon collègue Olivier Jacquin, quant à lui, souhaitait ne pas participer au vote.

Mme la présidente. Acte est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises
Discussion générale (suite)

Accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises

Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises
Discussion générale (suite)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises, présentée par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues (proposition n° 311, résultat des travaux de la commission n° 606, rapport n° 605).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, permettez-moi dans un premier temps de me réjouir de voir deux ministres au banc. J’y vois là un signe très positif de l’attention que nous accordons, Parlement et exécutif, à notre jeunesse.

Je tiens également à remercier Mme la rapporteure Jacky Deromedi pour le travail qu’elle a réalisé et le dialogue que nous avons entretenu même si, malheureusement, celui-ci ne nous a pas permis de parvenir à un consensus, lequel aurait pourtant contribué à l’amélioration du texte.

Je le regrette vivement parce que l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est au cœur de notre projet républicain : l’égalité des chances et l’accès des jeunes à l’emploi, notamment des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale.

Ce texte s’inscrit pleinement parmi les priorités que notre groupe politique s’est fixées dans le cadre, à la fois de la mission en cours de notre collègue Monique Lubin sur la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse, et de la proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans de notre collègue Rémi Cardon, que nous avons examinée en janvier dernier.

Le présent texte s’appuie sur les observations des acteurs de terrain avec lesquels j’ai l’habitude de travailler depuis de nombreuses années. Il part d’un constat : notre système scolaire est profondément inégalitaire, marqué par une reproduction sociale et économique des élites, non seulement dans l’administration, mais aussi dans notre tissu industriel et commercial.

Notre marché du travail est à son image : les employeurs s’attachent encore beaucoup au diplôme ou au concours d’entrée, qui détermine souvent le reste de la carrière. Or, premier obstacle, ceux-ci ne sont pas accessibles à tous. Deuxième obstacle, même les plus diplômés issus de certaines catégories sociales ont beaucoup de mal à s’insérer sur le marché du travail. J’en veux pour preuve que le taux d’emploi des diplômés âgés de 20 à 34 ans s’élevait à 74 % en France en 2017, contre 80 % pour la moyenne européenne.

La France est également l’un des pays membres de l’Union européenne comptant le plus de jeunes âgés de 15 à 29 ans n’ayant pas de travail ou ne suivant ni études ni formation.

La crise sanitaire que nous traversons a exacerbé les inégalités et a frappé durement notre jeunesse. Le taux de chômage des jeunes âgés de 18 à 25 ans a augmenté : il a atteint 21,8 % en 2020. Le taux d’emploi a reculé quatre fois plus pour cette catégorie d’âge que dans le reste de la population. Les conditions de vie des jeunes sont précaires : un jeune de moins de 25 ans sur cinq vit au-dessous du seuil de pauvreté.

L’éloignement géographique en milieu rural, dans les territoires d’outre-mer, ou le fait de vivre dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville constituent aujourd’hui un barrage, notamment pour les familles les plus modestes. Ils contribuent de facto à la faible représentation des jeunes issus de ces territoires au sein des grandes écoles et des classes préparatoires, concentrées pour la plupart à Paris.

La haute fonction publique n’est pas à l’image de la société. La France est l’un des pays où la reproduction sociale des élites est la plus forte, ce qui concourt à une perception de plus en plus négative de la classe dirigeante, à l’égard de laquelle la défiance est grandissante.

Les enfants de cadres supérieurs représentent au moins la moitié des élèves des grandes écoles, voire parfois jusqu’à 70 % – notamment à l’ENA ou à Polytechnique –, alors qu’ils constituent à peine un quart de l’ensemble des jeunes de leur âge. On ne compte plus que 4 % d’enfants d’ouvriers à l’ENA, 2 % dans les écoles normales supérieures, et pratiquement aucun – 0,4 % – à Polytechnique, preuve, s’il en fallait une, que le système de formation des élites en France est socialement endogène.

Le mouvement des « gilets jaunes » a révélé ce sentiment de relégation d’une partie importante de la population. Pour rétablir la confiance, il faut, entre autres choses, étendre les possibilités d’accès aux plus hautes fonctions de l’administration et dans les entreprises et assurer dans ces milieux une plus grande représentativité de la société.

« L’ascenseur social n’est pas seulement en panne : il descend » analyse le sociologue Camille Peugny dans son livre intitulé Le Déclassement. Le système scolaire ne garantit plus toujours la réussite professionnelle ; il suscite chez de trop nombreux jeunes un sentiment de rejet ou d’abandon et chez nos diplômés un sentiment de frustration, voire un certain fatalisme, qui les conduit à ne même pas postuler aux emplois auxquels leurs études les ont préparés.

