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Mercredi 15 février 2012

- Présidence commune de M. Simon Sutour, président, et de M. Philippe Marini, président de la commission des finances -

Economie, finances et fiscalité - Table ronde sur la régulation bancaire et le financement de l'économie

La commission procède, conjointement avec la commission des finances, à l'audition de M. Andrea Enria, président de l'Autorité bancaire européenne, Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de l'Autorité de contrôle prudentiel, M. François Perol, président du directoire de BPCE, et M. Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'Université de Paris-Nord (Paris XIII).

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - La commission des affaires européennes et la commission des finances poursuivent aujourd'hui leur réflexion sur la régulation financière en abordant ce matin plus spécifiquement la régulation bancaire.

Nos deux commissions vont être prochainement amenées à examiner des textes qui visent notamment à appliquer en Europe les recommandations du Comité de Bâle.

Je remercie particulièrement nos invités qui vont nous faire part de leur analyse de la situation et de leur appréciation sur le projet de la Commission européenne.

Nous entendons de nombreuses réactions sur l'opportunité et le juste calibrage des nombreux ratios prudentiels proposés. J'aimerais pour ma part que nos invités nous éclairent sur quelques points particuliers.

Le premier concerne la gouvernance des banques, car c'est un problème de gouvernance - à notre sens - qui a suscité la crise financière. Certaines activités étaient hors de contrôle ou, pour le moins, mal contrôlées.

Le deuxième point, d'ailleurs lié au premier, concerne la réflexion maintenant engagée en Europe sur la séparation entre les différentes activités bancaires et donc sur l'avenir du modèle de nos banques françaises « généralistes ».

Finalement, la question est de savoir quel degré de liberté on peut laisser aux banques dans le contexte si particulier d'une activité qui bénéficie du soutien implicite des Etats.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Cette table ronde porte sur la régulation bancaire et le financement de l'économie. Notre préoccupation est double : il s'agit de la seconde rencontre organisée conjointement par nos deux commissions depuis le début 2012, après celle du 18 janvier dernier sur la régulation des marchés financiers. Nous venons d'arrêter une proposition de résolution du Sénat sur l'« European market infrastructure regulation » (EMIR), ainsi que sur la directive-règlement sur les marchés d'instruments financiers (MIF 2).

C'est un sujet en relation directe avec ce que nous allons traiter car il s'agit bien de la solidité et de la solvabilité du système financier. Cette préoccupation prend place dans toute une série d'initiatives européennes et nationales.

Tout cela résulte pour une bonne part de la crise qui a révélé les inadaptations et les difficultés potentielles des établissements bancaires européens. Lors de l'audition organisée la semaine dernière par la commission des finances du Sénat, les économistes que nous avons entendus nous ont rappelé que le suivi des valeurs d'actifs par les banques centrales européennes est une question cruciale. L'Irlande est là pour nous rappeler qu'un système apparemment prudent peut exploser quasiment d'un jour à l'autre, avec des conséquences systémiques importantes si on n'a pas prêté attention aux risques pris par certains acteurs de l'économie et, en l'espèce, ceux représentant le marché immobilier ! Qu'un aussi petit marché, dans un aussi petit pays, ait pu provoquer de telles conséquences financières peut nous conduire à méditer sur la régulation à mettre en oeuvre et sur les règles à faire respecter dans les bilans des établissements financiers !

Problème de fonds propres, problèmes de liquidité, tous sujets familiers au Comité de Bâle. Tout notre environnement est façonné par ce Comité qui n'a pas de réalité organisationnelle de droit public mais qui, néanmoins, fait partie de notre quotidien, celui des banquiers et aussi celui des élus que nous sommes.

Aucun représentant démocratiquement élu ne siège au Comité de Bâle mais la normalisation qu'il a mise en oeuvre s'impose, notamment aux autorités communautaires et donc nationales - ce qui ne peut qu'alimenter un assez grand nombre de frustrations. Il faut bien comprendre cela. Même si nous sommes bien placés dans nos commissions pour avoir une conscience aiguë de la réalité des problèmes financiers, il n'en reste pas moins qu'en dehors de nos enceintes, les modes de décisions incontournables s'agissant d'une telle matière ne peuvent qu'alimenter largement la frustration et les tensions dans la période de crise que nous vivons.

D'autres initiatives figurent à l'ordre du jour européen. Je pense aux exigences fixées de concert par le Conseil et par l'EBA demandant aux banques de détenir 9 % de fonds propres à l'horizon de juin 2012.

Ces contraintes vont-elles se traduire par un resserrement du crédit ? Je ne parle pas de « credit crunch », qui constitue un effondrement du crédit mais de resserrement du crédit.

Si nous vous avons demandé de venir devant nous, c'est pour que vous nous disiez la vérité, même si nous savons bien qu'il existe un langage de banque centrale qui permet de communiquer dans le monde entier et qui a son utilité mais qui est très policé. Nous vous demanderons donc de bien vouloir nous dire très directement tout ce que vous pensez de ces sujets.

Il y a un élément très positif dans la situation actuelle : il s'agit du refinancement à 36 mois par la Banque centrale européenne (BCE). C'est une initiative pleine d'imagination et assez inattendue - au moins pour ceux qui ne partageaient pas sa préparation - mais au-delà de cette mesure très puissante, l'équilibre reste à trouver sur notre continent entre, d'une part, la nécessité de réguler le secteur bancaire, de s'assurer de sa solidité en cas de crise, d'éviter que le contribuable ne soit de nouveau appelé ici ou là à renflouer les établissements qui en auraient besoin et, d'autre part, le besoin de financement et de croissance de nos économies ainsi que des collectivités territoriales. Il a fallu à deux reprises, dans ce pays, mettre en oeuvre un dispositif exceptionnel, un filet de sécurité, grâce à une entité très spécifique - même si elle est quelque peu bancaire - la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Sans cela, c'était la disette, directement issue de Bâle III car le banquier qui ne reçoit pas de dépôts ne prête plus !

Or, en France, les collectivités territoriales déposent au Trésor et c'est une des clés de notre organisation financière. Ceci a des conséquences très importantes en termes de finances publiques.

C'est dans ce contexte que nous allons vous entendre, sans oublier la place des banques dans la souscription et l'animation du marché des titres représentatifs des dettes souveraines. J'espère vivement que vous allez nous aider à faire la part des choses.

Je suis heureux, en notre nom à tous, d'accueillir M. Andrea Enria, président de l'autorité bancaire européenne (EBA), Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel (ACP), MM. François Pérol, président du directoire de BPCE, et Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université de Paris-Nord (Paris XIII), car nous estimons toujours utile, au Sénat, que les universitaires nous apportent leur éclairage, en toute indépendance. Dans chacune de nos auditions, nous nous efforçons, lorsque c'est possible, de faire participer des autorités représentant l'école économique française.

La parole est à M. Enria...

M. Andrea Enria, président de l'autorité bancaire européenne. - Je présenterai quelques propos liminaires et aborderai deux sujets. Le premier concerne le travail de l'EBA destiné à renforcer les capitaux propres des banques européennes à partir des tests de résistance réalisés en 2011 ; je m'appesantirai davantage sur les éléments qui pourraient avoir un impact sur le crédit...

Le second sujet concerne le travail de réglementation de l'EBA. Il s'agit de mettre en oeuvre un ensemble unique de réglementations sur le marché bancaire européen et de nous atteler à la définition de nouvelles règles en matière de capitaux propres et de liquidité.

En 2011, nous nous sommes lancés dans des tests de résistance des banques européennes. Nous avons essayé d'établir des définitions communes pour les banques en matière de critères communs, de processus d'examen par les pairs et de niveau de fonds propres. Nous avons également essayé de maintenir un maximum de transparence en ce qui concerne la situation des banques européennes. Je pense d'ailleurs que le marché a favorablement accueilli cet exercice.

Au moment de la crise des dettes souveraines, le manque de confiance était criant, particulièrement concernant les banques exposées. L'EBA a proposé l'été dernier de nouvelles mesures afin de renforcer la position en capitaux propres des différentes banques. Fin octobre, nous avons fait des propositions plus larges afin d'essayer de gérer la crise sur les marchés. Les recommandations faites aux banques consistaient à augmenter jusqu'à 9 % les capitaux propres de base.

Nous avons eu, la semaine passée, l'occasion de discuter des plans de recapitalisation des banques européennes afin d'étudier s'ils étaient conformes à nos recommandations. Ces demandes auraient pu pousser les banques à se désendetter ce qui aurait pu avoir un impact sur l'économie réelle. Nous avons essayé de pallier ce problème en renforçant les capitaux propres sans réduire les prêts consentis à l'économie réelle ; nous avons constaté que les banques avaient pris nos recommandations très au sérieux.

Le processus de recapitalisation est en bonne voie ; nous ne prévoyons pas d'impact majeur résultant de cet exercice sur l'économie réelle du crédit mais il est évident que les banques ont eu à gérer des problèmes de financement, que nous surveillons de très près.

J'en viens au second volet de mon intervention qui concerne la préparation de normes harmonisées qui seront appliquées sur le marché unique. Cet effort résulte des recommandations adoptées par le groupe de haut niveau présidé par M. de Larosière. Il s'agit d'accentuer la priorité à la quantité et à la qualité des capitaux propres, tout en se concentrant sur les risques de liquidité.

Nous avons engagé un dialogue avec le Conseil européen, le Parlement européen et les parlements nationaux. Le traité de Lisbonne est bien entendu au centre de cet exercice. Plusieurs autorités ont toutefois émis quelques doutes sur ce concept.

Etant donné ce qui s'est passé avant, pendant et après la crise - et encore récemment - il existe un besoin criant de règles uniques et harmonisées sur le marché. Nous devrons donc rédiger plus d'une centaine de normes ; quarante devront l'être d'ici la fin de l'année.

