Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, la France a toujours cultivé du chanvre, notamment pour l’industrie textile. Aujourd’hui, la diversification des usages des produits issus de cette plante nécessite toute notre attention, car elle est au cœur de nombreuses innovations, d’une forte demande sociale et d’opportunités économiques.

Pourtant, l’arrêté du 30 décembre 2021 a interdit expressément la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale de feuilles ou de fleurs de chanvre. Cette décision a été jugée incompréhensible par les professionnels de la filière du chanvre. Elle l’est d’autant plus que sa réglementation est déjà trop rigide et complexe, empêchant notamment l’utilisation du CBD pour des usages thérapeutiques.

On l’a compris, le débat sur l’utilisation du chanvre est pollué par celui sur le caractère psychotrope du cannabis. Le Conseil d’État a pris la mesure des enjeux et a suspendu l’arrêté du 30 décembre 2021. Le chanvre « bien-être » est en pleine expansion en Europe. Son usage thérapeutique est reconnu depuis que de nombreuses personnes l’utilisent pour soigner toute une série de pathologies, que vous avez rappelées, madame la ministre.

Le CBD peut aussi constituer une solution de rechange aux traitements médicamenteux qui peuvent s’avérer très lourds, voire parfois dangereux pour les patients.

Aussi, 200 centres hospitaliers ont déjà été autorisés par le Gouvernement à expérimenter l’usage du cannabis thérapeutique, preuve que vous avez conscience des bénéfices potentiels d’une libéralisation du CBD. Comment expliquer alors cette incohérence ? Allez-vous rendre la réglementation plus favorable à l’usage médical du chanvre ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Catherine Belrhiti, contrairement à ce que vous indiquez dans votre question, il n’y a pas d’incohérence entre l’arrêté du 30 décembre 2021 et l’expérimentation relative au cannabis à usage médical, puisqu’il s’agit de deux sujets complètement différents.

Je le rappelle, l’expérimentation relative au cannabis à usage médical porte sur l’utilisation thérapeutique de médicaments à base de cannabis dans des indications déterminées – j’en ai rappelé la liste. Elle vise, d’une part, à obtenir les premières données françaises sur l’efficacité et la sécurité de ces nouvelles thérapeutiques et, d’autre part, à envisager le meilleur circuit possible pour une prescription et une dispensation future dans le droit commun.

Nous parlons ici de médecine, de thérapeutiques et de la prise en charge de certaines douleurs – épilepsies réfractaires aux traitements, etc. – et de certains patients, cancéreux ou en fin de vie.

Je le répète, l’objectif de l’expérimentation est d’inclure 3 000 patients suivis dans des structures volontaires sélectionnées par l’ANSM. Cette expérimentation est un enjeu important en matière de santé publique et répond à une attente forte, essentiellement pour la prise en charge de la douleur et d’autres symptômes qui accompagnent des maladies oncologiques, dégénératives ou lors des soins palliatifs. Elle doit donc permettre d’évaluer le circuit logistique et le parcours des patients.

L’arrêté du 30 décembre 2021 ne porte en aucun cas sur l’usage médical du CBD. C’est même le contraire, puisque seuls les médicaments qui ont leur propre réglementation et qui sont strictement encadrés ne sont pas concernés par cet arrêté. Nous parlons donc ici de l’utilisation du CBD avec un seuil maximal autorisé de THC dans des produits de consommation courante qui seraient à disposition des citoyens sans aucun cadre médical.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, vous avez vous-même rappelé que le CBD n’est qu’un cannabinoïde parmi d’autres, produit par la plante de chanvre. Ses effets n’ont rien à voir avec le cannabis stupéfiant.

Le Gouvernement doit, je le crois, absolument prendre la mesure du débat et assouplir la réglementation conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la ministre, je ne reviendrai pas sur toutes les qualités du chanvre qui ont été développées par les collègues qui se sont exprimés cet après-midi. Aujourd’hui, aucun argument ne peut valider la décision du Gouvernement. Déjà, en novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé illégale l’interdiction en France du CBD, qui est autorisé chez nos voisins européens. La Cour de cassation lui a emboîté le pas en juin dernier, considérant à son tour que tout CBD légalement produit dans l’Union européenne pouvait être vendu en France.

