M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je prends brièvement la parole pour évoquer un sujet qui nous préoccupe tous, dans cet hémicycle, mais aussi dans la rue, partout en France.

J’ai le sentiment que nous assistons une nouvelle fois à la fracturation de notre société et, en quelque sorte, au début d’une nouvelle crise comme celle que nous avons connue avec les gilets jaunes.

Il ne faut pas minimiser ce qui se passe devant nos assemblées et dans toutes les villes de notre pays. La confiance ne se décrète pas, elle se gagne et se mérite. Les Français qui s’interrogent ne sont pas tous des « antivax » ou des complotistes.

Si les Français sont la plupart du temps opposés à vos mesures sanitaires, c’est que depuis le début de cette crise, nous avons entendu des discours confus et idéologiques, voire contradictoires sur plusieurs sujets.

Par exemple, le masque était inutile : il est finalement devenu obligatoire. Vous disiez que le port du masque n’était pas forcément utile à l’extérieur, puis vous l’avez rendu obligatoire en plein air, et parfois facultatif dans les lieux confinés. Certains ministres et parlementaires de votre majorité affirmaient que le passe sanitaire ne serait pas étendu aux actes du quotidien, car une telle décision serait excessive et créerait une société à deux vitesses : aujourd’hui, ils ont changé d’avis… J’ai bien conscience que le virus change de stratégie, mais tout de même !

En plein état d’urgence sécuritaire, on nous explique que la Constitution et les libertés passeront toujours avant la menace terroriste. Aujourd’hui, on limite encore un peu plus la liberté des Français. C’est une évidence : le passe sanitaire opérera un changement majeur de notre modèle de société. N’allons-nous pas créer des milliers de frontières à l’intérieur de notre pays ? Ne remettons-nous pas en cause le consentement libre et éclairé des Français ? Va-t-on affaiblir le principe d’égalité des citoyens devant la loi ?

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, le climat est détestable dans notre pays : chacun, dans sa famille respective, peut en témoigner. Oui, il y a une urgence sanitaire, mais nous faisons face à une autre urgence, celle d’apaiser les Français, de mener une politique claire, comprise, plus simple, bref des mesures comme le Sénat les propose.

Je ne vous cache pas que, à l’image de nombreux Français, je reste très inquiète face à ce projet de loi, dont le dispositif soulève des questions à la fois éthiques et juridiques. Je crois en la responsabilité des Français et je ne crois pas en l’autorité de l’État en matière sanitaire. Je fais la différence entre faire autorité et exercer l’autorité, surtout dans ce domaine. Je crois bien entendu à la vaccination et à la pédagogie, mais je ne crois pas au passe sanitaire tel que vous le proposez. Celui-ci a déjà montré ses limites dans nos territoires et même dans certains pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques, sur l’article.

Mme Micheline Jacques. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis Saint-Barthélemy, nous mesurons combien la gestion territorialement différenciée de l’épidémie est difficile, mais tellement nécessaire.

Je salue donc la rédaction de l’article 1er telle que l’a proposée le rapporteur de la commission des lois, Philippe Bas, dont la pertinence ne surprendra personne, ici.

En précisant les modalités selon lesquelles le Gouvernement aura la faculté d’adapter l’état d’urgence sanitaire et d’y mettre fin selon la situation dans les territoires, elle satisfait un amendement que je projetais de déposer pour Saint-Barthélemy.

Je saisis l’occasion qui m’est offerte de m’exprimer pour vous demander d’emblée, madame la ministre, que ces modalités trouvent à s’y appliquer. En effet, l’accès à l’île est déjà conditionné à un contrôle sanitaire aux frontières, aussi bien pour la population que pour la clientèle touristique, cette dernière étant en très large partie vaccinée.

Pour venir à Saint-Barthélemy, être vacciné ne dispense pas de réaliser un test PCR ou antigénique, mais seulement de rester une semaine à l’isolement à l’arrivée. Il y a donc, de ce point de vue, une double vérification.

