Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « rien à guérir », ces trois mots résonnent a priori comme une évidence.

Tout d’abord, l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne constituent ni une maladie ni une déviance – faut-il vraiment le rappeler ?

Ensuite, ces réalités renvoient à l’intime de chaque vie.

Enfin, au-delà de la dimension politique faisant écho à la mobilisation d’un collectif du même nom, ces trois mots revêtent le caractère de l’évidence, car ils traduisent la réalité des textes français et internationaux. L’OMS a rayé depuis quelques années l’homosexualité et la transidentité de la liste des maladies mentales.

Plus encore, l’homophobie et la transphobie sont désormais pénalisées pour ce qu’elles sont : des atteintes au respect et à la dignité de la personne humaine auxquelles notre état de droit ne peut consentir.

Pourtant, malgré ce corpus de règles aujourd’hui assez largement admises, il existe encore des pratiques laissant penser qu’il serait non seulement possible, mais encore souhaitable et même vivement recommandé de réaliser des « conversions » des orientations et des identités.

Ces conversions s’expriment sous des formes diverses, que la proposition de loi prend en compte pour apporter une réponse ferme permettant de garantir la bonne mise en œuvre de notre droit et de protéger les personnes.

Ce texte a ainsi pour objectif que l’application du droit pénal à ces pratiques barbares ne souffre d’aucune de ces ambiguïtés en conséquence desquelles de trop nombreux cas ont été ignorés ou mal appréhendés, parfois même par les victimes elles-mêmes.

La proposition de loi s’attaque donc clairement à ces thérapies de conversion, qu’elles se présentent sous une forme religieuse, médicale ou sociétale, en créant deux nouvelles infractions qui posent un interdit explicite assorti de sanctions importantes et aggravées, notamment lorsque la victime est mineure.

Mes chers collèges, ce texte est l’aboutissement d’un travail de conviction de notre collègue députée Laurence Vanceunebrock, qui a été voté à l’unanimité de l’Assemblée nationale ; ce point est suffisamment rare pour être souligné et salué.

Madame la ministre, ce texte a obtenu votre soutien. Que le Gouvernement l’ait inscrit à l’ordre du jour dans une période dense constitue la preuve, s’il en fallait, de l’importance de ces dispositions.

Les travaux de qualité de notre rapporteure Dominique Vérien s’inscrivent dans une démarche constructive autour du constat partagé de la nécessité d’agir.

Ce texte permettra d’affirmer un interdit fort et d’assurer une meilleure protection et une meilleure prise en charge des victimes. Il permettra également de mieux connaître et quantifier ces pratiques inacceptables pour notre société, afin d’y apporter une réponse adaptée.

Cela a été rappelé, l’objet ou l’effet de ce texte n’est pas de stigmatiser les autorités religieuses, qui condamnent d’ailleurs fermement ces pratiques. Il ne vise pas davantage les professionnels ou les proches qui accompagnent des personnes en demande.

L’intention du législateur n’est évidemment pas de priver des personnes de l’accompagnement qu’elles sollicitent, qu’il soit ou non spirituel, comme en atteste, pour constituer l’infraction, l’exigence du constat d’une altération de la santé physique ou mentale résultant des pratiques visées.

Ce texte n’a pas non plus d’incidence sur les pratiques médicales tendant au changement de sexe, comme cela a bien été rappelé à l’Assemblée nationale. Il nous semble à ce titre que des précisions sur le champ d’application de la proposition de loi, dans un sens comme dans l’autre, risqueraient de nuire à la clarté et à la bonne application du dispositif adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale, mais nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des amendements.

Notre rapporteure a par ailleurs fait œuvre utile en réinsérant des dispositifs sur le retrait de l’autorité parentale ou en introduisant à l’article 3 des circonstances aggravantes lorsque les thérapies de conversion sont conduites par des professionnels de santé sur un mineur ou sur une personne vulnérable.

Les travaux de la commission, et notre rapporteure y est pour beaucoup, ont permis de ne pas faire dévier la proposition de loi de son objet, en rejetant notamment certains amendements de nos collègues du groupe Les Républicains, qui feront de nouveau débat aujourd’hui, je n’en doute pas.

Leur adoption reviendrait à exclure les personnes transgenres du champ d’application de la proposition de loi et, par conséquent, de la protection que cette dernière tend à apporter.