Ma question est simple : allez-vous interdire l’importation de CBD ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Laurence Muller-Bronn, comme je l’ai indiqué, la Cour de justice de l’Union européenne a annulé le 19 novembre 2020 l’arrêté qui limitait la culture, l’importation, l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre aux seules fibres et graines de la plante.

Les autorités françaises ont engagé immédiatement des travaux pour modifier la réglementation à la lumière de cette décision. Le nouvel arrêté a été publié le 31 décembre 2021 : il permettra le développement en toute sécurité de la filière agricole du chanvre en France, ainsi que des activités économiques liées à la production d’extraits de chanvre et la commercialisation de produits qui les intègrent, tout en garantissant la protection des consommateurs et le maintien de la capacité opérationnelle pour lutter contre les stupéfiants.

L’arrêté autorise notamment la culture et l’utilisation industrielle et commerciale de toutes les parties de la plante du chanvre, sous réserve d’une teneur en THC qui ne soit pas supérieure à 0,3 %. Les fleurs et les feuilles ne peuvent être récoltées, importées et utilisées que pour la production industrielle d’extraits.

Il en résulte que la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes était interdite, notamment pour pouvoir lutter contre les trafics ou pour des motifs de santé publique qui nous semblent évidents : je pense aux risques liés à l’inhalation de fumée et à l’impact du CBD sur les récepteurs de la dopamine et de la sérotonine au niveau du cerveau, qui en font un produit psychoactif à part entière.

Je rappelle que les produits contenant du CBD ne peuvent, sous peine de sanctions pénales, revendiquer des allégations thérapeutiques, à moins qu’ils aient été autorisés comme médicaments.

Une ordonnance récente du juge des référés a suspendu à titre provisoire l’application des dispositions relatives à l’interdiction de commercialiser à l’état brut des fleurs et des feuilles de certaines variétés de cannabis. Le Gouvernement prend acte de cette ordonnance dans l’attente du jugement au fond de l’affaire par le Conseil d’État, tout en conservant son objectif de sécuriser cette filière économique et de protéger la santé.

L’arrêté prévoit donc que l’autorisation de culture, d’importation, d’exportation et d’utilisation du chanvre est étendue, sous certaines conditions, à toutes les parties de la plante du chanvre.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour la réplique.

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la ministre, je vous demandais si vous alliez interdire l’importation de CBD, qui est produit et consommé dans l’ensemble des autres pays européens.

Vous ne pouvez pas faire entrave à la libre circulation des marchandises, garantie par l’article 34 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La France n’échappera pas à un futur contentieux européen si vous maintenez un carcan réglementaire contraire à l’esprit du marché unique.

Si vous perdez trop de temps et ne prenez pas rapidement vos responsabilités, ce sont les juges européens qui décideront à notre place.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe auteur de la demande.

M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de la tenue de ce débat. Même si ce dernier a parfois tourné en rond, il a témoigné de l’incompréhension transpartisane vis-à-vis de la politique gouvernementale.

Ce débat a aussi mis en lumière les nombreuses contradictions et l’hypocrisie de la législation actuelle, qui refuse d’aborder la réalité dans toute sa complexité. On pourrait même parler, sur ce sujet, d’une sorte d’enfumage. (Sourires.)

Revenons au sujet de ce débat, qui avait vocation à embrasser la totalité de la filière du chanvre. Revenons sur cette plante, jadis cultivée pour ses fibres, puis tombée en désuétude notamment en raison du lobbying des industriels du nylon, du pétrole et de la pâte à papier.

Presque partout, le chanvre est aujourd’hui en pleine renaissance. Cette plante est capable de pousser en quelques mois jusqu’à trois mètres de haut, sans engrais ni pesticides, avec des rotations de culture de cinq ou sept ans.

