Mardi 11 octobre 2011

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Loi de finances pour 2012 - Nomination des rapporteurs pour avis

La commission nomme les rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2012.

- Mission « Action extérieure de l'Etat » :

. moyens de l'action internationale : Mme Leila Aïchi et M. Pierre Bernard-Reymond ;

. diplomatie culturelle et d'influence : MM. Jean Besson et René Beaumont ;

. Français de l'étranger : Mme Hélène Conway Mouret et M. Robert del Picchia ;

- Mission « Aide publique au développement » :

. aide économique et financière : MM. Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon ;

. solidarité : MM. Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon ;

- Mission « Défense » :

. environnement et prospective : MM. Didier Boulaud, André Trillard et Jeanny Lorgeoux ;

. préparation et emploi des forces : MM. Gilbert Roger et André Dulait ;

. soutien : Mme Michelle Demessine et M. Jean-Marie Bockel ;

. équipement : MM. Xavier Pintat, Daniel Reiner et Jacques Gautier ;

- Mission « Immigration, asile et développement » :

. immigration et asile : MM. Alain Néri et Raymond Couderc ;

- Mission « Médias » :

. action audiovisuelle extérieure : M. Yves Rome et Mme Joëlle Garriaud-Maylam ;

- Mission « Sécurité » :

. gendarmerie : MM. Michel Boutant et Gérard Larcher.

Loi de finances pour 2012 - Mission Défense - Audition de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

La commission auditionne M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, sur le projet de loi de finances pour 2012 (mission Défense).

M. Jean-Louis Carrère, président. - Monsieur le ministre, bienvenue dans cette commission qui comporte pour vous nombre de visages nouveaux. Nous venons de désigner nos rapporteurs pour avis selon le principe des binômes majorité-opposition, cher à notre commission.

Le projet de budget de la Défense pour 2012 s'inscrit dans le cadrage triennal établi par le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2011-2013, conditionné par la nécessité de redresser nos finances publiques. Si les objectifs fixés par la loi de programmation militaire (LPM) ont dû être retouchés, la Défense demeure une priorité, qui voit ses crédits progresser de 1,6 %, voire de 1,76 % si l'on intègre les ressources exceptionnelles attendues pour 2012, à hauteur de 1 milliard d'euros. Cela fait trois ans que le gouvernement promet ces recettes exceptionnelles : pourquoi y aurait-il plus de raison de vous croire cette année ? (Sourires)

L'année 2011 a été riche en évènements pour votre ministère. Je rends hommage à l'efficacité et au dévouement des personnels des trois armes et de l'administration engagés en Libye. Nous pouvons être fiers de nos soldats et de leur action, au nom de nos valeurs, pour la liberté d'un peuple opprimé. S'il est trop tôt pour faire le bilan définitif de cette intervention, pourriez-vous du moins dresser un bilan d'étape ? La presse fait état de lacunes capacitaires en matière de ravitaillement en vol, de drones moyenne altitude-longue endurance, de munitions ou encore de stockage...

Compte tenu des coupes budgétaires qui se profilent, y compris chez nos amis britanniques et américains, quelle est votre vision de la défense européenne à moyen terme ? Dans quelles conditions présenterez-vous au Parlement la révision à mi-parcours des analyses stratégiques du Livre blanc ? Je compte d'ailleurs proposer à notre commission un suivi des travaux des quatre groupes de travail du SGDSN sur la refonte du Livre Blanc.

Enfin, étant donné le nombre de nouveaux élus, accepterez-vous de revenir devant notre commission quand nous aurons davantage avancé dans nos travaux sur le budget ?

M. Gérard Longuet, ministre de la défense. - Je vous remercie de vos paroles de bienvenue, monsieur le président, et vous salue dans votre nouvelle fonction. Je salue également les nouveaux membres de la commission, et réponds bien entendu favorablement à votre requête : je ne demande pas mieux que de revenir devant vous pour tenter de vous convaincre de voter ce budget, comme c'est mon devoir !

En dépit d'un contexte économique très difficile, le budget de la Défense demeure stable. Il s'agit de la quatrième année d'application de la loi de programmation militaire, qui couvre la période 2009-2014. Paru en 2008, le Livre blanc prévoyait sa réactualisation au printemps 2012 : celle-ci se fera donc en plein débat national, c'est une chance pour la Défense !

Le budget triennal 2011-2013 s'est traduit, il y a un an, par une réduction de crédits cumulée de 1,3 milliard pour les trois années, soit une réduction d'environ 1% par rapport aux dotations prévues par la loi de programmation militaire. Le budget 2012 prévoit une légère augmentation, de 100 millions d'euros : il s'agit simplement de la réévaluation des crédits consacrés au carburant en fonction des cours du pétrole, comme le prévoit la LPM.

Les crédits hors pensions s'élèvent à 31,7 milliards, dont 30,6 milliards de recettes budgétaires et 1,1 milliard de recettes exceptionnelles. Par rapport à 2011, l'augmentation est de 1,6% pour les seules dotations budgétaires, de 1,8% pour l'ensemble. Vu les perspectives d'inflation, cela correspond à un maintien en volume de l'effort de défense. La continuité est un devoir en la matière, et la constance une vertu !

Des recettes exceptionnelles attendues pour 2012, 160 millions d'euros proviendront de cessions immobilières : je tiens à la disposition de vos rapporteurs la liste des emprises qui seront cédées pour atteindre ce montant. Le reste proviendra des cessions de fréquences qui vont rapporter 930 millions en 2011 ! La cession d'une nouvelle bande de fréquences dite Félin doit rapporter 900 millions à la Défense en 2012.

Le ministère de la Défense contribuera au plan d'économies complémentaires annoncé par le Premier Ministre le 25 août dernier, à hauteur de 180 millions. Pas question de remettre en cause ou de retarder l'exécution de la LPM : outre les économies constatées en 2011, cette somme sera compensée par des autorisations de consommation de reports de crédits non consommés ou par des excédents de recettes exceptionnelles perçues en 2011. Mes collaborateurs pourront vous fournir le détail de la ventilation de ces 180 millions.

La priorité donnée aux équipements est confirmée. L'intégralité des moyens nouveaux seront consacrés à l'agrégat équipement, qui progresse de 3% : 16,5 milliards en 2012, contre 16 milliards en 2011. Au sein de cet agrégat, 700 millions sont consacrés aux études amont, et les crédits de recherche et développement s'élèvent à 3,5 milliards, en hausse de 200 millions. Le maintien en condition opérationnelle représente 2,75 milliards, en hausse de 200 millions. L'effort d'infrastructure se maintient à 1,4 milliard, car la restriction du nombre de régiments et de bases a conduit au renforcement des implantations d'accueil, et l'arrivée de matériel nouveau implique également des travaux d'accueil.

En matière d'armement, l'année 2012 voit la livraison de matériels majeurs, à commencer par un avion spécialisé dans le recueil du renseignement électromagnétique et de nombreuses stations de transmission au sol de données par satellite. Dans le domaine « engagement et combat » : une frégate multimissions, l'Aquitaine ; trois hélicoptères Caracal ; onze Rafale ; six hélicoptères Tigre ; cent véhicules blindés de combat d'infanterie VBCI ; 4 000 équipements individuels Félin. Dans le domaine « projection, mobilité, soutien » : 200 petits véhicules protégés ; cinq avions de transport Casa 235, très appréciés pour leur polyvalence ; un bâtiment de commandement et de projection, le Dixmude, qui consolidera une flotte qui a fait ses preuves en Libye. Citons également la rénovation des avions ravitailleurs C135, très anciens, en attendant les MRTT, autrement dit les Airbus A330 Multi Role Tanker Transport ; la réalisation de deux satellites Musis ; la commande de 34 nouveaux hélicoptères NH 90. C'est heureux pour notre industrie, ces équipements étant fabriqués en France.

La LPM n'est pas remise en cause par les opérations extérieures (Opex), car, depuis 2008, celles-ci ne sont plus financées par prélèvement sur les crédits d'équipement mais par un abondement du budget général au titre de la réserve de précaution interministérielle. S'y ajoutent les remboursements, souvent lents et peu prévisibles, des Nations unies.

La provision pour 2012 s'élève, comme en 2011, à 630 millions. Cette somme s'étant révélée insuffisante pour 2011, le Premier Ministre s'est engagé à ce que la loi de finances rectificative de fin d'année assure le financement de l'écart. Même logique pour 2012, qui devrait être moins chargée : l'opération Licorne est terminée, et l'opération libyenne devrait l'être également. La baisse des effectifs en Afghanistan n'aura toutefois pas d'impact financier immédiat, car elle sera compensée par le financement des opérations de transfert et de retour de matériel engagé.

Dans la réforme de long terme engagée par mes prédécesseurs, Hervé Morin et Alain Juppé, nous avons franchi une étape décisive en 2011 avec la généralisation des bases de défense. Les chefs de corps sont les partenaires des élus locaux : j'ai ainsi lancé sept grandes réunions pour organiser l'échange entre responsables militaires et nationaux autour de ces bases de défense. Au niveau régional, nous avons mis en place la chaîne interarmées de soutien et les centres de services partagés.

La RGPP prévoit une diminution des effectifs de 54 000 sur la période 2009-2014, dont 36 000 procèdent de l'optimisation des fonctions soutien, et 18 000 des unités combattantes. L'accompagnement des restructurations se fait en partenariat avec les collectivités locales. Début 2012 auront été adoptées l'ensemble des politiques contractuelles permettant de soutenir les conséquences sur le territoire des réductions d'effectifs ou des suppressions des services ou formations.

Par ailleurs, l'effort de mobilité et d'aide au départ pour les personnels représentera 241 millions d'euros l'année prochaine. Sur le plan catégoriel, une enveloppe de 90 millions d'euros sera identifiée, notamment consacrée à la revalorisation de la grille indiciaire des catégories B dans le cadre du « nouvel espace indiciaire ». La masse salariale reste maîtrisée : 11,6 milliards d'euros, contre 11,7 milliards en 2011, en dépit de la suppression de 7 400 emplois permanents, car la quasi-totalité des économies réalisées a été réinjectée dans des mesures catégorielles et d'accompagnement.

La réalisation du projet Balard, engagé depuis 2008, qui permettra le regroupement des états-majors et de l'administration centrale sur le même site, sera poursuivie conformément au calendrier prévu. Architecture pertinente et organisation judicieuse vont de pair !

Je remercie le président Carrère de l'hommage qu'il a rendu à nos combattants. L'année 2011 a vu l'aboutissement de l'opération Licorne, menée avec rapidité, clarté et économie de moyens et de vies humaines. Reste que la guerre n'est jamais une affaire facile : si nous n'avons pas perdu de combattants, d'autres personnes ont perdu la vie. L'opération libyenne est spectaculaire, nos hommes intervenant dans des conditions difficiles. Elle est totalement interarmées : aviation, marine et armée de terre, à travers les hélicoptères, sont impliquées.

S'agissant de l'Afghanistan, je suis responsable du volet militaire, mais la dimension politique est primordiale. Je pense à ceux qui ont sacrifié leur vie, leur intégrité physique, leur vie de famille, pour que la parole de la France soit prise au sérieux au plan international. Je suis sensible, monsieur le Président, à l'hommage que vous avez rendu à nos soldats.

M. Didier Boulaud. - Merci de cette présentation. Il serait bienvenu, comme l'a proposé notre président, que vous reveniez devant la commission une fois que nous aurons étudié les différents programmes en profondeur et entendu vos collaborateurs.

J'avais participé à la première commission du Livre blanc, avant de claquer la porte, las qu'on nous tienne la main... Quelle sera la place du Parlement dans le processus de révision ? La révision du Livre blanc va-t-elle se faire en catimini ?

J'ai cosigné un rapport sur l'immobilier de la défense, à la demande des présidents Arthuis et de Rohan, qui exprimait les fortes réserves de nos commissions sur l'opportunité du « Balardgone », étant donné la situation budgétaire. Il n'en a pas été tenu grand compte, et les choses semblent aller grand train. Pouvez-vous nous dire combien la location de cet espace coûtera annuellement au budget de la Défense ? Quel sera l'avenir de l'Hôtel de la Marine, après les conclusions de la commission Giscard d'Estaing ?

Le Président de la République est ravi du retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN ; ce n'est pas notre cas. Ce retour devait s'accompagner d'un renforcement de l'Europe de la Défense. Or nous n'avons rien vu venir, sinon un accord bilatéral franco-britannique... Qu'en est-il du fameux état-major européen, auquel les Britanniques sont farouchement opposés, et qui est pourtant indispensable pour construire une politique européenne de la Défense ! Enfin, combien nous a coûté le retour au sein du commandement intégré de l'OTAN en 2011, et combien nous coûtera-t-il en 2012 ?

M. Jacques Gautier. - Je vous remercie de votre présentation, monsieur le ministre, et vous félicite d'avoir su préserver l'essentiel de ce budget.

On annonce la livraison de onze Rafale, alors qu'il en était prévu six. Je sais bien que les exportations stagnant, il faut maintenir les chaînes de production de Dassault, mais je m'étonne de ne trouver aucun crédit pour la rénovation des Mirages 2000D que réclame l'armée de l'air depuis des années et à laquelle nous sommes attachés. Ces avions sortiront du service en 2018, et nous prenons le risque d'une rupture capacitaire si nous n'agissons pas.

Je me félicite de la livraison des cinq premiers avions Casa 235, sur les huit commandés. Je regrette toutefois l'absence de crédits de MCO et notamment de crédits destinés à préparer dans un an l'arrivée du futur A400M, notamment par l'achat de simulateurs de vol pour préparer en avance nos pilotes.

Lors du Comité ministériel d'investissement du 20 juillet 2011, vous avez fait le choix de rentrer dans une négociation avec la société Dassault pour l'acquisition d'un système intermédiaire de drones sur étagère : le Heron TP de l'Israélien IAI. Vous me permettrez de m'étonner que cette décision qui ne privilégie que marginalement un industriel français ne s'inscrive pas dans le cadre d'un appel d'offres, et que vous n'ayez même pas demandé au principal concurrent américain, la société General Atomics, une « letter of request ». Je le regrette et je souhaiterais avoir des éléments sur ce point. Je ne doute pas que mon collègue Daniel Reiner vous interrogera sur le volet technique car nous avons tous pu constater la qualité technique du Reaper par rapport au projet du Héron TP.

Quid du missile de moyenne portée successeur du Milan ? L'armée de terre, qui réclamait de toute urgence des missiles antichar Javelin, n'en a pas tiré un seul ! Ces missiles répondaient-ils à une réelle nécessité, ou à un simple effet de mode ?

Toujours pas de MRTT. Au vu de l'opération Harmattan, je regrette que ce lancement n'ait pas été engagé plus tôt : nous avons une vraie faiblesse en matière de ravitaillement en vol, et sans le soutien américain, nos appareils n'auraient pas pu voler !

Enfin, quels crédits pour la défense anti-missile balistique ? Il faut marquer la volonté gouvernementale en la matière, car il en va de l'autonomie stratégique de notre pays et de la crédibilité de la dissuasion. Il nous semblait souhaitable de voir arriver quelques millions sur les crédits de recherche pour marquer la volonté gouvernementale envers la défense anti-missile balistique.

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. - En réponse à M. Didier Boulaud, je vous informe que la révision du Livre blanc sera précédée de la rédaction, sous l'autorité du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), M. Francis Delon, d'un document actualisant l'analyse de la situation géostratégique actuelle. Cette révision n'est donc toujours pas engagée et elle interviendra au printemps 2012 au moment des élections présidentielle et législatives, ce qui constitue somme toute un calendrier tout à fait normal.

Bien que cet exercice ne relève pas de mon seul ministère mais du SGDSN, structure interministérielle rattachée au Premier ministre, j'exprimerai, lorsqu'on me le demandera, mon avis selon lequel le Parlement doit être très directement associé à ce travail. J'ai bien noté qu'il ressortait de l'expérience de M. Boulaud que la main des participants à la rédaction de ce Livre blanc avait, par le passé, été sans doute trop tenue, alors même qu'à mon sens, la transparence et l'appréhension des mêmes réalités par l'ensemble des parties prenantes constituent au contraire de puissants facteurs de cohésion.

