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Direction de la séance

Projet de loi

Engagement et proximité

(1ère lecture)

(PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE)

(n° 13 , 12 )

N° 552 rect.

8 octobre 2019


 

AMENDEMENT

présenté par

C Favorable
G Sagesse du Sénat
Adopté

MM. RICHARD, de BELENET, PATRIAT

et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants


ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 22


Après l'article 22

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Aux premier, deuxième et troisième alinéas au I, au II, au IV et au troisième alinéa du V, après le mot : « impact », il est inséré le mot : « juridique, » ;

2° À l’avant-dernier alinéa du V, après le mot : « conséquences », il est inséré le mot : « juridiques, ».

Objet

Le présent amendement vise à associer les collectivités territoriales à l’élaboration des normes qui s’appliquent à elles. 

Le Gouvernement, dans son exposé des motifs, souligne la déprise et le sentiment d’abandon qui ont saisi de nombreux territoires, les élus locaux et sa volonté vise à y remédier. Il évoque également le sentiment latent de dépossession qui s’est installé notamment chez les maires. Ce sentiment est largement alimenté par la complexité exponentielle du droit s’appliquant aux collectivités territoriales qui conduit au découragement.

Il s’agit d’un phénomène connu de longue date, car la complexité et la dégradation du droit ont été constatées à trois reprises par le Conseil d’Etat qui en a fait l’un de ses thèmes récurrents dans ses rapports annuels en 1991, en 2006 puis en 2016. La persistance des problèmes résulte de l’inflation normative qui perdure en France, alors même qu’elle est en voie de résolution dans la plupart des Etats européens. Ceci entre en contradiction avec l’esprit de la Constitution, qui dispose que l’organisation de la République française est décentralisée, ce qui a fait l’objet de trois actes de décentralisation de l’action publique entamés en 1982, en 2003 puis en 2019.

En dépit de tous les principes à valeur constitutionnelle rappelés, l’inflation normative s’est aggravée. Le Conseil d’Etat a déploré que ce phénomène soit lié à « la passion, bien française, du perfectionnisme juridique et de la complétude de la loi, qui cultive le goût de la complexité pour elle-même et qui tend à produire des normes parfaites, mais inopérantes ». Le cœur du problème de l’inflation et de la complexité du droit réside donc bien dans ce dernier point, à savoir la question de l’opérabilité du droit.

Dans ce contexte, afin de mieux maîtriser la production législative et réglementaire, et de permettre un dialogue plus étroit avec les collectivités territoriales, a été instituée par le législateur en 2008 la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN). Également par la volonté du législateur, elle a été transformée par la loi du 17 octobre 2013 et érigée en Conseil national d’évaluation des normes. Ce Conseil national a permis d’examiner et d’évaluer plus de 3 000 textes applicables aux collectivités territoriales, afin de déterminer si leur impact technique et financier n’était pas trop important. Afin de bien comprendre son rôle dans le processus de production du droit, il convient de remarquer que le CNEN se situe en amont du processus d’édiction d’examen des lois et des règlements, et constitue par là-même la seule instance qui permet aux collectivités locales d’être informées et d’émettre un avis sur les textes destinés à avoir un impact sur elles. Le CNEN est donc, de fait, le seul organe composé d’élus (désignés d’ailleurs par les associations nationales d’élus) en situation de pouvoir concourir à la lutte contre l’inflation normative et contre la complexité excessive du droit.

Toutefois, le fonctionnement actuel de notre système de production du droit s’appliquant aux collectivités territoriales est insuffisant. Les textes nouveaux n’entrainent pas que des impacts techniques et financiers mais également des impacts juridiques lourds, au sens de leur difficulté d’application, à raison d’un défaut de pragmatisme et de bon sens qui mine notre droit.

Actuellement, le collège des élus et le collège des administrateurs réuni au sein du CNEN ont à connaître de tout projet de texte législatif ou réglementaire concernant les collectivités territoriales et ayant un impact technique et financier sur les collectivités territoriales ou leurs établissements publics.

La mesure de l’impact technique et financier, dans la lettre du texte actuellement en vigueur, peut s’interpréter comme limité aux incidences techniques financières des textes, celles-ci pouvant être positives, négatives ou neutres. L’expérience de dix années d’existence du CNEN montre que les incidences liées aux difficultés d’application, à l’excessive complexité, au manque de clarté et d’accessibilité des textes est tout autant dommageable aux collectivités territoriales que les incidences techniques ou financières. Il serait donc indispensable, pour l’effectivité et la qualité du droit, de recueillir l’avis des destinataires des normes, des acteurs de terrain qui jouissent d’une expérience concrète de leur application, et qui en connaissent les difficultés face à la technicité de certaines matières. L’avis de ceux qui ont à mettre en œuvre ou en pratique les mesures nouvelles est essentiel car ce sont les seuls véritablement capables d’en évaluer l’utilité et la pertinence. 