De plus, selon les chiffres parus la semaine dernière, le taux de couverture vaccinale à Saint-Barthélemy est supérieur à la moyenne nationale, 62 % de la population ayant reçu une dose de vaccin et 51 % les deux doses. Surtout, sur un petit territoire de vingt et un kilomètres carrés, où il n’y a pas de salle de cinéma et où l’on trouve un seul petit musée, autrement dit où la vie culturelle est limitée, soumettre l’accès aux restaurants à la présentation d’un passe sanitaire, c’est mettre la vie sociale et la vie économique de l’île sous vérification.

À cet égard, notre clientèle touristique étant essentiellement américaine, pouvez-vous, madame la ministre, m’indiquer les modalités d’application du passe sanitaire pour les étrangers ?

Aussi, bien qu’étant favorable à la vaccination, je suis opposée à l’extension du passe sanitaire à Saint-Barthélemy. C’est aussi la position du président de la collectivité, qui y est farouchement opposé, notamment pour les raisons que je viens d’exposer.

Jusqu’à présent, la population de Saint-Barthélemy a fait preuve d’une grande responsabilité pour limiter les risques collectifs. Je plaide pour que les conditions de cette relation de confiance soient maintenues, car la vaccination doit se poursuivre. Dans une île, elle constitue un enjeu vital. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar et M. le rapporteur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin, sur l’article.

Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la situation en outre-mer, et plus particulièrement en Guadeloupe, est effectivement préoccupante.

Protéger la population reste l’une de mes priorités, mais de nombreuses interrogations persistent sur les choix qui ont été appliqués dans mon territoire en matière de politique vaccinale. Les Guadeloupéens gardent en mémoire les manquements, les incohérences, les cacophonies successives de l’État en la matière, mais aussi dans l’affaire du chlordécone.

Aujourd’hui, sachez que l’offre vaccinale n’a pas été en Guadeloupe la même que dans l’Hexagone. Cette inégalité d’accès à d’autres vaccins que les vaccins à ARN messager a encore été récemment confirmée par les autorités sanitaires de l’archipel pour les tranches d’âge concernées et en fonction des critères qui étaient les vôtres.

J’en appelle donc à la sagesse du Gouvernement, afin de mettre en place en urgence des mesures d’accompagnement des élus locaux et d’autres en faveur des acteurs économiques, sanitaires et culturels, qui vont grandement pâtir de l’état d’urgence sanitaire et des conséquences du passe sanitaire tel que l’a prévu le Président de la République.

J’ai une pensée toute particulière pour le personnel soignant, dont j’ai moi-même fait partie. À la suite de l’incendie du CHU de Pointe-à-Pitre, j’ai vu combien chacun était mobilisé. Je tiens également à dire que, pendant toute la pandémie, la solidarité a prévalu sur notre territoire. Toutes les familles qui ont des enfants dans l’Hexagone ont profité des aides fournies par les associations et les personnes bénévoles.

Aujourd’hui, je suis favorable à la vaccination, mais contre le passe sanitaire, particulièrement dans mon territoire ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, sur l’article.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 18 mai dernier, quand j’évoquais dans cet hémicycle le risque d’une possible généralisation du passe sanitaire, sur lequel nous devions alors nous prononcer, que n’ai-je entendu ! « Ligne rouge », « anticonstitutionnalité », « Loïc, tu es un paranoïaque, qui voit le mal partout », « c’est impossible ! »…

Moins de deux mois plus tard, nous y sommes : le passe sanitaire est en voie d’être généralisé dans notre pays et, pour la première fois dans notre histoire, nous allons prendre des mesures de contrôle social qui concernent l’ensemble de la population française.

Nous allons l’assumer, ou plutôt vous allez l’assumer parce que, personnellement, je ne voterai pas la généralisation du passe sanitaire ni aujourd’hui ni à la suite de la réunion de la commission mixte paritaire. C’est un véritable basculement que le Président de la République a annoncé le 12 juillet dernier.