Nous nous concentrons actuellement sur deux secteurs : la définition des capitaux propres d'une part et les normes de liquidité d'autre part.

La définition des capitaux propres est un domaine essentiel. Nous devons absolument arriver à nos fins. La proposition de la Commission en matière de capitaux propres est conforme aux exigences contenues dans les accords de Bâle mais aucun critère spécifique n'est imposé concernant les instruments juridiques. Or, l'EBA a la possibilité de garder le contrôle sur la définition des capitaux propres. Une fois les nouveaux règlements adoptés, un certain nombre d'innovations verront le jour en matière de financement ; nous devrions conserver le contrôle de ces innovations et procéder à une harmonisation des différentes juridictions. Nous avons bien vu, par le passé, ce que coûte le fait de perdre le contrôle.

Le second point concerne les exigences en matière de liquidité. C'est la première fois que nous adopterons des normes européennes harmonisées en la matière. Les propositions émanant du Comité de Bâle ont suscité beaucoup de préoccupations dans le secteur bancaire. Certaines autorités ont exprimé leur inquiétude concernant les conséquences imprévues que ces règles pourraient avoir sur le fonctionnement des marchés monétaires.

Je voudrais insister sur deux points. En premier lieu, les principes de Bâle sont sains ; nous voulons un coussin de liquidité permettant de résister aux crises et souhaitons davantage d'adéquation entre les engagements et les fonds propres des banques. Nous ne voulons plus qu'il existe autant de volatilité concernant le financement sur les marchés bancaires.

Cela étant, les détails techniques des ratios proposés par Bâle doivent être calibrés très soigneusement afin d'être sûrs d'atteindre les objectifs souhaités. Nous pensons qu'il pourrait être nécessaire d'ajuster ici ou là certains paramètres de base.

Pour cela, l'EBA devrait collecter des informations auprès des banques et effectuer des analyses factuelles et empiriques afin de présenter si nécessaire des propositions de changement précises au Parlement et au Conseil.

Nous allons présenter de nouvelles idées sur la base des éléments que nous allons recueillir auprès des banques. Il faut veiller à prendre en compte les caractéristiques spécifiques du secteur bancaire européen. Nous savons que les banques européennes fonctionnent avec des obligations garanties, contrairement aux banques américaines, qui peuvent éventuellement recourir aux compagnies d'assurance comme Freddie Mac ou Freddy May.

Nous devons bien sûr présenter des mesures proportionnées à la taille des établissements. L'EBA en est encore à ses balbutiements. Nous sommes soumis à beaucoup de pressions à différents égards. Nous avons dû relever un énorme défi. Au cours de ces premiers mois d'activité, nous avons prouvé que nous pouvons prendre des décisions. Nous voudrions aussi remercier les superviseurs nationaux. Je suis sûr que l'EBA ne pourra réussir que si nous pouvons fonctionner la main dans la main !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Vos propos sont éclairés par votre interview dans Les Echos de ce jour. Ceci nous permettra de vous questionner plus tard...

La parole est à Mme Nouy...

Mme Danièle Nouy, secrétaire générale de l'autorité de contrôle prudentiel. - La réforme Bâle III, nécessaire pour renforcer la solidité des systèmes bancaires, comporte des enjeux importants pour le financement de l'économie. Sa mise en oeuvre doit donc se faire en tenant compte des impacts qu'elle peut avoir sur l'activité économique.

Après un bref rappel du dispositif Bâle III lui-même, je reviendrai sur le « calibrage » de la réforme ainsi que les conséquences possibles de cette dernière sur l'économie, avant de terminer par les questions liées au « deleveraging », c'est-à-dire à la réduction par les banques de leurs engagements financiers et au « shadow banking », c'est-à-dire la finance non régulée dite « de l'ombre ».

Bâle III est une réponse indispensable à la crise financière. La crise financière, qui a été déclenchée en 2007 par l'effondrement de la pyramide des subprimes aux Etats-Unis, a mis en péril le système financier mondial. Un renforcement en profondeur de la réglementation était indispensable. C'est pourquoi, sous l'impulsion du G 20, le Comité de Bâle a rapidement proposé un large éventail de mesures à la fois quantitatives et qualitatives.

En 2009, il a développé une première série de mesures visant à assurer une surveillance plus étroite et une meilleure couverture en fonds propres des activités de marché des banques. Ce dispositif, appelé « Bâle 2.5 », est entré en vigueur en Europe et France depuis fin 2011, comme s'y étaient engagés les chefs d'Etat et de gouvernement au G 20.

A la fin de l'année 2010, le Comité de Bâle a finalisé un ensemble de nouvelles mesures constituant le dispositif Bâle III. Je rappelle en quelques mots que, sur le plan quantitatif, Bâle III va d'abord se traduire par un relèvement des exigences de solvabilité des banques, qui - sous la forme d'un ratio - rapportent les fonds propres qu'elles détiennent aux risques qu'elles prennent. Au numérateur de ce ratio, la quantité ainsi que la qualité des fonds propres qu'elles devront détenir seront renforcées ; au dénominateur, les exigences de fonds propres relatives à leurs activités de marché, de titrisation et sur instruments dérivés seront nettement accrues.

Par ailleurs, les banques les plus importantes, c'est-à-dire celles jugées d'importance systémique, seront soumises à une charge en capital supplémentaire.

Outre un ratio de capital renforcé, Bâle III imposera aux banques de respecter des ratios de liquidité et de levier.

Deux ratios de liquidité, l'un à un mois, le « liquidity coverage ratio » ou LCR, qui vise à assurer que chaque banque puisse faire face à un choc de liquidité soudain ; l'autre à un an, le « net stable funding ratio » ou NSFR, qui vise à s'assurer que son activité de transformation est maîtrisée.

Un ratio de levier qui est destiné à limiter le total des engagements financiers globaux d'une banque, indépendamment de leur nature, au regard de ses fonds propres.

Bâle III ne se limite pas au renforcement ou à l'introduction de normes quantitatives de gestion. La réforme comporte des exigences accrues en matière de gouvernance, notamment une implication accrue des organes dirigeants dans le dispositif de contrôle interne des banques, des mesures et de gestion des risques et de transparence financière.

En Europe, la mise en oeuvre de Bâle III sera effectuée via un règlement, d'application directe dans les Etats membres et via une directive dont l'entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 2013. Ces deux textes permettront de renforcer encore l'harmonisation du marché unique des services financiers, grâce à la mise en place d'un corpus de règles unique.

Par ailleurs, ils confient à l'Autorité bancaire européenne présidée par Andrea Enria le soin de rédiger des standards techniques qui faciliteront une mise en oeuvre totalement homogène des nouvelles règles. Ceci est important en termes d'égalité de concurrence.

Mon second point concerne le « calibrage » et le calendrier de la réforme qui doivent être compatibles avec le financement de l'économie.

La mise en oeuvre de Bâle III a été voulue progressive, s'échelonnant jusqu'en 2019 afin de renforcer la solidité des banques tout en continuant d'assurer le financement de l'économie.

L'histoire s'est malheureusement rapidement accélérée. Les incertitudes sur la capacité de certains États à maîtriser leurs équilibres budgétaires se sont, par effet de contagion, diffusées au système bancaire, notamment en Europe. Restaurer la croissance impose un pilotage fin, auquel le système européen de banques centrales prend une part importante, en coordination étroite avec les superviseurs bancaires nationaux et les organismes européens et internationaux.

Je pense à cet égard aux mesures de soutien décidées en décembre 2011 par le Conseil des gouverneurs de la BCE : opérations de refinancement d'une durée de 36 mois, réduction du taux des réserves obligatoires et mesures visant à accroître la disponibilité des garanties.

Si ces actions ont permis de relativement dégripper le marché interbancaire, quelques points de Bâle III méritent d'être revus compte tenu de leurs conséquences inattendues ou indésirables - ou les deux à la fois. Il en va ainsi de certains aspects du ratio de liquidité à court terme, le LCR.

Avant de les évoquer, je souhaite d'abord souligner que la mise en oeuvre de standards quantitatifs de liquidité harmonisés à l'échelon international constitue une avancée importante. J'ajouterais même, pour ne parler que du LCR, qu'il réaffirme quelques évidences que certains établissements ont pu oublier, la première étant que le métier d'une banque est avant tout de collecter des dépôts et d'octroyer des crédits.

Ce ratio à un mois présente encore néanmoins, dans son calibrage, des imperfections tant à l'échelon de la définition, trop étroite, des actifs liquides qu'il retient, que dans son traitement, parfois trop conservateur, des flux de trésorerie des banques. Il est donc important de revoir ce calibrage car les conséquences de ce ratio sont considérables pour certains financements comme celui des entreprises et des collectivités locales. Les discussions internationales se poursuivent en la matière, à la fois à Bâle et à l'échelon européen.

J'en arrive aux conséquences de Bâle III sur le financement de l'économie qui doivent, à juste titre, être surveillées.

L'analyse des conséquences possibles de Bâle III sur le financement de l'économie a fait l'objet d'études approfondies sous l'égide du Comité de Bâle et de la BRI. C'est un sujet complexe que je souhaite évoquer concrètement en prenant deux exemples, les PME et les collectivités locales.

S'agissant des PME, il est important de souligner qu'elles reçoivent déjà actuellement, au titre du risque de crédit, un traitement plus favorable que les grandes entreprises. Ce traitement favorable est conservé dans Bâle III.

En pratique d'ailleurs, les statistiques de la Banque de France montrent que les PME dans leur ensemble n'ont pas subi un resserrement de l'accès au crédit pendant la crise. Fin novembre 2011, les encours de crédits accordés aux PME avaient progressé de 5 % par rapport à novembre 2010, soit un rythme supérieur à celui du PIB.