Concernant le site de Balard, les négociations avec la ville de Paris se sont déroulées de façon très claire ; cette dernière a été associée au choix architectural et n'a jamais opposé quelque opposition que ce soit au projet retenu. La compatibilité de ce dernier avec le plan local d'urbanisme (PLU) actuel appelle une clarification sur deux points : la hauteur des trois cheminées destinées à la réfrigération du bâtiment et la réalisation -à la demande de la ville de Paris- d'un espace sous-terrain de stationnement des autobus. Aussi, afin de concilier le calendrier de la révision du PLU et les exigences de délais liées au fait que notre projet est réalisé en partenariat public privé (PPP), j'ai décidé d'engager, parallèlement à la procédure de demande d'un permis de construire de droit commun -suspendu à la révision du PLU-, une autre procédure spécifique aux grands projets d'intérêt national, la « déclaration de projet ».

Quant au coût, il est vrai qu'il peut sembler élevé dans la mesure où le propre des contrats de partenariat public privé est effectivement de porter sur le coût global actualisé de l'opération, qui inclut le coût des travaux, mais aussi les frais financiers pour toute la durée du contrat, soit 27 ans ainsi que les frais d'entretien et de mise en service, cet ensemble représentant généralement, environ trois fois le seul budget de construction. C'est le cas pour Balard puisque sur une redevance annuelle totale de 130 millions d'euros hors taxe- la compensation de la TVA résultant d'un accord avec le ministère du budget-, 45 millions d'euros seront consacrés à l'immobilier, 36 millions aux systèmes d'information et de communication pendant les cinq premières années -ce chiffre s'établissant ensuite à 25 millions-, 29 millions à la redevance de service destinée au fonctionnement quotidien du site -tels que la restauration des 9 000 agents, les services d'accueil, l'entretien du mobilier etc.-, 16 millions seront consacrés à la maintenance de bâtiments, 75 millions au gros entretien et aux réparations. Le fait que les deux tiers du montant total des redevances soient consacrés aux dépenses liées à la vie du bâtiment est une proportion que vous retrouvez dans les équipements dont vous assurez la gestion au sein de vos collectivités territoriales.

S'agissant de l'hôtel de la Marine, je ne suis pas décisionnaire puisque le président de la République a confié une mission de réflexion sur l'avenir de ce site à M. Valéry Giscard d'Estaing. Le plus probable est que l'on aboutira à une solution permettant de valoriser ce bâtiment en lui donnant toute sa place dans la véritable aventure à la fois culturelle et historique que constitue la promenade qui va du Centre Pompidou au Palais de Chaillot en passant par le Louvre et le musée d'Orsay.

Il me semble que le rez-de-chaussée pourrait devenir un lieu d'expositions ouvertes au public et que la galerie d'honneur située au premier étage devrait pouvoir accueillir des manifestations d'intérêt national ou international que les pouvoirs publics seraient amenés à organiser. Quant aux bureaux, ils ont vocation à être loués, pare exemple à des institutions voisines qui en ont exprimé le souhait, la Cour des comptes et le musée du Louvre. Cette location est la seule partie de l'opération qui soit génératrice de recettes, ce qui est la préoccupation directe de mon ministère. Mais encore faut-il que tout cela n'exige pas de travaux extrêmement coûteux de réaménagement.

A propos de votre question sur la place de la France dans l'OTAN, question éminemment politique, je tiens à souligner que la réintégration de notre pays lui a permis de jouer un rôle considérable à la fois vis-à-vis du conseil des ministres de l'organisation et de l'Union européenne lorsqu'il s'est agi de décider d'intervenir en Libye. Nous sommes désormais considérés pour ce que nous sommes véritablement : une grande puissance militaire qui a le courage de son indépendance politique. Certains de nos partenaires disposent d'une voix forte mais qui n'est pas aussi libre que la nôtre. D'autres à l'inverse ont une voix libre mais qui n'est pas toujours assez forte. La France, quant à elle, a pu faire porter dans la région sa voix, à la fois libre et forte.

J'ajoute que, sur le plan technique aussi, la coopération avec nos partenaires s'est bien déroulée. Un rapport établi conjointement avec les Britanniques sera rendu dans quelques semaines et il reviendra sur ces opérations avec leurs satisfactions et leurs déceptions.

S'agissant du quartier général d'opérations militaires (OHQ), vous avez raison de dire que le Royaume-Uni n'en veut pas. Mais, tout comme nous, les Britanniques souhaitent que les Européens puissent intervenir quand leurs intérêts sont en jeu, sans devoir obtenir le nihil obstat des Etats-Unis qui demeurent le premier contributeur de l'organisation et sans la coopération desquels toute opération est difficile. Il est donc nécessaire que les Britanniques évoluent sur la nécessité de travailler à des actions de planification dans un cadre plus large que la seule coopération bilatérale avec nous. D'ailleurs, je constate qu'à titre personnel mon homologue britannique a invité le ministre de la défense italien à l'accompagner en Libye afin d'obtenir le soutien de Rome dans la reconstruction du pays.

S'agissant enfin du coût de notre participation à l'OTAN, il sera de 78 millions d'euros par an, hors budget opérationnel, dont 49 millions consacrés aux dépenses de personnel et 30 millions de participation aux dépenses de fonctionnement et d'investissement de l'organisation, à l'issue de notre montée en puissance.

En réponse à M. Jacques Gautier, je confirme que le budget proposé pour 2012 est effectivement un budget maintenu et non augmenté.

Je confirme aussi notre commande portant sur onze Rafale est liée au fait que cet appareil n'a pas encore trouvé de marché à l'exportation. J'ajouterai toutefois qu'en Libye il a fait la démonstration de sa polyvalence, remplissant à la fois des missions de reconnaissance, de combat aérien et d'attaque au sol, là où d'autres armées avaient besoin d'un avion différent pour chacune de ses fonctions.

En ce qui concerne le coût de la rénovation des Mirages 2000-D, les options sont en cours d'analyse afin de nous permettre de prendre notre décision. Mais comme vous l'avez rappelé, l'objectif est un lancement de réalisation en 2013 pour une livraison à partir de 2018 ; notre objectif est de ne pas dépenser trop pour cette opération dont nous arrêterons le périmètre mi-2012.

Quant aux Casa, ils permettent effectivement de suppléer l'absence de l'A400 M à la plus grande satisfaction de nos parachutistes, ce qui constitue - soit dit en passant- un petit risque pour Airbus Military. Le projet A 400M demeure, à ce jour, confronté à deux difficultés. La première est en voie de résolution et concerne le moteur, du fait de la très grande vitesse de rotation des turbines de l'A400M, entre autres, grâce auxquelles cet appareil s'annonce comme un véritable bijou capable de performances encore jamais vues. La seconde difficulté concerne la négociation du contrat de soutien pour lesquels les prix envisagés par les industriels ne sont absolument pas raisonnables. Je voudrai leur redire que le fait d'être un industriel français ne justifie nullement de pouvoir prendre le ministère de la Défense pour une vache à lait. A ceci s'ajoute le fait qu'ils devraient faire preuve de davantage de vigilance quant au respect du calendrier, la France étant directement concernée par cette question puisque nous sommes le premier pays livré en A400 M, en 2013.

A propos des drones, j'ai effectivement fait jouer la préférence nationale et je n'en ai pas honte.

M. Jacques Gautier. - L'offre de Dassault n'est pas une offre nationale, c'est une offre israélienne.

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. - Dassault ayant su renouer une coopération avec son partenaire israélien autour de ce projet, il était important pour moi que notre industrie demeure présente dans cette filière quand bien même cette solution devrait être plus coûteuse que si nous avions eu recours au Reaper proposé par General Atomics, son concurrent américain.

Nous sommes parfois partagés entre une logique d'utilisateur, d'abord soucieux du coût et de la disponibilité des matériels, et une logique plus industrielle, sensible à la nécessité de conserver une industrie de défense nationale. En l'occurrence, j'ai fait primer la seconde. C'est un choix politique que j'assume complètement. Je suis libéral mais nous sommes là dans un domaine où, lorsque l'on perd la main, on ne la reprend plus. Ceci étant, la DGA est mobilisée pour suivre de très près le volet financier de ce projet afin de bien s'assurer que la défense de notre présence dans la filière ne signifie nullement que le contribuable français soit, sur cette affaire, excessivement mis à contribution.

Concernant les missiles de moyenne portée, ils seront assurés par le prolongement du parc de missiles Milan jusqu'en 2016 et par l'acquisition de postes de tir Javelin. Certes, ceux ci-ci n'ont pas été utilisés à ce jour mais cela tient au fait qu'ils n'ont été déployés qu'en juin 2011, en pleine saison de la feuillaison en Afghanistan. Cela dit, les combats en Afghanistan ne sont pas terminés et il est encore possible que nous ayons à faire usage de ces équipements. Notre stratégie d'acquisition de missiles moyenne portée sera, comme pour la rénovation des Mirages 2000-D, arrêtée en 2012 en prenant en compte, le cas échant, l'expérience de l'utilisation des Javelin en Afghanistan.

Quant à l'Airbus A330 MRRT, je ne peux pas dire autre chose que vous. Nous aimerions pouvoir en disposer le plus vite possible mais nous n'en avons pas les moyens à cet instant.

A propos de la défense antimissile balistique (DAMB), je dois souligner que notre objectif est de faire reconnaître l'existence en Europe d'une industrie de défense à part entière, à côté de celle des Etats-Unis. Ces derniers doivent comprendre que, si l'on veut aller plus loin, il faut que chacun y trouve la place que ses compétences lui permettent d'occuper, comme par exemple, en ce qui nous concerne, en matière de missiles intercepteurs ou de systèmes satellitaires. Nous devons être considérés comme de véritables partenaires. Nous devons en outre veiller d'une part, à assurer la comptabilité de ce processus avec notre stratégie de dissuasion et d'autre part, à éviter que la DAMB n'aboutisse à créer un fossé entre la Russie et nous. La question essentielle est de savoir quelle est la véritable menace dont la DAMB peut nous protéger.

M. Christian Poncelet. - Monsieur le ministre, merci d'avoir répondu aussi rapidement à l'invitation du nouveau président de notre commission. Serait-il possible de connaître le coût de notre intervention en Libye ?

Je saisis cette occasion pour rendre hommage aux soldats qui combattent sur les théâtres extérieurs pour la liberté des peuples opprimés, mais je constate que ces efforts ne sont pas toujours couronnés de succès. Lorsque nous apprenons par exemple que le gouvernement égyptien a donné l'ordre de tirer sur des chrétiens coptes qui manifestaient, qu'il rouvre sa frontière avec Gaza -avec tous les risques de trafics que cela implique- ou bien qu'il a décidé de rappeler son ambassadeur en Israël, et lorsque nous constatons que les exilés de Tunisie, parmi lesquels les musulmans les plus radicaux, rentrent à Tunis avec l'intention d'y exercer leur influence, cela devrait nous inciter à être plus vigilants quant aux risques de toute ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, même si elle est motivée par l'espoir d'y faciliter l'installation de la démocratie.

M. Daniel Reiner. - Je voudrais tout d'abord vous donner acte, Monsieur le ministre, du fait que votre projet de budget demeure dans l'épure de la loi de programmation militaire, et je vous remercie notamment d'avoir listé l'ensemble des livraisons d'avions attendues mais, peut être est-ce involontaire de votre part, vous avez omis de mentionner la livraison de deux avions à usage gouvernemental Falcon 2000X, et la commande de deux autres qui étaient, eux aussi, prévus par la loi de programmation.

N'oublions pas toutefois que le budget est une chose et que son exécution en est une autre, surtout lorsque celle-ci repose sur l'hypothèse de recettes exceptionnelles.

Le premier sujet particulier que je souhaiterais aborder est la DAMB, à propos de laquelle je suis en désaccord avec vous. En effet, je pense que la France ne devrait plus se poser la question de la DAMB puisque le Président de la République est allé au sommet de Lisbonne à l'automne 2010, -d'ailleurs sans nous avoir réellement beaucoup avertis- accepter que l'OTAN inscrive dans son nouveau concept stratégique la mission de protection contre la menace balistique non plus seulement des théâtres d'opération mais de l'ensemble des territoires des pays membres. La question de savoir si cela est compatible ou non avec la dissuasion ne devrait plus se poser. On ne peut pas accepter un concept, y participer et ensuite reculer devant l'obstacle. Il ne semble pas cohérent de s'être engagé dans cette démarche sans être en mesure de prendre des initiatives au moins en matière d'études technologiques, susceptibles d'être suivies par nos partenaires. Or, je constate que des crédits d'études n'ont pas été mobilisés à cette fin, ce qui augmente le risque que les Etats-Unis seuls soient en mesure d'avancer et d'imposer leurs solutions et d'en rendre dépendants les autres pays participants. Je crains par exemple que la réunion organisée en 2012 à Chicago ne soit l'occasion de constater que les Américains ou d'autres partenaires auront avancé et que la France sera à la traîne. Si nous ne faisons rien, la DAMB sera purement américaine et donc nous serons des vassaux en la matière. Nous ne pouvons pas accepter de l'être, parce qu'en plus nous avons des industriels de qualité qui nous permettent d'être présents. Nous avons fait un certain nombre de propositions qui méritent, me semble-t-il, d'être étudiées et qui méritent de voir des crédits d'études amonts inscrits dès maintenant.

Le second sujet que je souhaitais évoquer concerne les drones. Depuis que vous avez pris vos fonctions, s'il est une décision qui vous est directement imputable, c'est bien celle du CMI de juillet dernier d'être entré en négociation exclusive avec Dassault pour la production de drones MALE (moyenne altitude longue endurance). Cette question des drones est lancinante depuis quinze ans. La France, alors qu'elle a tous les moyens industriels de bien faire, est complètement passée à côté du développement de ce type d'appareils, dont l'utilité a encore été confirmée en Libye, alors qu'elle disposait pourtant de tous les atouts pour y parvenir. Pour notre part, nous avions proposé de distinguer la réponse à l'urgence opérationnelle de la recherche de solutions de moyen terme. Dans la mesure où ces dernières sont définies dans le cadre du traité franco-britannique, restait donc à régler la question de la fourniture des drones en urgence. Et quand on parle d'urgence ça veut dire tout de suite, pas dans trois ans. Or, vous avez fait un choix qui, militairement, ne répond pas à l'urgence. Le choix que vous avez fait est de rentrer en négociation exclusive avec l'entreprise Dassault sur la plateforme Heron TP développée par la société israélienne IAI, qui a développé le Hunter et le Harfang, lesquels ont été fort longs à mettre en oeuvre et n'ont pas donné totale satisfaction.

M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. - C'est injuste.

M. Daniel Reiner. - C'est un peu injuste, mais il vaut mieux dire les choses clairement. Vous avez évoqué tout à l'heure le suivi, le MCO. Nous avons eu un Harfang en réparation chez IAI pendant plus d'un an. Il n'y avait pas moyen de le réparer et donc on n'en disposait plus.

Vous avez fait ce choix donc et tous ces appareils ne seront disponibles que dans deux ou trois ans, car, aujourd'hui, à la différence de leurs concurrents américains dont les performances ont été éprouvées. On s'interroge sur le caractère opérationnel de ces quelques appareils.

Deuxièmement vous dites faire le choix de la souveraineté nationale, pour ouvrir enfin une filière industrielle avec Dassault avec quinze ans de retard. Malheureusement sur ce produit, Dassault ne fera à peu près rien. C'est l'entreprise israélienne IAI qui fait tout et donc je ne vois pas comment Dassault va profiter de cette expérience en vue du futur drone franco-britannique annoncé avec BAE. Donc industriellement et politiquement je ne vois pas l'intérêt de la chose.

