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Allocution prononcée par M. Christian PONCELET, Président du Sénat, à l'occasion de la conférence sur le bicamérisme organisée par le Conseil National slovène à Ljubljana (Slovénie), jeudi 19 octobre 2006



Monsieur le Président du Conseil National slovène,

Monsieur le Président du Sénat de la République tchèque,

Monsieur le Président du Bundesrat autrichien,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil National,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

C'est une grande joie pour moi d'être aujourd'hui parmi vous. Vous saviez en m'invitant à m'exprimer ici, sur le thème : « sens et rôle du bicamérisme », combien ce sujet me tient particulièrement à coeur.

J'ai eu l'occasion, dans le passé, d'évoquer cette question à plusieurs reprises mais je n'ai jamais eu l'impression de me répéter.

Le bicamérisme est en effet une réalité en constante évolution et en régulière extension géographique. Ce n'est sans doute pas le fruit du hasard. Et pas davantage la simple manifestation d'une sorte de mode institutionnelle !

De fait, le bicamérisme offre maints avantages :

- expression logique d'un régime fédéral, comme l'illustre le Bundesrat autrichien, qui représente les 9 Länder,

- chambre de réflexion permettant d'apporter un double regard sur la loi et la politique du gouvernement,

- représentation améliorée des différentes composantes de la société et de la diversité humaine, comme le permet le Conseil National slovène,

- réponse aux nouvelles aspirations démocratiques qu'expriment les demandes d'autonomie locale et de plus grande proximité avec « le terrain »,

- le bicamérisme est aussi un instrument d'équilibre institutionnel et de protection contre les excès d'une majorité ou la pression de l'actualité...

Ces éléments sont bien connus. Je n'y reviendrai donc pas. Permettez-moi, aujourd'hui, d'insister plutôt sur d'autres aspects.

Je voudrais souligner à cet instant la diversité du bicamérisme et son aptitude à évoluer.

Le bicamérisme est en effet une notion qui rime avec diversité. Des esprits chagrins pourraient présenter ces différences comme une sorte de handicap. C'est tout le contraire. Conseil National, Bundesrat, Sénat, Chambre des Peuples, Assemblée Consultative..., les secondes chambres ne font pas dans l'uniformité. Leurs compositions, leurs rôles, leurs pouvoirs et leurs noms eux-mêmes diffèrent d'un pays à l'autre.

Car nos institutions reflètent tout simplement la diversité des sociétés qu'elles représentent. Chacune a sa légitimité propre.

Revendiquons, dès lors, cette hétérogénéité qui souligne un aspect essentiel du bicamérisme : il incarne la variété des sociétés. Il prend en compte leurs réalités sociales, dans toute leur diversité et leur richesse, et complète la représentation assurée par la première chambre.

Le bicamérisme échappe ainsi -si vous me permettez l'expression- au « prêt-à-porter » et rejette les modèles. Les citoyens sont mieux représentés. Chaque seconde chambre a une originalité propre, qui ne s'applique pas nécessairement aux autres pays. Elle est de ce fait protégée de la tentation de se présenter comme une référence et un exemple. Il n'y a pas, parmi nos secondes chambres, de « modèles ». Nos relations, égalitaires, sans rivalité conceptuelle, n'en sont que plus harmonieuses et plus enrichissantes.

Mais les sociétés évoluent et il importe que les Sénats et les secondes chambres en général accompagnent ce mouvement. Les mots « réforme » et « changement » ne doivent pas nous effrayer, mais bien au contraire rimer, eux aussi, avec bicamérisme.

En France, le bicamérisme a évolué à travers les siècles. C'est une réalité multiséculaire qui a vu le jour en 1795 avec l'instauration d'une seconde chambre en réaction contre les excès d'une chambre unique, la Convention, qui avait fait régner la Terreur. Ce fut ensuite, à partir de 1875, le Sénat de la IIIème République, Sénat conquérant qui s'était arrogé le pouvoir de contraindre les gouvernements à la démission.

Le Sénat a poursuivi son évolution jusqu'à aujourd'hui, après avoir survécu sous le nom de Conseil de la République pendant quelques années, de 1946 à 1958, sous la IVème République.

Le bicamérisme est ainsi devenu en France une constante du paysage institutionnel, qui semble répondre aux aspirations profondes des Françaises et des Français.