En ce qui concerne le financement des collectivités locales, l'impact de Bâle III est une question particulièrement prégnante. Leur traitement au titre du risque de crédit, qui leur est très favorable, restera inchangé. En revanche, la mise en oeuvre des ratios de liquidité et de levier pourrait avoir un impact négatif sur leur financement.

Cependant, ces nouvelles normes, et notamment leur calibrage, sont encore en cours de discussion et il serait donc prématuré de conclure définitivement sur les conséquences de leur mise en oeuvre mais il faut demeurer vigilant.

Enfin, la réduction de la taille des bilans, le « deleveraging » et le « shadow banking », la finance non régulée, font l'objet d'une attention particulière.

Dans un effort pour restaurer la confiance, les banques françaises, qui ont déjà renforcé de manière considérable leurs fonds propres ces dernières années, ont annoncé, avant même la mise en oeuvre complète de Bâle III, diverses mesures destinées à renforcer encore leur solvabilité, notamment en réduisant le niveau de leurs engagements financiers. Ceci a fait craindre, ou peut faire craindre, un rationnement du crédit.

Les plans présentés par les établissements français montrent à cet égard que ce sont principalement les activités de marché et le financement des activités en dollars qui supporteront le plus gros de cet effort de réduction.

A cet égard, l'ACP est en contact permanent avec les dirigeants des établissements de crédit et suit naturellement avec vigilance leur activité de crédit.

Sur le marché des entreprises, globalement, c'est plutôt une baisse de la demande qui paraît être observée, les décisions d'investissement étant parfois repoussées par manque de visibilité sur les perspectives de l'activité économique.

S'agissant des crédits immobiliers aux ménages, un tassement de la production peut être observé en raison notamment du niveau élevé des prix. Les activités de financement spécialisé, tels que le crédit à la consommation ou le crédit-bail, font quant à eux l'objet d'une revue stratégique par certains groupes, notamment dans les implantations à l'étranger où ceux-ci n'ont pas la taille critique nécessaire.

A cette occasion, il convient également de noter que la réglementation européenne transposant Bâle III en Europe devrait avoir des conséquences importantes pour les sociétés financières, qui exercent notamment des activités d'affacturage ou de financement de l'équipement des entreprises. Le règlement européen, d'application directe, devrait en effet modifier en profondeur la réglementation française existante en remettant en cause leur statut et donc en partie leur modèle économique. L'ACP les accompagne dans les réflexions qu'elles ont à mener à ce sujet.

Pour conclure, je dirais que la mise en oeuvre de Bâle III conduira à une distribution plus attentive du crédit et peut-être à un relèvement de son coût mais permettra surtout à l'économie, française notamment, de pouvoir compter sur des banques solides, à même de résister à des chocs violents tout en continuant de financer les ménages et les entreprises.

Cet objectif d'un secteur bancaire toujours plus robuste ne doit cependant pas conduire à se désintéresser d'autres acteurs peu ou non régulés. Il est essentiel que la mise en oeuvre des nouvelles normes n'ait pas pour effet secondaire un développement des activités de la finance de l'ombre qui pourrait se faire au détriment de la stabilité financière et des consommateurs.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - La parole est à M. Pérol. Vous êtes l'un des utilisateurs de ce système normatif, mais en même temps le dispensateur de crédits qui a bien présent à l'esprit la situation du tissu économique, ses fragilités comme son potentiel.

Pouvez-vous nous dire ce que Bâle III change dans le système de décision d'une grande banque ? Comment intégrez-vous cet environnement qui évolue dans vos décisions ? S'agit-il de règles incontournables fixées par un Comité central totalement hors de portée ou d'un dispositif plus souple qu'il n'y paraît permettant d'exercer des options, d'arbitrer entre des activités et des risques ?

M. François Pérol, président du directoire de BPCE. - Je vais essayer d'apporter une réponse à votre question sous trois angles, en essayant de l'illustrer à partir du cas du groupe dont j'ai la responsabilité aujourd'hui.

Les banques françaises et notre groupe partagent l'intégralité des objectifs poursuivis par cette nouvelle réglementation, tels qu'ils ont été assignés par le G  20 afin de réduire au maximum la probabilité d'une nouvelle crise financière systémique. Il n'est pas envisageable, à mon sens, qu'une nouvelle crise financière puisse solliciter les finances publiques et les contribuables, comme cela a été le cas en 2008. Je ne parle pas spécialement de la France - qui a été la moins concernée - mais du reste du monde.

L'autre objectif est de permettre que les banques financent l'économie à partir des dépôts qu'elles collectent et des ressources qui sont les leurs afin d'éviter, comme on l'a vu en 1929, que l'assèchement du crédit ne provoque une crise économique.

M  Enria et Mme Nouy ont parfaitement résumé ces objectifs qui se traduisent par davantage de capital pour les banques pour couvrir leurs pertes potentielles. Cela signifie que les banques se financent davantage auprès de leurs clients, plus stables, qu'auprès des marchés. Cela veut également dire que les banques se financent à plus long terme et, lorsqu'elles collectent leurs ressources sur les marchés, que la part collectée à court terme soit la moins élevée possible. Enfin, les banques doivent essayer d'allonger autant que faire se peut la durée de leurs ressources en fonction de la durée de leurs crédits. Elles doivent également avoir moins de leviers, c'est-à-dire plus de capital et moins de dettes pour les mêmes activités.

Un groupe comme le nôtre partage ces principes et les objectifs qui sont poursuivis. Beaucoup de choses ont changé depuis 2009, année de notre création. Cela signifie tout d'abord des activités recentrées sur les activités au service des clients mais aussi la fin des activités pour compte propre.

La seconde conséquence est le recentrage sur les activités bancaires et les activités d'assurance car nous considérons que celles-ci sont très liées.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Pouvez-vous dire ce que sont vos activités pour compte propre ?

M. François Pérol. - Elles sont aujourd'hui résiduelles, en ce sens qu'elles correspondent aux actifs que nous continuons de porter dans nos bilans. Ce sont ceux que nous n'avons pas encore pu vendre, qui sont en gestion extinctive et que nous essayons, tout en protégeant nos résultats, de céder au mieux sur le marché.... Ce n'est plus fondamentalement une orientation stratégique du groupe.

Le troisième choix stratégique réside dans l'allongement de financement du groupe, qui ne peut se faire que progressivement en fonction des capacités des investisseurs et du marché. Cela signifie un accroissement des ressources collectées dans nos bilans par rapport à des ressources collectées en dehors de notre bilan. Ce programme de désendettement de notre groupe est fondé sur quelques idées simples. Nous protégeons notre clientèle de particuliers, de PME et développons pour les grandes entreprises et pour toutes celles pour lesquelles il existe une ressource de substitution des financements de marché en les aidant à mieux accéder au marché financier. L'une des conséquences de la réduction de l'effet de levier dans les banques, la taille des bilans se réduisant, est le fait qu'il existe moins de crédits. Il faut donc, pour financer ceux qui le peuvent, développer les activités de marché. C'est à mon sens une conséquence structurelle de la réglementation de Bâle III...

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Le temps de l'économie rhénane - je me réfère ici à de vieilles notions - telle que Michel Albert l'avait théorisée, est achevé. Nous nous dirigerons davantage, dans le cadre de Bâle III, vers une économie désintermédiée où le financement des entreprises dépendra beaucoup plus de l'accès au marché que du financement bancaire. Est-ce bien ce que vous nous dites ?

M. François Pérol. - C'est une conséquence mécanique de la réglementation de Bâle III. Il faudra bien financer les grandes entreprises et faire en sorte que cette ressource de marché puisse venir se substituer aux ressources bancaires.

Pour notre groupe, cela signifie protéger les particuliers, les PME et tous ceux qui n'ont pas la possibilité d'avoir accès à une ressource de substitution. Il nous faut donc inciter les grandes entreprises à aller davantage vers les marchés financiers, tout en continuant à leur consentir du crédit, même si c'est globalement moins.

Pour ce qui nous concerne, cela signifie aussi le maintien de nos encours aux collectivités locales, dans un marché où l'un des acteurs prépondérants est désormais absent. Enfin, dernière orientation stratégique, nous avons réduit nos activités de marché et les financements aux clients non français. Dans ce métier, on constate en effet une préférence pour les clients les plus proches.

Cela représente un certain nombre de choix stratégiques très importants. Notre capital dur a progressé de 33 à 40 %. Cela représente une gestion du financement plus serré et des choix de métiers. Nous sommes un groupe coopératif qui est là pour collecter des dépôts, financer nos clients et les aider à avoir accès aux marchés pour les plus grands. Il s'agit d'activités de clientèle, de banque et d'assurance. Nous sommes donc engagés dans un mouvement de transformation considérable.

En second lieu, il est à mon sens vital pour les économies européenne et française que l'application de cette réglementation tienne compte de trois réalités.

Première réalité : l'économie européenne ne frappe pas par son dynamisme. La politique budgétaire des Etats de la zone euro est durablement restrictive et la politique monétaire ne peut être plus accommodante. Je voudrais ici saluer les décisions courageuses et pragmatiques, qui témoignent d'une vraie vision à long terme du Conseil des gouverneurs et du Président de la BCE : il ne faut pas que la politique de crédit des banques soit rationnée ! C'est essentiel pour l'économie européenne...

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - C'est bien parce que nous pensons comme vous que nous vous avons invité !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. - Attendons : M. Pérol n'a pas fini sa démonstration !

Vous avez parlé de stratégie et de métier. Je constate qu'à la différence de vos concurrents, vous êtes présent sur le marché des collectivités locales en dépit de toutes ces contraintes et que vous êtes le seul à maintenir les encours. Comment faites-vous ?

M. François Pérol. - Les collectivités locales sont, au sein du groupe, les clients historiques des caisses d'épargne et du Crédit foncier de France. Nous ne pouvons exister sans nos partenaires historiques ni sans nos clients.

En second lieu, nous essayons d'avoir une relation durable avec nos clients.

