DISCOURS D'ORIENTATION DE M. CHRISTIAN PONCELET
(mardi 16
octobre 2001, au Sénat)
Monsieur
le Ministre,
Mes chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
En ces temps incertains, instables et inquiétants, où un
terrorisme fanatique tente de jeter à bas les valeurs qui fondent
nos sociétés démocratiques, mes premières
pensées iront vers les soldats de la liberté engagés dans
une légitime riposte contre les auteurs de ces actes de barbarie.
Mers chers collègues,
Mes premiers mots, -ces mots qui sortent spontanément du coeur-, seront
pour vous remercier, une fois encore, mais avec autant de chaleur, de votre
coupable indulgence à mon endroit.
Je vois dans le score dont vous avez eu la bonté de me gratifier, le
1er octobre, une double marque : d'une part, celle de
l'approbation du bilan de mon premier triennat ;
d'autre part, celle d'une confiance dans l'avenir de notre
institution.
L'approbation d'un bilan, tout d'abord. Ce bilan se résume, tout
simplement, à la mise en oeuvre, pleine et entière,
du programme que je vous avais soumis le 8 octobre 1998.
Comme il vous en souvient, ce programme avait été
élaboré dans un contexte défensif sur lequel
planait l'ombre d'un mot, celui « d'anomalie »
dont le Sénat avait été affublé, six mois
plus tôt.
Ce plan d'action et de dynamisation comportait quatre volets
complémentaires au service d'un objectif clairement
affiché : restaurer, rénover et moderniser
l'image du Sénat.
Premier volet : réaffirmer notre vocation constitutionnelle de
représentant des collectivités territoriales
de la République.
Il s'agissait, en l'occurrence, de cultiver notre différence en
faisant vivre ce bonus constitutionnel qui enrichit notre rôle
d'assemblée parlementaire à part entière.
Cette quête de proximité s'est traduite par l'organisation, dans
sept régions, des Etats généraux des élus locaux.
Loin d'être des grand'messes républicaines sans
lendemain, ces Etats généraux, soigneusement
préparés par l'envoi préalable d'un questionnaire, ont
débouché sur des réponses législatives
adaptées comme la loi Fauchon ou le statut de l'élu.
Par ailleurs, le Sénat met en oeuvre, depuis 1998, une politique
volontariste de services offerts aux collectivités locales
avec le développement du Service des collectivités territoriales,
l'ouverture d'un site internet dédié aux élus
locaux, et, enfin, la mise à disposition des collectivités
locales de l'antenne sénatoriale de Bruxelles pour les aider à
accéder aux financements européens.
Toutes ces initiatives me semblent avoir porté leurs fruits et j'ai pu
vérifier, au fil de mes déplacements dans près de
soixante-dix départements, que le Sénat avait retrouvé
toute sa crédibilité aux yeux des élus locaux.
Aujourd'hui, le Sénat joue pleinement son rôle de Maison
des collectivités locales.
Le symbole éclatant de cette proximité retrouvée
avec les élus locaux, -nos grands électeurs-, a
été, sans conteste, la Fête de la Fédération,
ou plutôt la Fête des Maires, du 14 juillet 2000, qui a
réuni, pour un hommage républicain, sur les
Champs-Elysées, puis au Sénat , 13.000 maires ceints de leur
écharpe tricolore.
Deuxième volet de ce plan d'action : ouvrir le
Sénat sur le monde de l'économie et de l'entreprise. Cette
ouverture s'est concrétisée par l'instauration d'espaces de
dialogue et l'établissement de passerelles comme les stages
d'immersion en entreprises, les « Rencontres
sénatoriales de l'entreprise », l'opération
« Tremplin entreprises », « La
Journée du Livre d'Economie » ou encore la création
du « Club Sénat point fr »
dédié à la nouvelle économie.
Loin d'être des « gadgets », ces
opérations pédagogiques doivent être prolongées,
diversifiées et amplifiées.
Troisième volet : mieux faire connaître le Sénat
et son action.