J’en profite pour faire une incise et revenir aux rappels au règlement que nous avons faits tout à l’heure : il est tout de même incroyable qu’il faille regarder TF1 pour être informé des assouplissements que le Gouvernement est prêt à consentir par rapport à l’annonce initiale du Président de la République. Il s’agit encore une fois d’une mauvaise manière faite au Parlement ! C’est pourtant au Parlement que se décident les conditions de présentation du passe sanitaire.

On parle de généralisation, mais quand j’entends Christian Estrosi évoquer la mise en place d’un passe sanitaire dans les centres de loisirs des écoles, la semaine prochaine…

M. Antoine Lefèvre. Il l’a démenti !

Mme Laurence Cohen. Non, M. Hervé a raison !

M. Loïc Hervé. En tout cas, cette annonce a fait le buzz hier. Il a certainement dû le dire, puis démentir par la suite… Cela démontre bien que le passe sanitaire sera obligatoire dans un certain nombre d’endroits et que, là où il ne l’est pas, il sera interdit.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, lors de l’examen de l’article 1er – nous y reviendrons –, il vous faudra préciser les conditions dans lesquelles les préfets seront chargés de veiller à ce que ce passe, s’il est adopté, ne soit pas étendu à des zones où il n’a aucune raison d’être.

Cette décision prise par un élu local prouve que nous risquons d’assister à un concours Lépine des initiatives individuelles sur le terrain, une fois que cet outil aura été mis en place.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous invite à télécharger l’application TousAntiCovid Verif sur votre téléphone. En téléchargement libre, elle vous permettra, si vous en avez envie, de contrôler par exemple toutes les personnes que vous avez invitées à votre anniversaire : c’est vraiment le début de la fin de nos libertés publiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Laurence Cohen applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mes chers collègues, le Président de la République et le Gouvernement, après avoir indiqué que le passe sanitaire ne serait jamais étendu aux actes du quotidien, ont donc changé d’avis et décidé de soumettre au Parlement un texte dans l’urgence et la précipitation, nous imposant – je le rappelle – des conditions d’examen épouvantables.

Nous étions déjà opposés à l’instauration du passe sanitaire dans sa première version. Présenté comme une occasion pour nos concitoyennes et nos concitoyens de retrouver une vie soi-disant normale, ce passe correspond en réalité à une nouvelle restriction des libertés, qui s’ajoute à beaucoup d’autres.

Il est ici proposé dans une version encore plus dangereuse et attentatoire à nos plus grands principes républicains, ceux de liberté et d’égalité.

De fait, la mise en place de ce passe sanitaire constitue une obligation vaccinale pour tous, qui ne dit pas son nom. Les individus se feront vacciner, non pas pour contribuer au bien commun, selon une vision altruiste et fraternelle de la vaccination, mais parce que cela favorise les intérêts de chacun.

Pire encore, avec ce passe sanitaire, nous nous apprêtons à entrer dans une société où le contrôle social de tous sur tous sera rendu possible, ce qui, encore une fois, est absolument contraire à nos principes républicains.

Bien d’autres arguments contre l’instauration de ce passe sont valables. Je pense à la question du contrôle, à celle de la conservation des données personnelles, à celle des discriminations, ou encore à celle de sa limitation dans le temps.

Enfin, le chantage au licenciement – il faut appeler un chat un chat ! – qui découle de cet article 1er est tout simplement inadmissible : il constitue une entorse au droit du travail, puisqu’il introduit un motif spécifique de licenciement, ce qui crée une brèche dans l’édifice consolidé des motifs de licenciement et ouvre la boîte de Pandore à tout type de licenciement pour des motifs bien contestables.

La commission des lois est revenue à la marge sur le dispositif proposé par le Gouvernement, mais celui-ci sera sans doute rétabli, ne nous leurrons pas. À l’inverse de ce type de mesures gravissimes pour nos libertés publiques, en totale rupture avec nos principes républicains, nous prônons, pour notre part, la pédagogie et l’information. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite vous parler de la ville de Bagneux, dont je suis l’élu.