Pourtant, en visant l’identité de genre, la proposition de loi ne réalise aucun acte performatif. La transidentité existe dans la réalité des vies et de notre société. Plus encore, elle fait l’objet de ces thérapies de conversion que nous sommes a priori tous résolus à combattre par la loi. L’identité de genre est enfin déjà présente dans le code pénal pour définir les discriminations.

Gisèle Halimi disait que « la norme sexuelle ne se définit pas ». Notre objectif de législateur n’est pas ici de la définir. Le sujet ne relève pas de la terminologie : ne nous trompons pas de débat.

La proposition de loi que nous examinons cette après-midi est un texte de dignité, juste et ambitieux pour la protection de toutes les victimes de toutes les formes de thérapies de conversion.

C’est l’honneur de la France que de combattre ces pratiques qualifiées pour certaines de tortures par l’ONU et sources de souffrances majeures. En posant cet interdit clair, nous rejoindrons plusieurs de nos voisins européens.

En pleine cohérence avec sa défense de la protection et de la dignité des personnes, le groupe RDPI votera bien sûr pour le texte issu des travaux de la commission des lois, en restant vigilant quant à la suite des débats. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, partisans de la démocratie libérale, nous croyons que les libertés individuelles sont essentielles à notre société. Nous croyons que les minorités doivent être protégées.

Or la plus petite des minorités, c’est l’individu. Il doit être protégé contre les ingérences d’autres membres de la société dans ce qui relève de sa sphère individuelle.

Nous croyons au libre arbitre et nous pensons qu’il y a des décisions que seul l’individu a la légitimité de prendre, qu’il y a des sujets sur lesquels il a seul le pouvoir de se prononcer. Tel est évidemment le cas de la décision du changement de sexe ou du sujet de l’orientation sexuelle.

Il faut rappeler que, pendant très longtemps et jusqu’à récemment, ce n’était pas le cas. Nous avons tous en tête le fait que, dans notre pays, l’abrogation des dispositions pénales incriminant les actes homosexuels entre adultes consentants ne date que de 1982.

L’homosexualité a officiellement cessé d’être classée comme une maladie mentale il y a une quarantaine d’années seulement. Il est temps que chacun reconnaisse que l’orientation sexuelle d’un individu ne concerne que ledit individu, de même que son identité de genre.

Nous croyons aussi que seul cet individu peut légitimement prendre la décision d’un changement de sexe, en conscience et sans contrainte. Malheureusement, force est de constater qu’il ne s’agit pas d’une évidence pour tout le monde.

Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, qui vise à interdire les thérapies de conversion.

Il ne faut pas se laisser abuser par ce terme : ces tentatives de conversion n’ont rien de thérapeutique. Comme cela a déjà été souligné, elles présentent un caractère coercitif et prennent souvent appui sur l’intolérance religieuse. Exorcismes, pressions psychologiques, chocs électriques, injections de substances ou encore violences physiques, il est évident que ces pratiques n’ont pas leur place dans notre société. Déjà interdites en Allemagne et en Espagne, elles le seront très prochainement au Royaume-Uni.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires partage bien évidemment l’objectif des auteurs de cette proposition de loi.

Si elles ne sont pas encore largement répandues dans notre pays, ces thérapies de conversion risquent de se développer faute d’intervention législative. Ces pratiques doivent donc impérativement faire l’objet d’une infraction explicite. Nous nous félicitons de l’initiative prise par nos collègues députés. Nous saluons le travail de la rapporteure sur ce texte et soutenons très majoritairement la position de la commission.

Nous sommes sensibles au fait que la rapporteure ait souhaité distinguer clairement les conseils donnés à une personne qui s’interroge sur un éventuel changement de sexe des actes qui portent atteinte à la santé de la victime.

Cette précision nous semble tout à fait opportune : les conseils appelant une jeune personne désireuse de changer de sexe à la prudence et à la réflexion ne doivent pas être constitutifs, en eux-mêmes, d’une infraction. Les parents sont toujours attentifs à l’évolution de leur enfant, en particulier dans la phase délicate de l’adolescence.

Cependant, lorsque le parent inflige à son enfant une thérapie de conversion qui porte atteinte à sa santé, la question du maintien de l’autorité parentale se pose. Le juge doit pouvoir décider en fonction des conditions de l’espèce si un retrait se justifie.