J'ajoute que, financièrement, c'est une catastrophe. Nous avons très peu d'argent. Nous le savons. Il nous faut donc l'utiliser au mieux. Or clairement, d'après les renseignements que nous avons obtenus, les chiffres paraissent clairs : le coût de votre choix sera significativement supérieur avec le même nombre de produits (avions, stations au sol), à celle des appareils de General Atomics. Payer plus sans franciser quoi que ce soit, c'est-à-dire uniquement avec du matériel israélien, alors qu'on aurait pu avoir l'équivalent qui fonctionne déjà par ailleurs, et qu'utilisent la plupart de nos alliés, ce n'est pas un choix raisonnable du point de vue économique.

En conclusion, la solution retenue n'est militairement pas disponible, financièrement beaucoup trop chère et économiquement ne permet pas de préserver l'avenir. Tout le monde est d'accord pour qu'à terme nous ayons une filière drone en France.

Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que ce choix avait été fondé sur une étude minutieuse réalisée par la DGA et que cette étude avait suggéré ce choix. Aussi, je vous demande, pour compléter l'information de cette commission, de bien vouloir lui communiquer cette étude ainsi que tous les éléments qui ont été pris en compte par elle.

M. Xavier Pintat. - Merci, monsieur le ministre, pour la grande clarté de votre exposé. Je me réjouis moi aussi que le projet de budget soit en ligne avec la loi de programmation militaire dans le contexte difficile de la crise actuelle.

Ma première question porte d'ailleurs sur les recettes exceptionnelles attendues et, en particulier, sur celles tirées de la vente des fréquences hertziennes. Les 900 millions d'euros prévus pour 2012 ne risquent-ils pas d'être, d'une part, fragilisés par les recours qui ont été formés contre le processus d'attribution de ces fréquences et, d'autre part, grevés par la diminution des recettes liée à la nécessaire acquisition de nouvelles fréquences pour le Félin ?

Ma seconde question sera, elle aussi, marquée par des préoccupations financières. J'ai entendu les interventions de mes collègues à propos de l'achat des drones et je ne suis pas loin de partager leur opinion. Mais, au-delà de ce seul exemple et au-delà même du projet franco-britannique en la matière à l'horizon 2020, ne devrait-on pas aller beaucoup plus loin dans la recherche systématique de coopération avec nos partenaires européens ?

Je terminerai en abordant la question de la défense anti-missiles sur laquelle MM. Daniel Reiner, Jacques Gautier et moi même avons rendu un rapport. Ce rapport est une aide à la décision qui insiste, au-delà des dimensions strictement militaires et économiques, sur l'importance de ce sujet en termes stratégiques, notamment par rapport à notre stratégie d'alliances.

M. Gérard Longuet. - Pour répondre à la question de M. Christian Poncelet, le coût global de notre intervention en Libye est compris entre 300 et 350 millions d'euros au 30 septembre.

Par ailleurs, je rassurerai M. Xavier Pintat sur le fait que les 900 millions de recettes attendus des attributions de fréquences correspondent bien à des recettes nettes, c'est-à-dire après prise en compte du coût de réaménagement du spectre.

Pour répondre aux préoccupations exprimées notamment par MM. Xavier Pintat et Daniel Reiner à propos des drones, je souhaiterais rappeler deux points essentiels. D'une part, le Heron TP devrait être livré en 2014, soit moins d'un an après la date de disponibilité des Reaper de General Atomics. D'autre part, le prix du Heron TP n'est pas le triple de celui du Reaper, son coût total de possession jusqu'en 2020 est supérieur d'un peu moins de 40 % tout en permettant de financer la construction d'une filière française de fabrication des drones.

M. Jacques Gautier. - Comment peut-on en être certain dans la mesure où l'on n'a pas demandé à General Atomics, par le biais d'une letter of request, de faire une contre-proposition sur la base des mêmes éléments que ceux de l'offre de Dassault-IAI ?

M. Gérard Longuet. - Certes, nous n'avons pas sollicité General Atomics formellement mais, croyez-moi, le monde de l'industrie de l'armement n'étant pas si vaste, ils ont trouvé les moyens de faire entendre leurs arguments. Quant au rôle des industriels français, dans le projet, il est loin d'être négligeable, puisque les systèmes de communication seront développés par Dassault Aviation et par Thalès, dont il est actionnaire. Une dizaine d'entreprises françaises seront aussi associées à ce projet et je me réjouis de la mise en place de ce type de coopération entre nos industriels.

Je répondrai à la remarque de Xavier Pintat sur une plus grande mutualisation des moyens avec nos partenaires européens que celle-ci est, hélas, souvent un voeu pieux. Il est difficile de trouver des pays qui, comme nous, disposent à la fois d'une industrie, d'une ambition et de suffisamment de liberté pour s'engager utilement dans des actions de coopération industrielle. La plupart du temps, force est de constater que les demandeurs de mutualisation n'ont en fait que peu de choses à apporter, d'où la rareté des mutualisations réussies, même s'il existe des contre-exemples comme la réalisation de l'avion de transport Casa ou le projet engagé par Dassault et BAE à l'horizon 2020.

Concernant l'évolution de la situation en Libye, des décisions politiques devront être prises par le conseil des ministres de l'OTAN. Il apparaît d'ores et déjà que la capture du colonel Kadhafi ne devrait pas être considérée comme une condition de l'arrêt des opérations. En revanche, la prise de Syrte pourrait, dans la mesure où elle signifierait la fin des combats, ouvrir de façon décisive la voie vers la fin des opérations de protection des populations.

En réponse aux propos de M. Daniel Reiner sur la DAMB, permettez-moi de redire qu'à mon sens, Lisbonne n'est pas un chèque en blanc. Certes, la DAMB trace un parcours vers l'extension à nos populations de la protection aujourd'hui applicables aux théâtres d'opération. Mais encore faut-il définir quelle place sera faite à la contribution des différents partenaires à chaque étape de ce parcours. C'est ainsi que nous avons demandé à pouvoir participer au système d'alerte avancée afin que nos souhaits dans ce domaine puissent être pris en compte, ce qui n'est aujourd'hui pas le cas.

De même nous avons proposé de mettre au profit de la DAMB les systèmes de détection des menaces balistiques que nous avons développés.

Autre exemple, la DGA a lancé un programme d'études en matière de C2 (contrôle et commandement) destiné à être mis au profit de nos partenaires.

Le fait que j'ai commencé par évoquer la dimension stratégique de la DAMB ne signifie donc nullement que nous ne puissions pas y être présents au plan industriel. Il est même absolument essentiel de faire comprendre aux Etats-Unis qu'ils trouveront en Europe des partenaires industriels à part entière, c'est-à-dire tout autre chose que les simples bénéficiaires occasionnels d'une sous-traitance aléatoire.

M. Jean-Pierre Chevènement. - Le projet de loi de finances est certes conforme à la loi de programmation militaire, mais la crise financière demeure la grande absente de ce budget alors qu'elle est déjà là et qu'elle est, plus encore, devant nous.

Pourriez-vous nous indiquer comment les évolutions stratégiques, telles que le retrait d'Afghanistan à l'horizon 2014, seront prises en compte dans le cadre de la révision de la loi de programmation militaire qui sera engagée en 2012, en particulier en matière de choix et de financement des équipements. On voit bien, par exemple, que la perspective du retrait américain de ce pays comme de l'Irak devrait avoir pour effet un remplacement progressif des opérations terrestres par des actions à distance de type aérien. A-t-on évalué les conséquences de cette nouvelle donne, notamment au plan de la gestion de nos propres ressources ?

S'agissant de Libye, je crois qu'il faut savoir terminer une guerre. Mais c'est loin d'être facile et requiert nécessairement un accord politique. Je souhaiterais savoir si nous disposons de moyens de pression sur le CNT, tant la stabilité de l'ensemble du continent africain constitue pour nous un enjeu géostratégique tout à fait majeur.

Enfin, s'agissant de la DAMB, j'estime, à la différence de nos collègues Reiner et Pintat, qu'elle ne constitue qu'une protection illusoire à la fois aux plans stratégique, militaire et financier. Je considère en outre qu'elle est contradictoire avec notre stratégie de dissuasion nucléaire. Dans cette affaire, n'allons pas plus vite que la musique.

M. Jacques Berthou. - Plusieurs de nos collègues ont rappelé l'importance des questions touchant au matériel militaire, dont on sait l'importance pour notre industrie. Mais hélas, force est de constater que nous perdons des parts de marché et que, lorsque nous exportons c'est avec le risque de devoir procéder à d'importants transferts de technologie, comme cela est, par exemple, envisagé pour le Rafale. Pour préserver son rayonnement, l'industrie française doit donc conserver une longueur d'avance, ce qui impose que notre effort d'innovation soit maintenu dans la durée. Or, si le budget 2012 prévoit de consacrer 3,5 milliards d'euros à la recherche et développement en la matière, c'est en prenant en compte des recettes exceptionnelles. Mais qu'en sera-t-il au-delà ? Ne serait-il pas nécessaire de fixer une sorte de « règle d'or » consistant à garantir dans le temps le niveau de ces dépenses ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Monsieur le ministre, je vous avais interrogé sur l'opportunité de nommer des attachés de défense dans des pays qui, comme c'est le cas du Pérou, souhaitent diversifier leur partenariat au-delà de leur relation spécifique avec les Etats-Unis. Mais j'ai appris que le Gouvernement souhaitait diminuer le nombre de postes d'attachés de défense. Est-ce bien le cas, alors même que ceux-ci peuvent constituer de véritables atouts pour le développement à l'exportation de notre industrie de défense ?

M. Gérard Longuet. - En réponse à M. Jean-Pierre Chevènement, j'indiquerai qu'effectivement la crise financière est une absente de ce budget. L'on peut imaginer que ses conséquences ne manqueront pas d'être prises en compte à l'occasion de la révision du Livre blanc. De même, il est clair que l'évolution de la situation géostratégique influera sur nos choix en matière d'équipements car le choix des armes dépend évidemment des types d'ennemis que l'on se reconnaît, et, contre les engins explosifs improvisés, pour l'instant nous nous contenterons d'acquérir de l'expérience.

Concernant l'Afghanistan, je rappellerai que l'année 2014 sera celle de la fin de la transition, c'est-à-dire celle du transfert des responsabilités à l'armée nationale afghane. Mais au-delà de cette échéance, il nous revient d'adresser un message politique à construire de soutien durable à ceux qui, dans ce pays, ont soutenu l'émergence d'un Etat de droit. Je serais choqué qu'en 2014, après leur avoir donné les moyens de se constituer une armée, nous les laissions seuls. Si l'on considère que l'Afghanistan mérite d'être soutenu, il faut en tirer les conséquences et assumer le fait qu'il a besoin d'une armée sans rapport avec sa richesse économique. Bien entendu, ces choix pèseront sur la révision du Livre blanc.

En Libye, je rappelle que l'opération n'a été rendue possible que par la conjonction de deux éléments : d'une part, l'absence de veto russe ou chinois à l'ONU et d'autre part, le fait que, dès le début, le CNT a été très clair en acceptant une action de protection des populations excluant toute présence militaire au sol.

Enfin, monsieur Chevènement, je partage votre analyse quant à la DAMB.

Je ne peux que dire à M. Jacques Berthou que je partage mille fois son avis sur la nécessité d'un maintien de l'effort de recherche et développement à long terme, notamment en faveur des démonstrateurs technologiques.

Enfin, concernant la question de Mme Joëlle Garriaud-Maylam, je précise que nous venons de nommer un attaché de défense en Macédoine. Pour le reste, nous procédons, il est vrai, à une rationalisation de la carte des attachés de défense, rationalisation qui passe notamment par le « jumelage » de certains postes situés dans des pays voisins. S'agissant du cas particulier du Pérou, vous avez raison et nous devrions pouvoir apporter une réponse, sachant qu'une mutualisation européenne n'est pas envisageable, compte tenu de la concurrence qui existe entre nos industries.

Mercredi 12 octobre 2011

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Loi de finances pour 2012 - Mission Défense - Audition de l'Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des Armées

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission auditionne l'Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des Armées, sur le projet de loi de finances pour 2012 (mission Défense).

M. Jean-Louis Carrère, président - Amiral, soyez le bienvenu parmi nous pour cette audition dont l'objet est d'éclairer la représentation nationale sur les choix budgétaires du projet de loi de finances pour 2012.

Nous avons désigné hier nos rapporteurs pour avis en reconduisant le principe des binômes majorité-opposition qui reflète l'état d'esprit qui préside aux travaux de notre commission. Nous avons également auditionné le ministre de la défense qui nous a apporté une vision globale du budget de son département.

En votre qualité de responsable budgétaire, vous êtes directement en charge du programme 178 « préparation et emploi des forces », et vous êtes coresponsable, avec M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, du programme 146 « équipement des forces ». Ensemble, ces deux programmes représentent 90 % de l'effort de défense de notre pays.

Nous souhaiterions donc que vous donniez votre sentiment sur l'évolution de ces deux programmes, et des choix qu'ils reflètent, notamment concernant les réformes structurelles qui affectent les forces armées depuis maintenant près de quatre ans, je pense en particulier aux bases de défense.

Nous souhaiterions également que vous nous fassiez part de vos réflexions sur l'évolution des choix capacitaires effectués et à venir. Je pense à l'emploi des drones armés dont il n'était pas question il y a cinq ans, et qui semblent désormais s'imposer comme une évidence à l'issue d'opérations telle que celle que nos forces ont eu à mener en Libye.

Précisément, vos responsabilités en votre qualité de chef d'état-major des armées concernent aussi et avant tout l'engagement de nos forces. Sortant un peu du strict cadre budgétaire, nous souhaiterions donc que vous nous fassiez un point de situation sur les différentes opérations en cours et leurs perspectives d'évolution.

Nous aurons à revenir de manière plus approfondie sur les conditions de notre engagement en Afghanistan. Comme vous le savez, notre commission a effectué une mission dans ce pays en juin dernier et un compte rendu détaillé en a été fait. Les conditions de la transition nous préoccupent. L'assassinat de l'ancien président Rabbani semble sonner le glas du processus de réconciliation. La diminution du nombre de nos troupes sur le terrain ne risque-t-elle pas de se traduire par une perte de cohérence et des risques accrus pour nos soldats ? Les instructions données à nos troupes de mieux cibler leurs sorties et de mieux hiérarchiser et clarifier leurs objectifs ne risquent-elles pas de nous mettre en délicatesse avec le commandement de la FIAS ? Ce sont des questions difficiles et leurs réponses le sont également mais elles ne sont que le reflet de notre vive attention sur cette opération en particulier.

Monsieur le chef d'état major, je vous passe la parole.

Amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des Armées - Avant d'aborder le vif du sujet, à savoir le PLF 2012, je vous propose en guise de préambule :

- deux chiffres, une leçon tirée de l'année opérationnelle particulièrement chargée que nous venons de vivre et une observation sur notre histoire militaire.

Les deux chiffres sont extraits du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute). Si, en tactique, un schéma vaut mieux qu'un long discours, en géopolitique, les chiffres valent sans doute mieux que de longs développements. Je sais qu'ils sont sujets à polémique ; ils sont néanmoins révélateurs de tendances.

1er chiffre : entre 2001 et 2010, l'augmentation des dépenses militaires mondiales est de + 50 % : + 80 % pour les Etats-Unis d'Amérique, mais je relève que le Canada a également accru ses dépenses, à 2 % de son PIB, + 70 % pour l'Asie de l'Est, principalement tirée par la Chine, mais seulement + 4 % pour l'Europe de l'Ouest.

2ème chiffre : sur la même période, la part des dépenses militaires de l'Europe de l'Ouest est passée en 2001 de 29 % des dépenses mondiales à 20 % en 2011.

L'Europe désarme, le monde réarme ! Ce n'est pas une nouveauté. Cette tendance, si elle devait se confirmer, serait lourde de conséquences pour l'avenir de l'Europe en termes de puissance globale, capable de peser dans les affaires du monde.

La leçon que je tire de cette année opérationnelle, particulièrement dense pour les armées, est que l'outil de défense ne peut pas se concevoir comme un potentiel en devenir. Il est ou il n'est pas. On peut l'engager ou non. Le maintien des capacités opérationnelles adaptées aux menaces est une exigence permanente.