Cannabis sativa L. répond formidablement aux défis écologiques, dans les domaines du bâtiment, du textile, du plastique biosourcé, des cosmétiques ou de l’alimentation. Il permet aussi au consommateur d’y trouver des bénéfices apaisants.

Les usages de cette plante sont donc multiples, et ses bénéfices peuvent être réellement source de bienfaits. Alors que la France est le premier producteur européen et le troisième au monde, avec 20 000 hectares de cultures, alors que le potentiel de la filière du chanvre, estimé à 2 milliards d’euros, ne demande qu’à croître, vous freinez inlassablement son développement au moyen d’une législation pouvant être qualifiée d’absurde et d’anachronique, comme le prouve dernièrement l’arrêté interdisant la vente des fleurs et des feuilles de chanvre. Par là même, vous affectez la rentabilité de l’ensemble de la filière.

Car, si la fleur n’est qu’une petite partie de la plante, les obstacles mis à l’encontre de sa commercialisation sont symboliques de toutes les chausse-trapes mises en place pour contrer cette filière.

En conséquence, les entreprises françaises sont contraintes de s’approvisionner à l’étranger pour commercialiser cette molécule, qui n’est pourtant pas classée comme stupéfiant, et subissent ainsi une distorsion de concurrence difficile à comprendre. En privilégiant l’importation au lieu de permettre une production locale et contrôlée, nous dégradons encore un peu plus le solde de notre balance commerciale.

Prisonniers d’une position dogmatique sur le cannabis, nous sommes en train de nous priver de l’un des plus formidables outils de la transition écologique.

Si cela ne nous surprend pas vraiment, madame la ministre, nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n’ait pas répondu aux questions et aux inquiétudes des acteurs de la filière.

Jusqu’à quand allons-nous rester coincés dans cette posture politicienne qui freine aujourd’hui l’émergence d’une filière française, que tant d’acteurs attendent ? Jusqu’à quand allons-nous sacrifier le potentiel de nos producteurs et notre savoir-faire ?

Il est maintenant temps d’aller de l’avant ! Au-delà des questions réglementaires, cette filière d’avenir demande l’appui de l’État pour se développer, mais reste largement ignorée, alors même que nous devons préparer la France de 2030.

Les acteurs demandent de nombreuses mesures afin que soit enfin rattrapé le retard que nous accusons face à nos voisins européens.

Tout d’abord, il faut assurer l’accompagnement financier des agriculteurs voulant lancer des chanvrières, et élaborer une cartographie globale des productions de chanvre dans toute la France, afin de faciliter les contrôles et le travail des autorités.

Ensuite, nous devons développer les débouchés de la protéine de chanvre, en intégrant cette plante auprès des légumineuses dans le plan Protéines du Gouvernement, le chènevis décortiqué et déshuilé contenant 60 % de protéines !

Il faut également édicter des normes claires et précises permettant d’utiliser le chanvre dans la construction. C’est une urgence pour la filière du béton de chanvre, affectée par les changements de bord des exigences de validation la concernant.

Enfin, il est essentiel de consacrer un budget spécifique pour réindustrialiser la France en consacrant des outils à la production de textiles issus du chanvre, afin de développer le savoir-faire français et de lutter contre le chanvre chinois, non écologique, qui pourrait demain envahir le marché aux dépens de la production française. Ainsi, le plan France 2030 pourrait constituer un levier pertinent pour abonder les fonds nécessaires.

Pour conclure, permettez-moi d’élargir mon propos sur la question de la légalisation du cannabis, dont la réglementation est, là aussi, bloquée par des positions rétrogrades et contre-productives.

Depuis les premières autorisations de mise sur le marché de médicaments contenant du THC en 2013, quand Mme Marisol Touraine était ministre des affaires sociales et de la santé, et si l’on excepte l’expérimentation engagée il y a deux ans autour du cannabis thérapeutique – nous la saluons, d’ailleurs –, presque dix années ont passé sans évolution réglementaire.