Au-delà de l'itinérance de l'exposition
Médiasénat, qui a rempli sa mission, cette politique de
communication, approuvée par le Bureau unanime, s'est
concrétisée par la création de « Public
Sénat », après dix années d'atermoiements.
Confiée à un grand professionnel, Jean-Pierre Elkabbach,
à qui je tiens à rendre un hommage mérité, cette
chaîne citoyenne a su affirmer son indépendance, -qui est la
condition de sa crédibilité-, et garantir le pluralisme des
opinions, gage de son objectivité.
Il nous faut maintenant réussir le passage au
numérique terrestre afin d'être en mesure de gagner la
bataille de l'audience et de faire vivre cet espace de débats et
cette instance de redécouverte du et de la politique, en
l'associant encore davantage à nos travaux.
Cette politique de communication a également pris la forme d'une
politique de présence culturelle avec notamment la renaissance du
Musée du Luxembourg qui est devenu l'écrin d'expositions
d'exceptionnelle qualité.
Enfin, quatrième volet de ce plan d'action : promouvoir le
bicamérisme dans le monde, en accompagnant son essor.
En effet, le bicamérisme connaît un regain car pour les
jeunes démocraties d'Europe centrale et orientale, d'Afrique ou d'Asie,
-dont le credo pourrait se résumer par la formule
« Assemblée unique, assemblée
inique »- il constitue la forme la plus achevée de la
démocratie, une sorte de « nec plus ultra
démocratique ».
C'est pourquoi j'ai pris l'initiative, en mars 2000, de réunir tous les
Sénats du monde pour un Forum, le premier du genre, qui a
contribué à l'émergence d'une prise de
conscience du patrimoine commun des deuxièmes chambres.
Ce Forum des Sénats du monde ne restera pas sans lendemain :
« l'internationale sénatoriale » va vivre...
D'abord, sous la forme de déclinaisons régionales comme,
par exemple, le récent Forum des Sénats des pays africains et
arabes.
Ensuite, sous une forme plus pérenne, avec la création
à mon initiative, en novembre 2000, de l'Association des
Sénats d'Europe.
Enfin, nous avons entrepris une politique d'exportation du
modèle sénatorial français au travers d'une action
de coopération interparlementaire, plus déterminée
et ciblée, que nous devons développer tout en en conservant la
maîtrise.
Le bilan de ce premier triennat n'est donc pas
négligeable ; mais comme toute oeuvre humaine, il est
perfectible.
C'est ainsi que les Etats Généraux des élus
locaux, après une prochaine étape métropolitaine en
Bretagne, pourraient franchir les océans pour se tenir dans nos
départements d'outre-mer, cette richesse humaine et
économique de la France.
En effet, le Sénat, représentant des collectivités
territoriales de la République, se doit d'être présent dans
le débat sur les adaptations statutaires rendues nécessaires par
la spécificité de nos départements et collectivités
d'outre-mer dont chacun est à lui seul une exception.
D'une manière générale, il pourrait être
envisagé de créer une délégation à la
décentralisation pour suppléer nos commissions permanentes
qui sont trop souvent prisonnières de leur lourde charge de travail
législatif.
Cette délégation, qui prendrait appui sur un service des
collectivités territoriales étoffé, aurait pour triple
mission de s'ériger en observatoire permanent de la
décentralisation, de nourrir, à intervalles
réguliers, des débats en séance publique et de
dessiner, par ses propositions, les contours de la future
République territoriale que j'appelle de mes voeux.
Ne nous y trompons pas, mes chers collègues : l'avènement
d'une véritable République territoriale, version unitaire du
fédéralisme, constitue l'une des clefs de l'avenir de
notre pays, de sa modernité, de son essor et de sa
prospérité.
L'avenir de notre pays passe aussi, -nous le savons bien-, par l'Europe qui
est tout à la fois une évidence, une
nécessité et une urgence.
Mais cette union européenne nous la voulons plus dynamique,
plus cohérente, plus solidaire et plus proche de
ses ressortissants.