Il s'agit -je me plais à le souligner- de tous les Françaises et les Français puisque le Sénat représente aussi les Français établis hors de France. Ce particularisme du Sénat français, je parle parfois de « bonus constitutionnel », illustre parfaitement, me semble-t-il, une autre des richesses du bicamérisme. Le nombre de Français expatriés s'est fortement accru. Longtemps plutôt frileux face à l'expatriation, mes compatriotes sont maintenant près de 2 millions à vivre à l'étranger.

Il était naturel qu'ils soient représentés au Parlement. C'est le cas avec les 12 Sénateurs des Français établis hors de France. Je sais que plusieurs pays ont repris ce système de représentation des communautés expatriées, ou envisagent de le faire.

Je m'en réjouis. Là encore, nos secondes chambres apportent un incontestable plus.

Savoir évoluer, disais-je.

A cet égard, deux points me semblent devoir être soulignés :

- la fonction législative de nos institutions doit de plus en plus être exercée avec le souci de la qualité. Les strates législatives s'accumulent et s'empilent, complexifiant sans cesse la législation que, pourtant, aucun citoyen n'est censé ignorer !

- la fonction de contrôle est également appelée à évoluer. Les secondes chambres sont les mieux à même d'organiser des débats, aussi dépassionnés que possible, pour aider les citoyens à se forger leur opinion, et aussi à faire évoluer les esprits, sur des sujets importants et controversés.

Généralement plus indépendantes du Gouvernement, nos chambres sont aussi mieux placées pour valoriser la fonction de contrôle et d'évaluation des politiques publiques qui incombe aux Parlements.

Je voudrais également souligner une dimension du bicamérisme qui nous échappe parfois en Europe.

La création ou le renouveau d'une seconde chambre peut aussi être un moyen d'assurer la stabilité de pays sortant de conflits civils, ethniques ou religieux. Le bicamérisme permet en effet d'intégrer les différentes communautés et les identités plurielles dans une institution au sein de laquelle se développe progressivement l'idée d'intérêts communs, même si les points de vue peuvent différer.

Je recevais ainsi, il y a quelques jours, à Paris, le Président du Sénat du Burundi. Ce pays est sorti progressivement des conflits inter-ethniques des années 90 en confiant des attributions particulières au Sénat.

La sage médiation de Nelson MANDELA qui a permis la signature, en août 2000, des accords d'Arusha, a en effet confié spécifiquement au Sénat le rôle d'espace de réconciliation et de consolidation de la démocratie.

Le bicamérisme a prouvé son utilité et, d'ailleurs, ceux qui ont cherché à s'en débarrasser le regrettent souvent amèrement.

A deux reprises, le peuple français a ainsi rejeté des textes « sénaticides », qu'il s'agisse en avril 1946 du premier projet de constitution de la IVème République, qui prévoyait une assemblée unique ou, en avril 1969, du projet de révision de la Constitution dont l'objet était d'opérer une fusion entre le Sénat et le Conseil Économique et Social.

J'ajoute que les responsables politiques qui ont souhaité la suppression du Sénat français, considérée comme une « anomalie » par un ancien Premier ministre, n'ont pas eu le succès escompté lors des élections. Et quand j'entends certains, à l'approche des élections de 2007 en France, candidats ou candidates, s'interroger sur l'utilité du Sénat, je ne peux que les inviter à la prudence...

Le sens du bicamérisme, puisque c'est le thème de notre conférence, est donc bien, selon moi, celui de l'histoire. La mondialisation qui s'impose à tous, bon gré mal gré, développe des réflexes identitaires et communautaires qui ont souvent, dans le passé, même très lointain, inspiré violences et conflits. Les secondes chambres, là encore, peuvent apaiser et canaliser, sans les diluer, les aspirations de ces communautés, mais en maintenant la cohésion nationale.

Produit de l'histoire, le bicamérisme est aujourd'hui plébiscité par la géographie et, parfois, requis par la démocratie qui s'installe ou renaît comme en République tchèque, où nous venons, il y a quelques jours, de fêter avec mon ami SOBOTKA le 10ème anniversaire du renouveau du Sénat tchèque.

Soyons-en fiers, mais soyons aussi convaincus des efforts à mener sans relâche pour que le bicamérisme soit à la hauteur des défis que nous impose un monde de plus en plus instable, incertain et mouvant.

Je vous remercie.



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