Pendant ce temps, vingt et un des vingt-sept pays de l’Union européenne ont autorisé le cannabis thérapeutique, alors que nous nous concentrions sur des expérimentations. Que de temps perdu, notamment pour les personnes souffrant de sclérose en plaques ou de glaucome !

Madame la ministre, on ne doit pas réduire le chanvre au THC et au CBD. C’est une vision globale des différentes utilisations de cette plante qui doit nous guider. Il est plus que jamais nécessaire d’avancer sur ces questions à partir de fondements objectifs, et de développer une approche pragmatique et adaptée à notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Angèle Préville et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur ?

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le groupe CRCE disposera d’un temps de présentation de huit minutes.

Le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répliquer pendant une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Le groupe auteur de la demande de débat disposera de cinq minutes pour le conclure.

Dans le débat, la parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe CRCE a choisi de demander l’inscription de ce débat dans son espace réservé, car face à la multiplication des féminicides il est essentiel de dresser le bilan des politiques nationales de lutte contre les violences faites aux femmes. Ce bilan, nous souhaitons qu’il soit objectif, qu’il mette en avant les avancées tout en pointant les limites de ces politiques.

Inégalités salariales et de progression professionnelle, temps partiels imposés : les violences économiques font partie intégrante des violences subies par les femmes. Elles sont, hélas ! bien enracinées dans nos sociétés capitalistes et patriarcales.

Je vais néanmoins centrer mon propos sur les violences sexistes et sexuelles. Depuis 2017 et l’essor du mouvement international #MeToo dans l’opinion publique, une prise de conscience collective et salutaire a montré l’ampleur de ce fléau. Les violences faites aux femmes, du sexisme ordinaire aux féminicides, sont omniprésentes dans la société, et ce dans tous les milieux.

Il y a là un phénomène d’ampleur, systémique, symptôme du caractère patriarcal d’une société dans laquelle les femmes subissent la domination masculine.

Les luttes des féministes ont marqué des points. De plus en plus de victimes dénoncent ce qu’elles ont vécu ou sont en train de vivre, et leur parole est enfin considérée.

Qu’a donc fait le Gouvernement depuis 2017 ?

La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes de 2018, dite loi Schiappa, allonge notamment de vingt à trente ans le délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, élargit la définition du harcèlement pour y inclure le cyberharcèlement et crée une nouvelle infraction d’outrage sexiste permettant de réprimer le harcèlement de rue.

Mais, à défaut notamment d’établir un seuil d’âge de non-consentement pour les mineurs, cette loi n’est pas allée jusqu’au bout de l’ambition initiale. La déception a donc été vive du côté des associations féministes et des associations de protection de l’enfance – de ce point de vue, la loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, dite loi Billon, a apporté des avancées.

Dans la continuité de la loi Schiappa, et constatant que le compte n’y était pas, le Gouvernement a organisé un Grenelle des violences conjugales en septembre 2019.

J’ai fait partie de celles et de ceux qui trouvaient que l’urgence n’était pas d’établir un énième bilan, tant les associations de terrain avaient largement documenté la situation.

Nous avons perdu du temps. Néanmoins, un plan gouvernemental a été élaboré, comportant plusieurs mesures : amélioration de la prise en charge des plaintes des femmes, création de places d’hébergement d’urgence, reconnaissance du « suicide forcé », prise en charge des auteurs de violences, interdiction de la médiation pénale, instauration des bracelets anti-rapprochement, amélioration de l’accès à un téléphone grave danger, réduction du délai de délivrance des ordonnances de protection.

Et je me réjouis de l’entrée en vigueur d’un décret reprenant l’une des propositions d’Ernestine Ronai, dont je salue le travail et l’expertise, la femme victime de violences devant désormais être systématiquement informée au moment de la sortie de prison de son agresseur. Si cette mesure avait été prise plus tôt, un drame aurait pu être évité à Épinay-sur-Seine en novembre dernier.

