PRESENTATION DES
VOEUX DES BUREAUX DES ASSEMBLEES PARLEMENTAIRES ET DU CONSEIL ECONOMIQUE ET
SOCIAL A M. LE
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
(jeudi 4 janvier
2001, au Palais de l'Elysée)
1999, 2000,
2001 : c'est déjà la troisième fois, M. le Président de la République,
que j'ai
l'honneur de vous présenter les voeux du Sénat et le plaisir de vous
adresser mes
souhaits personnels.
1999, 2000, 2001 : les années se suivent et se ressemblent mais pas au
point d'être
des jumelles ou des triplées.
Il y a un an, jour pour jour, nous étions rassemblés autour de vous,
Monsieur le
Président de la République, pour consacrer et sacrifier à la magie tout à
la fois
arithmétique et symbolique de l'an 2000.
Pourtant, nous savions tous que cette année 2000 ne marquait pas la fin du
XXème siècle
qui s'est achevé en novembre 1989 avec la chute du mur de Berlin et
l'implosion de
l'Empire soviétique qui ont sonné le glas des idéologies totalitaires.
Pourtant nous savions tous que cette année 2000 ne constituait pas non plus
le début du
troisième millénaire, déjà riche de nos rêves, qui a commencé,
chronologiquement
parlant, le 1er janvier 2001.
Est-ce à dire que cette année passerelle fût une année d'attente, une année
sacrifiée, bref une année inutile faite de moments perdus destinés à tuer
le temps ou
plutôt à en accélérer le cours.
A l'évidence, Non, si je m'en tiens à la seule dimension européenne de l'an
2000.
D'abord, parce que l'année 2000 aura vu dans une sorte de nouvelle
" révolution
de velours ", la disparition de la dernière dictature
européenne même
s'il est encore trop tôt pour se prononcer sur le cheminement démocratique
de la Serbie
et pour savoir dans quelle mesure son nationalisme ne va pas l'empêcher de
faire table
rase de son passé.
Ensuite parce que l'année 2000 aura vu, après son sacre mondial de l'été
1998, la
consécration européenne de notre équipe de football qui a remporté l'Euro.
Enfin, et plus sérieusement, parce que la Présidence française de l'Union
européenne,
loin de s'être soldée par un fiasco comme certains ont tenté de le faire
croire, aura
été positive car elle est allée jusqu'au bout du possible.
Certes, l'application de nombre des aménagements institutionnels rendus
nécessaires par
la perspective de l'élargissement a été repoussée dans le temps ; mais
le
principe même de ces réformes a été acté et accepté.
Par ailleurs, l'union européenne s'est dotée d'une charte des droits
fondamentaux qui
codifie nos valeurs communes et pourrait tenir lieu, dans un avenir plus ou
moins proche,
de préambule à une éventuelle constitution européenne.
En outre, le conseil européen de Nice a accéléré la mise en place d'une
politique
commune et opérationnelle de sécurité et de défense qui devrait permettre à
l'Europe
d'être moins tributaire de l'OTAN.
Enfin, des progrès sensibles ont été enregistrés dans la mise en oeuvre de
politiques
concertées en matière de sécurité alimentaire et de sécurité maritime.
Un tel bilan n'est pas négligeable, loin s'en faut, même si l'Europe doit
être plus
audacieuse dans son affirmation politique.
Ne résistant pas au plaisir de filer la métaphore du ballon rond, je
n'hésiterai pas à
vous dire, M. le Président de la République, qu'avec M. le Premier
Ministre, vous
avez été respectivement le Zinédine Zidane et le Laurent Blanc de l'équipe
de France
de la présidence de l'union européenne.
Mais la nostalgie n'est plus ce qu'elle était et nous devons nous tourner
résolument
vers ce troisième millénaire qui n'en est qu'à ses balbutiements.
Il ne faut pas être grand clerc pour affirmer, sans risque de se tromper,
qu'après
l'âge des extrêmes que fut ce court 20ème siècle, le XXIème
siècle sera
lui celui de la mondialisation.
Ce processus, à l'oeuvre depuis nombre d'années constitue une réalité
irréversible
dont le rythme s'est accéléré depuis la disparition de l'Empire soviétique,
la
conversion des derniers régimes communistes à l'économie de marché, et
l'irruption des
nouvelles technologies de l'information.
