57ème COMMÉMORATION DU MASSACRE D'ORADOUR SUR GLANE
(dimanche
10 juin 2001, à Oradour sur Glane)
Monsieur
le Maire,
Au début de cette semaine, au Sénat, j'accueillais
l'émouvante cérémonie au cours de laquelle sont chaque
année honorés, au terme d'un longue enquête, les Justes
parmi les nations, les Français qui, au milieu des
ténèbres, ont fait prévaloir l'humanité sur la
barbarie.
Le peuple de France a permis à des milliers de juifs notamment mais
aussi de communistes, de tsiganes, de résistants d'échapper au
sort atroce que leur réservait le régime le plus scientifiquement
barbare que le XX° siècle ait connu.
Aujourd'hui, je suis ici, parmi vous, dans cette région limousine
où la résistance a été active, pour
commémorer l'un des actes les plus atroces de cette guerre et en
perpétuer avec vous le souvenir.
Cet horrible massacre, il était comme le dernier cri de la Bête
immonde avant d'expirer. Partout, les maquisards harcelaient la division Das
Reich. Le 6 juin 1944, quatre jours plus tôt, les Alliés avaient
pris pied en Normandie, donnant le signal de la longue et inéluctable
libération de la France.
Comme dans une rage de ne pouvoir faire triompher les forces du Mal, la
division Das Reich, après les représailles de Tulle, a voulu ici
leur donner une dernière victoire, donner à l'Ogre sa ration de
sang, offrir un dernier sacrifice à ces divinités malfaisantes.
Ce massacre de sang froid, collectif, donnait à cet épisode une
valeur de témoignage incomparable. Les ruines du village,
laissées en l'état, contribuaient à la mémoire
nationale.
Mais comment aujourd'hui ne pas saluer aussi les progrès de l'effort
de mémoire ?
Comment ne pas relever les oublis et les failles. Lorrain, et plus
particulièrement vosgien, je me souviens de mes proches,
désemparés à la signature des accords de Munich, et
comprenant bien plus vite que les politiques où la lâcheté
collective nous conduirait. Compagnon politique du grand résistant
Gilbert Grandval, figure de la résistance dans les Vosges, je sais les
déchirures que cette guerre et la collaboration ont causé dans
chaque village.
Ces déchirures, vous les avez connues ici et je ressens avec
émotion le fait que le Président du Sénat soit
invité ici aujourd'hui.
Pendant des années, aucune autorité de l'Etat, sauf le
Général de Gaulle, ne fut admis ici. Le souvenir du procès
de Bordeaux, des peines trop clémentes infligées aux assassins,
de l'amnistie accordée au nom de l'unité nationale, furent pour
vous des blessures béantes.
Le nom des parlementaires ayant voté l'amnistie, dont un ancien
Président, étaient même affichés ici.
Aujourd'hui, la Nation ne considère plus que l'unité nationale
justifie d'oublier ou d'excuser. Du procès de Bordeaux à un autre
procès de Bordeaux, plus récent, la France, grâce en
particulier à l'engagement du Président de la République,
a accepté de ne plus entraver la recherche de la vérité.
Le Mémorial, inauguré il y a peu par le Chef de l'Etat, peu
après que la dernière des survivantes ait disparu,
perpétue le souvenir de ce massacre.
Puisse-t-il conjurer les forces du mal et contribuer à éviter
de nouvelles tragédies ! Parce que le
XXème°siècle nous a appris que la bête immonde
sommeillait toujours au coeur même des plus vieilles civilisations, nous
devons aujourd'hui, comme hier, ne ménager aucun effort pour ne jamais
lui donner aucun aliment.
La succession d'erreurs qui a conduit, dans un enchaînement fatal
à la seconde guerre mondiale, parfaitement prévue dès 1921
par Jacques Bainville, montre bien la responsabilité écrasante
des gouvernants en temps de paix. Ils ignorent trop souvent qu'ils dansent
toujours sur des volcans et que la paix, comme la liberté sont des
conquêtes de chaque jour.
On recherche aujourd'hui à tort et à travers la
responsabilité des élus pour des faits secondaires. Seule
l'Histoire juge, hélas et trop tard, les responsabilités
politiques, aux conséquences encore plus graves.
Voilà pourquoi tous nos efforts doivent être aujourd'hui tendus,
au-delà du souvenir, à conjuguer les forces du Bien.
Pour d'abord, imaginer un projet européen exaltant qui détourne
les peuples européens de voies déviantes. Pour mener ensuite,
dans chacun de nos pays des politiques sages, conduites dans la
proximité et qui, frottées à l'écoute des citoyens,
évitent les conflits et les rancoeurs.
C'est l'un des rôles du Sénat, comme des secondes chambres,
d'éviter les emballements trop violents.
Aujourd'hui, recueillis dans le souvenir des disparus, il nous appartient de
porter plus haut nos valeurs, pour être digne de leur
sacrifice.