Les politiques dites « de la ville » ou « de la seconde chance » ne sont pas véritablement parvenues à briser le plafond de verre, malgré tous les efforts déployés par les gouvernements successifs – le président Kanner pourra en parler –, y compris celui auquel vous appartenez, mesdames les ministres, en dépit de la panoplie de mesures que vous proposez de mettre en œuvre.

Cette proposition de loi a pour seul objet de faciliter l’insertion de tous les jeunes sur le marché du travail, quels que soient leur milieu social et leur ancrage territorial. Nous nous adressons donc à la majorité d’entre eux.

Pour les jeunes, l’accès à l’emploi est source d’autonomie financière et d’accomplissement social. Pour l’État, la diversité sociale au sein des administrations et des entreprises est à la fois le gage que tous les talents sont mis au service de la France et un moyen de renforcer la cohésion de notre société.

Si cette proposition de loi prévoit en grande partie des mesures concrètes pour faciliter l’accès à notre administration et à nos entreprises, elle participe de fait à une politique active de lutte contre les discriminations.

S’il existe aujourd’hui plusieurs dispositifs de contrôle, aucun n’est destiné à accroître la mobilité sociale au sein de la fonction publique. C’est pourquoi nous prévoyons de créer une nouvelle autorité publique indépendante : l’Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique. Cette autorité serait chargée de veiller à ce que la fonction publique soit représentative de la diversité sociale, que ce soit par ses voies d’accès, ses modalités de promotion interne, ou encore par les garanties qu’elle apporte afin d’assurer un déroulement de carrière équitable entre les agents.

Nous n’avons pas d’outil exclusivement consacré à cet objectif, qui permettrait véritablement d’évaluer les mesures prises et qui nous conférerait, éventuellement, un pouvoir de contrôle. La population considère majoritairement que les politiques publiques mises en œuvre ne sont pas efficaces. Donnons-nous donc enfin les moyens de prouver qu’elles le sont, sur le fondement d’indicateurs et de critères fiables, et de rassembler toutes les données à cet égard dans un rapport que nous voulons annuel.

Dans certains quartiers, l’État n’est pas assez présent. Nous proposons que les fonctions de délégué du préfet dans les quartiers soient prioritairement occupées par des personnes ayant ou exerçant une activité professionnelle dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Ces délégués permettraient aux jeunes de se reconnaître dans les représentants de l’autorité de l’État. Ils serviraient également de relais des représentants auprès de leurs collègues, moins familiers de cet environnement.

Nous souhaitons promouvoir tous les talents en valorisant les personnes issues des zones urbaines et rurales. Nous faisons bien la promotion de la diversité sociale et territoriale dans ce texte, et non celle de la diversité au sens large.

Pour ce faire, nous nous donnons pour ambition de réhabiliter les diplômes obtenus dans les établissements scolaires situés dans des zones prioritaires et rurales. Il existe de nombreuses initiatives pour les jeunes des quartiers prioritaires, mais beaucoup moins pour les jeunes issus des milieux ruraux, qui sont mal informés et ne bénéficient pas du même accès aux filières préparatoires. Certains s’autocensurent et ne s’autorisent même pas à s’inscrire dans des établissements supérieurs. Beaucoup n’exercent pas pleinement leurs droits, parce qu’ils ne les connaissent pas. J’imagine que la création du label Cités de la jeunesse tend à y remédier.

Pour ceux qui n’ont pas appris les codes véhiculés par les meilleures écoles, la réussite aux concours, qui repose en grande partie sur une formation type que procure d’abord l’accès auxdites écoles, est problématique. Nombreux sont les jeunes issus des familles plus modestes qui réussissent les écrits, mais échouent aux oraux, car ils n’ont pas acquis les codes non écrits et pourtant requis. Les profils différents, en dehors des voies traditionnelles, semblent exclus d’office.

Nous proposons donc que, dans la mesure du possible, les jurys des épreuves orales des concours d’entrée dans la fonction publique de l’État soient composés d’au moins une personne issue de la société civile – associations, entreprises –, c’est-à-dire d’une personne n’appartenant pas au corps de recrutement.

