Direction de la séance |
Proposition de loi Renforcer et sécuriser le pouvoir préfectoral de dérogation (1ère lecture) (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE) (n° 666 , 665 ) |
N° 30 10 juin 2025 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Le Gouvernement ARTICLE 1ER |
I. – Alinéa 1
Remplacer les mots :
soit de sa compétence, soit de celle des services et des établissements publics de l’État ayant un champ d’action territorial
par les mots :
de sa compétence
II. – Alinéa 2 à 8
Remplacer ces alinéas par neuf alinéas ainsi rédigés :
La dérogation respecte les conditions suivantes :
1° Elle est compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;
2° Elle ne porte pas atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.
Un décret en Conseil d’État précise les autres conditions dans lesquelles le représentant de l’État peut faire usage de ce droit de dérogation.
II. – Le préfet représentant de l’État, selon le cas, dans les régions, les départements, les collectivités à statut particulier ou les collectivités d'outre-mer régies par les articles 73 ou 74 ou par le titre XIII de la Constitution, est le délégué territorial des établissements publics et groupements d’intérêt public de l’État exerçant des missions territoriales, dont la liste est définie par décret en Conseil d’État. Il peut adresser au service territorial de ces derniers des directives d'action territoriale.
Dans les conditions mentionnées au premier alinéa du I et complétées par décret en Conseil d’État, le représentant de l’État peut demander à un établissement de l’État ou à un groupement d'intérêt public de procéder au réexamen d'une décision prise par ce dernier ayant une incidence dans sa circonscription territoriale. Dans ce cas, l'établissement ou le groupement suspend l'exécution de cette décision jusqu'au réexamen.
Un décret en Conseil d’État définit les attributions confiées au délégué territorial et les moyens que l’établissement ou le groupement met à sa disposition selon qu’il dispose ou non d’un échelon territorial.
III. – Le IV de l’article L. 131-9 du code de l’environnement est ainsi rédigé :
« IV. – Le représentant de l’État, selon le cas, dans le département, la collectivité de Corse ou la collectivité régie par les articles 73 ou 74 de la Constitution, est le délégué territorial de l'office. Il assure la cohérence de l'exercice des missions de l'office dans les territoires relevant de son ressort avec les actions des autres services et établissements publics de l’État. »
Objet
Le présent amendement propose une rédaction modifiée de l’article 1er de la proposition de loi visant à renforcer et sécuriser le pouvoir préfectoral de dérogation afin d’adapter les normes aux territoires.
Cet article, qui concerne le droit de dérogation du préfet aux seules normes réglementaires, est nécessaire pour permettre l’insertion au sein du code pénal de l’article 6 limitant la responsabilité pénale des préfets dans la mise en œuvre de cette prérogative. Il devrait donc se borner à cette reconnaissance législative en décrivant le droit de dérogation de façon très générale en renvoyant à un décret en Conseil d’Etat pour son encadrement et sans intervenir sur le domaine réglementaire.
La rédaction actuelle de l’article 1er présente plusieurs inconvénients pouvant complexifier la mise en œuvre de ce droit:
1° Le I permettrait au préfet de prendre des décisions à la place des établissements publics de l’État et de déroger à leurs décisions.
Or, cette disposition ne relève en réalité pas d’un pouvoir de dérogation mais bien d’un pouvoir de substitution qui se heurte au principe d’autonomie des établissements publics alors même que le préfet n’est pas en charge de leur tutelle (laquelle relève des seuls ministres) et n’exerce pas de pouvoir hiérarchique sur ces établissements.
De plus, il est difficile d’identifier à quelles normes édictées par un opérateur le préfet pourrait déroger, dès lors qu’un opérateur ne prend que des décisions individuelles (aides à la réalisation d’un projet, octroi de financements, attribution d’autorisations…). En pratique, le dispositif proposé risque par conséquent de ne produire aucun effet puisque les préfets ne sont pas mis en position de pouvoir déroger à des décisions prises par des opérateurs dans le champ de compétences qui leur est propre.
Au demeurant, cette disposition générale viendrait en contradiction avec les textes régissant le fonctionnement de chaque établissement public de l’Etat, dont l’autonomie décisionnelle est garantie.
En vertu des textes spécifiques créant et encadrant à chaque établissement public ou groupement, ces derniers disposent en effet d’une personnalité juridique autonome des services de l’Etat et donc du préfet avec les attributs associés : autonomie financière sous le contrôle de leur tutelle, autonomie de gestion dans la définition des règles de fonctionnement interne, organes de direction spécifiques (direction générale et conseil d’administration notamment).
Il n’est ainsi pas possible pour le préfet, même en qualité de délégué territorial, de disposer d’un pouvoir de dérogation.
Enfin, les dispositions de l’article, qui n’excluent pas les activités économiques et concurrentielles des établissements publics de l’Etat, constituent une potentielle violation des règles européennes de la concurrence.
L’objectif poursuivi par la proposition de loi, qui vise à mieux adapter le cadre normatif aux réalités locales et que le Gouvernement partage, serait en réalité mieux atteint si le préfet disposait en amont d’un pouvoir d’orientation et de pilotage de l’activité des opérateurs, afin de garantir que leur action au plan territorial s’inscrive en cohérence avec l’ensemble des politiques publiques de l’Etat.