Enfin, pour clore ce court préambule, une petite observation que nous enseigne l'Histoire: la guerre vient toujours trop tôt ! Elle surprend. Et lorsque l'on commence à connaître les contours essentiels de la guerre à venir, il est souvent trop tard. Il est trop tard pour reconstruire un outil adapté aux menaces.

Entre Sadowa (1866) et Sedan (1870) : 4 ans

Entre l'affaire de Tanger (1905) et la Marne (1914) : 9 ans

Entre la remilitarisation de la Rhénanie (1936) et l'invasion de la Pologne (1939) : 3 ans

Fournir à nos forces les hommes et les matériels les mieux adaptés aux engagements futurs tout en préservant l'outil de défense d'aujourd'hui est une nécessité. Il s'agit toujours de combiner la vision du long terme avec les exigences et la réactivité du court terme. Le temps d'un programme d'armement n'est pas le temps d'une annualité budgétaire ou même d'une LPM. Je l'ai déjà dit en ces lieux. Il s'écoule en moyenne 15 ans entre un projet et la réalisation du programme, destiné à durer lui-même une quarantaine d'années, avant une phase de démantèlement d'environ 5 ans. Cela devrait être une évidence, mais en ces temps de crises financières, la Nation doit prendre conscience que le maintien de l'effort de défense doit rester une priorité.

L'année 2010-2011 est à cet égard instructive. Au cours de cette année, les armées françaises ont été particulièrement sollicitées. Nous avons conduit plusieurs opérations majeures, simultanément et avec succès, que ce soit sur le territoire national, en Côte d'Ivoire, en Libye, au Liban, au Kosovo, dans l'océan Indien, dans le Sahel et toujours en Afghanistan ... autant de théâtres d'engagement où nos soldats portent la voix de la France et payent de leur sang notre engagement.

Sans revenir dans le détail sur l'ensemble de ces opérations - qui ne sont pas le sujet du jour - je souhaite néanmoins apporter un éclairage complémentaire et actualisé sur deux théâtres majeurs : l'Afghanistan et la Libye.

L'Afghanistan : cette année a été éprouvante pour nos forces déployées. Les pertes ont été importantes, c'est vrai, et 23 de nos soldats ont donné leur vie pour notre pays depuis le début de cette année. Je souligne que ces hommes ne doivent pas être considérés comme des victimes, mais comme des soldats en mission. Je voudrais remettre en perspective notre engagement en Afghanistan et ne pas le réduire au seul décompte de nos pertes:

- 10 ans après le début de cet engagement, le temps est maintenant au transfert des responsabilités de sécurité aux Afghans. Il n'y a là rien de surprenant et rien de prématuré.

- depuis que l'OTAN a pris le commandement de cette opération, ses plans prévoient une phase 4 de transfert aux Afghans. C'est ce que nous allons commencer dès 2011.

La France a commencé à transférer, en août 2009, la responsabilité de la sécurité de Kaboul à l'Armée nationale afghane (ANA), avec de bons résultats.

Pour couper court à certains commentaires, je crois qu'il faut rappeler qu'il y a aujourd'hui plus de 300 000 soldats et policiers afghans alors qu'ils étaient 10 fois moins nombreux, il y a 5 ans. Ce qui est vrai pour l'Afghanistan est vrai pour la zone française en Kapisa : 600 soldats et policiers locaux en 2009, et plus de 3 300 aujourd'hui. Je rappelle à ce sujet qu'un millier de sous officiers sont formés par la France aux Emirats Arabes Unis (EAU) chaque année. A mon sens, ces chiffres illustrent la réalité et le succès, dans le domaine militaire, des opérations de l'OTAN. Il n'a jamais été question de battre les insurgés ni de transformer l'Afghanistan en havre de paix.

Nos objectifs ont toujours été :

- Ne pas laisser Al Qaeda planifier des opérations terroristes en toute impunité à partir de l'Afghanistan. Et c'est essentiellement le rôle des forces spéciales. On peut considérer que cet objectif est en passe d'être atteint avec la neutralisation de Ben Laden, de Zawirah et d'autres chefs liés à Al Qaeda.

- Former des forces de sécurité afghanes suffisantes en nombre, autonomes pour assurer seules la sécurité de l'Afghanistan.

- En même temps, contenir l'insurrection, la réduire à un niveau suffisant pour qu'elle puisse être prise en compte par l'armée et la police afghanes, d'abord avec notre appui, puis seules.

Nous avons rempli notre part de la feuille de route internationale, c'est maintenant aux Afghans de prendre le relais.

Aujourd'hui, notre intention est de placer davantage les Afghans en situation de responsabilité. L'ANA aura la charge de la planification et de la conduite des opérations, comme la semaine dernière dans la vallée de Surobi, avec un bataillon central afghan et des soutiens français. Ceci était impensable il y a seulement 10 mois.

Nous allons basculer progressivement des missions de contrôle de zone vers des missions d'appui et de soutien des forces afghanes. Cela nous permettra aussi de réduire notre vulnérabilité.

Dans ce contexte, et à l'instar du transfert réussi de la responsabilité de Kaboul en 2009 aux forces de sécurité afghanes, la transition doit commencer en Surobi. La choura tenue cette semaine dans cette vallée nous a permis de constater la confiance de la population envers l'ANA.

Aussi, et conformément aux récentes décisions politiques d'un retrait concerté avec la coalition, nous pouvons planifier aujourd'hui le désengagement d'un quart de notre contingent entre novembre 2011 et la fin de l'année 2012, qui passera de 4 000 hommes à 3 000. Cela commencera par une compagnie et ses appuis, 200 hommes, qui rentreront définitivement d'Afghanistan en octobre 2011. Nos effectifs seront réduits d'une nouvelle tranche de 200 hommes d'ici la fin de l'année, en concertation avec la coalition, puis encore en mars 2012. Le reste des départs s'échelonnera au cours du deuxième semestre 2012.

J'en viens à l'opération Harmattan en Libye. La France a été, avec le Royaume-Uni, le moteur politique et l'un des moteurs militaires de la coalition, sans oublier le soutien indispensable de nos partenaires américains qui ont fourni des capacités critiques. Notre implication politique conjuguée à notre engagement militaire nous a permis de peser sur la définition de la stratégie de l'opération « Unified Protector », et d'avoir un effet d'entraînement sur l'OTAN et sur les membres de la coalition autour d'une vision française.

La coalition que nous avons entraînée avec les Britanniques - et avec le soutien américain- a permis d'abord de faire cesser les exactions des forces de Kadhafi contre les Libyens à Benghazi et à Misratah, ensuite et c'est encore le cas maintenant, de poursuivre la neutralisation de cet outil militaire jusqu'à sa reddition.

Des charniers, découverts en différents endroits, ont montré que les menaces proférées par Kadhafi étaient réelles.

Les armées ont participé à tous les volets de cette opération : de l'embargo, l'interdiction de survol du territoire libyen, à la protection des populations. La poche côtière de Syrte, tenue essentiellement par des mercenaires venus des pays du Sahel, devrait bientôt tomber.

De façon inédite et sans préavis, nous avons engagé toutes les composantes de nos armées : jusqu'à plus de 40 aéronefs, 20 hélicoptères et une dizaine de bâtiments de combat et de soutien, dont le Groupe aéronaval, et un bâtiment de projection et de commandement (BPC), avec un groupe aéromobile. Au total, 25 bâtiments se sont succédé pendant 7 mois pour assurer la permanence des opérations maritimes.

Les avions de l'armée de l'air et de la Marine ont réalisé environ 4 500 sorties, soit 21 000 heures de vol, représentant 25 % de toutes les sorties de la coalition, comprenant les vols de ravitailleurs, 35 % des missions offensives, 20 % des frappes avec plus de 750 objectifs détruits.

De son côté, le groupe aéromobile, armé par les hélicoptères de l'ALAT, a conduit une trentaine de raids et détruit 550 objectifs, soit 90 % des frappes de la coalition réalisées par les hélicoptères, français auxquels il faut ajouter les 5 hélicoptères de combat Apache britanniques. Nos bâtiments ont effectué de nombreux tirs contre terre en complément de l'action de nos avions ou de nos hélicoptères.

La réduction de Bani-Walid, l'autre abcès de fixation, sera sans doute plus longue, après la chute de Syrte. Mais, d'ores et déjà, nos forces ont réduits le nombre de leurs tirs, faute de cibles. Un début de réduction de notre dispositif a été décidé ce matin même par le Président de la République.

Sans excès d'autosatisfaction, je pense que peu de pays sont capables et ont la volonté de faire ce que nous avons fait simultanément : en Libye, en Côte d'Ivoire, au Japon -où nos avions ont évacué nos ressortissants vers la Corée- et sur le territoire national avec notamment la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane, qui mobilise en moyenne 370 hommes par jour en permanence.

Sur ces engagements opérationnels, je ferai trois remarques :

1ère remarque : la réactivité de notre chaîne décisionnelle est un véritable atout dans la gestion de crise. Elle repose sur une forme d'équilibre que peu de démocraties, me semble-t-il, ont trouvé. Celui qui donne au Président de la République, chef des armées, une large capacité d'action face à la crise, tout en renforçant le contrôle parlementaire de nos engagements extérieurs, comme en témoigne le rythme de mes auditions par les commissions parlementaires.

Sans cet équilibre, sans la décision du chef des armées le 19 mars d'engager nos moyens aériens, les chars de Kadhafi seraient rentrés dans Benghazi. L'histoire se serait écrite de façon différente, peut-être comme en Syrie, où l'on déplore aujourd'hui plusieurs milliers de morts.

2ème remarque : aucune armée, air, terre ou marine, ne détient seule la capacité de régler une crise. C'est bien leur complémentarité, la combinaison de leurs moyens qui donne de l'efficacité à notre action militaire. C'est leur complémentarité mais également leur niveau de préparation et de réactivité qui nous permet de faire vite et de faire but. Les opérations en Côte d'Ivoire et en Libye en témoignent. C'est un satisfecit.

3ème remarque : je rappelle qu'une capacité ne se réduit pas à un système d'armes. Elle est adossée à une doctrine, une organisation, un soutien ; elle n'existe que parce des soldats sont recrutés, formés et entraînés pour servir ce système d'armes.

C'est tout le sens du décret de 2009, qui donne au chef de l'Etat-major des armées le pouvoir de mettre en cohérence les différents piliers qui structurent une capacité, permise par son autorité sur les trois armées.

Nous devons la qualité de notre outil militaire et nos succès opérationnels à la cohérence des efforts que nous avons consentis dans la durée. Un programme d'armement dure 60 ans de sa conception jusqu'à son démantèlement. Relâcher ces efforts, c'est compromettre l'aptitude de nos forces à s'engager comme elles le font aujourd'hui. Ces succès sont le fruit des efforts consentis en faveur des équipements, en particulier depuis 5 ans.

Il ne s'agit pas seulement de l'entrée en service de matériels majeurs comme le Rafale, les VBCI, ou des hélicoptères Tigre, commandés en leur temps, ce sont aussi tous les équipements acquis en urgence opérationnelle. Ce sont aussi les efforts de préservation de l'activité de préparation opérationnelle, alors que la maîtrise des coûts d'entretien et des carburants reste délicate. Ce sont enfin les efforts de recrutement et de formation d'hommes et de femmes motivés qui possèdent les forces morales qui font toute leur valeur.

J'insiste sur ce point : je suis toujours frappé au cours de mes inspections par le courage, la ténacité et l'abnégation qui habitent nos soldats. Nous avons un devoir de reconnaissance à leur égard. C'est notamment l'enjeu du mémorial OPEX, ou encore de l'accompagnement des blessés et de leur famille. Plus de 600 soldats sont morts en OPEX depuis la fin de la guerre d'Algérie.

C'est un sujet qui me tient à coeur : il appelle une mobilisation du monde de la défense, certes ; il appelle aussi une mobilisation de la représentation nationale et un soutien des Français. Le patriotisme et l'esprit de défense doivent se traduire concrètement par des actes. Ils sont nécessaires à la pérennisation des forces morales que j'évoquais il y a un instant.

Après cet éclairage particulier sur les théâtres d'opérations qui ont connu une évolution majeure ces trois derniers mois, je voudrais vous livrer trois commentaires sur le PLF 2012.

1er commentaire : l'exécution de la LPM pour les années 2009, 2010, 2011 est conforme. Bien sûr, on pourra dire qu'elle l'est plus ou moins, mais elle l'est globalement.

Le bilan physico-financier de ces trois dernières années répond aux orientations stratégiques qui avaient été définies dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008. C'est la recapitalisation de notre outil de défense, avec l'effort attendu sur la protection du combattant : des progrès substantiels ont été réalisés pour le renouvellement de nos équipements les plus anciens, voire les plus antiques. Désormais, VBCI, CAESAR, TIGRE, RAFALE, frégates anti-aériennes, sont engagés en opérations avec une efficacité démontrée.

C'est l'effort sur la fonction « connaissance et anticipation » qui s'est concrétisé par l'augmentation des effectifs et des moyens dédiés. Je pense aux livraisons de nacelles de reconnaissance de nouvelle génération, qui ont réalisé près de la moitié des images prises au-dessus de la Libye, et d'un C 160 Gabriel rénové.

J'évoquerai enfin à titre d'exemple le double engagement opérationnel du drone Harfang sur les théâtres afghan et libyen.

C'est aussi le renforcement du segment « espace » avec le lancement d'HELIOS, l'acquisition des nouvelles stations sol SYRACUSE ou encore la création du commandement interarmées de l'espace.

2ème commentaire : avec 31,7 Md€ (dont 1,1 Md€ de ressources exceptionnelles), le budget 2012 préserve notre effort de défense et reste conforme à la PBT (planification budgétaire triennale) 2011-2013.

Dans le contexte économique que nous connaissons, cela mérite d'être souligné.

L'augmentation de 1,8 % par rapport à 2011, compense l'inflation et permet de poursuivre à la fois la transformation des armées et notre effort de recapitalisation.

La transformation d'abord : quelques chiffres méritent d'être rappelés : depuis 2009, 53 organismes majeurs ont été dissous et 25 organismes ont été transférés. Nous avons supprimé d'ores et déjà 30 000 postes sur les 54 000 réclamés à la Défense.

Dans le même temps, nous avons créé 60 BdD dont 51 en métropole, 5 Etats-majors de soutien de défense, la Direction de la sécurité des aéronefs de l'Etat, 2 commandements interarmées consacrés à l'espace et aux hélicoptères, 5 directions de soutien, l'inspection des armées et la direction de l'enseignement militaire supérieur pour améliorer le rapport coût / efficacité de notre fonctionnement.

La dotation des bases de défense a été ajustée pour tenir compte de l'expérience de la gestion en cours, l'organisation cible a été atteinte avec 2 ans d'avance, avec un effort particulier consenti par l'armée de terre, qui a modifié son organisation séculaire.

Je ne crois pas que beaucoup d'institutions en France aient réussi un pareil tour de force en termes de restructuration et ceci, tout en engageant en permanence et en moyenne 12 000 hommes sur 9 théâtres distincts et exigeants, réduits à 7 aujourd'hui. La fin des déflations programmées sera sans doute plus difficile à réaliser.

Elle ne résulte en effet plus de dissolutions massives de structures mais de rationalisations dans de multiples métiers. C'est un vrai défi.

Par ailleurs, compte-tenu des modifications apportées depuis 2008 à la maquette initiale, notamment du fait de nouvelles décisions et de nouveaux besoins, l'objectif de 54 000 ne sera probablement pas atteint.

En dépit du coût d'accompagnement des restructurations et de l'évolution des dépenses sociales, les crédits de rémunération devraient diminuer de 1 % par rapport à 2011 sous l'effet des 7 462 suppressions de postes, qui représentent à elles seules un quart des réductions d'effectifs de l'Etat.

Corrélativement, environ 50 % des économies engendrées par ces déflations seront consacrées à la condition du personnel. Il s'agit d'une règle commune qui s'applique à tous les ministères depuis 2009et que la défense respecte pleinement.