Cette semaine, dans la cité de l’abbé Grégoire, la Croix-Rouge française, avec l’aide de la municipalité, a installé un stand de vaccination au bas des tours, au plus près de la population : ce seront 205 vaccinations dans la journée, dont 184 primo-vaccinations. C’est un travail de solidarité exercé au plus près des populations. Chaque habitant ira chercher son voisin ou sa voisine de palier pour lui expliquer que la vaccination est un bien et qu’il doit en profiter. C’est cela la République, monsieur le secrétaire d’État, l’expression d’une solidarité, d’un principe universel !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Et c’est très bien !

M. Pierre Ouzoulias. Ce que vous nous proposez, c’est tout à fait autre chose.

Je pense à cette femme de 80 ans que j’ai rencontrée dans un immeuble et qui ne veut pas se faire vacciner. Pensez-vous sincèrement que vous allez l’obliger à se faire vacciner grâce à votre passe sanitaire ? Cette personne ne va plus dans les bistrots depuis très longtemps, ne fréquente plus les transports en commun, ne va jamais au théâtre, et est aujourd’hui quasiment oubliée de sa famille.

Avec le passe sanitaire, vous instaurez un reconfinement pour ces populations, même si la mesure ne dit pas son nom. Pour aller chercher ces personnes, il faudra nécessairement un travail de proximité.

Nous discutons ici, non pas d’un problème technique, mais d’un problème de société. Deux modèles de société s’opposent : d’un côté, votre modèle de société dans lequel l’État-entreprise prescrit, puis édicte des mesures coercitives pour faire respecter cette prescription ; de l’autre, le modèle que nous proposons, celui de la République, une République solidaire qui offre les bienfaits de la science et de la connaissance à toute la population, dans le strict respect de l’égalité des droits.

Aujourd’hui, la République doit faire un pas en direction de chacune et de chacun pour lui proposer le vaccin, et non le passe sanitaire !

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Pierre Ouzoulias. Vous êtes entré dans cet hémicycle, monsieur le secrétaire d’État, en nous disant qu’il s’agissait avant tout d’un problème technique. Non, ce n’est pas un problème technique, mais un problème éthique ! Nous allons discuter ici de la République dont nous voulons : en ce qui nous concerne, nous voulons une République conforme à l’éthique républicaine. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER. – MM. Loïc Hervé et Sébastien Meurant applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, beaucoup d’entre nous sont opposés au passe sanitaire, comme nous le verrons lors du vote sur l’article 1er.

Comment en est-on arrivé là, très concrètement ? Encore une fois, notre pays est en retard sur les événements. Nous étions en retard sur les tests, sur le gel, sur les masques, sur les vaccins. La campagne de vaccination, à partir du mois de janvier, a été chaotique. Aujourd’hui nous sommes également en retard sur le variant…

Le 19 mai dernier, nous avons pu admirer cette belle image de MM. Castex et Macron, installés à une terrasse de café.

Le 17 mai dernier, Le Figaro – on peut avoir de bonnes lectures ! (Sourires.) – titrait « Covid-19 : faut-il vraiment avoir peur du variant indien ? Les autorités britanniques s’inquiètent de la fulgurance du variant delta. »

Encore une fois, nous n’avons pas anticipé la situation qui allait nous frapper. Comment anticiper une telle fulgurance, me répondrez-vous ? Au moins en développant les vaccinations !

Le mois de mai, c’est celui où les Français ont commencé à se demander pourquoi ils devaient se faire vacciner, puisque tout allait bien dans le meilleur des mondes : les messages gouvernementaux allaient dans ce sens. N’aurait-on pas pu profiter de cette période pour aller vers les collégiens et les lycéens, ces publics jeunes qui sont aujourd’hui potentiellement les plus touchés, pour leur offrir la vaccination ? Cela n’a pas été fait.

Notre solution, vous l’avez compris, ce n’est pas le passe sanitaire, nous nous y opposons. Notre solution, c’est la vaccination universelle, la vaccination obligatoire pour l’ensemble des Français qui relèvent de cette possibilité.