En troisième lieu, un acteur de ce marché qui représentait 35 à 40 % du marché n'en fait plus que 15 %. Nous ne pouvons le remplacer. Les nouvelles règles de gestion de la liquidité, qui sont loin d'être absurdes dans leur énoncé et dans leurs principes, font qu'il est extrêmement difficile pour une banque de financer des emprunts très longs sans ressources de même durée - généralement des dépôts et des ressources de marché.

Les dépôts n'existent pas dans le cas des collectivités locales et il n'est guère facile de trouver des ressources de marché. Nous avons donc décidé d'être présents et de ne pas augmenter nos encours car nous ne pouvons le faire. Nous produirons environ 4 milliards d'euros de nouveaux crédits en 2012, ce qui correspond à une part de marché en flux de 20 % environ.

Nous avons par ailleurs décidé d'augmenter nos marges...

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Nous ne le savons hélas que trop !

M. François Pérol. - Nous ne pouvons plus prétendre que notre coût de financement est nul. Nous l'avons fait entre 2000 et 2007 mais ce n'est plus possible !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - C'est très bien de maintenir les encours !

M. François Pérol. - Nous avons suggéré aux pouvoirs publics un certain nombre d'idées pour apporter une réponse structurelle à ce problème structurel. Je ne sais si nous serons demain capables de maintenir nos encours. Nous le faisons parce que nous souhaitons agir en partenaires responsables mais je ne suis pas sûr que nous soyons ad vitam aeternam capables de le faire.

Certaines réponses sont des réponses d'urgence. Elles consistent à faire en sorte que la CDC mette en place des enveloppes de financement en recréant la Caisse d'équipement des collectivités locales (CAECL) qui finançait des emplois longs à partir d'une notation double A à l'aide des ressources longues levées grâce à une notation d'excellente qualité, sans la garantie de l'Etat. Nous avons fait en sorte qu'elle reste une caisse et ne devienne jamais une banque.

Une autre suggestion consiste à faire en sorte que les collectivités locales les plus grandes qui ont déjà accès aux marchés puissent le faire davantage encore. Nous avons accompagné un certain nombre de collectivités locales de régions dans des opérations de collecte d'épargne directe auprès des particuliers : Pays de la Loire, Limousin, Auvergne ; d'autres y réfléchissent...

Si ces grandes collectivités locales le souhaitent, pourquoi ne pas réfléchir à ce qui existe dans d'autres Etats ? Il s'agit d'agences de financement qui, sans la garantie de l'Etat, mutualiseraient leurs crédits pour aller chercher de la ressource. Dans ce cas, il faut une gouvernance sûre.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Faisons des « municipal-bonds », comme les euro-bonds !

M. François Pérol. - En effet. La première réalité dont il faut tenir compte est la conjoncture européenne. On ne peut rationner le crédit : ce serait une erreur macroéconomique fondamentale.

Il faut également tenir compte de la réalité des structures des marchés. C'est la première fois, notamment en matière de liquidité, qu'on essaie d'établir des standards internationaux uniques pour tous les établissements bancaires à travers le monde. C'est un exercice extrêmement compliqué.

Il faut que, dans la réglementation bâloise, l'Europe tienne compte des différences factuelles qui existent dans la structure de ces marchés et du fait que l'économie de l'Europe continentale est d'abord financée par ses banques et non par le marché. L'Europe continentale, ce n'est pas les Etats-Unis ! Sa structure de marché ne deviendra pas celle des Etats-Unis en l'espace de deux ans ! Les marchés se développeront peut-être mais pas au rythme ni à l'échelle des Etats-Unis.

Tenons compte de la réalité de la structure des marchés nationaux : le marché français présente une spécificité. L'épargne des Français est moins présente dans les bilans des banques que dans d'autres pays européens. Nous avons beaucoup développé la gestion d'actifs et surtout l'assurance-vie, produit apprécié de nos clients, à juste titre compte tenu de son régime fiscal.

La troisième réalité dont il faut tenir compte réside dans le fait que le calendrier des marchés n'est pas celui des régulateurs. Que l'on soit d'accord ou non, seul compte le calendrier des marchés, la crise ayant fait que les règles prévues pour 2019 s'appliqueront dès 2012. Il est donc essentiel de réaliser un bon calibrage et que l'exécution soit très fine.

On nous demande par ailleurs de constituer des coussins de liquidité. Ils sont aujourd'hui principalement formés par la dette souveraine et par le numéraire. Il ne faut pas en exclure ces actifs, en dépit de la crise souveraine mais élargir la liste des actifs liquides admis dans les coussins de liquidité que les banques peuvent se constituer, en tenant compte de la réalité financière, empiriquement constatée depuis quelques années.

Il faut faire en sorte que les règles appliquées aux ressources des entreprises ne soient pas aussi sévères qu'aujourd'hui dans les projets de réglementation. On fait comme si les entreprises, en cas de crise, retiraient 75 % de leurs ressources : ce n'est pas ce que nous avons observé. Ce n'est pas le comportement de nos clients.

La troisième proposition est de ne pas supprimer le rôle de transformation des banques. Dans les règles de liquidité, la transformation des banques constitue un rôle macroéconomique principal : on transforme de l'épargne à vue en crédit en employant un moyen-long terme. Si on restreint trop la fonction de transformation, on supprime le rôle macroéconomique des banques. Nous ne servirons plus à rien, nous serons extrêmement capitalisés, le système sera extrêmement sûr mais étouffé !

Enfin, plutôt que de fixer une date lointaine pour des règles très sévères, il vaut mieux fixer des dates plus proches pour des règles moins sévères, quitte à les revoir une fois appliquées. Peut-être maîtrisera-t-on alors mieux la réaction des marchés !

En Europe, de grâce, adoptons une harmonisation maximale ! Pas de surenchères entre régulateurs, non qu'elles ne puissent être légitimes ici ou là mais ce sont le calendrier et la façon de réagir des marchés qui comptent. Les marchés financiers s'alignent en ce moment systématiquement sur le mieux-disant. L'harmonisation maximale évite la surenchère réglementaire. Ce qui donne le ton, c'est la réglementation la mieux-disante. Les marchés communiquent, uniformisent et on se retrouve avec la réglementation suisse alors que nous sommes bien plus grand et n'avons pas les mêmes caractéristiques ni les mêmes besoins économiques !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Merci d'avoir évité la langue de bois !

Monsieur le Professeur, pouvez-vous tirer les leçons de ces trois interventions ? N'y a-t-il pas une apparente contradiction entre la renationalisation des activités de crédit et l'harmonisation européenne maximale ?

M. Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'université de Paris-Nord (Paris XIII). - Vous m'avez incité à prendre des risques. Je n'ai sans doute pas la compétence de mes prédécesseurs ; néanmoins, je vais essayer, tout en tentant de répondre à votre question, d'apporter un point de vue plus critique et moins optimiste que ce qui vient d'être présenté.

L'inadaptation de la régulation et ses effets pervers ont une part de responsabilité dans la crise survenue à partir de 2007.

Les régulateurs ont tiré les leçons des carences et des effets pervers de la régulation antérieure mais seulement en partie. Les réformes en cours montrent des progrès évidents mais insuffisants, voire contre-productifs.

La régulation bancaire est essentiellement microprudentielle ; un certain nombre d'économistes affirmaient qu'il y avait là un gros problème mais nous n'étions guère entendus. Le rapport de Larosière est de ce point de vue fort édifiant : il confirme qu'il existait un grand trou noir dans ce domaine !

Certaines avancées ont vu le jour, notamment à l'échelon européen, avec le Conseil européen du risque systémique. Il a toutefois des prérogatives floues, non définies, à la différence de son homologue américain. La situation en Europe est donc moins avancée qu'aux États-Unis de ce point de vue.

En second lieu, on a pris conscience de la procyclicité des banques et de la régulation, notamment grâce à la mise en place dans Bâle III d'un coussin contra-cyclique. C'est une bonne chose mais elle risque toutefois d'apparaître comme une usine à gaz difficile à mettre en oeuvre. Je demande à voir ; l'idée est cependant bonne !

Mme Nouy l'a dit, deux avancées importantes ont été réalisées dans le domaine du ratio de liquidité ainsi qu'en matière de limitation de l'effet de levier. Toutefois, ce ratio de levier sur actif limité à 3 % me paraît peu contraignant. Il aura donc un impact limité.

Je voudrais à présent aborder trois points principaux.

Tout d'abord, je pense vraiment que l'accent mis sur les ratios de fonds propres par Bâle III constitue un vrai problème et place les banques sous la dépendance des marchés bien plus qu'auparavant, les poussant à une recherche de rentabilité des fonds propres qui les a conduites précisément à prendre des risques et les a menées à la faute.

D'autres ratios ont été proposés - liquidités, levier, etc. - mais cette logique des ratios de fonds propres est un véritable problème. En outre, cela induit de l'intermédiation, distendant les relations entre prêteurs et emprunteurs. Est-ce une bonne chose ? Ma réponse est négative !

Il faut donc repenser la question du financement de l'économie par les banques en voyant plus loin que les dispositifs mis en place. J'ai participé, avec Jean-Paul Betbèze, économiste en chef du Crédit agricole et Jezabel Couppey-Soubeyran, professeur à l'université Paris I, à l'élaboration d'un rapport du Conseil d'analyse économique intitulé « Banque centrale et stabilité financière ».

Une de nos conclusions préconisait de revenir à une régulation plus centrée sur le crédit des banques. Selon nous, le crédit est le canal principal du financement de l'économie mais aussi du risque. Les crises récentes les plus graves ont toutes été causées par des emballements du crédit qui ont financé des bulles, notamment immobilières. Nous établissons donc un lien direct entre bulles, instabilité financière et emballement du crédit. Il convient donc de repenser le financement par les banques et le contrôle de celles-ci par des instruments autres que le contrôle des ratios de fonds propres. Comment faire ? Nous pensons que les modalités de refinancement par les banques centrales doivent être revues.