Il ne faut d'ailleurs pas diaboliser la mondialisation car elle devrait
être une avancée
pour l'humanité à condition d'être régulée, accompagnée et humanisée.
A Seattle, les manifestants regroupés autour de la défense et illustration
du roquefort
n'ont d'ailleurs pas contesté l'utilité de l'organisation mondiale du
commerce qui a
vocation à devenir le gendarme de la mondialisation.
Ils ont exprimé une crainte, celle d'une uniformisation culturelle du
monde, et
manifesté une volonté, celle d'une plus grande transparence des
négociations et d'une
meilleure implication de la société civile dans le processus de décision.
La crainte d'une uniformisation culturelle est à l'évidence fondée. A cet
égard, il
est nécessaire, M. le Président de la République, que l'union européenne
relaie le
combat engagé par la France pour le maintien de l'exception culturelle.
Au nom de quelle fatalité, l'Europe des temples grecs et des cathédrales
gothiques,
l'Europe de Descartes et de Kant, l'Europe de Rembrandt et de Cézanne,
l'Europe de
Molière et de Shakespeare, l'Europe de Victor Hugo et de Goethe, l'Europe
de Mozart et de
Verdi, seraient condamnées à se dissoudre dans le Coca-Cola et le Mac
Do ?
Quant à la volonté de démocratisation du processus de mondialisation, elle
me semble,
elle aussi, légitime.
En effet, la mondialisation est ambivalente.
D'une part, la mondialisation, qui est un vecteur de démocratie, va se
traduire, tôt ou
tard, par une extension à toute la surface du globe, de la démocratie avec
le triple
règne du marché, des droits de l'homme et de l'opinion.
D'autre part, la mondialisation, qui est un facteur d'accroissement de
l'autonomie de la
société civile, peut contribuer à creuser le fossé entre les citoyens et le
et la
politique en accréditant l'idée que les sociétés évoluent par elles-mêmes
sous le
seul effet des données économiques.
Il m'apparaît donc nécessaire, surtout dans nos vieilles démocraties,
d'approfondir la
démocratie qui, dans une conception trop strictement représentative peut
apparaître, à
maints égards, comme inachevée.
L'avènement de cette République moderne, que tous les réformateurs, de
Pierre Mendès
France à Charles de Gaulle, ont appelé de leurs voeux, passe d'abord par un
retour du et
de la politique qui est subordonné à la prise en compte par les gouvernants
des
préoccupations des Françaises et des Français.
Ces préoccupations, nous le savons bien, ont pour noms : pérennité des
retraites,
restauration de la sécurité, qui est la mère des libertés, adaptation du
système
éducatif, rénovation de la fiscalité, réforme de l'Etat et préservation de
notre
planète.
Ce réinvestissement par le politique de la sphère du quotidien doit
déboucher, pour
alimenter un vrai débat démocratique, celui de la confrontation des idées
et non du
combat des hommes et des vaines querelles, sur l'élaboration de projets de
société.
Dans cet esprit, il me semble nécessaire que l'opposition nationale, à
maints égards
moins plurielle que la majorité, puisse se fédérer, dans le respect de ses
nuances de
sensibilités, autour d'un projet pour l'alternance.
L'approfondissement de notre démocratie passe aussi par un renouveau du
Parlement,
bicaméral bien sûr, qui doit être conforté dans son rôle de contrôleur de
l'action
du Gouvernement et des administrations mais aussi dans son indispensable
mission
d'éclaireur de l'avenir.
A cet égard, le Sénat, qui dispose de la stabilité, facteur de sérénité, a
vocation
à devenir les racines du futur.
Une plus grande transparence de l'Etat, dans ses rouages et ses moyens tant
financiers
qu'humains, ne peut que faciliter la fonction de contrôle du Parlement.
C'est à ce défi que tente de répondre la réforme de la sacro sainte et
immuable
ordonnance organique du 2 janvier 1959, initiée par Laurent Fabius, reprise
à son
compte, avec fougue et passion, par Raymond Forni et soutenue par votre
serviteur.