Notre transformation avance et tient globalement ses objectifs. « Ministère de la Défense : vertu militaire ! » titrait un quotidien du soir, le 12 juillet dernier, en s'appuyant sur le rapport de gestion de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Je cite : « Le ministère de la défense est un bon élève de la classe gouvernementale ».

Concernant la recapitalisation de notre outil de défense entamée en 2008 : l'effort en faveur des équipements sera maintenu. Les ressources totales consacrées aux équipements s'élèveront à 16,5 Md€, soit un niveau toujours significativement supérieur à la moyenne de la LPM 2003-2008 qui était de 15 Md€. Ces crédits permettront de poursuivre la politique d'investissement au profit de la fonction Connaissance et Anticipation : ce sera notamment la mise en oeuvre, sans doute uniquement française, du programme de satellites MUSIS, successeur d' HELIOS.

Nous pourrons également améliorer les moyens de renseignement grâce aux livraisons d'un C 160 Gabriel rénové, de 7 nacelles de reconnaissance nouvelle génération, de stations sol SYRACUSE, et de commandes de drones SDTI « Sperwer ».

Nous sommes enfin sur la voie de l'acquisition d'un système de maintien de capacité MALE.

Ces crédits du PLF 2012 permettront aussi d'engager des commandes : ce sera la poursuite du renouvellement de la composante océanique de la dissuasion avec les missiles M51 et la rénovation des avions ravitailleurs de la composante aéroportée, jusqu'à l'arrivée des nouveaux ravitailleurs prévue pour 2017.

La protection des combattants restera une priorité avec les livraisons de véhicules de haute mobilité (VHM), de 100 VBCI, de 200 PVP, de 4 000 équipements FELIN, de missiles sol-air ASTER et MISTRAL anti-aérien rénovés.

En termes de mobilité des forces, la livraison du troisième BPC Dixmude - qui entraînera la vente du TCD « Foudre » - de 5 avions cargo CN 235, de 8 hélicoptères NH 90 et de 4 hélicoptères de manoeuvre COUGAR rénovés nous assurera le seuil minimum indispensable pour assurer nos contrats opérationnels.

Enfin, nos forces recevront la première frégate multi-mission (FREMM) -l'Aquitaine-, 11 avions Rafale, 6 hélicoptères Tigre nouveau standard, des armements air sol modulaires (AASM), dont plus de 200 ont été tirés en Libye, des missiles air-air MICA. Nous lancerons l'acquisition de missiles sol-sol de moyenne portée MMP, développés par MBDA.

Cet effort d'équipement contribue naturellement à soutenir notre industrie de défense avec l'emploi qu'elle engendre, l'autonomie stratégique qu'elle nous assure et la promotion de nos expertises technologiques qu'elle nous garantit.

3ème commentaire : bien sûr, nous ne sommes pas dans un monde parfait et je me dois aussi de souligner quelques points de vigilance concernant l'exécution du PLF 2012 et de la LPM en général.

A ce titre, je rappellerais que depuis 2008 et les premiers travaux d'élaboration de la LPM, certaines hypothèses de construction initiale ont évolué. Il s'agit avant tout des recettes exceptionnelles, dont le retard a été jusqu'à présent partiellement compensé par l'autorisation de consommer les reports de crédits hérités de la précédente loi.

Les nouvelles sont encourageantes dans le domaine des fréquences : 936 millions d'euros sont prévus d'ici la fin de l'année 2011. J'espère que le mouvement engagé se poursuivra l'an prochain.

Il s'agit ensuite des besoins non programmés, car répondant à des nécessités opérationnelles nouvelles qu'il a fallu financer. Ce sont notamment nos achats en procédure d'urgence opérationnelles, ce sont nos engagements internationaux avec le renforcement de notre présence aux EAU, ce sont également les prises en compte des menaces cybernétiques avec la création de postes au profit de la lutte informatique. C'est une nécessité : souvenez-vous des attaques contre Bercy ou certaines de nos grandes entreprises. Les recrutements nécessaires se heurtent cependant à la pénurie actuelle d'ingénieurs informatiques.

Je pense aussi aux surcoûts de transition liés à la transformation des armées qu'il faut accompagner : dépenses d'aides à la mobilité et à la reconversion plus importantes que prévues, restructurations des infrastructures, bases de défense.

Je pense enfin et surtout à la contribution de la défense à l'effort de redressement des finances publiques définie par la loi de programmation des finances publiques (LPFP).

Cette nouvelle trajectoire financière, en retrait par rapport à celle prévue par la loi de programmation militaire, nous a imposé, dans un contexte de lourde restructuration, une réduction drastique de nos crédits de fonctionnement courant. Cette trajectoire nous a conduits à accentuer la préparation opérationnelle différenciée, en nous efforçant d'éviter l'écueil d'une armée à deux vitesses.

Nous avons de plus été amenés à décaler de nombreux programmes d'armement sans toutefois remettre en cause à court terme les principaux programmes en réalisation.

A l'ensemble de ces points de vigilance que je viens d'évoquer, s'ajoutent les enjeux de la fin de gestion 2011 :

- l'encaissement effectif des recettes exceptionnelles, dont des produits de cessions des fréquences.

- le financement de la taxation interministérielle relative à la condamnation de Thalès dans le cadre de la vente de frégates à Taïwan. Elle touche le ministère de la défense à hauteur de 230 M€, soit la moitié du total. 230 M€, ce sont quand même 1,3 % des crédits d'équipements.

- Je veux évoquer aussi la forte augmentation des cours du pétrole depuis le début de l'année. Elle a fait naître, hors OPEX, un déficit de l'ordre de 60 M€.

- Je veux encore rappeler, en dépit de mesures d'économie qui se prolongeront en 2012, un déficit de masse salariale, hors OPEX, qui pourrait atteindre 70 M€. 70 M€, cela peut paraître beaucoup, mais c'est deux fois moins que la contribution du ministère à la taxation précédemment citée pour Thalès, et ce n'est que 0,6 % des crédits de masse salariale de la mission défense.

Pour ces insuffisances, je demande l'activation des clauses de sauvegarde prévues par la LPM. Le PLF pour 2012 est basé sur le baril brut estimé à 100 dollars.

- Et je terminerai enfin par la question des surcoûts OPEX :

A activité comparable, c'est-à-dire hors Harmattan, on constate une stabilisation des surcoûts par rapport aux années antérieures, à 878 M€.

Je précise que l'augmentation des dépenses liées aux opérations en Afghanistan, consacrées à la sauvegarde et la protection des forces déployées, est compensée par la baisse des dépenses d'autres théâtres comme le Kosovo, où notre contingent a été réduit au cours de cette année à 300 soldats, et Atalante.

S'agissant de l'opération Harmattan, les surcoûts sont estimés entre 330 et 350 M€ au 30 septembre. Dans l'hypothèse d'un maintien du dispositif actuel jusqu'à la fin de l'année, les surcoûts atteindraient 430 M€ environ

Ce qui porte l'estimation des surcoûts totaux entre 1,2 et 1,3 Md€ pour 2011 en fonction de la durée et de la nature de notre engagement d'ici la fin de l'année.

Conformément à la LPM, leur financement au-delà de la provision budgétaire devra bénéficier d'un abondement interministériel, à hauteur d'environ 600 M€.

Nous devrons aussi reconstituer certaines de nos capacités.

L'opération Harmattan nous conduira dès demain :

- à recompléter nos stocks de munitions : à titre d'illustration, début septembre, nos forces avaient tiré environ 1 000 bombes, 600 missiles, 1 500 roquettes sans compter des milliers d'obus. Contrairement à certaines rumeurs, la France n'en n'a pas manqué, elle en a même fourni à d'autres pays ;

- à avancer ou compléter des opérations de maintenance, dont celle du porte avions Charles de Gaulle, pour redonner du potentiel à nos matériels ;

- à rattraper des retards pris dans les qualifications des équipages les plus jeunes, notamment sur Rafale.

C'est la raison pour laquelle je serai particulièrement vigilant sur la préparation opérationnelle des forces en 2012.

La gestion 2012 s'annonce donc tendue. Trois conditions me paraissent alors essentielles pour tenir le cap financier :

- la poursuite de l'encaissement des recettes exceptionnelles « fréquences » prévues en 2011 et 2012, et « immobilières » prévues en particulier en 2013 ;

- le remboursement fin 2011 des dépenses engagées par la défense dans le cadre de l'accomplissement de ses missions OPEX ;

- la maîtrise de la masse salariale est devenue structurante dans le respect des contraintes liées à la manoeuvre « ressources humaines ». L'allongement des durées de service prévu par la réforme des retraites nécessitera une adaptation des dispositifs d'accompagnement.

Sur le plus long terme, vous le savez, l'atteinte des objectifs définis par le LBDSN est conditionnée par la trajectoire de ressources après 2013. Elle sera déterminée lors des prochains travaux de programmation prévus en 2012.

Dans le contexte financier que nous connaissons, c'est vrai, le budget 2012 manifeste la volonté politique de préserver notre effort de défense. Mais son exécution sera compliquée au regard des contraintes que je viens de développer.

Par ailleurs, même si encore une fois, comparaison n'est pas raison, je constate que la Grande-Bretagne consacre une part plus importante de sa richesse nationale produite à sa défense : + 0,7 % du PIB. En parité de pouvoir d'achat, leurs dépenses sont supérieures de plus d'un tiers aux nôtres.

A titre d'exemple, les dépenses liées à l'intervention en Afghanistan supportées par le Trésor britannique, hors budget du MOD, se sont élevées en 2010 à 4,5 milliards de livres, soit environ 5 milliards d'euros.

J'en retire deux enseignements :

- nos armées sont efficaces, et la gestion globale du MINDEF est vertueuse : nos armées offrent un rapport « qualité / prix » à la hauteur des investissements que la Nation consent. Encore une fois, l'engagement ces derniers mois de l'ensemble de nos capacités en témoigne ;

- notre effort de défense doit être soutenu dans le temps pour garantir la cohérence d'un outil qui détermine notre niveau d'ambition sur la scène internationale.

Je constate généralement un large consensus sur la nécessité de conserver un outil de défense cohérent et complet, flexible et réactif qui nous permet, aujourd'hui encore, de peser sur la scène internationale.

Il faut que les réponses de la Nation soient à la mesure de ce constat et de ce consensus.

M. Jean-Pierre Chevènement - Je crains que vous ne pêchiez par optimisme sur la situation qui prévaut en Afghanistan. Il y a des progrès, mais il faut également prendre en compte la recrudescence des attentats, en particulier à Kaboul, l'assassinat de l'ex-Président Rabbani, les désertions au sein de l'armée nationale afghane ainsi que la pénétration de la police afghane par les Talibans. Je considère, par ailleurs, inévitable qu'après avoir annoncé leur départ en 2014, les forces alliées soient fragilisées dans leur position. S'agissant de la Libye, je comprends les éléments de satisfaction, mais je crois qu'il faut se garder de sombrer dans l'autosatisfaction. La prolifération des armes en provenance de la Libye dans le Sahel est une source de préoccupation majeure pour l'avenir. En ce qui concerne la révision du Livre blanc et la préparation de la prochaine loi de programmation, je souhaiterais savoir quels sont les premiers éléments de réflexion de l'état-major sur les principales inflexions à apporter au diagnostic et aux capacités qui avaient été établis en 2008 ? Je considère qu'il faudra intégrer la crise financière dans ces réflexions. S'agissant des besoins, il faut sans doute s'attendre à moins d'opérations extérieures multinationales d'envergure telles l'Afghanistan notamment en raison d'un repli américain sur des préoccupations intérieures, mais également à plus d'opérations ponctuelles telles que celles en Libye.

M. Didier Boulaud - Compte tenu de la diminution drastique du format des armées, votre formule selon laquelle « pendant les travaux, la vente continue » pourrait aussi bien être inversée : « pendant la vente, les travaux continuent ». A l'occasion des opérations en Libye, on peut se demander où est passée l'Europe de la défense dont les progrès devaient être à l'origine la contrepartie de notre intégration à l'OTAN. Pouvez-vous nous indiquer les lacunes opérationnelles des armées européennes qui ont été constatées pendant le conflit libyen ? Qu'est ce que nous n'aurions pas pu faire sans les Américains ? Tout le monde sait que leur rôle a été essentiel en matière de renseignement opérationnel, de ravitaillement en vol et de ciblage.

Mme Michelle Demessine - J'ai retenu de votre exposé un chiffre : l'augmentation de 50 % des dépenses de défense dans le monde. Au lieu de le prendre comme une donnée de fait à laquelle il faudrait s'adapter, on peut se demander s'il s'agit pour les citoyens d'une bonne chose. On peut espérer voir un jour une Europe capable de peser de façon autonome sur l'évolution du monde. Mais cela suppose une Europe de la défense qui est aujourd'hui en panne et une volonté politique qui ne semble aujourd'hui partagée que par la France et l'Angleterre. Cela nous renvoie au dilemme entre l'OTAN et une défense européenne. J'ai été à deux reprises en Afghanistan, et j'aurai de la situation dans ce pays une approche plus nuancée que la vôtre sur l'efficacité de notre action. J'ai pu mesurer combien les trois objectifs - sécurité, gouvernance et développement - ont en réalité été concentrés sur la seule sécurité. Je crois qu'on peut parler pour les deux autres objectifs d'un relatif échec.

Au-delà des exemples de transferts réussis comme le RC-Kaboul ou la Surobi, qu'en est-il des transferts effectués par nos alliés ? J'aurais voulu savoir s'il existait des territoires qui ont été récemment repris par les talibans. J'ai la conviction que l'évolution de la situation en Afghanistan dépendra du problème persistant que constitue le Pakistan. En effet, toute la stratégie des talibans est décidée depuis ce pays. Je souhaiterais enfin savoir quel est l'état des relations entre la France et les autorités afghanes. La France a-t-elle voix au chapitre pour la préparation de l'après 2014 ? J'ai le souvenir que la gestion de la coalition en Afghanistan s'est longtemps concentrée dans un face à face entre les autorités afghanes et américaines.

Amiral Edouard Guillaud - Je crois qu'il faut porter sur la situation un regard lucide et ne pêcher ni par optimisme ni par pessimisme. L'assassinat de l'ex-Président Rabbani constitue effectivement une très mauvaise nouvelle car il était un symbole. Le rôle du Pakistan est en effet essentiel. J'observe, d'ailleurs, que le Président Karzaï a estimé à la suite de l'assassinat du Président Rabbani qu'il convenait de cesser de discuter avec les Talibans et discuter directement avec le Pakistan. Je constate également l'émergence de l'Inde qui joue un rôle de plus en plus important, notamment à travers une aide directe qui s'élève à plus d'un milliard de dollars par an et qui vient de signer avec l'Afghanistan un traité d'amitié qui comporte un volet de formation militaire. La situation au Pakistan est préoccupante. Mais la question relève plus de l'action de la diplomatie que des militaires.

S'agissant des désertions, je serai plus optimiste. Il y avait 25 % de désertions par mois il y a cinq ans. Ce taux s'est considérablement réduit aujourd'hui à quelques pourcents. Cette situation s'explique en grande partie par le doublement des soldes des soldats de l'armée afghane.

S'agissant du transfert, je tiens à souligner qu'il n'y a aucun territoire qui ait été repris par les Talibans. Ces derniers ont subi de lourdes défaites au Sud et au Sud-Ouest. Du coup, ils sont devenus plus actifs à l'Est du pays, ce qui concerne au premier chef les Français, notamment dans la région de Kapisa. Cela n'empêche pas que la situation se soit considérablement améliorée notamment en Surobi où par exemple le nombre d'IED a notablement diminué contrairement à la Kapisa. Est-ce qu'on se retire trop tôt ? Je crois que non. Nous nous retirons progressivement, la transition du district de Surobi permettant dans un premier temps de renforcer notre présence en Kapisa. La situation dans cette province est complexe notamment en raison d'une composition ethnique hétérogène. La situation postérieure au retrait de 2014 sera effectivement difficile. La fixation d'une date de retrait donne évidemment un coup de fouet aux forces talibanes, mais elle présente aussi l'avantage de fixer une échéance au Gouvernement afghan pour prendre ses responsabilités et asseoir son autorité. C'est une arme à double tranchant.