Première idée - peut-être iconoclaste : il faut repenser le financement global par la banque centrale. Aujourd'hui, la banque centrale intervient en injectant des milliards sur le marché. L'idée serait plutôt de réaliser un financement individualisé par la banque centrale des groupes bancaires, groupe par groupe, en étudiant si les besoins se conforment aux règles, s'ils financent les secteurs prioritaires dans le domaine écologique ou social, etc, afin d'avoir un financement plus sélectif.

Du coup, cela implique d'autres instruments. L'instrument que nous proposons est un système de réserve obligatoire progressive sur le crédit. Lorsque le crédit progresse, il faut des réserves obligatoires qui montent rapidement à due proportion. C'est très important pour casser la dynamique d'emballement du crédit à l'origine des crises antérieures.

En second lieu, nous pensons qu'il faut que ces réserves obligatoires et cette politique de refinancement soientt sélectives de manière sectorielle, voire géographique. En Europe, certains pays ont connu des bulles immobilières très fortes, comme l'Irlande ou l'Espagne. Il était évident qu'il fallait faire quelque chose alors qu'en France, c'était moins le cas. D'où la nécessité de politiques qui prennent en compte les différences sectorielles.

Certes, ceci remet en cause le principe du « level playing field » où les acteurs européens doivent jouer à armes égales, le marché étant supposé accorder l'allocation optimale - ce qui n'est pas du tout le cas. Il faut donc que les autorités, notamment la Banque centrale, jouent leur rôle dans ce domaine.

Il nous semble que le périmètre de la régulation financière et bancaire devrait s'élargir davantage. Cela touche à la question du « shadow banking », déjà mentionnée. La crise financière, qui nous est venue des Etats-Unis, a pour origine le « shadow banking ». Que fait-on des acteurs - banques d'investissement, fonds spéculatifs, opérations hors bilan ? Mme Nouy nous a expliqué que certains ratios prennent en compte des éléments hors bilan. Prenons le cas des fonds spéculatifs : croyez-vous que la directive européenne soit de nature à changer le comportement de ces acteurs en matière de prise de risques ? La réponse est évidemment non ! Une régulation beaucoup plus contraignante des acteurs qui ont contribué à la crise et qui recommenceront à la première occasion est donc nécessaire...

La troisième idée repose sur la question du « business model » des banques. M. Pérol ne sera sans doute pas d'accord - bien qu'il ait indiqué lui-même qu'il y ait une transformation de son propre « business model » - mais les banques doivent revenir à leur coeur de métier : financer l'économie par les crédits, collecter et gérer l'épargne des ménages, gérer les risques et non les transférer à d'autres acteurs, gérer le système de paiement.

Je pense que les innovations financières récentes posent un vrai problème de ce point de vue. Elles sont mal maîtrisées et souvent utilisées de telle sorte qu'elles éloignent les banques de leur métier. Le grand sport des banques a été ces dernières années de transférer les risques à d'autres par la titrisation et les produits dérivés. Elles ne jouent pas leur rôle ! C'est de là que vient le problème, qui est lié à la question du périmètre de la régulation.

Je voudrais citer ici Keynes et Krugman : selon eux, le métier de banquier doit redevenir ennuyeux. Il faudrait que les banquiers aient des niveaux de salaires comparables aux autres secteurs de l'économie. Les niveaux de salaires des cadres de la finance sont en France 40 % supérieurs à ceux de l'industrie. C'est un élément de la financiarisation qui explique en partie la désindustrialisation française ! Les jeunes élites sont beaucoup plus attirées par le fait de gagner 40 % de plus dans la banque que de travailler dans des entreprises industrielles. Il y a là un vrai problème.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Les banques vont recruter moins, cela va se réguler tout seul !

M. Dominique Plihon. - Absolument !

Deux pays me semblent avoir avancé davantage que l'Europe continentale, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Il me semble que pour les réformes financières et notamment bancaires, les Etats-Unis, avec la loi Dodd-Frank, votée en juillet 2010 et la Grande-Bretagne avec le rapport de la commission Vickers, qui ne sera vraisemblablement appliqué qu'en 2019, vont beaucoup plus loin que nous dans la révision du « business model » des banques. Cela devrait nous faire réfléchir.

Il me semble qu'il existe en Europe trois domaines où nous sommes en retrait.

Le premier concerne la question de l'utilisation de leurs fonds propres par les banques. M. Pérol nous a expliqué que sa propre banque n'a plus d'activités pour compte propre. Il agit toutefois sur une base volontaire. Qui dit que, demain, il ne remettra pas cela en cause, aucune régulation ne l'obligeant à le faire ? Je lui fais confiance mais supposons qu'il change et qu'on mette à sa place quelqu'un qui n'ait pas ses idées : il n'existe aucune garantie. On devrait donc discuter des règles Volcker. Il paraît qu'on le fait mais, pour le moment, on ne voit rien sortir !

Le second élément repose sur la question de la séparation des activités de banque de détail et d'investissement. Je ne vois rien venir là non plus - même s'il paraît que c'est en discussion - dans le domaine des régulations bancaires. Il y a là un vrai besoin. Il ne s'agit pas de revenir au « Glass-Steagall Act », qui avait coupé les banques de détail des banques d'investissement mais il faut réfléchir à des modalités de séparation, voire de sanctuarisation, comme le fait le rapport Vickers.

Le discours que tiennent à la fois les banquiers français et les autorités de notre pays veut que nos banques soient très différentes. Notre modèle de banque universelle est très solide et très différent des banques anglo-saxonnes. La crise et les difficultés qu'ont rencontrées certaines banques européennes continentales ne remettent-elles pas en cause certaines de ces visions optimistes ? Le chantier est ouvert mais peu de choses avancent !

Le troisième et dernier sujet est celui de la taille des banques : « too big to fail ». Cette question est en débat mais deux idées sont rarement abordées par les régulateurs ou par les économistes : croyez-vous que la concurrence ne soit pas affectée par ces systèmes totalement oligopolistiques, avec des acteurs dont le pouvoir de marché est considérable ? Je m'étonne que la Commission ne s'en soit pas saisie...

La seconde idée concerne la démocratie. Les groupes qui pèsent très lourd sur le plan financier pèsent aussi très lourd sur le plan politique et influencent les décideurs politiques. C'est une des explications que je donne à la faiblesse des réformes. Les pouvoirs de lobbying et de pression des grands groupes sont tels que les réformes sont très difficiles à mettre en oeuvre.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Pourquoi la banque la plus en difficulté en Irlande n'a-t-elle pas été mise par le Gouvernement irlandais sur la liste des « stress tests » ? C'est un petit pays et cela illustre bien votre dernier propos !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. - La séparation des activités de détail et des activités d'investissement est un tabou en France. Vous avez expliqué, Monsieur le Professeur, comment vous comptiez supprimer l'activité spéculative pour compte propre. Un choix est cependant opéré à l'échelon européen, ce qui explique qu'on ne traite pas le sujet, à la différence des Anglais et des Américains : la voie choisie pour garantir la solidarité du secteur bancaire et éviter que le contribuable ne soit l'assureur de dernier ressort repose sur les exigences prudentielles.

Ma question s'adressera à M. Enria à propos de l'échéance du 30 juin. Avez-vous envisagé le cas où une banque n'atteint pas son objectif de recapitalisation, notamment s'il s'agit d'une banque qui exerce dans un Etat dit périphérique qui n'a pas les moyens de la renflouer ? Quel rôle peut jouer la BCE et le MES qui devrait être créé, dans un tel scénario ? Comment cela se passe-t-il en matière de restructuration du secteur bancaire ? Je pense que vous avez dû envisager ce cas précis.

Je suis étonnée comme vous, Monsieur le Professeur, de constater qu'il n'y a rien dans CRD IV en matière de rémunération, alors qu'on avait modestement traité le problème dans CRD III !

Je voulais également interroger les intervenants sur la législation américaine relative au « Foreign account tax compliance act » (FATCA), qui oblige à déclarer au fisc américain les données relatives aux comptes détenus par les contribuables de ce pays. Quelles conséquences pratiques et financières cela a-t-il pour les banques européennes ? Peut-on envisager la réciprocité ? Personne n'en ayant parlé, je me permets de soulever ce point...

M. Jean Bizet. - Ma question s'adresse au Président Pérol. Il me semble que la Commission européenne souhaite une règle unique et une harmonisation maximale des ratios. Parallèlement, un certain nombre de pays voudraient des règles prudentielles plus élevées encore. Ne risque-t-on pas d'avoir une distorsion entre pays et une distorsion entre certaines activités, avec des banques de détail plus régulées et des banques de marché encore moins régulées qu'aujourd'hui ?

M. François Marc. - Quel regard les marchés portent-ils sur les banques ? On observe depuis quelques semaines une revalorisation significative des actions bancaires, en France comme dans d'autres pays. Le fait que ces actions ont en quelques semaines gagné 20 ou 30 % s'explique-t-il par la confiance partiellement restaurée grâce à l'ensemble des dispositifs ou par le fait que l'Europe, se fondant sur une logique proche de celle des États-Unis, a décidé avec la BCE d'adopter une politique de facilitation quantitative, créant une sensation de bien-être qui conduit à penser que tout va mieux, permettant dès lors à la sphère financière de retrouver une forme de sécurité et des perspectives de rentabilité ?

Quelle est la part de l'une et de l'autre explication ? J'ai quant à moi l'impression que la seconde est la plus pertinente - mais j'aimerais obtenir un éclairage sur ce point...

Mme Danièle Nouy. - S'agissant de la séparation des activités de détail et d'investissement, personnellement, j'assurerai mon métier de superviseur bancaire dans l'un et l'autre modèle : ce n'est pas au superviseur de choisir en la matière. Cela faisant partie de certains programmes politiques de notre pays, vous ne m'en voudrez pas de ne pas me positionner sur l'une ou l'autre des propositions.