M. Véran a indiqué hier que 12 millions de personnes manquaient à l’appel, c’est-à-dire n’avaient pas encore reçu de première dose et encore moins, bien sûr, de seconde dose. Nous pensons que notre solution est la plus juste et, finalement, la plus républicaine et la plus compréhensible par les Français.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, le passe sanitaire est une impasse, et vous verrez que les mouvements « antivax » et les mouvements populistes divers et variés s’engouffreront dans les interstices laissés par votre proposition gouvernementale. (M. Loïc Hervé opine.) Nous le regrettons, et nous formulerons d’autres propositions dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion générale hier et les rappels au règlement aujourd’hui l’ont démontré : les conditions dans lesquelles nous examinons ce texte sont absolument épouvantables, et nous les dénonçons.

Monsieur le secrétaire d’État, au moment de débuter l’examen de l’article 1er, vous affirmez qu’il n’y a pas un jour à perdre dans ce combat contre le virus. Êtes-vous sérieux ? Bien sûr qu’il n’y a pas un jour à perdre ! Pourtant, au courant du mois de mai dernier, le Premier ministre vantait ici même la stratégie gouvernementale qui avait permis de maîtriser la situation épidémiologique. (M. Roger Karoutchi opine.) Les critiques que nous émettions alors majoritairement, notamment au sein de mon groupe, étaient balayées d’un revers de main, alors même que, chaque fois, nous avions pris la peine de formuler des propositions alternatives qui étaient soutenues par les soignants et par des collectifs des hôpitaux. Deux mois plus tard, où en sommes-nous ? Certes, le virus et les variants sont retors, mais plusieurs scientifiques alertaient déjà sur cette quatrième vague.

Ce manque d’anticipation existe depuis le début de cette pandémie et contribue, conséquence de nombreuses volte-face, à créer colère, désespérance, mise en doute de la parole publique – les dernières élections en sont pour une part l’illustration.

L’article 1er est très emblématique de ce revirement de position qui, d’un côté, vous voit au mois d’avril dernier jurer que le passe sanitaire ne serait jamais, ô grand jamais, étendu aux activités de la vie quotidienne,…

Mme Laurence Cohen. … et, de l’autre, nous fait basculer en ce mois de juillet dans une autre dimension, celle d’une société de contrôle et d’exclusion. Certes, on peut changer d’avis à la lumière de l’évolution d’une situation, mais avouez que cette rupture inédite est dangereuse. En effet, même si ce passe sanitaire est, pour vous, une incitation à la protection, dans les faits, vous provoquez de graves fractures. Alors que les mesures de restriction de liberté s’appliquaient jusqu’à présent à toutes et tous de façon uniforme, désormais, les règles seront différentes selon le statut vaccinal.

Éliane Assassi l’a souligné, nous sommes favorables à la vaccination. Vous n’en créez pas les conditions : quelle campagne d’information avez-vous réellement mise en avant pour inciter à la vaccination ? Vous manipulez le bâton, c’est tout ce que vous savez faire !

Comment ne pas comprendre les doutes et les peurs autour de ce nouveau vaccin, à la suite des polémiques liées au vaccin AstraZeneca ? Il faut convaincre, expliquer et, comme l’a expliqué Pierre Ouzoulias, aller vers les populations dans les quartiers, dans les entreprises. Or vous ne le faites pas.

Il y aurait encore beaucoup à dire. J’y reviendrai lors de l’examen de cet article, article que l’on ne peut pas soutenir, comme on ne peut pas soutenir non plus les arguments que vous nous opposez, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour nous, ce texte crée une brèche inacceptable dans le droit du travail. L’instauration du passe sanitaire dans les établissements recevant du public (ERP) va être imposée non seulement aux clients et aux usagers du service public, mais aussi aux salariés.

Tout salarié qui ne disposera pas du passe sanitaire verra son contrat de travail suspendu pendant deux mois et sera donc sans solde pendant cette période, puis son contrat de travail sera cassé et il sera licencié. C’est une attaque sans précédent contre le contrat de travail tel que nous le connaissons depuis 1973, qui crée le lien de subordination, nomme la prestation de travail et définit la rémunération. Personne ne peut être discriminé en raison de son état de santé !