Le Gouvernement a annoncé s’attaquer à la réforme de la haute fonction publique, notamment en remplaçant l’ENA par l’Institut du service public en janvier 2022. Or il ne suffit pas de changer un nom pour diversifier notre fonction publique : nous pouvons et devons la transformer aussi en démontrant que les candidats aux concours seront traités équitablement, et ce non pas en instaurant des quotas ou des filières particulières, mais en appliquant le principe d’égalité des chances grâce, notamment, à certaines des mesures que nous proposons.

Il existe, il est vrai, de nombreuses études qui analysent les discriminations. Selon le Défenseur des droits, près d’une personne sur deux considère que les discriminations sont fréquentes ou très fréquentes lors de la recherche d’emploi. Dans son rapport publié en juin 2020, Jacques Toubon soulignait également que les discriminations fondées sur l’origine sont importantes et leur nature systémique. Il écrivait alors que « les discriminations ne sont pas le résultat de logiques individuelles de quelques DRH » et que « c’est tout le système qui est en cause, un système qui reproduit les inégalités ».

Cette situation a des conséquences graves sur les parcours individuels et les groupes sociaux concernés et entame la confiance dans l’État et la cohésion de la société. C’est pourquoi il est urgent de lutter contre certaines formes de discrimination.

Le lieu d’origine est malheureusement encore trop souvent handicapant pour les candidats. Nous proposons de supprimer sa mention, après la disparition de celle du lieu de résidence. Dans la phase de recrutement, nous souhaitons que les candidats non retenus puissent, s’ils le demandent, obtenir des explications sur leur performance, afin d’éliminer les faiblesses identifiées lors d’un entretien d’embauche. Ces éléments d’appréciation seraient très utiles pour la préparation des futurs entretiens du candidat. Tel est l’objet de l’amendement que nous avons déposé, Jean-Pierre Sueur et moi-même, à l’article 6.

Madame la ministre de Montchalin, vous avez récemment souligné la nécessité absolue de casser l’entre-soi et les corporatismes et de lutter contre les inégalités de destin. Il me semble que cette proposition de loi va dans ce sens et qu’elle vise à atteindre les objectifs que vous avez fixés.

J’espère que ce texte recevra plus largement l’approbation de mes très honorables collègues qui, ce faisant, donneront encore une fois raison à Jean Jaurès, lorsqu’il disait qu’il convient d’aller vers l’idéal en passant par le réel, l’idéal d’une société égalitaire et le réel d’une intégration effective de tous les jeunes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Jacky Deromedi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi de Mme Hélène Conway-Mouret et des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à favoriser l’accès des jeunes à la fonction publique et aux entreprises.

À l’heure où la jeunesse est particulièrement touchée par la crise sanitaire et les restrictions d’activité qui en découlent, nous ne pouvons qu’en partager l’objectif. Le Sénat conduit d’ailleurs actuellement trois missions d’information sur des sujets proches, ce qui démontre sa volonté de faire avancer ces questions.

Toutefois, l’examen de la présente proposition de loi a suscité diverses interrogations d’ordre à la fois constitutionnel et pratique, auxquelles les amendements déposés en commission, puis en séance, ne semblent pas répondre. Dans ces conditions, la commission des lois n’a pas pu adopter de texte.

La proposition de loi vise à compléter le droit existant par une série de mesures tendant, tout d’abord, à favoriser l’entrée des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale dans la fonction publique de l’État et, ensuite, à limiter les risques de discrimination à laquelle ils sont confrontés dans le monde de l’entreprise.

Il s’agirait ainsi de corriger des inégalités de parcours, dont de nombreux travaux conduits ces dernières années sur le thème de la diversité et de l’égalité des chances établissent la réalité.

L’article 1er est assez emblématique. Il prévoit notamment de réserver une proportion minimale de nominations aux emplois de la haute fonction publique de l’État, laissés à la décision du Gouvernement, à des personnes qui ont ou ont eu une expérience professionnelle d’au moins deux ans dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.

Cette disposition s’inspire du dispositif des nominations équilibrées, qui oblige certains employeurs publics à nommer 40 % de personnes de chaque sexe dans les emplois supérieurs et de direction.

Toutefois, ce modèle est difficilement transposable dans notre cas en raison d’une difficulté d’ordre constitutionnel. En effet, les nominations par priorité de certaines catégories de personnes aux emplois publics sont contraires au principe d’égalité et à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En droit français, l’introduction de quotas pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la vie politique et professionnelle a nécessité deux révisions constitutionnelles préalables.