Le présent texte est équilibré : il protège celles et ceux qui ont à assumer leur différence et réaffirme le libre arbitre de l’individu et le respect de la dignité de la personne. La très grande majorité des membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc en faveur de l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI. – Mme la rapporteure applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé aujourd’hui, en procédure accélérée, affirme la nécessité de lutter contre la non-acceptation de l’homosexualité dans la société, ce qui est effectivement indispensable.

Plus précisément, cette proposition de loi tend à interdire les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle. On ne peut en effet ignorer la détresse des hommes et des femmes dont l’orientation sexuelle n’est pas acceptée. Nous leur devons écoute et soutien. Il est essentiel de défendre le droit à la différence et de protéger toutes les personnes injustement traitées, dont certaines sont contraintes de subir ces pratiques.

Non, l’homosexualité et la transidentité ne sont pas des maladies à soigner. Nous devons lutter contre toute dérive religieuse, sectaire, familiale ou autre visant à faire croire aux jeunes et aux adultes qu’ils sont malades parce qu’ils ont d’autres orientations sexuelles.

Plusieurs pays ont légiféré récemment en matière de thérapies de conversion. La chambre basse canadienne vient ainsi de voter une loi interdisant les thérapies de conversion. De même, les thérapies de conversion pour personnes homosexuelles vont être interdites en Angleterre et au Pays de Galles.

Si la notion d’orientation sexuelle est claire, il n’en est pas ainsi de celle d’identité de genre, qui apporte de la confusion dans le droit. Ne tombons pas dans l’idéologie de la théorie du genre, dans les « iels » et dans tout ce qui vient des États-Unis et qui nous est imposé par une minorité agissante, loin des véritables préoccupations des personnes concernées !

« L’identité de genre d’une personne » est invoquée sans que jamais ce concept ne soit défini. Il est apparu dans des listes de discriminations et s’inscrit dans des lois sans aucune indication sur ce qu’il recouvre.

En outre, la présente proposition de loi, votée en première lecture à l’Assemblée nationale, ne mentionne pas si la personne concernée est mineure ou majeure. Il s’agit pourtant d’une précision indispensable.

Plusieurs spécialistes qui travaillent auprès d’enfants ont alerté sur les dangers d’inclure l’identité de genre dans cette proposition de loi. Cela pourrait empêcher la prise en charge de mineurs souffrant de dysphorie de genre autrement que dans la seule approche transaffirmative.

Or, si l’on ne peut nier la détresse de mineurs, en particulier à l’adolescence, qui déclarent ressentir une inadéquation entre leur sexe de naissance et leur sexe ressenti, on ne peut non plus les enfermer dans leur choix en privilégiant une approche transaffirmative prématurée.

Aussi, j’ai déposé plusieurs amendements, cosignés par une trentaine de collègues, que je remercie de leur soutien, visant à supprimer la mention d’identité de genre dans cette proposition de loi.

Par ailleurs, il m’a semblé essentiel de ne pas oublier d’inclure dans ce texte les thérapies affirmatives de transition sur les mineurs, filles et garçons, qui sont également à interdire. L’un de mes amendements vise donc à punir le fait de prescrire à un mineur, bien entendu en dehors des raisons médicales, des pratiques – bloqueurs de puberté, traitements hormonaux… – visant au changement de sexe.

Des thérapies affirmatives de transition sont actuellement expérimentées sur des jeunes croyant être nés dans le « mauvais sexe ». Ceux-ci subissent ainsi des traitements hormonaux bloqueurs de puberté sur des bases scientifiques controversées.

Lorsque ces mêmes jeunes, quelques années plus tard, regrettent la solution draconienne apportée à leur mal-être dans leur enfance, le chemin de la « détransition » est extrêmement difficile. De nombreux témoignages font état des dégâts que causent ces pratiques sur lesquelles nous manquons de recul.

À l’heure où des pays très engagés sur le sujet de ce que l’on appelle « la dysphorie de genre » s’interrogent sur leurs pratiques et reviennent à des positions plus prudentes, il est essentiel que la France ne se précipite pas dans la mise en œuvre de dispositifs qui pourraient porter préjudice aux personnes mineures. La Suède, pays pionnier de la reconnaissance des transgenres, revoit d’ailleurs son protocole vis-à-vis des mineurs.

Je tiens également à souligner le danger des réseaux sociaux pour ces mineurs, qui se laissent influencer par les vidéos qu’ils consultent.

Cet amendement tend à protéger les mineurs jusqu’à leur majorité. Il est de notre devoir de les préserver. À l’âge de 18 ans, il sera toujours temps d’engager ce changement de sexe si ces jeunes adultes le souhaitent encore.