L'avenir de la situation en Afghanistan après 2014 sera avant tout l'affaire des diplomates et des politiques. Les Etats-Unis négocient actuellement un traité d'amitié avec l'Afghanistan afin de ne pas reproduire la même erreur que les Russes après leur départ de 1989 qui avait laissé un grand vide. Il ne s'agit pas seulement de maintenir une forme de présence militaire mais également de développer une relation de coopération dans différents domaines, et notamment pour la France dans le domaine de la formation.

En ce qui concerne la Libye, les opérations ont réservé de mauvaises surprises et notamment la découverte non pas de dizaines, voire de centaines, mais bien de plusieurs milliers de dépôts de munitions. Il y avait beaucoup de ce que l'on appelle des manpads des missiles portatifs anti-aérien, de type SA 7. Heureusement la plupart de ces manpads étaient dépourvus des piles idoines, sans doute parce que Kadhafi se méfiait de ses propres troupes. Certaines de ces munitions ont pu être prélevées au profit de trafiquants d'armes. Le Sahel est une zone de trafic depuis des millénaires. C'est actuellement une plaque tournante du trafic de drogue en provenance d'Amérique du Sud. Il pourrait devenir également une plaque tournante du trafic d'armes, si cela s'avérait temporairement plus lucratif. AQMI est assurément un objet de préoccupation. Nous nous efforçons à travers la coopération sécuritaire avec les pays concernés de réduire son impact sur la zone. Les résultats obtenus sur le terrain dépendent largement de la volonté des différents pays de s'attaquer au problème. Or cette volonté est variable.

S'agissant de l'Europe de la défense, j'ai l'habitude de dire qu'elle est en hibernation. C'est une vue optimiste, puisqu'elle implique qu'il y aura un réveil, un printemps. L'Europe de la défense a manqué le coche de la Libye. Les opérations comportaient plusieurs volets : embargo maritime ; no-fly zone ; protection des populations. Les structures européennes auraient pu prendre la responsabilité de la gestion de l'embargo maritime. C'était la proposition de l'OTAN.

Entre militaires européens nous sommes tous d'accord. Mais on ne fera pas l'Europe de la défense sans la volonté des Etats. Les progrès dépendront de la volonté politique des peuples et de leurs représentants. J'ajoute que les structures militaires européennes à Bruxelles n'ont montré aucune appétence pour prendre des initiatives.

Les opérations en Libye ont montré certaines lacunes, dans au moins trois domaines : le ravitaillement en vol des avions. Les Etats-Unis ont mis en permanence une trentaine de ravitailleurs, ce qui suppose une capacité de 40 à 50 appareils en alerte ; les drones, y compris les drones armés, la suppression des défenses anti-aériennes (SEAD), notamment du fait de l'absence des forces allemandes, car il y a effectivement des capacités en Europe qui n'ont pas été utilisées. Les Allemands ont notamment un vrai savoir faire en matière de SEAD. Ils ont des Tornado avec des équipages parfaitement rodés et très bien équipés. Du temps de la guerre froide, c'était leur spécialité.

M. Jacques Gautier - Considérez-vous que le format des armées défini par le Livre Blanc de 2008 constitue un plancher par rapport à nos ambitions ? Estimez-vous nécessaire de maintenir une présence a minima en Libye à la fin des opérations et sous quelle forme ? Enfin, s'agissant des drones, pourriez vous nous parler des perspectives de coopération avec nos amis britanniques concernant les drones tactiques - le watchkeeper en particulier. Pouvez également nous parler des drones navals - le SDAM (système de drone aérien pour la Marine) en particulier. C'est un sujet dont on parle beaucoup en ce moment. Enfin, les bateaux de projection et de commandement - les fameux BPC - sont sans doute très bien. Mais si nous ne disposons pas de la drome nécessaire, de la batellerie adéquate pour transporter les troupes à terre, ça ne sert pas à grand-chose. Or il semblerait que nous n'ayons acheté que deux CTM (chaland de transport matériel) alors qu'il en faudrait au moins quatre. Ce n'est pas raisonnable.

M. Xavier Pintat - Pouvez nous dire quelle a été l'utilisation des satellites français dans l'opération l'Harmattan, en particulier le satellite Hélios. A-t-il été utilisé et si oui a-t-il donné satisfaction ? S'agissant du drone MALE, avez-vous le sentiment que nos amis anglais ont la réelle volonté de mener le projet commun de drone franco-britannique jusqu'au bout ? En ce qui concerne la défense anti-missile, elle va s'imposer au sein de l'OTAN. Dans quelle mesure et sous quelle forme la France participera c'est toute la question. Dans cette perspective, pouvez-vous nous indiquer comment la France se prépare au sommet de Chicago ? Vous savez bien que les enjeux sont moins militaires que stratégiques et politiques. Or nous sommes parmi les nations occidentales, et mis à part évidemment les Etats-Unis, le seul pays dont les industriels sont capables d'être présents sur l'ensemble des technologies, cela grâce à notre savoir faire sur la dissuasion.

M. Jacques Berthou - J'ai également participé à une mission en Afghanistan et je souhaite à ce propos rendre hommage à nos militaires Je crois que la transition devra être favorisée par des actions dans le domaine économique. Je constate que les Chinois sont déjà très présents sur le terrain. Compte tenu des objectifs de redressement des finances publiques, pourriez-vous nous indiquer, s'il y avait des choix à faire dans le domaine de la défense, quelles devraient être nos priorités ?

Amiral Edouard Guillaud - S'agissant des priorités, je n'ai qu'une réponse : donnez-moi le niveau de vos ambitions et je vous indiquerai les moyens nécessaires pour les atteindre. Aujourd'hui notre outil de défense confère à la France une forte crédibilité sur la scène internationale. Nous disposons d'un droit de véto au Conseil de sécurité de l'Onu. Nous sommes la sixième puissance économique mondiale. Le maintien de cette crédibilité a un coût, mais en dernier ressort il appartient au peuple dont vous êtes les représentants de définir les priorités et les ambitions de la France. A ces ambitions correspondent un format et des capacités. La question au fond est : voulons-nous continuer de jouer en première division ou pas ?

S'agissant du drone naval, la marine nationale va mettre en oeuvre un patrouilleur hauturier, tête de la série Gowind mis à disposition par DCNS pour 3 ans, - l'Adroit. Ce type de partenariat présente de nombreux avantages à la fois pour DNCS qui dispose ainsi d'un démonstrateur seaproven et pour la marine nationale qui bénéficie d'un bâtiment supplémentaire. Sur ce patrouilleur, un prototype de drone naval à voilure tournante va être expérimenté. La question des drones navals est une question ancienne. J'y ai travaillé moi-même en tant que jeune officier. Ces drones rempliront des services importants, mais à condition qu'on soit capable de les faire atterrir sur des plateformes en mouvement. Les Américains font des essais sur leurs propres navires qui sont des plateformes beaucoup plus larges et lourdes. C'est évidemment plus facile que sur un patrouilleur hauturier.

Le Watchkeeper est un drone britannique développé sur la base d'un drone israélien. Moins souple d'emploi que le Sperwer, car il utilise une piste, il lui est supérieur dans d'autres domaines. Il emporte des senseurs plus performants et plus récents. Il y a un accord avec les Britanniques pour participer à l'évaluation de ce drone. C'est quasiment de l'achat sur étagères pour nous Français.

S'agissant de la volonté britannique de construire avec nous un projet de drone MALE, nous sommes confrontés sur ce sujet aux mêmes types de difficultés que sur le reste. Nos amis ont une solide réputation de pragmatisme. L'envers de la médaille c'est qu'ils considèrent la planification à moyen-long terme comme du « romantic planning », au sens de roman-feuilleton, plein de rebondissements.

Sur la batellerie, nous n'avons jamais été bons car cela fait typiquement partie des petits programmes, en termes financiers et technologiques, qu'il est facile de supprimer ou de retarder quand on veut faire des économies budgétaires et qui sont pourtant indispensables, le moment venu au coeur de la bataille.

Concernant Hélios, deux pays occidentaux seulement disposent de satellites d'observation optique : les Etats-Unis et nous. L'image satellitaire en voie claire est une denrée rare. Oui nous avons beaucoup utilisé Hélios afin d'établir des dossiers d'objectifs, notamment pour les tirs de Scalp que nous avons effectués.

La DAMB est un vaste sujet. Nos industriels et nos militaires sont les seuls à avoir les connaissances techniques nécessaires sur l'ensemble du spectre, ou du moins capables de les acquérir si nécessaire.

Les derniers contacts avec mes homologues américains me laissent penser que la défense antimissile n'est ni destinée à suppléer la dissuasion, ni à être dirigée contre des Etats tel que la Chine ou la Russie, mais vise plus particulièrement des États « voyous ». D'un point de vue pratique, il faut bien mesurer le risque technologique, politique et militaire à être entraînés dans une course aux équipements, sans aucune garantie de bénéficier in fine d'un transfert technologique.

Donc si on veut participer à cette aventure il est indispensable d'apporter nos propres briques technologiques.

Nous avons choisi ce que l'on appelle l'alerte avancée. Nous sommes prêts à partager les outils que nous envisageons de mettre en place, qu'il s'agisse du satellite ou des radars, avec nos homologues européens prêts à fournir des efforts scientifiques et financiers nécessaires. Mais, pour l'instant, cela ne semble intéresser personne en Europe.

Loi de finances pour 2012 - Mission Défense - Audition de l'Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine

Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission auditionne l'Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine, sur le projet de loi de finances pour 2012 (mission Défense).

M. Jean-Louis Carrère, président - Amiral, au nom de l'ensemble de mes collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue, et de vous demander de nous éclairer afin de préparer au mieux l'examen du projet de loi de finances pour 2012 qui, de prime abord, et sous certaines conditions, semble plutôt favorable aux forces armées.

Je souhaiterais que vous nous éclairiez sur les choix que reflète le projet de budget concernant la marine nationale et que vous nous fassiez également un rapide bilan de l'état de la flotte, notamment des sous-marins d'attaque nucléaires, des sous-marins lanceurs d'engins, et des différents bâtiments de surface.

Naturellement, en tant que chef d'état-major de la marine et sans préjudice du bilan général qui sera dressé ultérieurement par les responsables du pouvoir exécutif, nous souhaiterions vous entendre sur le retour d'expérience temporaire que l'on peut dresser de l'opération en Libye qui a vu la mobilisation de notre unique porte-avions et l'emploi des aéronefs de l'aéronavale, mais aussi pour la première fois de nos bateaux de projection et de commandement, le Mistral et le Tonnerre.

Sachez que nous sommes fiers de la façon dont nos armées, et la Marine en particulier, ont répondu avec courage, disponibilité et efficacité à l'impulsion donnée par le politique.

Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, c'est la première fois que j'ai le plaisir et l'honneur de m'exprimer devant les membres de votre commission à l'occasion de l'examen du projet de budget.

Ce rendez-vous annuel est naturellement un moment privilégié pour évoquer la situation de la marine et je voudrais dire toute l'importance que revêt à mes yeux cette audition par la représentation nationale.

Avant de vous donner mes éléments d'appréciation sur le projet de loi de finances, je souhaite :

- rappeler les engagements de la marine au cours de cette année ;

- en tirer les principaux enseignements ;

- vous présenter les axes d'effort et les grands chantiers de la marine pour 2012.

Durant les douze derniers mois, le niveau de l'activité de la marine nationale a très fortement augmenté en raison de sa participation, aux côtés de nos camarades des autres armées, à de nombreuses opérations combinées.

Si, en 2010, l'activité est restée maîtrisée dans la limite des potentiels alloués, le premier semestre 2011 s'est caractérisé par une augmentation de l'activité globale de 12 % de l'ensemble des bâtiments. Ainsi, ce sont en moyenne 3 170 marins qui ont été engagés dans des opérations extérieures au premier semestre, contre 1 280 pour l'ensemble de l'année 2010.

Aujourd'hui, la consommation de potentiel dépasse l'allocation annuelle de plus de 30 % pour le porte-avions, les bâtiments de projection et de commandement (BPC), et les avions de patrouille maritime ATL2.

En bref, nous venons de vivre une période « extra-ordinaire » au sens littéral de ce mot, c'est-à-dire très au-delà de l'ordinaire budgétaire prévu. Cette intense activité opérationnelle se caractérise par un engagement sur de nombreux théâtres.

En océan Indien, tout d'abord. De novembre 2010 à février 2011, le groupe aéronaval y a été déployé, renforçant considérablement les moyens prépositionnés dans cette région et apportant ainsi un soutien précieux aux opérations en Afghanistan dans le cadre de la mission AGAPANTHE. Je rappelle que l'un de nos bâtiments participe à l'opération ENDURING FREEDOM de lutte contre le terrorisme depuis octobre 2001. D'avril à août 2011, nous avons d'ailleurs assuré le commandement de la Task Force 150. Notre participation à l'opération ATALANTA se traduit aussi par la présence permanente d'une frégate pour la lutte contre la piraterie. Nous avons dû également renforcer notre dispositif à l'occasion du commandement français de la Task Force 465 d'août à décembre 2010 et, ponctuellement, lors des périodes d'inter mousson, plus favorables aux pirates, comme c'est le cas en ce moment.

J'en viens à l'Afrique. Au Sahel, nous avons participé aux opérations antiterroristes de septembre 2010 à avril 2011, avec un dispositif qui a compté jusqu'à 3 ATL2, un FALCON 50M et 8 équipages.

En Côte d'Ivoire, je souhaite insister sur le rôle déterminant du BPC Tonnerre au cours de l'opération Licorne. Resté 63 jours à la mer, sans toucher terre, il a apporté un renfort de troupes essentiel et discret. Grâce à sa polyvalence, de nombreux flux de matériel et de personnel nécessaires à la Force Licorne ont pu être effectués, alors que la logistique par voie aérienne et terrestre était devenue très difficile, voire impossible sans élever le niveau de la crise, ce qui aurait compromis la sécurité de nos compatriotes.

En Méditerranée, nous sommes engagés depuis le 23 février 2011 dans l'opération HARMATTAN. Par son caractère littoral et son intensité, cette opération a nécessité un niveau d'engagement exceptionnel de l'ensemble des composantes de la marine, dont le porte-avions et un BPC utilisé comme porte-hélicoptères d'attaque.

Nos unités ont appareillé en quelques jours, voire en quelques heures. Cet exercice de vérité nous a permis de mesurer notre réactivité, mais aussi notre capacité à mener des opérations de haute intensité, exigeant un niveau de coopération interarmées, inter-composantes et interalliée, dont très peu de marines sont aujourd'hui capables.

Jusqu'à présent, 29 bâtiments se sont succédé au large de la Libye pour assurer la permanence du volet naval de notre engagement militaire, contrôler l'espace aéromaritime, opérer des missions de renseignement et conduire des frappes coordonnées impliquant des avions de chasse, des hélicoptères, des avions de patrouille maritime et des bâtiments de surface en appui-feu naval. A lui seul, l'engagement du groupe aérien a permis d'effectuer, aux côtés de l'Arme de l'Air, 1 573 missions de guerre, tandis que les hélicoptères d'attaque de l'aviation légère de l'armée de terre ont effectué une quarantaine de raids à partir du BPC.

Cette opération a mobilisé l'ensemble de la marine, tant dans le domaine des ressources humaines que dans celui du maintien en condition opérationnelle (MCO) et de la chaîne du soutien.

Les missions de combat, que je viens d'évoquer, ont été menées de manière concomitante à nos missions permanentes même si, et j'y reviendrai, il a fallu faire des choix pendant cette période. En effet, la marine nationale agit au quotidien pour défendre les intérêts de notre pays, avec toutes ses composantes et dans chacune des autres fonctions stratégiques que sont, en premier lieu, la dissuasion, mais aussi la connaissance et l'anticipation, la prévention, la protection et l'intervention.