L’arsenal législatif a donc été étoffé, au cours des dernières années, par l’adoption de plusieurs projets et propositions de loi ; reste qu’il manque toujours cruellement d’une vision globale.

Les violences et leurs conséquences, au travail ou sur les enfants, ne doivent plus être appréhendées de façon cloisonnée.

En 2013, mon groupe avait déposé une proposition de loi-cadre élaborée avec le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), qui contenait plus d’une centaine d’articles. Le cadre contraint des espaces réservés ne nous a malheureusement jamais permis de l’examiner. En vain, nous avons plusieurs fois demandé au Gouvernement de s’en saisir. J’espère qu’il en sera autrement après les élections !

Même s’il est sans doute encore un peu tôt pour bien mesurer les effets des lois promulguées et des dispositifs mis en place, force est de constater que le nombre de féminicides n’a pas diminué : 113 féminicides décomptés en 2021, et déjà 13 en ce début d’année 2022.

De même, les chiffres des violences et des crimes sexuels publiés la semaine dernière par le ministère de l’intérieur sont toujours aussi alarmants. Je rappelle également que les violences ont considérablement augmenté durant les confinements liés à la crise sanitaire : les signalements ont augmenté de 40 % au printemps 2020, puis de 60 % pendant le second confinement.

Dès lors, quel bilan dresser de l’action du Gouvernement ?

Les outils mis en place peinent à prouver leur efficacité, tant sur le plan de la prévention que sur celui de la répression. En 2022, les femmes restent autant qu’auparavant victimes de harcèlement, d’agressions sexuelles, de viols, de violences physiques, verbales ou psychologiques. Des femmes continuent de mourir sous les coups d’hommes qui veulent les soumettre. Les chiffres et les faits sont implacables.

Les violences faites aux femmes existent dans tous les pays. Comme je l’ai dit, il s’agit de l’une des conséquences du système patriarcal qui sévit dans les sociétés du monde entier. Il n’est donc pas inutile d’analyser les politiques menées dans d’autres pays que la France.

Je pense en particulier à l’Espagne. Comme vous le savez, en quelques années, l’Espagne est parvenue à réduire considérablement le nombre de féminicides, qui a diminué de 25 % depuis 2004, date de l’entrée en vigueur de l’une des lois les plus protectrices au monde – je vous renvoie aux travaux du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes pour davantage de détails sur ces regards croisés. Comparaison n’est pas raison, certes, et il ne s’agit pas de reproduire un modèle, chaque pays ayant sa propre histoire et son système judiciaire particulier ; mais ces résultats espagnols sont le fruit d’une politique réellement volontariste, ambitieuse et globale.

Dans notre pays, je l’ai souligné, des efforts ont été réalisés. Toutefois, certains actes viennent contrecarrer la volonté politique affichée de combattre les violences faites aux femmes. Je pense en particulier à la remise en cause du 3919, qui, sans la mobilisation et la détermination des associations et d’élus, aurait été mis en concurrence.

Voici ce que le ministre de l’intérieur a récemment déclaré : « Désormais, les femmes qui sont psychologiquement ou physiquement atteintes par leur compagnon déposent plainte systématiquement. […] Systématiquement, il y a désormais des gardes à vue […]. Systématiquement, il y a des poursuites judiciaires. » Dans le même temps, les chiffres du ministère de la justice montrent qu’au contraire un tiers à peine des violences sexuelles font l’objet de poursuites ! Comment le Gouvernement peut-il dans ces conditions prétendre combattre efficacement les violences ?

Je veux réaffirmer avec force qu’au-delà de la volonté il faut des moyens ambitieux.

Là encore, la comparaison est sans appel avec l’Espagne, où 1 milliard d’euros ont été mobilisés pour lutter contre les violences faites aux femmes, contre 360 millions d’euros en France. Nos collègues Éric Bocquet et Arnaud Bazin, dans leur rapport d’information de juillet 2020, ont très bien démontré que le milliard d’euros annoncé par le Gouvernement n’était pas atteint, en dépit d’une communication gouvernementale trompeuse – Éric Bocquet y reviendra.