Non, notre vision de la société n’est ni archaïque ni rétrograde. Elle est réaliste, protectrice et respectueuse. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous n’en sommes qu’au tout début de ce débat, mais nous avons déjà entendu tout et n’importe quoi ! (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Xavier Iacovelli. Vous vous sentez concernés, chers collègues du groupe Les Républicains ?…

Mme le président. Ma chère collègue, je vous demande de bien vouloir rester correcte. Ici, nous sommes au Sénat. (Marques dapprobation et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Et au Sénat, la nuance est bienvenue !

Mme Mélanie Vogel. Permettez-moi de préciser certaines choses avant d’aborder l’examen des articles : nous ne sommes pas ici en train de légiférer sur l’orientation sexuelle ou sur l’identité de genre de qui que ce soit. Nous ne sommes pas non plus en train de légiférer sur les processus de transition des personnes trans, que ces dernières souhaitent avoir recours à des chirurgies, à des traitements hormonaux ou à rien du tout, et cela quel que soit leur âge.

Certes, c’est un sujet important. Beaucoup reste à faire en France, et je suis sûre que nous nous opposerons sur de nombreux points quand l’heure sera venue de faciliter la vie des personnes trans dans notre pays. Mais il se trouve que ce n’est pas l’objet de ce texte, qui vise à interdire les thérapies de conversion, c’est-à-dire à interdire des tortures à la fois psychologiques et physiques, comme des « viols correctifs », des mutilations, des exorcismes et j’en passe, qui sont imposées à des personnes, simplement parce qu’elles ne sont pas cisgenres ou hétérosexuelles.

La seule question qui nous intéresse aujourd’hui est de savoir si nous permettons ces tortures ou si nous les interdisons, et c’est tout !

Madame la sénatrice Eustache-Brinio vous souhaitez exclure les personnes trans du champ d’application de ce texte. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio fait un signe de dénégation.) Dans les faits, pour que tout le monde ait les idées bien claires, cela signifie que vous êtes d’accord pour interdire les tortures sur les gays, les lesbiennes et les bisexuels, mais que vous acceptez, en revanche, que les personnes trans continuent de subir ces traitements. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous dites que vous ne savez pas ce qu’est l’identité de genre et que ce concept n’est pas assez clair. Il est facile de dire cela quand personne n’a essayé de modifier ou de réprimer votre identité de genre, quand personne n’a refusé de vous considérer comme une personne à part entière, parce que vous étiez cisgenre !

Pour vous, comme pour toutes les personnes cisgenres, l’identité de genre va de soi, parce que la société tout entière considère les personnes cisgenres comme normales et toutes les autres, quel que soit leur degré d’écart par rapport à cette norme, comme anormales.

Toutefois, imaginez un instant, chers collègues, que vous deviez subir les thérapies de conversion que doivent endurer les personnes trans. Imaginez que l’on vous considère comme malades, anormaux, pervers ou hantés parce que vous êtes cisgenre et que l’on décide de corriger cela à coups de tortures, d’électrochocs, de pressions psychologiques, de manipulation pour vous faire devenir une personne que vous n’êtes pas.

Si tel était le cas, je puis vous assurer que les personnes trans qui se mobilisent contre vos amendements, tout comme l’entièreté des personnes qui se battent dans ce pays pour la dignité humaine et l’égalité des droits, seraient là pour vous protéger.

C’est la grande différence entre nous, me semble-t-il : nos vies ne se ressemblent pas, mais je ne me mobiliserai jamais pour changer la vie des autres, pour porter atteinte à leur dignité ou pour en laisser d’autres continuer à le faire.

Personne ici ne demande à personne d’avoir l’empathie nécessaire à la compréhension des vécus intimes des personnes trans. Personne ! Il s’agit simplement de reconnaître que celles-ci existent et qu’elles ne doivent pas être torturées.

Je voudrais dire quelques mots de l’ajout, en commission, de ce paragraphe : « L’infraction […] n’est pas constituée lorsque les propos répétés ont seulement pour objet d’inviter à la prudence et à la réflexion la personne, eu égard notamment à son jeune âge ».

J’ai beaucoup entendu que des parents auraient peur de se faire condamner parce qu’ils diraient gentiment à leur enfant : « Mon chéri, prends ton temps. Tu sais, c’est une grande décision. » Ce n’est bien évidemment pas le cas.