Il ne faut pas se leurrer et croire qu'on se met à l'abri en poussant les activités de marché en dehors de la sphère régulée...

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. - Ce n'est pas la recette magique !

Mme Danièle Nouy. - De ce point de vue, la fameuse règle Volcker, qui donne l'impression de pousser en dehors des banques les activités de marché et les activités pour compte propre, me donne moins confiance.

Je rappelle qu'un « hedge fund » du nom de LTCM a failli mettre en difficulté un certain nombre de banques alors que ce n'était pas un acteur régulé. Selon moi, ces activités de marché doivent être régulées, ce que permet Vickers. C'est moins clair du côté de Volcker.

Il existe un débat sur ces sujets ; le commissaire Barnier a décidé l'ouverture d'un groupe de travail de haut niveau sur cette question. Je pense qu'elle ne sera pas éludée.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale. - Nous l'auditionnerons le 6 mars.

Mme Danièle Nouy. - Il aura sans doute des choses à vous dire à ce sujet.

Je voudrais revenir un instant sur l'harmonisation maximale. Il ne faut pas non plus se leurrer : avant la crise, les opposants à l'harmonisation maximale n'étaient pas les plus vertueux de la classe mais des pays, des superviseurs ou des régulateurs qui voulaient pouvoir donner des avantages compétitifs à leur propre place et qui étaient plus flexibles que les autres. Seul un système qui n'imposait pas l'harmonisation maximale permettait de le faire.

Si on est contre l'harmonisation maximale, on est censé être aujourd'hui plus sévère que les autres. Cela me paraît très discutable : si l'on sort de l'harmonisation maximale, les moins vertueux utiliseront cette flexibilité pour donner des avantages compétitifs à leur place.

Les nouveaux vertueux ne sont convertis que depuis peu dans certains cas et pourraient disparaître en fonction des circonstances. Certains, au sein du Comité européen, sont favorables à des choses plus rigoureuses que l'harmonisation maximale mais ne donnent pas le pouvoir à l'EBA d'en contrôler la bonne application. Cela les rend quelque peu suspects...

Je rappelle que la réglementation comporte plusieurs piliers : le pilier 1 est réglementaire et porte sur l'harmonisation maximale ; le pilier 2 est le jugement du superviseur et a permis à la France de sortir de la crise mieux que les autres. Les nouveaux vertueux pourraient donc recourir à l'harmonisation maximale et utiliser le pilier 2.

M. Andrea Enria. - Les recommandations de l'EBA visent à faire respecter les règlements par les autorités nationales. Toutes les autorités nationales se sont engagées à faire respecter ces recommandations et chaque autorité aura des instruments adéquats pour inciter les banques à respecter la réglementation d'ici le 30 juin. Si ce délai n'est pas respecté, des instruments de rectification interviendront à l'échelon national.

Il est exact qu'une énorme pression pèse sur les banques pour qu'elles soient recapitalisées. Le Conseil européen a dit clairement en juillet passé que le fonds européen de stabilité pouvait également être utilisé pour recapitaliser les banques. Si les banques ne réussissent pas à émettre des capitaux ou à atteindre le niveau de capitaux requis d'ici fin juin, les gouvernements pourront s'engager à les soutenir. Sinon, le FESF pourra les recapitaliser et les renflouer. Je suis sûr que nous arriverons à respecter ce délai.

Je voudrais revenir sur l'harmonisation pour partager les préoccupations exprimées par M. Pérol à propos de la renationalisation éventuelle des marchés. C'est là une situation paradoxale. Des mesures européennes de soutien ont été mises en place. Regardez ce qui s'est passé ces dernières années dans la recapitalisation du secteur bancaire européen... Beaucoup de ressources ont afflué vers les banques irlandaises et portugaises. Nous allons à présent de l'avant : si la recapitalisation des banques grecques est adoptée, ce sont pratiquement 6 milliards d'euros qui viendront des fonds européens ! Nous bénéficions également d'un soutien très fort de la BCE et de l'injection de liquidités.

Malgré tout, il existe un processus de rapatriement des crédits et des actifs financiers qui comporte un risque. Nous pourrions, à la fin de ce processus, constater que ce marché unique est segmenté, fragmenté en secteurs nationaux bien plus qu'auparavant. C'est un risque véritable que l'EBA prend au sérieux.

Mme Nouy fait partie d'un groupe de travail de haut niveau qui s'est penché sur le problème transfrontalier : pays d'origine, pays d'accueil, tous ces sujets ont été discutés et nous essayons maintenant de gérer cette crise. Un élément important inscrit dans les législations concerne la médiation. En cas de conflit entre le pays d'accueil et le pays d'origine, un processus peut être engagé pour trouver une solution.

Une question intéressante a été posée à propos de la confiance que l'on peut avoir dans les banques : cela peut-il provenir de la réglementation que nous mettrons en place ou des mesures de soutien ? Les mesures adoptées par la BCE, qui ont, je pense, été accueillies positivement par chacun, ont été les bienvenues. Nous essayons de faire progresser la recapitalisation des banques. C'est là un aspect complémentaire : il est important de donner aux banques un accès illimité aux liquidités pour supprimer le risque systémique provenant de la crise des dettes souveraines mais il est également important que les banques, qui sont maintenant soutenues grâce à cet accès illimité aux liquidités à bas coût, soient incitées à améliorer leur capitalisation. Les deux choses vont de pair et ces deux éléments permettent de retrouver la confiance dans le secteur bancaire.

La situation reste fragile : toute mauvaise nouvelle peut être amplifiée facilement mais nous constatons que le marché du financement est ouvert à nouveau et que la situation s'améliore progressivement.

Enfin, je suis d'accord avec ce qui a été dit par Mme Nouy concernant la séparation entre la banque de détail et la banque d'investissement. J'ai personnellement commencé ma carrière comme superviseur en Italie, à une époque où nous avions essayé de supprimer les barrières entre les secteurs bancaires. La principale erreur de certains pays réside dans le fait que lorsque ces barrières structurelles ont été supprimées, le contrôle prudentiel n'a pas été suffisamment renforcé.

Nous devrions conserver cet épisode à l'esprit. Je reprends ce qui a été dit par le professeur Plihon : il ne faut pas éluder ces questions. Mme Nouy a indiqué que Michel Barnier a créé un groupe de haut niveau présidé par un gouverneur finlandais pour traiter de ces sujets. Comme l'a dit Mme Nouy, nous ne devrions pas permettre que cette séparation du secteur bancaire aboutisse à une séparation entre une partie bien réglementée et une autre qui l'est moins. Ce serait aller droit au désastre. Nous avons vu que la crise systémique concernait le secteur de la banque d'investissement et surtout le secteur du « shadow banking ». Nous devrions favoriser la supervision de tous ces secteurs.

Enfin, je suis partisan d'une harmonisation maximale. Nous avons récemment identifié quatre secteurs où il existe des différences de traitement concernant l'application de la même législation communautaire dans les pays européens.

On peut avoir, pour la même banque, au même bilan, un ratio de capitalisation de 7 % dans un pays et de plus de 10 % dans un autre en fonction des différents traitements bancaires ! Si on ne s'accorde pas, nous n'arriverons pas à déterminer le bon niveau de capitalisation.

Je suis tout à fait d'accord avec le professeur : nous devons avoir les mêmes règles mais également bénéficier d'une certaine marge de manoeuvre. J'aurais aimé que les banques irlandaises ou portugaises soient confrontées il y a quelques années à des exigences de capitalisation beaucoup plus élevées ; nous aurions ainsi évité la bulle. La proposition de directive européenne prévoit des règlements permettant aux pays de remonter leur niveau de fonds propres au-delà du niveau réglementaire. Toutefois, si un pays respecte les règlements et un autre non, il ne faut pas que tout le marché européen en subisse les conséquences.

M. Dominique Plihon. - Je suis ravi de constater qu'il existe entre nous un certain nombre de points de convergence mais je ne parlais pas des fonds propres : j'émettais une critique de fond sur le fait de miser sur ces ratios de fonds propres pour atteindre les objectifs avec une certaine flexibilité. Il faut des instruments complémentaires qui pourraient être les réserves obligatoires sur les crédits. Tout miser sur les fonds propres produit des effets pervers, ceux-là même qui ont poussé les banques à une désintermédiation, à une logique actionnariale, à une recherche de rentabilité des fonds propres qui les ont conduites à prendre des risques plus importants. Il faut une logique différente et complémentaire.

Ces réserves doivent par contre être modulées selon les pays, les instruments et éventuellement les secteurs, les règles uniformes pouvant poser problème à l'ensemble de la zone euro ou de l'Union européenne. La crise de l'euro vient de cette forte hétérogénéité. Il faut que les politiques qui sont menées et les instruments mis en oeuvre la prennent en compte.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. - C'est normalement l'objet de la surveillance macroéconomique !

M. Dominique Plihon. - En effet, mais les ratios de coussins contra-cycliques intégrés dans Bâle III me paraissent constituer une usine à gaz alors que les réserves obligatoires sont beaucoup plus simples.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - J'ai l'impression que vous nous décrivez ici le système des réserves obligatoires et de l'encadrement du crédit pratiqué dans ce pays pendant une assez longue période. J'ai été directeur financier d'un groupe public qui avait beaucoup de trésorerie dans les années 1980 : je faisais alors le maximum de mes produits financiers en désencadrant. Il existait un marché du désencadrement. Est-ce ce type de système que vous proposez de rétablir ?

M. Dominique Plihon. - Les réserves obligatoires ne sont pas tout à fait la même chose que l'encadrement du crédit. Toutes les grandes crises systémiques impliquent les banques et le crédit. C'est une approche historique. La crise d'Internet n'est pas une crise systémique, aucune banque n'étant directement impliquée. La crise actuelle, celle de 1929 ou celle du Japon sont des crises systémiques où le canal du crédit est impliqué.