La dissuasion demeure la garantie fondamentale de notre sécurité. La Marine y participe grâce à la permanence à la mer de la force océanique stratégique et la capacité de la force aérienne nucléaire (FANU) à partir du porte-avions.

Pour les autres missions permanentes, je voudrais citer quelques exemples pour cette année :

- la lutte contre le narcotrafic dans l'arc antillais : 5 navires ont été déroutés et près de 9 tonnes de cocaïne saisies ;

- l'immigration clandestine à Mayotte en provenance des Comores : 2 236 migrants et 132 passeurs ont été interceptés ;

- la police des pêches a représenté plus de 1 000 jours de mer et 200 heures de vol. Les unités de la marine ont contrôlé plus de 3 000 navires et en ont dérouté près de 50 ;

- la recherche et le sauvetage en mer a permis cette année de sauver 400 vies ;

- le remorquage d'urgence de 9 navires en difficulté et une vingtaine d'escortes réalisées par les navires affrétés par la marine.

L'ensemble de ces missions va de la basse à la très haute intensité.

Je voudrais maintenant revenir sur HARMATTAN. S'il est évidemment trop tôt pour en dresser le bilan final, puisque la crise n'est pas terminée, je souhaite m'y arrêter car cette opération est déjà riche d'enseignements significatifs. Tout d'abord, cette opération a amplement validé et confirmé les grandes orientations capacitaires, actuelles ou futures, retenues pour la Marine. Elle a aussi souligné la nécessaire interopérabilité interarmées pour les opérations de projection « d'entrée en premier » et d'action vers la terre.

Elle a montré :

- la remarquable efficacité, la fiabilité et la polyvalence du Rafale marine ;

- la justesse de nos choix pour le BPC qui ont conduit à privilégier la fonction « porte-hélicoptères d'assaut » ;

- la forte implication des frégates et des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) dans l'action vers la terre ;

- notre capacité de frappe dans la profondeur (missile SCALP, complété demain par le missile de croisière naval (MDCN)).

Elle a également conforté la valeur de notre modèle de préparation opérationnelle, grâce aux trois principes de notre socle organique :

- un niveau de disponibilité opérationnelle homogène au sein de la flotte, qui a permis d'engager sans délai la plupart des bâtiments de premier rang ;

- une grande polyvalence de nos bâtiments et de nos équipages qui peuvent changer de missions sans difficulté, ce qui a permis d'offrir une grande palette d'options au chef d'État-major des armées (CEMA) ;

- un professionnalisme orienté vers la combativité des équipages grâce à un entraînement permanent et exigeant.

Enfin, cette opération a aussi confirmé :

- la pertinence des choix qui ont conduit à conserver des savoir-faire classiques tels que l'appui-feu naval (85 engagements en tir contre terre). Je rappelle que les derniers tirs de ce type remontent aux opérations de Suez en 1956 puis, plus récemment, aux actions au large du Liban ;

- l'intérêt des déploiements réguliers de groupes navals constitués qui favorisent la capacité des forces à être engagées sans délai ;

- l'importance de la mobilisation organique dans les domaines des ressources humaines et de la logistique pour répondre, dans la durée, au besoin opérationnel et effectuer des relèves régulières.

Elle a cependant mis en évidence certains retours d'expérience opérationnels, en particulier :

- l'intérêt des drones tactiques embarqués ;

- la nécessité d'une mise à niveau des pods de désignation et l'extension du spectre d'emploi des armes sur le Rafale marine dans le cadre d'un conflit urbain ;

- l'intérêt d'une artillerie navale optimisée pour le tir contre la terre.

Mais ce fort engagement a conduit à effectuer un certain nombre d'arbitrages entre les opérations. Toutes les demandes, notamment certaines prévues au contrat opérationnel de la marine, n'ont pu être honorées.

Parmi les plus significatives, je citerai notamment :

- l'interruption de la présence d'ATL2 en Océan Indien du fait des déploiements au Sahel, puis en Libye, alors que la piraterie ne faiblit pas ;

- l'absence de SNA en Atlantique pendant 4 mois ;

- la réduction de la présence en Océan Indien à un seul bâtiment de surface à compter du mois de juin ;

- le gel de la mission Corymbe dans le golfe de Guinée en juillet 2011 ;

- l'annulation de deux missions de « prévention » en Méditerranée qui nous ont privés de sources d'appréciation de situation dans un contexte géopolitique tendu.

- l'annulation de deux missions sur quatre de lutte contre le narco trafic en Méditerranée ;

- et l'interruption ou l'annulation d'exercices interalliés ou nationaux.

Outre le contrat opérationnel, c'est la préparation des forces qui peut être affectée par l'absence de moyens disponibles. Même si l'effet n'est pas immédiat, 9 exercices dits de « savoir-faire supérieur » ont ainsi été annulés cette année, dont un exercice majeur de lutte anti-sous-marine, un exercice majeur amphibie et un exercice de certification OTAN, alors que celle-ci est essentielle à la qualification de nos états-majors embarqués, précisément pour leur permettre de remplir leurs fonctions dans une force interalliée.

Enfin, la disponibilité des forces n'a pu être maintenue qu'au prix d'une tension importante sur nos moyens de soutien. A titre d'exemple :

- à peine 3 mois après le début des opérations, les taux de prélèvements de pièces sur les bâtiments avaient augmenté de 300 % ;

- la permanence d'une frégate de défense aérienne de type HORIZON en état opérationnel a nécessité la mutualisation d'équipements entre les 2 frégates, avec 32 prélèvements mutuels sur des composants majeurs comme les conduites de tir, le radar de veille aérienne et la propulsion.

Tout ceci démontre que le format de notre marine est aujourd'hui juste suffisant pour répondre aux ambitions de défense et de sécurité de notre pays.

Dans ce contexte, voici mes perspectives pour 2012.

Nos moyens ont été sollicités de manière exceptionnelle et requièrent aujourd'hui toute notre énergie pour le maintien et la régénération de notre potentiel.

Dans un contexte budgétaire contraint, mon premier souci sera donc d'assurer le meilleur emploi des ressources à cet effet. Cette année, le niveau d'activité de la plupart de nos grands bâtiments de combat a excédé très sensiblement les normes de la LPM comme je l'ai évoqué au début de mon propos. Il a induit un surcroît de dépenses inhabituel, évalué à moins de 100 M€ sur les seuls périmètres du MCO naval et aéronaval. L'abondement des ressources par le décret d'avance OPEX sera donc déterminant pour l'équilibre de la gestion 2011. Les ressources du PLF 2012 sont en légère hausse par rapport à celles de 2011. Elles se partagent essentiellement entre le titre 2 (environ 1,46 Md€ hors pensions) et l'entretien programmé du matériel (1,34 Md€). Cette répartition situe les grands enjeux physico-financiers du budget opérationnel de programme et met en évidence mes deux grandes préoccupations au plan budgétaire :

La maîtrise de la masse salariale tout d'abord. Elle se heurte à une sous-dotation classique qui, en cette période de grandes transformations, pourrait obérer les effets des revalorisations catégorielles et de la réforme des retraites.

Un travail approfondi est mené depuis plusieurs mois sur les régimes indemnitaires. Nécessaire, il doit néanmoins être poursuivi avec précaution car il pèsera sur le moral et l'attractivité des carrières.

Ma deuxième grande préoccupation est celle de la maîtrise des coûts du MCO sans sacrifier la disponibilité des équipements. Cette dernière est fragile. La moyenne d'âge des bâtiments est d'environ 19 ans et la flotte est disparate.

S'agissant de la flotte de surface, si la disponibilité des plateformes a atteint un niveau satisfaisant et s'y maintient (environ 70 %), la disponibilité des systèmes d'armes reste insuffisante. Un plan d'actions ciblé, mis en oeuvre avec le service de soutien de la flotte (SSF) et les commandants de force, s'attache tout particulièrement à y remédier. Les SNA ne peuvent être soutenus qu'au prix d'un gel d'activité de ces bâtiments pendant 9 mois avant leur entrée en longue période d'entretien.

Enfin, la disponibilité des aéronefs (environ 50 %) peine à se redresser. L'arrivée de nouveaux Rafale permettra de disposer d'une flotte homogène.

Par ailleurs, il convient de ne pas oublier les infrastructures portuaires qui doivent être adaptées pour accueillir les FREMM et les BARRACUDA. De même, la refonte des installations électriques des ports de Brest et Toulon, la poursuite de la modernisation des infrastructures de l'Ile Longue et la réorganisation de la base aéronautique (BAN) de Lann-Bihoué, sont autant de chantiers importants.

Cet effort de maîtrise des coûts, dans le périmètre budgétaire confié à la marine, doit être mené dans un contexte de réformes qui est aussi l'un des grands défis à relever par la marine, comme par les autres armées.

La marine poursuit et consolide la transformation en s'assurant de l'adhésion de son personnel dans une période où les bénéfices ne sont pas encore clairement perçus par lui. Elle prend notamment part aux évolutions du commandement organique outre-mer, des espaces et des zones maritimes, de la fonction garde-côtes dont la mise en place, il y a tout juste un an, représente une avancée très significative.

2011 a vu également l'aéronautique navale faire évoluer son format et ses implantations : fermetures de deux BAN et deux établissements aéronautiques navals (EAN), tout en menant à bien les premières externalisations de soutien de flottes particulières (F10 et Xingu) ainsi que l'adossement au SIAé.

Les trois années qui viennent verront l'échelon central de la marine rejoindre le site de Balard et le commandement s'organiser en conséquence dans des emprises d'Ile de France et de province.

Ces réformes s'accompagnent, vous le savez, d'une déflation des effectifs sans précédent qui touche la marine comme les autres armées, avec la suppression de 6 000 emplois entre 2008 et 2015. Il s'agit d'atteindre un modèle défini à 32 000 marins militaires et 3 000 civils sans compter les 5 000 marins militaires employés en dehors de la marine ; 1/3 de la déflation est lié au ralliement de notre nouveau format, 2/3 correspondent aux rationalisations décidées. A l'horizon 2015, la Marine comptera 40 000 personnes.

Dans un tel mouvement, compliqué par la réforme des retraites qui vieillit la population des marins et ralentit l'avancement, c'est toute la richesse des marins dans sa diversité qui est en jeu.

A cet égard je m'attacherai tout particulièrement à :

- maintenir les compétences et les savoir-faire de la marine (53 métiers, dont certains gérés en microflux, notamment dans les compétences d'exploitant nucléaire), en fidélisant ces personnels ;

- maintenir les flux de recrutements et de départs.

Cette transformation est résolument engagée et les choix faits par la marine sont orientés, en priorité, vers les forces opérationnelles et leurs équipages.

Car ma préoccupation première reste bien, et de manière indéfectible, le moral de nos équipages. Il est primordial. On ne fait pas un tel métier, avec de telles contraintes, sans être heureux.

En conclusion, je voudrais insister sur le fait qu'en 2012, la marine va poursuivre avec détermination l'effort d'adaptation qu'elle a entrepris depuis 2008.

Je suis aujourd'hui à la tête d'une marine de premier rang, efficace et réactive qui permet à notre pays de répondre aux enjeux de sécurité et de défense de notre pays dans un monde qui se mondialise, donc se maritimise. Cette marine, nous l'avons démontré dans les mois qui viennent de s'écouler, est bien équipée, bien entraînée et vous pouvez compter sur les forces morales de ses femmes et de ses hommes dont l'unique but est de servir notre pays.

Mais cela n'a pas été sans arbitrage et mon souci majeur, à l'issue d'une période d'activité intense, est celui de la tension entre les sollicitations opérationnelles et les moyens disponibles. Il alimente l'inévitable débat qui s'annonce pour garder les savoir-faire d'une marine océanique, tout en s'adaptant aux réalités d'un contexte budgétaires tendu.

Mesdames et messieurs, ma mission, vous le savez, c'est de mettre à la disposition du CEMA une marine équilibrée, polyvalente, prête à faire face rapidement à toute sollicitation pour atteindre le seul but : répondre aux ambitions de sécurité et de défense de notre pays, protéger ses intérêts en mer comme à terre, promouvoir ses valeurs et l'aider à remplir ses obligations internationales. Le format actuel de la marine correspond selon moi à ces ambitions et permet d'absorber, avec des arbitrages, les à-coups liés à une activité intense.

Soyez sûrs de ma détermination à remplir ces objectifs, sous les ordres du CEMA et l'autorité du ministre de la défense.

M. Didier Boulaud - J'ai trois questions à vous poser, Amiral.

Ma première question concerne le porte-avion Charles de Gaulle. Quelle sera la durée de la remise en état du bâtiment et de son indisponibilité ? Quand pourra-t-il reprendre la mer ?

Ma seconde question porte sur les éventuelles difficultés de recrutement, notamment des jeunes, dans la marine.

Enfin, je souhaiterais connaître la situation dans la marine en matière d'absentéisme. Je me souviens que l'ancien ministre de la défense, M. Hervé Morin, avait cité le chiffre de 20 % de taux d'absentéisme dans les armées.

M. Jacques Gautier - Permettez-moi de vous adresser mes félicitations pour votre nomination et vous présenter tous mes voeux de succès dans vos nouvelles fonctions.

Je souhaiterais d'abord connaître votre vision de la stratégie maritime de la France. La France, qui est la deuxième puissance maritime et qui est présente sur tous les océans, a-t-elle une véritable stratégie maritime ?

S'agissant de la rénovation des avions de patrouille maritime (ATL2) à laquelle la marine nationale est très attachée, je crois savoir que cette opération a un coût très élevé. On parle de plus d'un milliard d'euros. Est-ce que vous avez étudié les solutions alternatives possibles comme l'utilisation de drones MALE ou encore d'appareils de type CASA235. Je sais que Airbus Military a développé ce type d'appareils pour le Chili et que le délégué général pour l'Armement, M. Laurent Collet-Billon, a eu l'occasion de les voir sur les chaînes de montage à Séville. Or il semblerait qu'il ait été favorablement impressionné.

Concernant les drones navals, le chef d'état-major des armées, l'Amiral Edouard Guillaud, a évoqué, lors de son audition devant la commission, les essais en cours sur le patrouilleur hauturier l'Adroit, produit par DCNS et mis à la disposition de la marine nationale. Est-ce que vous disposez d'études précises concernant la possibilité de déployer de tels drones, ainsi que leur coût.

Pour ce qui est de l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie maritime, cette opération de l'Union européenne coûte très cher. Nous avons autorisé l'embarquement de fusillers marins à bord de certains navires marchands ou de pêche. J'ai appris ce matin que l'Italie nous emboîtait le pas. Fait-on payer ces surcoûts aux armateurs ? Quel est votre sentiment sur le recours éventuel, en ce domaine, aux sociétés militaires privées ?

Enfin, est-ce que la marine nationale a fait définitivement le deuil du second porte-avions ?

Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine - Le porte-avions Charles de Gaulle est un magnifique bâtiment. Pour répondre à ceux qui ont pu critiquer son manque de disponibilité, je voudrais rappeler que cette année, le porte-avions Charles de Gaulle a d'abord participé à l'opération de soutien à l'intervention en Afghanistan dans l'océan Indien avant de rejoindre la Méditerranée pour participer à l'opération en Libye. Au total, il est resté 256 jours en mer.