En revanche, cette inquiétude m’inquiète. Nous parlons ici d’actes visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne, Je suis désolée, mais il n’y a pas de conseil bienveillant dans un tel cas !

En France, les jeunes personnes LGBTQI+ ont trois fois plus de risques de se suicider que les autres. Pourquoi ? Parce qu’on les discrimine, parce qu’on les méprise, parce qu’on leur apprend à se détester, parce qu’on leur dépeint un monde dans lequel ils ne peuvent se projeter. Être soi-même n’est jamais une pathologie ; cela ne se guérit pas. Cela se respecte, cela se célèbre.

Les thérapies de conversion ne sont pas des thérapies. Elles ne guérissent rien, parce qu’il n’y a rien à guérir. Elles ne convertissent rien : ce sont des tortures, qui détruisent des vies plutôt que de les accueillir, qui maltraitent des gens plutôt que de les respecter. Ces pratiques doivent disparaître. Voter leur interdiction aujourd’hui est indispensable.

C’est un message important que le Sénat doit envoyer non seulement aux victimes, mais aussi à leurs bourreaux. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER, RDSE et RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’indique l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, les thérapies de conversion en question « se basent sur le postulat que l’homosexualité et la transidentité sont des maladies qu’il conviendrait de guérir », ce qui ne repose évidemment sur aucun fondement médical ou thérapeutique.

La France a officiellement retiré l’homosexualité de la liste des affections psychiatriques en 1981 et ce qui était alors considéré comme des troubles de l’identité de genre en 2010.

En 2015, un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) appelait à l’interdiction des « thérapies de conversion », qualifiées, à juste titre, de « pratiques contraires à l’éthique, dénuées de fondement scientifique, inefficaces et, pour certaines d’entre elles, constitutives de torture ».

Le Parlement européen a adopté une motion afin de condamner les thérapies de conversion et appelé les États membres de l’Union européenne à légiférer pour les interdire en mars 2018. L’année suivante, la commission des lois de l’Assemblée nationale a constitué une mission d’information sur le sujet. La proposition de loi qui nous est aujourd’hui présentée est issue des conclusions de ce travail, que nous saluons.

L’objet principal de ce texte est de créer une infraction autonome relative aux thérapies de conversion. Désormais, le fait de chercher à modifier ou de réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne sera condamné.

Selon nous, la création d’un tel délit spécifique est nécessaire pour mieux combattre ces pratiques inhumaines et mieux quantifier les victimes.

Mme la rapporteure a redéfini les contours de quelques articles pour simplifier et clarifier l’objet du texte, en précisant, par exemple, que l’infraction n’est pas constituée lorsque les propos répétés de parents ou de professionnels de santé « ont seulement pour objet d’inviter à la prudence et à la réflexion la personne, eu égard notamment à son jeune âge, qui s’interroge sur son identité de genre et qui envisage un parcours médical tendant au changement de sexe. » Il s’agit là d’un appel à la prudence, qui fait suite à des affaires de poursuites engagées à l’encontre de certains parents bienveillants.

Si les articles 378 et 379-1 du code civil permettent au juge pénal de prononcer le retrait de l’autorité parentale, ils ne lui imposent pas d’examiner systématiquement cette question.

Or le texte de la commission tend à prévoir que le juge pénal devra se prononcer systématiquement, en cas de condamnation d’un titulaire de l’autorité parentale, sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou de l’exercice de cette autorité.

Certains craignent qu’une telle disposition n’empêche d’accompagner les personnes qui s’interrogent sur leur identité ou leur sexualité. Au contraire, en définissant les thérapies de conversion dans la loi, nous évitons toute confusion : l’article 1er est très précis sur ce qui doit être entendu comme thérapie de conversion.

Quant à ceux qui réfutent la notion d’identité de genre et qui refusent de sortir d’une vision binaire et purement biologique du sexe, je me permets de leur rappeler que cette notion est bien définie et installée dans le droit français. Elle a été jugée claire et précise par le Conseil constitutionnel en 2017.

Les postures idéologiques n’ont pas leur place dans un tel débat, me semble-t-il. Il est ici question d’humain et de souffrances psychiques, parfois physiques. Il est important d’entendre les associations qui travaillent sur ces sujets, d’écouter leur parole et d’entendre l’expression multiple des identités.