Comment agir sur celui-ci par les fonds propres ? On ne le peut pas ! Il faut des instruments spécifiques. Les réserves obligatoires continuent à exister à la BCE mais portent sur les dépôts. Il faut les positionner sur certains types d'activités, certains éléments du bilan des banques, en particulier les crédits. Ce n'est pas être complètement rétrograde que de proposer cet instrument ! Selon moi, il est compatible avec le système actuel. Certes, c'est un changement de philosophie mais la crise est suffisamment grave pour remettre en cause la philosophie néolibérale qui a fonctionné ces dernières années et qui a très largement échoué ! On voit où cela nous a menés : il faut changer la philosophie de la régulation !

M. François Marc. - Très bien !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Vous faites là un grand plaisir à plusieurs membres de la commission...

Mme Danièle Nouy. - Ce n'est pas le renforcement des fonds propres qui pèse sur le financement de l'économie mais plutôt les ratios de liquidité qu'on est en train de mettre en place.

Dans le système économique qui est le nôtre, les actionnaires sont là pour encaisser les pertes lorsqu'il y en a. Si ceux-ci ne sont pas assez nombreux ou si le montant du capital est insuffisant, les pouvoirs publics et l'argent du contribuable se trouvent alors mis à contribution. Si cela a été le cas lors de la récente crise, c'est parce qu'on a appelé fonds propres des instruments présentés comme tels aux superviseurs et comme des instruments de bons pères de famille - quasiment des obligations - aux investisseurs qui les détenaient ! Ces instruments n'ont d'ailleurs absorbé aucune perte, sauf aux États-Unis s'agissant de petites banques. Il est donc nécessaire d'avoir des volumes importants de fonds propres pour asseoir la solvabilité des banques.

Le professeur Plihon a dit que le ratio de levier était un très bon instrument mais a estimé que 3 % n'est pas un pourcentage suffisant. Je rappelle toutefois qu'au moment où il a été adopté, cela « mordait » pour les banques. Peut-être, à l'avenir, augmentera-t-on le pourcentage... Pour le coup, ce ratio de levier est à base de fonds propres et « mord » même plus que le ratio basé sur des actifs pondérés. Cela va donc renforcer le poids des fonds propres. C'est ce ratio de levier brutal qui pousse à l'intermédiation. La pression en faveur de la désintermédiation, du « deliveraging » et du « credit crunch » est maximale...

Nous ne sommes donc pas des supporters très enthousiastes sur ce point. Nous avons un avis mesuré et réservé mais nous allons cependant appliquer ce ratio de levier, le législateur, dans sa grande sagesse, devant l'introduire dans la panoplie de la réglementation bancaire.

M. François Pérol. - Le FATCA est une règle extraterritoriale. Elle soulève donc nécessairement des difficultés en termes de réciprocité pour les autorités nationales et européennes. C'est un problème qui ne relève pas de notre compétence mais qui me semble important sur le plan des principes.

L'application actuelle de la règle - en cours de révision par les autorités américaines - aurait des conséquences sur nos systèmes d'information fort disproportionnées par rapport au nombre de clients concernés. On préférera donc se passer de ces clients plutôt qu'appliquer la règle si les modalités d'application n'ont pas changé.

Quant à la question de M. Bizet sur l'harmonisation maximale, je pense que c'est la meilleure solution. Je ne pense pas que la surenchère réglementaire, dont Danièle Nouy a dit à juste titre qu'elle était parfois étrange, soit la bonne solution pour l'Europe.

Le regard porté par les marchés sur les banques a été extrêmement négatif pour trois raisons.

La première concerne les conséquences de la réglementation et l'incertitude réglementaire. Ce point n'est pas forcément négatif mais le taux de rentabilité des banques chute par rapport à une exception historique et cela a des conséquences sur la valeur des actifs.

En second lieu, la perte de confiance dans les Etats de la zone euro a des conséquences immédiates et extrêmement fortes sur les banques, les marchés faisant un lien qui n'est d'ailleurs pas absurde entre les Etats et les banques.

La troisième raison, pour les banques françaises, vient du retrait du financement en dollar.

Aujourd'hui, les choses vont un peu mieux. L'incertitude réglementaire n'a pas complètement disparu ; celle sur la zone euro est un peu moins forte ; quant au retrait du financement en dollar, les banques françaises se sont adaptées et le marché a pu le constater.

Quelques remarques sur la séparation des activités : rien ne remplacera une bonne supervision. Certaines banques de détail ont eu de grandes difficultés, tout comme certaines banques d'investissement ou d'autres où les activités étaient séparées, comme Dexia.

Le risque n'est pas absent de la banque de détail, contrairement à ce qu'on entend parfois. Rien, selon mon expérience, ne remplace une bonne supervision, y compris le développement de la supervision macroprudentielle. Je pense que la situation des banques françaises, plus favorable que celle de bien d'autres pays, s'explique en partie par une bonne supervision.

Seconde remarque : en France, il est important de tenir compte des spécificités de notre modèle. Les Anglais tiennent compte de l'Angleterre avant de penser au reste du monde. Aux États-Unis, c'est un peu plus compliqué mais les Américains tiennent compte des États-Unis avant de tenir compte du reste du monde. Je trouverai donc bien que l'on évite de vouloir le bien du monde entier en massacrant notre industrie bancaire !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. - Il n'est pour autant pas interdit d'y réfléchir...

M. François Pérol. - Il y a en France des groupes coopératifs mutualistes qui n'existent pas en Angleterre. Filialiser la banque de détail pour les groupes coopératifs constitue un grave inconvénient... En effet. En France, ils représentent environ 75 % du marché « retail ». Quand les Britanniques font Vickers, ils n'interdisent aucune activité aux banques parce qu'ils disposent de la City. Quand les Américains font Volcker, ils ont un « shadow banking » extrêmement développé et réfléchissent pour eux. Réfléchissons donc d'abord pour nous !

Troisièmement, attention à ne pas avoir raison tout seul : c'est un domaine où il existe de la concurrence pour la banque de grande clientèle.

Quatrième remarque : les banques françaises ne refusent pas le débat. La meilleure preuve en est que j'ai fait à titre personnel, sans que cela n'engage la Fédération bancaire française, une proposition qui consiste à demander aux banques de développer leurs activités de clientèle et de ne pas développer leurs activités pour compte propre.

Je ne crois pas au risque de développement du « shadow banking » en France, ni même en Europe continentale, l'écosystème ne le permettant pas. Vous ne verrez pas de « hedge funds » très développés en France. Vous n'en trouverez pas non plus selon moi en Europe continentale - Suisse, Luxembourg et Royaume-Uni mis à part.

Cela ne remplace pas pour autant la supervision. Concentrons les banques qui ont une activité de collecte de dépôt sur les activités de clientèle. C'est notre proposition : lier crédit et dépôt et accepter le débat sur les activités de clientèle de marché. Ne diabolisons pas les activités de clientèle de marché. On a besoin des marchés et l'Etat et les entreprises en auront encore plus besoin avec la réglementation de Bâle III.

Quand nous faisons une couverture de change sur EADS, quand nous travaillons avec l'Etat comme spécialistes des valeurs du Trésor, quand nous faisons une émission obligataire pour le compte de telle ou telle grande entreprise, nous menons une activité utile. Pour ce faire, acheteurs et vendeurs ont besoin d'être « teneurs de marché » et d'être présents. Si on n'y est pas, on n'est pas capables de faire de bon prix ni de conseiller utilement notre client. On a des positions de marché, on les gère avec une certaine intention de gestion et avec des limites, etc. Nous ne refusons pas le débat ; il est intéressant mais il faut tenir compte de ce qui existe, du fait que les grands clients français ont besoin d'être servis par des banques françaises. Il ne faut pas abandonner cette industrie sous prétexte qu'elle serait malsaine. Elle ne l'est pas et a selon moi une utilité économique. Le jour où la France, l'Etat et les grandes entreprises pourront se passer des marchés, on réfléchira différemment. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Si tout le monde déteste les banques, tout le monde adore les caisses d'épargne !

M. François Pérol. - ... Et les banques populaires !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Cela va de soi ! Cela a toujours été l'axe historique de communication des caisses d'épargne : l'Ecureuil est sympathique, à la différence du banquier habituel !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. - Je n'ai pas entendu le président de l'EBA s'exprimer à propos des rémunérations. Peut-être cela n'entre-t-il pas dans votre compétence en tant qu'autorité européenne...

M. Andrea Enria. - En effet, la directive CRD III impose aux autorités bancaires européennes de préparer une norme pour 2013. D'ici l'année prochaine, cette norme deviendra la législation applicable dans les vingt-sept pays membres en matière de rémunération des salariés bancaires. Nous avons déjà publié des lignes directrices en la matière et pensons que cela fonctionne assez bien. Nous essayons de voir si nous n'avons pas besoin de revoir certaines choses ici ou là en ce qui concerne ces instructions et nous essayons également de collecter des données sur les rémunérations dans les banques européennes. Nous allons, à terme, publier une directive sur ce point.

Quant au sujet de savoir comment les règlements communs sont appliqués en Europe, nous avons identifié quelques secteurs où apparaissent des différences entre pays.

Nous avons donc l'intention de discuter de la définition de la prise de risques et d'avoir un cadre commun européen concernant les rémunérations bancaires d'ici 2013.

S'agissant de la réciprocité et de l'application transfrontalière de la règle Volcker, une lettre a effectivement été envoyée par la Commission à cet égard afin de pouvoir entamer un dialogue approfondi entre les États-Unis et l'Europe. Les autorités américaines ont montré jusqu'à présent qu'elles étaient disposées à discuter de certains de ces problèmes mais je pense qu'elles seront difficiles à convaincre. Le dialogue porte actuellement sur les détails techniques et nous espérons aboutir à des résultats positifs.