Je le répète, c’est une brèche incroyable parce que, pour la première fois, on modifie le cadre du contrat de travail sans l’accord des syndicats, et sans l’accord tacite du salarié.

À l’aune de ce constat, nous avons une proposition et une question.

Plutôt que de contraindre et de sanctionner, proposons et convainquons : organisons la vaccination dans toutes les entreprises et proposons-la en nous appuyant sur la médecine du travail. Ce serait plus réaliste ! Mieux vaudrait cette solution que de se contenter de sanctionner.

J’ai écouté attentivement les débats à l’Assemblée nationale, notamment les interventions de M. Véran. Le Gouvernement n’a pas répondu à cette question : s’agira-t-il d’un licenciement pour faute simple, pour faute grave ou pour faute lourde ?

Si la faute simple est retenue, c’est l’entreprise qui devra payer le licenciement ; or un licenciement, ça coûte, parce que cela inclut des indemnités. En d’autres termes, c’est l’entreprise qui supportera cette décision gouvernementale. Les entreprises de restauration, qui ont déjà du mal à recruter du personnel, seront, en plus, en difficulté !

Si c’est une faute grave ou une faute lourde, le salarié sera privé de toutes ses indemnités et il ne pourra même pas s’inscrire à Pôle emploi, ce que vous savez. Il subira donc une double sanction.

Pour nous, c’est inacceptable : une ligne rouge est franchie. Nous ne laisserons pas faire : nous combattrons cette mesure pied à pied. Nous espérons que le Sénat votera pour sa suppression et que ce vote sera maintenu en commission mixte paritaire, afin d’empêcher cette double peine pour les salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, puisque nous partageons nos réflexions, je vais vous livrer les miennes.

Dès le début, le Président de la République a parlé de « faire la guerre au virus ». Pour autant, avec le passe sanitaire, le Gouvernement, qui prônait la stratégie « tester, alerter, protéger », n’est-il pas en train de se construire un bouclier pénal ? Je pose cette question très sérieusement, car nous sommes en train d’écrire un moment d’histoire ; or nous avons déjà vécu des moments d’histoire assez délicats en matière d’exercice de la responsabilité.

Franchement, hier, j’ai été affligé par le discours suffisant, infantilisant – j’en passe ! – du ministre de la santé à l’égard de tous ceux qui composent cet hémicycle.

On sait tous que les vaccins anti-covid sont encore en phase III d’études cliniques et, à ce titre, expérimentaux. Le fait que plusieurs milliards de doses aient été injectées nous donne une validité d’expérimentation qu’il convient d’étudier et dont il faut analyser les conséquences. Ces mêmes vaccins ont reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) conditionnelle. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie le conteste.) Ce n’est pas une question si simple !

Je veux bien que l’on parle d’obscurantisme, mais nous sommes face à une pandémie : la question de la vaccination et d’une mobilisation générale pour y procéder doit prendre en compte cette donnée. Par conséquent, la France doit s’inscrire dans un mouvement universel de vaccination des populations. On ne peut pas se contenter d’un passe national, mes chers collègues, avec des modalités de contrôle propres. C’est impossible, car nous sommes dans la civilisation des mobilités ; qui plus est, c’est à un problème de virologie que nous devons faire face.

J’ai évoqué le bouclier pénal parce qu’il y aura un rendez-vous devant l’histoire. Nous sommes dans une situation où il faudrait davantage contrôler. Pourtant, où en est la médecine scolaire, alors que l’on s’interroge sur la vaccination accélérée des enfants avant la prochaine rentrée scolaire ? Où en est la médecine du travail, alors même que nous allons aborder la question du droit du travail ? On ne veut pas faire de bilan, compter les lits qui ont disparu dans les hôpitaux, etc.

Pour ce qui me concerne, j’attendais une autre mesure. J’attendais que la France prenne ses responsabilités en posant haut et fort la question de la propriété des brevets des vaccins, et demain des traitements. Voilà ce qu’il faut obtenir ! Mais money is money Puisque nous sommes face à une pandémie, il nous faut mener des actions à vocation internationaliste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Victoire Jasmin et Martine Filleul applaudissent également.)