Pour notre part, nous pensons que, loin de séparer les uns et les autres, de mettre les gens dans des cases bien définies, la reconnaissance de ces identités et leur respect permet de créer du commun dans une société où chacun et chacune peut pleinement s’épanouir. La République et ses valeurs gagneront à respecter chacun et chacune dans leur diversité.

Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Vous avez, madame la rapporteure, commencé votre intervention par une confidence, en avouant que vous vous interrogiez sur la pertinence de ce texte. Vous avez finalement répondu que cette proposition de loi était nécessaire, en argumentant ce point de vue, et le groupe Union Centriste vous suivra.

Nous souscrivons à l’esprit de ce texte, en particulier à l’idée selon laquelle on ne peut demander à quiconque de renier son orientation sexuelle. Nous devons accepter l’autre, au-delà des différences. Il est nécessaire de protéger tous nos concitoyens et de respecter la dignité et la souffrance, cette dernière ayant été, me semble-t-il, au cœur de toutes les interventions des différents orateurs. Il convient de ne pas contraindre les personnes.

Mme la ministre a souligné que ce texte pourrait libérer la parole. Mais je voudrais rappeler que la loi n’est pas une conférence philosophique, psychologique, psychanalytique ou théologique. On ne peut confondre une assemblée parlementaire et un groupe de parole !

Nommer ce délit nous permettra sans doute de mieux connaître l’étendue de ces malheurs qui frappent notre société et de quantifier les comportements infractionnels évoqués.

Cela étant, cette proposition de loi vise à sanctionner des faits déjà punissables au titre du harcèlement moral, de l’abus de faiblesse ou de la violence volontaire. Dès lors, faut-il créer une nouvelle infraction pour des délits déjà définis dans le code pénal ? Cette simple question provoquerait la stupéfaction des honorables personnalités dont les statues entourent notre hémicycle et qui n’auraient jamais imaginé une telle situation.

Par ailleurs, il n’est pas certain que l’objectif de ce texte soit atteint. On peut même craindre des résultats exactement inverses, car une règle depuis longtemps établie veut que le droit spécial l’emporte sur le droit général. En d’autres termes, plus une infraction est fine, sectorielle, limitée et précise, plus le champ pénal se réduit.

En droit pénal général, le harcèlement moral, par exemple, peut être établi par à peu près tous les moyens de preuve. Plus le champ de l’infraction sera limité, plus il y aura de sous-catégories et plus le champ des éléments de preuve admissibles se réduira. Dans ce domaine comme dans d’autres, en termes d’efficacité, le mieux est parfois l’ennemi du bien…

Trop de droit pénal peut finir par handicaper le droit pénal. Notre Parlement a battu quelques records ces derniers mois : la loi confortant le respect des principes de la République a créé sept infractions pénales et la loi Climat et résilience abonde de dispositions pénales. Une fois que nous aurons voté le présent texte, nous aurons à en examiner, dans quelques semaines, un autre sur le harcèlement scolaire. Or il ne faut pas pénaliser à l’excès, car tous les problèmes d’une société ne relèvent pas du droit pénal.

Pardonnez-moi d’y insister, mais notre pays a un problème majeur d’effectivité du droit pénal. Je vous rappelle que, voilà quelques jours, lors de l’examen du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, nous avons dû réduire les délais d’enquête à deux ans, ce qui signifie que nombre d’affaires seront classées à l’issue de ce délai, à défaut d’ouverture d’une instruction.

Par ailleurs, le ministre de l’intérieur a souligné qu’il manquait 5 000 enquêteurs judiciaires dans notre pays. Le chantier est donc immense.

Enfin, le Président de la République lui-même, dans son discours aux États généraux de la justice à Poitiers, a insisté sur ce problème d’effectivité du droit, en particulier du droit pénal, appelant à une révision constitutionnelle pour limiter l’inflation des normes.

Il ne serait pas totalement absurde de chercher un peu de cohérence. Si l’on estime qu’il y a beaucoup trop de normes dans ce pays, efforçons-nous de modérer notre propension à créer de nouvelles normes pénales.

Ces observations techniques faites, je le répète, nous suivrons Mme la rapporteure. Nous avons compris quels étaient les objectifs des auteurs de cette proposition de loi. Nous respectons l’émotion, la souffrance et les victimes.

Si nous témoignons de notre grande estime à votre égard, madame la rapporteure, ainsi qu’à l’égard du travail que vous avez réalisé, nous restons toutefois plus mesurés quant à la portée réelle de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)