Cette évolution structurante devrait alors s’accompagner d’un levier de contrôle des décisions prises par les opérateurs, qui relèverait non pas d’un pouvoir de dérogation (qui serait inopérant), ni d’un pouvoir de substitution (qui serait illégal) mais d’un pouvoir de réexamen des décisions prises par les opérateurs, que le préfet pourrait mobiliser, en dernier ressort, chaque fois que les décisions prises au plan local posent un problème de cohérence avec l’action générale de l’Etat ou avec les besoins spécifiques du territoire.
* Dans cette perspective, le Gouvernement travaille actuellement à un renforcement des pouvoirs des préfets sur l’action de l’ensemble des services déconcentrés de l’Etat et des établissements publics de l’Etat et groupements d’intérêt public ayant une action territoriale. Ce chantier, qui relève du domaine réglementaire, consiste notamment à donner au préfet des leviers managériaux (avis avant nomination et dans le cadre du processus d’évaluation) à l’égard des responsables territoriaux des établissements publics de l’Etat et groupements d’intérêt public. Il s’agit également de renforcer les prérogatives du préfet comme délégué territorial des établissements publics de l’Etat prévues par le décret précité de 2004, en allant au-delà des directives d’action territoriale qu’il peut déjà adresser, et d’étendre notablement le périmètre des opérateurs concernés par ces dispositions.
Il est donc proposé de supprimer au I. la référence aux décisions ne relevant pas de la compétence du préfet pour lui substituer ces nouveaux moyens d’action à l’égard des opérateurs dans un II réécrit (cf 2°).
2° Conscient de la nécessité de répondre aux enjeux soulevés par les sénateurs, le présent amendement proposer de donner au préfet de nouvelles prérogatives à l’égard des opérateurs dans un nouveau II :
* Il est proposé de prévoir dans la loi que le représentant de l’Etat peut être délégué territorial de certains établissements publics de l’Etat ou groupements d’intérêt public menant une action territoriale en renvoyant à un décret en Conseil d’Etat le soin de définir les opérateurs concernés et de fixer les attributions confiées au délégué territorial et les moyens que l’établissement ou le groupement met à sa disposition selon qu’il dispose ou non d’un échelon territorial.
Cette accroche législative est nécessaire en vertu de la jurisprudence du Conseil d’Etat (7ème et 2ème sous-sections réunies, 20/02/2013, 360307 : « pour un établissement public créé par la loi, seule une disposition législative peut prévoir que le préfet en est le délégué territorial »).
Des dispositions disparates existent déjà dans certains textes législatifs régissant des établissements publics (ADEME, ANAH, ANRU, ANCT, FranceAgriMer, ODEADOM, OFB) ou des groupements d’intérêt publics (agence nationale du sport, agence du service civique). C’est le décret du 29 avril 2004 sur les pouvoirs des préfets qui régit actuellement les fonctions du préfet délégué territorial.
* Par ailleurs, le préfet pourrait demander à un établissement public de l’Etat ou à un groupement d’intérêt public de réexaminer une de ses décisions qui aurait une incidence territoriale, ceci dans :
- les conditions prévues au premier alinéa (pour un motif d’intérêt général et pour tenir compte des circonstances locales) ;
- et dans d’autres conditions précisées par décret en Conseil d’Etat (procédure, délai dans lequel l’opérateur doit répondre, exclusions : activités concurrentielles etc.).
Pour donner tout effet utile à cette mesure, il est prévu que l’établissement ou le groupement ne peut exécuter la décision jusqu’au réexamen.
III. Le II actuel prévoit d’autoriser le préfet à déroger aux règles de fond dans des conditions floues qui seraient très complexes à mettre en œuvre dans un décret en Conseil d’Etat. En effet, une telle faculté, accordée de façon générale et transversale, ne permettrait pas de prévoir des garanties adaptées ni de s'assurer de la proportionnalité entre les objectifs poursuivis et la dérogation apportée. Il en résulte un risque certain d’inconstitutionnalité liée au respect du principe d’égalité devant la loi.
Le régime envisagé ici placerait en outre le préfet dans une position délicate face aux acteurs locaux, amenés à solliciter de plus en plus de dérogations dans un cadre que l'autorité administrative aurait peine à délimiter clairement.
Elle serait également source d’importants contentieux, retardant in fine les procédures.
Il est donc souhaitable de laisser au Gouvernement le soin d’encadrer ultérieurement les dérogations à certaines règles réglementaires de fond, ceci avec toutes les garanties adaptées. Cet encadrement relève bien du domaine réglementaire.
IV. Il est enfin proposé d’ajouter un III à l’article 1er, portant plus précisément sur l’office français de la biodiversité (OFB), pour faire du préfet un délégué territorial de plein exercice et non plus seulement limité à la seule mission de coordination de la police administrative de l'eau et de l'environnement. Cette limitation correspond aux fonctions d’un préfet coordonnateur d’une politique publique : elle ne permet pas une coordination optimale des services territoriaux de l’office et dévoie la notion de délégué territorial dont l’application doit être homogène entre tous les opérateurs de l’Etat et couvrir l’ensemble de leur champ d’action.