A cet égard, il me semble indispensable d'assigner à
l'Association des Sénats d'Europe, un rôle de
vecteur et de fer de lance de l'idée d'une
deuxième chambre européenne qui, initiée par le
Président Poher, fait désormais l'objet d'un consensus de Tony
Blair à Lionel Jospin en passant par Vaclav Havel et Gerhard
Schröder.
Aux côtés du Parlement européen qui représente le
peuple européen en devenir, ce Sénat Européen
contribuerait à réduire le déficit
démocratique dont souffre l'Union européenne.
Enceinte de concertation entre les Parlements nationaux, ce
Sénat européen permettrait de mieux associer les
peuples et les Etats à la construction européenne, tout en
favorisant l'application du principe de subsidiarité.
Consolider cet acquis, qui est loin d'être
négligeable, mais aussi relayer cette action par une politique
volontariste et ambitieuse de promotion du Sénat.
A cet égard, il me semble que nous devrions, mes chers
collègues, toutes sensibilités confondues, nous assigner deux
objectifs pour ce nouveau triennat.
En premier lieu, « normaliser » l'existence du
Sénat pour lui permettre, dans un climat apaisé, de mieux exercer
sa fonction de contre-pouvoir -et non de « contre le
pouvoir »- indispensable à notre démocratie.
En second lieu, rénover nos méthodes de travail et
recentrer notre activité pour devenir une véritable
assemblée de proximité à l'écoute des
Françaises et des Français, sans oublier nos compatriotes
établis hors de France.
Le but poursuivi par l'objectif de normalisation est que l'existence et
l'utilité du Sénat deviennent des données
immédiates de la conscience de nos concitoyens.
Le Sénat ne peut plus vivre sous la menace permanente d'un
chambardement constitutionnel qui annihilerait son existence, gommerait
sa différence ou altérerait son essence.
La politique de l'autruche a fait long feu et il nous appartient de contribuer
à mettre un terme aux procès en
représentativité et donc en légitimité
qui sont instruits, çà et là, à l'encontre du
Sénat.
A cet égard, j'ose espérer que le mode d'élection des
sénateurs ne souffrira plus de critiques émanant de l'opinion ou
de la majorité plurielle depuis l'extension de la représentation
proportionnelle et l'introduction de la parité sous sa forme la plus
radicale, la parité alternée.
En revanche, force est de reconnaître que la composition de notre corps
électoral se caractérise par une certaine sur
représentation de la France des campagnes au détriment de la
France des villes.
Il nous faut, en l'occurrence, reprendre notre proposition de 1999 qui
présentait le double mérite de renforcer le poids du
milieu urbain tout en préservant la représentation des petites et
moyennes villes qui assurent un maillage économique, social et humain de
notre territoire.
Enfin, je suis enclin à penser que dans le nouveau contexte issu de
l'instauration du quinquennat, -que l'on peut regretter...-, le Sénat
s'honorerait en prenant lui-même l'initiative d'une réduction
à six ans de la durée du mandat de ses membres.
Il ne s'agirait pas là d'un acte de « masochisme
institutionnel », mais d'une occasion pour conforter les pouvoirs
du Sénat.
C'est ainsi qu'il pourrait être envisagé, dans le cadre d'une
révision constitutionnelle d'ensemble, de mettre entre
parenthèses la procédure du « dernier mot »
pour les textes relatifs aux collectivités locales. Mais qu'on ne s'y
méprenne pas ! Notre propos n'est pas d'amputer le Sénat de
sa dimension d'assemblée parlementaire à part entière et
de le cantonner dans un rôle de chambre spécialisée dans
les affaires locales pour en faire une sorte de « Bundesrat
à la française » selon l'expression de notre ancien
collègue Michel Rocard.
Bien au contraire, il s'agit de préserver la compétence
législative générale du Sénat, tout en lui
permettant de vivre pleinement son bonus constitutionnel de représentant
des collectivités territoriales.