Ces destinataires, ces acteurs siègent dans le collège des élus du CNEN, d’où l’utilité d’élargir le devoir de regard dudit CNEN sur ces aspects. Le présent texte serait l’occasion de préciser dans ses missions l’évaluation de ce type d’impact juridique des normes applicables aux collectivités territoriales.

Sans attenter aux principes d’égalité et d’unité de la République, il convient de faire produire ses meilleurs effets au principe de libre administration énoncé à l’article 72 alinéa 3 de la Constitution, qui dispose que les collectivités « s’administrent librement » et « disposent du pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ». L’intérêt national commande de concilier et de créer des externalités positives entre la tradition centralisatrice de la France et la prise en compte des nécessités locales par les acteurs de terrain. L’action publique est parfois motivée par l’utilité publique locale, telle que l’a construite la jurisprudence administrative à travers des arrêts tels que Société Unipain (CE, 29 avril 1970), ou plus récemment Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau (CE, 16 octobre 2000). Dans cette mesure, il appartient au législateur de permettre aux acteurs locaux d’avoir une prise sur les normes qu’ils doivent appliquer, au nom du principe de libre administration et de l’intérêt public local.

C’est pourquoi l’attention doit être portée sur l’avis des destinataires des normes, car ce sont les seuls véritablement capables d’en évaluer l’utilité et la pertinence. Dans la logique du troisième rapport public du Conseil d’Etat consacré à la simplification du droit, visant à « développer le signalement des difficultés d’application de la norme », l’opportunité d’une adaptation des compétences du CNEN se présente.

En l’état actuel, le CNEN n’a pas explicitement pour mission d’évaluer l’impact technique et financier des textes législatifs et réglementaires s’appliquant aux collectivités territoriales. La mission d’évaluation de l’applicabilité des normes au regard de la diversité des territoires permettrait aux acteurs de terrain d’exprimer leur avis et de favoriser un « retour d’expérience » basé sur les anciennes réussites et échecs. Or les travaux du CNEN sont enrichis par un travail en amont mené par les associations nationales d’élus, lesquelles peuvent par la voix du collège des élus faire apparaître au bon moment du processus d’élaboration du texte les conséquences prévisibles de certaines formulations ou de précisions incompatibles avec la diversité des territoires. L’élargissement de ses missions à l’évaluation de l’impact juridique des normes permettrait ainsi de les associer plus étroitement à l’élaboration des normes, dont ils sont les premiers utilisateurs. L’objectif est de donner un avis éclairé à la lumière de l’appréciation de ces acteurs de terrain qui jouissent d’une expérience concrète de l’application des normes. Cette appréciation pourrait notamment se faire au regard des dernières évolutions en matière de droit souple, déjà décrites par le Conseil d’Etat dans son rapport public de 2013, mais aussi par les deux circulaires sur les interprétations facilitatrices des 2 avril 2013 et 18 janvier 2016. Le Conseil d’Etat recommande ainsi vivement que la technicité de certaines matières soit soumise à l’avis de ceux qui ont à mettre en œuvre ou en pratique les mesures nouvelles. Dans son étude annuelle de 2016 il indique clairement qu’un nouveau cap normatif doit consister à « adopter dans la conception, la rédaction et la mise en œuvre des politiques publiques le point de vue de leurs destinataires ».

Ainsi, le présent amendement vise à répondre à cette problématique et aux légitimes inquiétudes des maires et des collectivités territoriales en général, en évitant la création d’un organe supplémentaire puisqu’il suffit d’adapter les missions du CNEN à ce défi et cette urgente nécessité. Il est donc proposé d’inscrire explicitement dans lesdites missions l’évaluation de l’impact juridique, au sens de son applicabilité dans la diversité des territoires, ainsi que la simplification du droit s’appliquant aux collectivités. Une légère modification de la loi n° 2013-921 du 17 octobre 2013, portant création du Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, le permet. L’efficacité de l’action du Conseil, au bénéfice des collectivités, nécessite le renforcement de la portée de ses avis afin qu’ils soient mieux connus et pris en compte par l’ensemble des acteurs de l’action publique locale.