Par ailleurs, cet article introduirait un nouveau critère de différenciation, l’expérience professionnelle dans un quartier prioritaire. Or le choix de ce critère soulève une interrogation : vise-t-il à enrichir les parcours des hauts fonctionnaires en les incitant à aller travailler dans un quartier prioritaire ou à favoriser la nomination de personnes issues de ces quartiers ?

Enfin, il semblerait que la valorisation des parcours des candidats dans les territoires et de leur expérience de vie ait davantage la faveur des représentants des associations que j’ai entendus.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission n’est pas favorable à l’article 1er, même amendé pour transformer le quota prévu en simple critère de priorisation.

L’article 3 a retenu l’attention de la commission, car il semble nécessaire de diversifier et de former les membres des jurys pour éviter les biais évaluatifs qui peuvent favoriser certains candidats au détriment d’autres, à compétences égales ou moindres.

Néanmoins, le fait d’imposer la présence obligatoire, dans chaque jury, de personnes extérieures à l’administration, et ce dans le respect de l’obligation de nomination équilibrée entre les femmes et les hommes déjà applicable, risque de donner lieu à de véritables casse-têtes pour les organisateurs.

D’un point de vue pratique, et au-delà du débat sur le profil des personnes à choisir, il paraît compliqué de recruter un nombre suffisant de personnes extérieures à l’administration ayant la disponibilité nécessaire pour siéger dans les très nombreux jurys organisés par l’État. À titre d’illustration, en 2018, plus de 41 000 postes de la fonction publique de l’État ont été ouverts par voie de concours externe, ce qui donne une idée du volume de concours à organiser et du nombre de jurys à constituer.

C’est donc pour une raison pratique cette fois-ci que la commission n’a pas adopté l’article 3. L’amendement du groupe socialiste tendant à prévoir que les jurys doivent comprendre non plus au moins 50 % de personnes extérieures à l’administration, mais une seule personne au minimum n’a pas modifié la position de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur. Elle est rigide !

Mme Jacky Deromedi, rapporteur. C’est une bonne pratique qui peut déjà être mise en œuvre et qui ne semble opportune que pour certaines épreuves. La généraliser rigidifierait à l’excès les règles de composition des jurys.

Par ailleurs, la commission n’est pas favorable aux mesures proposées pour les entreprises.

M. Stéphane Piednoir. Elle fait bien !

Mme Jacky Deromedi, rapporteur. À l’article 5, l’ajout d’un vingt-sixième critère de discrimination en matière de droit du travail nous a semblé relever d’un niveau de précision qui n’est pas nécessaire : il est en effet déjà satisfait par les critères de l’origine et du lieu de résidence, réellement protecteurs.

À l’article 6, le fait d’obliger les entreprises à indiquer, à tout candidat refusé qui le demanderait, les motifs pour lesquels celui-ci n’a pas été embauché risque de faire naître un important contentieux prud’homal.

Cette obligation serait une charge administrative lourde pour les petites et moyennes entreprises, même si l’on en restreint le champ aux seuls candidats reçus en entretien et le demandant, comme le proposent les auteurs de l’un des amendements déposés. Cette disposition pourrait de surcroît se révéler contre-productive en ne suscitant qu’une motivation stéréotypée de la part des employeurs.

Quant à l’obligation pour les entreprises de plus de cinquante salariés de recueillir des données en vue de mettre des indicateurs sur l’égalité des chances à la disposition du comité social et économique, mesure prévue à l’article 7, elle soumettrait l’employeur à des règles de collecte et de conservation très contraignantes, sous le contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Il s’agirait en effet de données sensibles destinées à permettre l’évolution des salariés selon leur origine sociale, culturelle ou géographique.

Comme l’a relevé le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, toutes ces mesures laissent en outre penser que les employeurs favoriseraient a priori les discriminations, alors que leurs difficultés actuelles à recruter les conduisent au contraire à diversifier les viviers de candidats.

À mon sens, les difficultés d’accès des jeunes à l’emploi résultent non pas de leur origine géographique, qu’ils soient issus de quartiers prioritaires de la politique de la ville ou de zones de revitalisation rurale, mais d’une inadéquation entre leur formation et les compétences recherchées par les employeurs.

En conclusion, la commission des lois estime que cette proposition de loi aborde de véritables problématiques, tout à fait dignes d’intérêt. L’objectif de favoriser l’emploi des jeunes, et spécifiquement l’emploi des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale, doit recueillir toute notre attention.