Comme a pu l'écrire notre regretté collègue, le
Professeur Marcel Prélot, « quand le Sénat est fort,
la République est forte »...
Un Sénat fort, certes, mais pour quoi faire ? Ma réponse
sera simple : pour être encore plus proche de nos
concitoyens, de leurs préoccupations, de leurs
attentes et de leurs aspirations.
Cet impératif de proximité exige, tout d'abord, un
approfondissement de notre fonction de contrôle qui doit
devenir « une seconde nature » et une
activité permanente du Sénat.
La réalisation de cette ambition passe, me semble-t-il, par
l'octroi de crédits d'études aux commissions
permanentes, par le recrutement, pour une durée
déterminée, d'experts qui seraient encadrés par nos
administrateurs et par une formation continue de nos cadres par le truchement
de la mobilité externe. Elle passe aussi par un meilleur suivi,
en séance publique, des travaux de contrôle, sous
toutes leurs formes, grâce à l'organisation de débats
qui seraient, le cas échéant, le prélude à la
formulation de propositions.
D'une manière générale, nous devons retrouver le
temps de débattre, en séance publique :
l'hémicycle doit devenir le coeur du débat
républicain sur tous les sujets qui préoccupent nos
concitoyens et conditionnent l'avenir de notre société.
De même, l'hémicycle doit être l'aboutissement naturel
des propositions que le Sénat formule dans le cadre de son
rôle d'incubateur de réformes et de laboratoire
d'idées en vue de l'action politique.
Cette fonction de prospective, il faut encore la développer car,
comme le disait Clemenceau, le Sénat « c'est le temps de
la réflexion ».
Cette indispensable reconquête du débat passe notamment
par un meilleur usage des questions orales avec débat, par une
rénovation de la formule des questions d'actualité qui
présente des signes d'essoufflement, par une utilisation plus
rationnelle de l'ordre du jour des séances mensuelles
réservées et, peut-être, par l'ouverture de la
séance publique à des personnalités éminentes
de la société civile, sans pour autant désacraliser
l'hémicycle.
Cette redécouverte du dialogue républicain suppose
également une meilleure gestion du temps parlementaire qui, en ces temps
d'inflation législative, apparaît comme trop lourdement
hypothéqué par le travail législatif.
Retrouver le temps du débat implique, en effet, une
amélioration de la programmation de nos travaux, un
accroissement du rôle législatif des commissions et
une réforme de la procédure d'examen des amendements, afin
d'alléger et de dynamiser la discussion des textes en
séance publique.
Enfin, ce recentrage de nos activités doit donner lieu à une
répartition plus équitable du travail afin de mieux
associer les plus jeunes d'entre nous à la vie de notre institution.
Toutes ces pistes nous devons, mes chers collègues, les explorer
ensemble, car la rénovation du Sénat est une oeuvre
collective qui repose sur votre engagement et la mobilisation
de nos collaborateurs.
C'est pourquoi je me proposer de désigner, dans les meilleurs
délais, un groupe de travail qui devra, après avoir pris
l'attache des groupes politiques et des présidents de commissions,
rendre ses conclusions pour la fin du premier trimestre 2002.
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* *
Telles
sont, mes chers collègues, les lignes de force de mon ambition
pour le Sénat.
Il nous faut adopter une attitude offensive pour donner un second souffle
à la rénovation du Sénat afin de conforter sa
crédibilité et d'asseoir sa légitimité. L'espoir
doit nous guider car l'attachement de nos concitoyens au bicamérisme
semble se renforcer, en dépit ou en raison, des attaques dont fait
l'objet le Sénat.
Si en mai 1998, 53 % des Français jugeaient indispensable pour
le débat démocratique de disposer de deux chambres, ils
étaient 59 %, en septembre 2000, à partager cette saine et
sage opinion.
OUI, le bicamérisme est une chance pour notre démocratie. Comme
l'écrivait Victor Hugo qui fut successivement Pair de France et
sénateur de la IIIème République, « La France
gouvernée par une assemblée unique, c'est l'océan
gouverné par la tempête. »