Cette quête de la transparence est une ardente obligation ; mais
doit-elle épuiser
à elle seule notre démarche consensuelle ? Ne faudrait-il pas, sans
pour autant
toucher au dogme de l'irrecevabilité financière posé par l'article 40 de la
Constitution, mais en s'en tenant à sa lettre, envisager d'accroître la
marge de
manoeuvre dont dispose le Parlement lors de l'examen du budget de
l'Etat ?
Est-il sain que la capacité d'action des parlementaires ne puisse s'exercer
qu'en dehors
du débat parlementaire, en amont pour les parlementaires de la majorité et
en aval pour
les parlementaires de l'opposition par la saisine du Conseil
Constitutionnel ?
Telles sont les questions que je me pose et que je vous soumets sans pour
autant y
apporter de réponse.
Rénover notre démocratie, c'est aussi redonner toute sa portée au dialogue
entre les
partenaires sociaux et au contrat qui constitue la loi des parties.
C'est à cette entreprise ambitieuse, mais indispensable, de refondation
sociale que
s'emploie, à juste titre, le Conseil économique et social sous l'impulsion
de son
dynamique et sympathique président, Jacques Dermagne.
Rénover notre démocratie, c'est encore conforter les contre pouvoirs que
sont la justice
et les mass médias, mais sans oublier qu'ils contrôlent des pouvoirs, -le
pouvoir
exécutif et le pouvoir législatif-, qui disposent eux d'une légitimité
démocratique,
conférée par le peuple souverain et sanctionnée par une responsabilité
politique.
La résolution de cette contradiction passe sans doute, à défaut de
l'édiction de codes
de déontologie, par l'accroissement de la responsabilité de ces contre
pouvoirs.
Rénover notre démocratie, c'est enfin et surtout, fonder une véritable
République
territoriale, par une relance de la décentralisation qui constitue une
réforme
bénéfique, libératrice des initiatives et des énergies locales.
Notre Etat, qui doit demeurer unitaire, ne se résume pas à sa seule forme
jacobine ; le temps est venu d'instiller une dose de
" girondisme " dans notre architecture institutionnelle
et notre
paysage administratif.
Mais si unité ne signifie pas uniformité, il ne convient pas non plus de
conférer à
une seule collectivité métropolitaine le monopole de la singularité en
vertu de son
insularité.
Une démarche plus conforme à notre Constitution devrait, me semble-t-il,
consister à
conférer de nouvelles compétences à l'ensemble des régions métropolitaines,
sans pour
autant refuser à certaines d'entre elles d'aller plus loin, à l'intérieur
de ce nouveau
cadre, au nom du droit à l'expérimentation.
Passer à l'acte II de la décentralisation par l'ouverture de nouveaux
territoires
d'interventions aux collectivités locales et une stabilisation des
relations financières
entre l'Etat et les collectivités locales constitue une urgente nécessité
pour alléger
le poids de l'Etat et améliorer l'efficience de l'action publique.
Mais tout pas en avant demeure subordonné à la réalisation d'un préalable,
celui de
l'amélioration de la condition des élus locaux, ces nouveaux hussards de la
République,
auxquels le Sénat a rendu un hommage mérité et apprécié lors de la Fête de
la
Fédération du 14 juillet 2000.
Après les progrès réalisés sur le front de l'excessive mise en cause pénale
des
décideurs publics par la loi Fauchon, qui résulte d'une initiative
sénatoriale, il
s'avère urgent de doter les élus locaux, et en particulier les maires des
petites et
moyennes communes, d'un statut enfin digne de ce nom.
Toutes ces réformes, il nous faudra, M. le Président de la République,
Mesdames,
Messieurs, les réaliser et les concrétiser, vite et bien, car notre pays,
qui n'est pas
une nation comme les autres, a conservé toute son exemplarité.
L'histoire avec un grand " H ", celle du siècle des
lumières et de
la Révolution française, nous a appris que la France n'est jamais aussi
grande et
généreuse que lorsqu'elle tutoie l'universel.
C'est dans cet esprit constructif, positif et optimiste que j'ai l'honneur
de vous
présenter, Monsieur le Président de la République, tous les voeux que nous
formons, mes
collègues et moi-même, à l'orée de ce troisième millénaire, pour vous-même,
pour
votre épouse, -à qui j'adresse l'expression de mes hommages affectueusement
respectueux-, pour ceux qui vous sont chers, pour la France, pour l'Europe
et pour
l'humanité.