Cependant, les solutions proposées soulèvent des interrogations sur les plans à la fois juridique et pratique, que les amendements déposés n’ont malheureusement pas pu dissiper. La commission vous propose donc de ne pas adopter la proposition de loi.

Pour ma part, je pense, comme les auteurs de ce texte, que beaucoup reste encore à faire pour les jeunes, par exemple dans le secteur de l’apprentissage et de la formation en alternance. De nombreux jeunes pourraient ainsi s’épanouir en apprenant un métier et avoir des perspectives d’avenir. Je crois beaucoup à de telles formations, si possible dès l’âge de 14 ans, accompagnées de garanties en termes d’instruction générale. J’espère que nous aurons prochainement l’occasion de discuter d’un nouveau texte sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la présidente, madame la ministre, chère Nadia, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, madame la sénatrice Hélène Conway-Mouret, mesdames, messieurs les sénateurs, notre fonction publique doit redevenir le symbole qu’elle a été durant près d’un siècle, c’est-à-dire un élément fondateur de notre ascenseur social républicain, un lieu de sens et de service de l’intérêt général.

Tous ceux qui aspirent à servir l’intérêt général, qu’ils soient dans les quartiers, en périphérie des villes ou au cœur de nos villages ruraux, doivent pouvoir avoir cette chance. Il est plus que jamais de notre responsabilité d’aller chercher ces talents partout en France et de les accompagner vers les concours de notre fonction publique.

Vous l’avez dit, madame la sénatrice, une partie de notre jeunesse ne croit plus en ses chances au sein de la République. Nous avons donc l’impérieuse responsabilité d’agir rapidement.

Ce constat, cette finalité, nous les partageons – je crois – sur toutes les travées de cette assemblée. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans cette perspective.

Vous le savez, le Gouvernement n’a pas attendu ce texte pour agir de façon déterminée en faveur de l’égalité des chances dès le plus jeune âge. La fonction publique doit prendre toute sa part afin de répondre à cette exigence fondamentale qui est au cœur de notre pacte républicain.

Dès mon arrivée à ce ministère, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, j’ai fait du renforcement de l’égalité des chances pour l’accès des jeunes à la fonction publique une priorité.

C’est tout le sens du programme Talents du service public, présenté à l’institut régional d’administration de Nantes par le Président de la République en février dernier. C’est aussi toute l’ambition de l’action que nous conduisons pour améliorer l’attractivité de notre fonction publique auprès de notre jeunesse afin de faire émerger une nouvelle génération de talents.

Permettez-moi de détailler ces deux priorités, car elles sont au cœur de notre débat.

D’abord, le programme Talents du service public repose sur le principe qu’il nous appartient d’aller chercher les talents partout en France, dans les collèges, les lycées, les universités, de lutter contre les frustrations – vous avez employé ce terme à juste titre, madame la sénatrice – et l’autocensure qui minent leur ambition et d’accompagner toute notre jeunesse vers les concours de notre fonction publique.

Ce programme repose sur trois fondements.

Tout d’abord, la création des Cordées de service public mobilise les écoles de service public, ainsi que les collèges et les lycées du réseau des Cordées de la réussite pour accompagner des jeunes partout sur le territoire, y compris là où la méconnaissance des possibilités et l’autocensure des jeunes sont des freins. Nous développons le tutorat et le mentorat pour ouvrir l’accès aux postes de la fonction publique et accroître la connaissance de ces métiers.

Ensuite, la création de soixante-quatorze classes préparatoires dites « Talents du service public » partout en France, à Orléans, à Valenciennes, à Agen, dans l’ensemble des villes où se situent des centres universitaires, de Brest à Limoges, vise à préparer aux concours de la fonction publique.

Ces classes seront ouvertes aux boursiers les plus méritants de l’enseignement supérieur. Dès la rentrée 2021, ce sont 1 700 étudiants qui pourront ainsi les rejoindre. Par ailleurs, ces étudiants bénéficieront d’une bourse, dont le montant a été doublé et porté de 2 000 à 4 000 euros par an à la suite des dernières discussions budgétaires.

Avec la création de ces classes préparatoires en leur sein, les universités jouent un rôle majeur dans le renforcement du maillage territorial, au plus près de nos étudiants.

Les étudiants bénéficieront d’un accompagnement renforcé et, notamment, d’un tutorat effectué par des élèves d’écoles de service public et de jeunes fonctionnaires ou hauts fonctionnaires – on le sait, beaucoup des choses qu’il faut savoir pour réussir les concours ne s’apprennent pas dans les livres. Ils se verront également offrir des stages dans certaines administrations.