Pour répondre à votre question sur la durée de la période d'entretien, nous avons mis en place un dispositif qui permettra de récupérer, le plus tôt possible, si le besoin s'en fait sentir, le porte-avions Charles-de-Gaulle. A partir de la fin novembre, le bâtiment sera placé sous un dispositif permettant sa disponibilité en 24 jours, ce qui signifie que nous pourrons le récupérer à partir de la mi-décembre avec un groupe aérien réduit. En effet, ma préoccupation aujourd'hui porte autant sur la disponibilité du groupe aérien que sur celle du bâtiment lui-même. Nous nous étions engagés dans une modernisation de notre flottille aéronautique, en passant du format Super-Etendard au format Rafale. Mais cette modernisation prend du temps car il faut former les pilotes. Cela ne signifie pas que le porte-avion Charles de Gaulle sera remis à la mer vers la mi décembre, mais qu'il sera disponible à partir de cette période, puisque nous avons regroupé tous les travaux lourds d'entretien pendant la première période pour le rendre disponible pendant la deuxième période d'entretien. Compte tenu du fait que le bâtiment est rentré le 12 août, la période d'indisponibilité est donc relativement courte. Sans vouloir prendre d'engagement ferme, car la formation des pilotes prime, je pense que nous serons en mesure de récupérer un bâtiment totalement disponible avec un groupe aérien complet à partir du printemps, début avril. J'ajoute que nous serons en mesure de constituer un groupe aérien complet en Rafale à partir de l'été 2012, puisque cette année 2011-2012 correspond aussi à la transformation d'une flottille de Super Etendard en flottille de Rafale.

En matière de recrutement, la situation est globalement satisfaisante et ma préoccupation porte davantage sur la « fidélisation » des officiers et marins de la marine nationale. Nous avons certes connu une baisse de 20 % des candidatures dans les centres de recrutement, mais la qualité du recrutement est plutôt bonne. En revanche, la « fidélisation » des officiers et des marins est pour moi un souci constant car il faut veiller à préserver certaines compétences très techniques et très spécialisées.

La déflation des effectifs est maîtrisée et ne suscite pas d'inquiétudes, même si elle est rendue plus compliquée par la réforme des retraites.

Nous restons vigilants en ce qui concerne l'absentéisme, qui touche les armées comme l'ensemble de la société, même si l'ampleur de ce phénomène reste limitée.

En ce qui concerne votre question sur la stratégie maritime de la France, je serais tenté de vous répondre qu'il vous appartient à vous, Parlementaires, en votre qualité de représentants de la Nation, de définir les ambitions et les axes de cette stratégie. La mondialisation s'accompagne d'une « maritimisation » du monde. Des questions telles que la liberté de circulation sur les mers et les océans, le passage des détroits, l'exploitation des ressources et la protection du milieu marin, l'ouverture de nouvelles routes maritimes, l'augmentation de la piraterie, se poseront avec de plus en plus d'acuité dans les prochaines années. La France, qui dispose du deuxième espace maritime du monde après les Etats-Unis et qui est présente sur tous les océans, grâce à ses territoires ultramarins, ne peut se désintéresser de ces phénomènes. Certes, plusieurs documents ont été publiés ces dernières années, comme le Livre bleu sur la stratégie nationale pour la mer et les océans. Mais, je regrette, à titre personnel, que le fait maritime ait été sous-estimé dans le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Concernant les avions de patrouille maritime, les avions ATL2 sont de remarquables appareils, aussi efficaces sur terre que sur mer avec une très bonne capacité d'observation. Un plan de rénovation de ces avions est en cours. Une enveloppe de 20 millions d'euros devrait être consacrée au maintien en condition opérationnelle de ces appareils d'ici à la fin de l'année. Faut-il remplacer ces avions par des drones ? La question mérite d'être posée. Pour autant, je ne suis pas persuadé que l'on pourra remplacer l'ensemble des avions par des drones car le principal avantage d'un avion, par rapport à un drone, est sa polyvalence. En revanche, le drone présente l'avantage de pouvoir être utilisé au plus près de l'action, dans un environnement incertain, même si tout dépend de l'endroit à partir duquel on est en mesure de le lancer. Je considère donc qu'il faudrait aller à l'avenir vers une complémentarité entre les avions et les drones. Vous avez mentionné les essais en cours de drone naval sur le patrouilleur hauturier l'Adroit, produit par DCNS et mis à la disposition de la marine nationale. C'est un exemple de partenariat réussi entre DCNS et la marine nationale.

L'opération Atalanta de lutte contre la piraterie maritime n'est pas une opération militairement compliquée, même si la zone d'action des pirates est très large, puisqu'elle s'étend du Golfe d'Aden et des côtes somaliennes à Madagascar et jusqu'à la côte indienne, soit une superficie de 3 à 4 fois la France, dans une zone où transitent environ 25 000 bâtiments par an et qui présente un intérêt stratégique pour l'approvisionnement de l'Europe. Actuellement, une dizaine de bâtiments sont aux mains de pirates. La semaine dernière, un ressortissant français a été tué lors du piratage d'un catamaran de plaisance français. Une opération de la marine espagnole a permis de libérer son épouse et sept pirates présumés ont été transférés en France pour y être jugés. Avec la loi sur la piraterie maritime, adoptée par le Parlement, notre pays dispose d'un cadre juridique efficace en matière de lutte contre la piraterie. Actuellement, sept bâtiments participent à l'opération Atalanta, auxquels on peut ajouter trois à quatre bâtiments qui participent à l'opération de l'OTAN de lutte contre le terrorisme dans l'océan Indien, et d'autres navires, notamment chinois, indiens ou russes. La coopération entre ces différents bâtiments est excellente.

Nous avons également mené un travail important de sensibilisation auprès des armateurs concernant les « bonnes pratiques » pour éviter ou déjouer les attaques de pirates, avec différentes techniques, comme l'utilisation des lances à incendies ou de « la citadelle ». Il n'en demeure pas moins que certains bâtiments, comme les chalutiers, les plaisanciers ou les câbliers, restent vulnérables, car ce sont des navires lents et bas.

La marine nationale a également accepté de déployer des équipes de protection embarquées composées de fusiliers marins pour protéger les thoniers et câbliers qui naviguent dans cette zone mais le coût est supporté par les armateurs.

Faut-il aller plus loin et envisager le recours aux sociétés militaires privées ? La question est complexe. Le Secrétaire général de la mer considère que l'usage de la force en mer doit demeurer une prérogative de la marine nationale. Si je partage son avis sur le fond, je n'ai cependant pas de réponse définitive, car on ne pourra pas protéger tout le monde. Le pragmatisme nous amènera peut-être à une solution intermédiaire.

Il faudrait aussi s'interroger sur les risques que représentent certaines régates ou les croisières organisées dans cette zone. Un travail pour dissuader les traversées non indispensables en Océan Indien est nécessaire, faute de quoi il faudra s'interroger sur les capacités de la marine à assurer ces missions.

M. Daniel Reiner - Avant toute chose, je voudrais saluer la mémoire de notre compatriote et rendre hommage aux officiers et marins de la marine nationale.

Ma première question concerne l'évaluation du coût de l'entretien des nouveaux bâtiments de projection et de commandement de type Mistral. Ces bâtiments ont été construits pour accueillir un équipage réduit et réduire les frais de maintien en condition opérationnelle. Qu'en est-il dans la pratique ?

Ma deuxième question porte sur les sous-marins nucléaires Barracuda et le « SCALP naval ». Où en sommes-nous exactement ?

Enfin, je souhaiterais connaître votre sentiment concernant la défense anti-missiles, qui a également une dimension maritime. Au regard de la programmation actuelle, les deux dernières frégates de défense aérienne devraient être livrées assez tardivement, ce qui nous permet de réfléchir sur le point de savoir s'il ne serait pas opportun de leur conférer une dimension de défense anti-missiles. En effet, il vaut mieux se poser la question aujourd'hui, car après il sera plus difficile et plus coûteux de vouloir transformer une frégate anti-aérienne en une frégate capable de contribuer à la défense anti-missiles. La France semble en effet en retrait sur ce sujet, par rapport aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Est-ce que cela signifie que la marine nationale se désintéresse totalement de la défense anti-missiles ? Je souhaiterais connaître votre point de vue sur cette question.

M. Gilbert Roger - Vous avez évoqué les difficultés en matière de recrutement et de fidélisation des personnels. Mais votre principale difficulté n'est-elle pas la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques et de la réduction des effectifs ?

M. Xavier Pintat - Pourriez-vous nous faire le point sur le programme de la remise à niveau du missile M 51.2 concernant la dissuasion nucléaire et l'ensemble du programme TRANSOUM sur les transmissions stratégiques ?

Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine - Vous avez raison de souligner les avantages du nouveau bâtiment de projection et de commandement, tant en termes d'effectifs embarqués, que de coûts de maintenance. Ce bâtiment présente l'avantage d'avoir un équipage réduit et des coûts de maintenance peu élevés. C'est un exemple réussi de coopération interarmées, puisqu'il permet de mettre à la disposition de l'armée de terre les moyens de commandement, de transport, de logistique et de soutien nécessaires. Un bâtiment tel que le Tonnerre a effectué près de 63 jours de mission en mer, sans escales, soit l'équivalent d'un sous-marin. Son équipage ne comprend que 160 marins. L'économie des coûts de maintien en condition opérationnelle des BPC, par rapport aux anciens bâtiments, représente environ un million d'euros. Au total, ce type de bâtiment a démontré son efficacité.

En ce qui concerne les sous-marins de type Barracuda, nous restons sur une cible de six sous-marins, dont le premier exemplaire devrait être livré en 2017.

Je n'aime pas beaucoup l'expression de « SCALP naval ». Je préfère l'expression « missile de croisière naval » car ce dernier ne présente pas les mêmes caractéristiques que le missile SCALP et ne répond ni aux mêmes modes d'emploi ni aux mêmes besoins. Ce missile a vocation à être embarqué sur les frégates multi-missions (FREMM) et les sous-marins Barracuda.

La défense anti-missiles est un sujet très à la mode mais qui doit être étudié avec soin. En France, nous avons pendant longtemps opposé la défense anti-missiles et la dissuasion nucléaire, mais ce discours a évolué. La vraie question qui se pose est de savoir si nous serons en mesure de financer un programme de défense anti-missiles alors que nous avons toujours besoin de la dissuasion. Pour ma part, je crois qu'il ne serait pas raisonnable de tout sacrifier pour la défense anti-missiles et que celle-ci ne représente qu'un des outils de la boîte à outils. Il faut donc veiller à trouver un équilibre entre les ambitions stratégiques assignées à notre pays, nos capacités militaires et les contraintes budgétaires.

La diminution des effectifs porte davantage sur le soutien que sur la capacité opérationnelle. Elle ne pose pas de difficultés concernant le maintien de certaines spécialités propres à la marine, même si cela demande évidemment une grande vigilance. En matière de fidélisation, il s'agit surtout d'une question de rémunération.

Le calendrier du programme TRANSOUM sur les transmissions stratégiques, qui représente un aspect important pour la dissuasion nucléaire, est respecté. Le M 51 a été mis en service en septembre 2010 sur le Terrible et le M 51.2 est prévu en 2015.

Mme Leila Aïchi - Je suis très intéressée par la situation en Somalie et la question de la piraterie. Pourriez-vous nous présenter l'état de la situation et nous dire le coût de l'opération Atalanta ?

Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine - Les opérations extérieures sont placées sous la responsabilité du chef d'état-major des armées, l'Amiral Édouard Guillaud, qui sera mieux placé que moi pour vous répondre. Je peux toutefois vous dire mon sentiment personnel à ce sujet.

Comme vous le savez, la situation en Somalie est très complexe et les causes et la solution de la piraterie se trouvent à terre. L'explosion de la piraterie au large des côtes somaliennes s'explique en effet par la faillite de l'Etat somalien et par la famine provoquée par la guerre civile. L'opération Atalanta de l'Union européenne vise à prévenir et à réprimer les actes de piraterie commis en mer, mais elle a aussi trouvé un prolongement dans la formation de soldats somaliens en Ouganda. A l'avenir, nous étudions la possibilité de former des gardes-côtes. Par ailleurs, la lutte contre la piraterie présente un aspect davantage juridique que militaire. Il est relativement aisé d'intervenir militairement contre des pirates, qui sont faiblement armés et embarqués sur de petits bateaux. Mais la véritable difficulté consiste à repérer les pirates, à les distinguer des pêcheurs et à les faire juger par un tribunal. La France dispose d'une législation depuis l'adoption par le Parlement de la loi relative à la lutte contre la piraterie maritime et l'Union européenne a conclu plusieurs accords avec des pays de la région, permettant la remise des pirates capturés aux autorités judiciaires de ces pays. Toutefois, il faut des preuves pour faire condamner les pirates présumés et le traitement judiciaire représente une vraie difficulté. Concernant le coût, environ 70 marins sont embarqués pour assurer la protection des thoniers, pour un coût de l'ordre de 2 à 3 millions d'euros par an, qui est supporté par les armateurs. Concernant l'opération Atalanta, le coût pour la France correspond au coût du déploiement d'une frégate, de son équipage et d'un avion de reconnaissance aérienne.

M. Jean-Louis Carrère, président. - Pourriez-vous nous dire votre sentiment concernant la fonction garde-côte, qui vient d'être confiée à la marine nationale à la suite du Livre bleu sur la stratégie maritime de la France ?

Enfin, la marine nationale dispose-t-elle des moyens suffisants pour contrôler la zone économique exclusive de la France, qui est la deuxième plus importante au monde, après celle des Etats-Unis ?

Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la Marine - Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, la fonction de garde côte est une création récente, puisqu'elle ne date que de l'année dernière, mais elle peut d'ores et déjà être qualifiée de succès. Elle présente la particularité d'avoir un caractère fortement interministériel. Il s'agit, en effet, d'une mission, placée sous l'autorité du secrétaire général de la mer, qui regroupe l'ensemble des aspects de l'action de l'Etat en mer, comme la lutte contre l'immigration illégale, la lutte contre le trafic de drogue, etc. Cette fonction va nous permettre concrètement de compenser une réduction temporaire de capacités pour le contrôle de notre zone économique exclusive, compte tenu de la vieillesse de nos bâtiments de type Batral, en lançant un appel d'offres pour l'acquisition de trois bâtiments de type « Supply ship », à l'horizon de 2014, dont l'acquisition devrait être financée à 80 % par le ministère de la défense et à hauteur de 20 % par les autres ministères concernés, tandis que les coûts de fonctionnement seront partagés à égalité entre le ministère de la défense et les autres ministères concernés, ces bâtiments étant armés par la marine nationale. L'appel d'offres a été lancé et nous attendons les réponses. Sous l'autorité du Secrétaire général de la mer, l'état major de la marine dispose du Centre opérationnel de la fonction garde côtes qui est une réussite.

L'idée d'une extension de cette fonction à d'autres partenaires européens se heurte à des difficultés car les autres pays ne disposent pas de la même organisation. Certes, l'agence européenne de protection des frontières Frontex a été créée et un mécanisme d'échange d'informations a été mis en place. Toutefois, il subsiste de fortes différences entre les pays européens en matière d'organisation.

Enfin, pour répondre à votre question sur les moyens dont dispose la marine nationale, je me permets, là encore de me retourner vers vous et de vous répondre que tout dépend des objectifs stratégiques que l'on souhaite assigner à notre pays. On en revient toujours au triptyque entre les ambitions stratégiques, les capacités militaires et les moyens budgétaires. On ne peut évaluer les capacités militaires qu'en fonction des ambitions stratégiques qui sont fixées et des moyens budgétaires qui sont consacrés pour remplir ces objectifs. Je crois cependant que la marine nationale dispose aujourd'hui des moyens nécessaires pour accomplir ses missions de manière juste suffisante, et notamment le contrôle de la zone économique exclusive de notre pays, mais il ne faudrait pas que ces missions augmentent dans un monde qui se mondialise, donc se maritimise.

Nomination de rapporteurs

La commission procède à la nomination de rapporteurs :

M. Jacques Gautier sur la proposition de loi n° 523 (2009-2010), adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le conseil national des communes "compagnon de la libération", en remplacement de M. Roger Romani ;

M. Alain Néri sur le projet de loi n° 198 (2010 - 2011) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Cameroun relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire, en remplacement de Mme Catherine Tasca ;

M. Gilbert Roger sur le projet de loi n° 1892 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat d'Israël sur la lutte contre la criminalité et le terrorisme, en remplacement de M. André Vantomme ;

M. Xavier Pintat sur le projet de loi n° 2011 (AN - 13e législature) autorisant l'approbation du protocole n°14 bis à la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la convention, en remplacement de Mme Gisèle Gautier.