Ce milliard, loin d’être une lubie des féministes, correspond à la réalité des besoins de la justice, de la police et de la gendarmerie ; il est nécessaire si l’on veut créer des solutions d’hébergement, prendre des mesures de prévention et mettre fin aux dysfonctionnements constatés à tous les niveaux, qui sont la cause des drames vécus par Chahinez Daoud, Valérie Bacot et tant d’autres.

Il faut rapporter ce milliard d’euros au coût que représentent ces violences pour la société, estimé à plus de 3 milliards d’euros par an !

Évidemment, je ne saurais en huit minutes dresser un bilan exhaustif et détaillé de cinq ans d’actions – ou d’inactions… – du Gouvernement. Je conclurai en relayant plusieurs propositions défendues par les associations féministes.

Il est nécessaire, tout d’abord, de mettre fin à la correctionnalisation des viols, jugés comme des délits faute de moyens. Le viol est un crime, et doit, en tant que tel, être jugé en cour d’assises. Il faut une bonne fois pour toutes mettre un terme à la culture du viol qui sévit dans notre société.

Il est essentiel, ensuite, de créer des tribunaux spécialisés composés de magistrats formés afin de mieux accompagner les victimes.

Il faut instaurer, enfin, un délit spécifique de violences conjugales dans le code pénal.

Je n’ai malheureusement pas le temps d’aborder le bilan mitigé, principalement par manque de portage politique, de l’application de la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Il est urgent de remédier aux manquements observés !

L’autre chantier sur lequel il nous semble indispensable d’avancer est celui de la lutte contre la pornographie. Nous sommes en train d’y travailler au sein de la délégation aux droits des femmes, sous l’impulsion de sa présidente, Annick Billon.

Madame la ministre, nous en avons assez de compter les victimes ! Je sais que vous partagez notre indignation et notre colère. Pourquoi, alors, les dysfonctionnements perdurent-ils ? Pourquoi les mêmes scénarios macabres se répètent-ils, quand ils auraient pu être évités ?

Force est de constater qu’en France, en 2022, le machisme et le sexisme tuent toujours, et que tout n’a pas été mis en œuvre pour les circonscrire ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la sénatrice Cohen, je voudrais commencer par vous remercier pour toutes les actions que vous avez menées sur ce sujet, qui nous tient très à cœur, à toutes et à tous.

Je ne peux pas m’empêcher de réagir néanmoins à ce que vous avez dit quant à l’« inaction » du Gouvernement. Vous n’êtes pas sans savoir que celui-ci a au contraire beaucoup travaillé, avec tous les parlementaires, comme l’atteste la promulgation de quatre lois en moins de cinq ans. Vous n’en avez mentionné qu’une, mais ce sont bien quatre textes de loi qui ont été votés au cours de cette législature pour protéger les victimes et leurs enfants contre le fléau des violences conjugales dans notre pays.

Lors du Grenelle des violences conjugales, quarante-six mesures inédites avaient été annoncées, destinées à mieux protéger les victimes, à mieux les accompagner, à mieux recueillir leur parole, afin de les aider à sortir de la violence. Je précise que 100 % de ces mesures ont été mises en œuvre au moment où nous débattons !

Vous avez évoqué le budget consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes, en prenant l’exemple de l’Espagne. Si vous aviez regardé d’un peu plus près ce qui se passe dans ce pays, vous auriez appris que l’Espagne a en effet investi 1 milliard d’euros, mais sur cinq années ! En France, en 2021, nous avons investi 1,2 milliard d’euros pour lutter contre ce fléau – ce montant est parfaitement retracé dans le document de politique transversale, qui est à la disposition de tous ceux qui souhaitent le consulter.

Nous en discuterons dans la suite du débat, mais je ne saurais sans répondre vous laisser disserter, madame la sénatrice, sur l’« inaction » du Gouvernement ! (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)