Enfin, nous ouvrons dès cette année une nouvelle voie d’accès aux concours de la fonction publique pour les élèves de ces classes préparatoires.

Cette nouvelle voie a été créée par l’ordonnance prise dans le cadre de l’article 59 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Elle verra le jour dès cette année, ce qui permettra à trente-cinq jeunes d’accéder à cinq écoles de formation de hauts fonctionnaires, après avoir subi des épreuves identiques à celles qu’auront passées les candidats aux concours externes.

Le programme Talents du service public fait directement écho à l’esprit qui a animé les auteurs de cette proposition de loi. Les outils sont déjà mis en place et opérationnels. Il me paraît important de laisser ces mesures porter leurs fruits avant de légiférer de nouveau sur ce sujet majeur – je partage votre position, madame la sénatrice Conway-Mouret – et de prendre un risque juridique inutile en superposant des dispositifs qui pourraient se télescoper.

Le deuxième axe de notre politique est le renforcement de l’attractivité de la fonction publique auprès des jeunes.

Beaucoup de jeunes peinent aujourd’hui à accéder à un emploi du fait de la crise sanitaire, ce qui a conduit le Gouvernement à lancer, l’été dernier, le plan « 1 jeune, 1 solution » dans lequel la fonction publique prend toute sa part.

Nous recruterons plus d’apprentis dans la fonction publique de l’État – nous venons de nous engager à en embaucher 15 000 dès cette année – et développons les stages – nous offrirons ainsi 43 000 stages en 2021 –, afin d’ouvrir de nouveaux chemins et de susciter de nouvelles vocations.

J’en viens au versant territorial de la fonction publique. À cet égard, je tiens à saluer l’engagement des sénateurs, notamment lors des discussions budgétaires de l’hiver dernier, en particulier celui de la rapporteure pour avis Catherine Di Folco, avec qui nous travaillons de manière étroite. Le Gouvernement a choisi d’aider les employeurs territoriaux à recruter des apprentis en les faisant bénéficier, à l’instar des entreprises du secteur privé, d’une aide financière de 3 000 euros. Cette aide ponctuelle vient d’ailleurs d’être prolongée par le Gouvernement jusqu’à la fin de l’année 2021.

Nous réfléchissons également, avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les employeurs territoriaux, afin de trouver une équation budgétaire, de moyen et de long terme, adaptée aux besoins de ces employeurs.

Par ailleurs, l’État maintient son objectif de recruter 6 % d’apprentis en situation de handicap.

Pour accompagner ces mesures, j’ai par ailleurs lancé une ambitieuse campagne de communication, #Rejoinsleservicepublic, pour que plus aucun jeune Français âgé de 16 à 24 ans ne se dise : « La fonction publique, ce n’est pas pour moi ! »

Enfin, parce que la promotion de la diversité ne peut s’arrêter au stade du recrutement, la réforme de la haute fonction publique, que j’ai présentée hier devant votre commission des lois, place les questions de diversité, d’ouverture et d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au cœur de la gestion des carrières.

La création d’une direction interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État, qui comprendra un responsable de la diversité, chargé notamment d’assurer la diversité, entendue dans un sens très large comme une ambition d’ouverture à l’ensemble des talents de notre pays, permettra de promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et d’en faire une priorité de l’encadrement supérieur de l’État.

J’ai la conviction que l’ensemble de ces mesures permettront de susciter des vocations et de renouveler l’attractivité de notre fonction publique.

Vous le voyez, les objectifs de ce texte concordent largement avec l’ensemble des mesures prises par le Gouvernement ces derniers mois. Pour autant, nous nous heurtons avec cette proposition de loi à plusieurs obstacles juridiques. Le Gouvernement estime en effet que celle-ci comporte certaines dispositions qui pourraient entrer en collision avec les dispositifs que nous avons déjà mis en œuvre.

Si je partage les objectifs visés par le texte, j’y suis défavorable, car je ne souhaite pas que nous fragilisions la politique que nous avons engagée.

Je vous renouvelle mes remerciements, madame la sénatrice, pour le travail que vous avez fourni et pour votre engagement. Je me tiens à votre disposition, ainsi qu’à celle de l’ensemble des sénateurs, pour travailler ensemble sur le sujet. Je suis évidemment prête à vous associer au suivi et à l’évaluation des dispositifs actuellement mis en œuvre par le Gouvernement pour atteindre les mêmes objectifs que ceux que vous cherchez à atteindre.