commission des affaires économiques |
Projet de loi Lutte contre la vie chère dans les outre-mer (1ère lecture) (n° 870 ) |
N° COM-68 20 octobre 2025 |
AMENDEMENTprésenté par |
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Mme BÉLIM, MM. LUREL et OMAR OILI, Mme ARTIGALAS, MM. KANNER, BOUAD, CARDON, MÉRILLOU, MICHAU, MONTAUGÉ, PLA, REDON-SARRAZY, STANZIONE, TISSOT et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS ARTICLE 13 |
Après l'article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 145-34 du code de commerce, il est inséré un article L. 145-34-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 145-34-1. – I. – À titre expérimental et pour une durée de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, les communes des départements et régions d’outre-mer mentionnés à l’article 73 de la Constitution ainsi que les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française peuvent, par délibération motivée, instaurer un dispositif d’encadrement des loyers des baux commerciaux.
Cette délibération instaure, dans un périmètre défini, un encadrement :
1° Soit en valeur absolue, par la fixation d’un loyer maximal par mètre carré de surface commerciale utile ;
2° Soit en pourcentage, par la détermination d’un taux maximal annuel d’évolution du loyer lors de la conclusion ou du renouvellement d’un bail commercial.
II. – L’encadrement s’applique à tout opérateur économique exerçant sous une même enseigne, marque, ou contrôle économique, y compris au moyen :
1° De sociétés filiales ou franchiseurs,
2° De baux transférés ou renouvelés au sein d’un même groupe au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce,
3° Ou de structures juridiquement distinctes mais économiquement dépendantes au sens du II de l’article L. 430-1 du même code.
III. La commune peut mettre en œuvre ce dispositif lorsqu’au moins deux des trois critères suivants sont constatés :
1° Un niveau moyen de loyers manifestement disproportionné au regard de la marge brute moyenne constatée dans le commerce de proximité local ;
2° Un taux de vacance commerciale supérieur à un seuil fixé par décret ;
3° Une situation de concentration économique créant une distorsion de concurrence caractérisée par la domination d’un secteur géographique par moins de trois opérateurs.
IV. – Les loyers plafonds sont fixés par arrêté du maire, après avis :
- de l’Autorité de la concurrence,
- de la chambre de commerce et d’industrie territoriale,
- de la chambre de métiers et de l’artisanat,
- des organisations représentatives des commerçants,
- des représentants des bailleurs et des fédérations de commerce.
V. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, ainsi que les modalités de modulation sectorielle et de dérogations motivées.
VI. - Six mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation, au regard notamment de l’accès au foncier commercial, de la lutte contre la vie chère et de la diversité commerciale. »
Objet
Les territoires ultramarins connaissent une situation d’inflation commerciale immobilière particulièrement préoccupante. Dans plusieurs centres-villes et zones commerciales d’Outre-mer, comme à Saint-Denis de La Réunion, des loyers commerciaux déconnectés de l’activité économique réelle entraînent la disparition progressive du commerce indépendant, une hausse des prix pour les consommateurs et un renforcement des phénomènes de concentration économique, notamment au profit de quelques enseignes dominantes ou importatrices exclusives.
Cette situation constitue un frein majeur au développement local, à l’emploi non délocalisable et à la revitalisation des centres-villes, déjà fragilisés par l’insularité, l’éloignement et la dépendance logistique.
Le présent amendement propose donc, dans le cadre de l’article 73 de la Constitution et conformément aux possibilités offertes par l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), d’expérimenter un encadrement local de la spéculation immobilière commerciale, afin de protéger le tissu économique local, préserver la diversité commerciale, freiner la spéculation foncière commerciale et lutter contre la vie chère.
Il prévoit également un dispositif anti-contournement, indispensable pour éviter que de grandes enseignes contournent l’encadrement via le jeu des filiales, franchises ou sociétés écrans, pratique déjà observée en outre-mer.
Le présent amendement s’inscrit dans le cadre constitutionnel applicable aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, lequel autorise l’adaptation des lois et règlements aux caractéristiques et contraintes particulières de ces territoires. Le Conseil constitutionnel a admis, dans sa décision n° 2011-631 DC du 12 mai 2011, que le législateur pouvait introduire des dispositifs différenciés pour tenir compte des spécificités ultramarines, dès lors que ces adaptations répondent à un objectif d’intérêt général suffisant.
Par ailleurs, l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) reconnaît explicitement que les régions ultrapériphériques peuvent faire l’objet de mesures spécifiques d’adaptation économique, nécessitées notamment par leur éloignement, leur insularité, leur dépendance aux importations et la faiblesse de leur marché intérieur. Le dispositif proposé entre pleinement dans ce cadre.
Le Conseil constitutionnel a également rappelé que la liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre ont valeur constitutionnelle mais ne présentent pas un caractère absolu et peuvent être limitées au nom de l’intérêt général, notamment pour assurer une concurrence loyale et protéger l’ordre public économique (décisions n° 98-401 DC du 10 juin 1998 ; n° 2014-691 DC du 20 mars 2014). Il a jugé conforme à la Constitution un encadrement des loyers dans le domaine résidentiel, dès lors que la mesure est proportionnée, limitée dans le temps et justifiée par un déséquilibre manifeste du marché (décision n° 2014-691 DC sur la loi ALUR).
Dans le même sens, le Conseil d’État a admis que la liberté du commerce peut être légalement limitée lorsque des circonstances locales particulières existent (CE, 22 juin 1951, Daudignac ; CE, 28 février 1994, Commune de Menton).
En outre, plusieurs études, notamment de l’IGF/IGAS (Rapport 2019 sur la formation des prix Outre-mer) et de l’Autorité de la concurrence (avis n° 09-A-45 ; 2019-A-11), ont documenté l’existence, dans les territoires ultramarins, de situations de rente commerciale liées au niveau anormalement élevé des loyers commerciaux, contribuant à la vie chère et freinant la concurrence locale et l’entrepreneuriat indépendant.
Le dispositif proposé répond donc à une triple exigence :
- Nécessité économique : lutter contre la spéculation immobilière commerciale qui renforce la vie chère.
- Proportionnalité juridique : expérimentation limitée dans le temps et territorialisée.
- Justification d’intérêt général : protéger la diversité économique locale et l’accès des populations ultramarines aux biens et services essentiels à prix équitables.