Je suis désolé que le professeur Plihon soit parti : il y a un problème concernant les réserves et les provisions bancaires. Les normes de comptabilité ne permettent que des réserves qui correspondent à des pertes. Nous devons avoir un système prospectif pour ces provisions. Ce système dynamique existait en Espagne et forçait les banques à accumuler les réserves mais, lorsque la crise a éclaté, celles-ci n'ont pas été suffisantes. Nous devons donc avoir un autre système pour pallier ce problème.

Mme Danièle Nouy. - Concernant le FATCA, je n'ai pas d'avis. Ainsi qu'il l'a été indiqué, il existe sur ce point un problème d'extraterritorialité. Le sujet ne me paraît pas stabilisé. Lorsque j'aurais compris ce que je dois superviser et quelle est la contrainte précise, telle qu'elle ressortira des réponses qui auront été faites au commissaire Barnier et à l'ABE, j'appliquerai sans état d'âme ce qui sortira de la discussion.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - C'est un conseil que je souhaite obtenir. Le banquier nous dit que cela ne relève pas de sa compétence ; vous, vous nous dites que votre avis n'est pas stabilisé. Qui est susceptible de nous fournir une réponse ?

Mme Danièle Nouy. - Cela fait partie des négociations entre la Commission européenne et les États-Unis. Je pense que le commissaire Barnier aura un avis précis sur ce point.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - La Commission peut recevoir des instructions des Etats...

Mme Danièle Nouy. - Dans ce cas, ce sera le Trésor français qui lui en donnera et non moi !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Nous avons une prochaine table ronde avec M. Ramon Fernandez : cela fait partie des sujets que nous allons mettre à l'agenda.

Mme Danièle Nouy. - Pour ce qui est des rémunérations, il existe une réglementation européenne pour les dirigeants et les opérateurs de marché, notamment en matière de bonus et de part variable.

En France, nous appliquons totalement cette réglementation sans aucun état d'âme. Des engagements supplémentaires ont été demandés par M. Fillon en novembre à la profession bancaire pour aller au-delà de ces obligations légales et faire preuve d'une grande modération. Il a été demandé à l'ACP de contrôler que c'était bien le cas. C'est ce que nous avons fait. Le collège de l'ACP a récemment examiné les conclusions de nos travaux et le président du collège de l'ACP, le Gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, écrira prochainement au Premier ministre pour lui faire part de l'analyse des travaux qui ont été menés et des conclusions positives qui ont été portées sur la modération acceptée par les banquiers français.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - C'est une excellente conclusion sur le thème de la modération qui conviendra, je l'espère, à cette maison !

Merci de nous avoir consacré votre temps et d'avoir fait vivre un débat aussi substantiel et intense.

Jeudi 16 février 2012

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

Budget de l'Union européenne - Les ressources propres du budget de l'Union -Rapport d'information de M. Pierre Bernard-Reymond

M. Pierre Bernard-Reymond. - J'ai déjà eu l'occasion d'aborder la problématique du financement du budget européen devant vous le 9 novembre dans une communication d'étape. Je souhaite aujourd'hui vous présenter les principales propositions de ce rapport.

Auparavant, permettez-moi de faire un bref rappel de mon intervention de novembre dernier. Le budget européen se finance par des contributions versées par chaque Etat et par des ressources propres. A partir de 1970, les recettes ont reposé en grande partie sur des ressources directement affectées au niveau européen. Il s'agissait des droits de douane, des prélèvements agricoles et des cotisations sucre et isoglucose. Avec la libéralisation du commerce mondial, ces droits n'ont fait que diminuer tandis que les besoins du budget européen s'accroissaient. Au lieu d'inventer de nouvelles ressources propres, l'Europe a augmenté les cotisations nationales de chaque Etat avec une ressource TVA un peu artificielle et la contribution RNB (Revenu national brut). Aujourd'hui, les ressources propres authentiques ne représentent plus que 14 % du budget européen.

Cette situation présente beaucoup d'inconvénients. L'importance des contributions nationales fait apparaître la participation des Etats comme une dépense, et non comme une opportunité, ni comme une contribution à la construction européenne. Cela incite à des raisonnements sur le « juste retour », c'est-à-dire à un calcul purement arithmétique qui ne tient pas compte de la plus-value intrinsèque européenne, à savoir les avantages du marché unique, de l'intégration européenne, de la libéralisation des échanges. Un tel raisonnement ne prend pas non plus en compte le principe de solidarité qui est un des fondements de l'Union.

En outre, cette notion du juste retour a conduit à accorder des rabais qui ne sont plus entièrement justifiés. La Grande-Bretagne a obtenu la première des rabais, puis d'autres pays ont demandé à en bénéficier à leur tour. Ainsi, des politiques ont été menées, non pas dans l'intérêt de l'Europe, mais afin que tel ou tel pays bénéficie du « juste retour ».

Tous ces calculs ont compliqué les procédures budgétaires et ont hypothéqué la construction européenne puisque la prise en compte des contributions nationales a traduit le retour au nationalisme budgétaire alors que l'Europe, en pleine crise, prenait conscience qu'elle devait aller vers plus d'intégration dans les domaines économique et financier.

Une remise à plat s'impose donc. La Commission et le Parlement européen le demandent d'ailleurs depuis 2007. Cette question sera abordée à l'occasion des négociations sur les perspectives 2014-2020. Or, ces réformes nécessitent des décisions prises à l'unanimité du Conseil après simple consultation du Parlement européen. En outre, chaque Etat devra ratifier l'accord, aux termes de l'article 311 du traité.

Au moment où s'engageaient les négociations entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen, ce dernier a exigé que la question des ressources propres soit intégrée aux réflexions plus générales sur les perspectives financières 2014-2020. La Commission, qui approuve cette demande, a proposé de simplifier le système et de renverser le rapport ressources propres - contribution des Etats dans le budget européen. Elle propose donc de créer deux nouvelles ressources propres, avec une véritable ressource TVA et la taxe sur les transactions financières (TTF). Elle veut aussi simplifier le système des rabais en le forfaitisant et en n'indexant pas leurs montants sur l'inflation.

La TTF européenne taxerait 85 % des transactions avec des taux différenciés et les deux tiers de cette taxe seraient affectés à l'Europe, ce qui représenterait 23 % du budget de l'Union en 2020. Pour plus de détails sur la TTF, je vous renvoie à la communication que notre collègue Fabienne Keller a faite il y a quelques semaines.

La ressource TVA serait assise sur les recettes de TVA des produits taxés au taux normal dans les vingt-sept Etats membres. Le taux effectif serait de 1 % et le taux maximum de 2 %. Le produit attendu s'élèverait à 29 milliards en 2020, soit 18 % des recettes. Si ces deux ressources propres étaient instaurées, les ressources propres authentiques passeraient de 14% à près de 60 %.

J'en viens maintenant à mes cinq propositions. Tout d'abord, il convient d'approuver les propositions de la Commission quand elle veut créer deux nouvelles ressources propres, la TVA et la TTF.

Je vous propose ensuite d'instaurer d'autres ressources propres puisque celles souhaitées par la Commission pourraient ne pas voir le jour. Il conviendrait donc de mettre en place une taxe européenne sur le tabac, une taxe européenne sur l'alcool, et d'affecter le produit des enchères de quotas de gaz à effet de serre au budget européen.

Dans un troisième temps, je propose d'étudier d'autres nouvelles ressources éventuelles à plus long terme, comme une taxe sur les jeux en ligne, un impôt européen sur les sociétés, une taxe européenne sur l'énergie ou une taxe sur le commerce des armes.

En quatrième lieu, il serait opportun de faire passer le budget européen de 1 à 2 % du RNB d'ici 2020, sans dépenses nouvelles mais par transfert de certaines dépenses du niveau national au niveau européen.

Enfin, l'Europe devrait pouvoir contracter des emprunts.

Je ne reviendrai pas sur la TTF dont l'environnement politique a évolué depuis que la Commission a présenté ses propositions. Le Royaume-Uni et la Suède y sont opposés. Le Président de la République, pour sa part, a décidé de soumettre au Parlement dans les prochains jours une taxe portant sur l'acquisition d'actions de sociétés cotées dont le siège est situé en France et dont la capitalisation est supérieure à 1 milliard. Les CDS (Credit Default Swaps) seraient taxés à hauteur de 0,01 %, de même que le trading haute fréquence.

Selon une étude du FMI, cette taxe rapporterait quatre fois moins que celle qui existe au Royaume-Uni, dix fois moins que la taxe suisse et quatorze fois moins que celle du Brésil, les périmètres des taxes étant néanmoins différents. Ce faible taux est sans doute destiné à éviter les délocalisations.

Par ailleurs, neuf pays ont écrit à la présidence de l'Union pour demander l'accélération du projet de directive européenne de taxe financière.

Pour ma part, je propose de nous en tenir aux propositions de la Commission européenne sur la TTF et sur la TVA.

Toutefois, il faut tenir compte des incertitudes qui pèsent sur les propositions de la Commission et des difficultés que cette dernière a identifiées dans la mise en place d'autres ressources propres telles qu'une taxe sur le transport aérien, un impôt européen sur les sociétés ou une taxe sur les activités financières, qui existe dans de nombreux Etats, notamment en France depuis la loi de finances de 2011.

Il me paraît donc utile de proposer d'autres ressources propres plus faciles à mettre en place à court ou moyen terme, puisque la Commission a renoncé à proposer les trois taxes dont je viens de parler. Elle a considéré qu'il était plus facile de proposer de nouvelles taxes que de transformer les taxes actuelles, compte tenu des négociations qu'il faudrait engager.

Dans cette logique, je propose des taxes relativement faciles à mettre en oeuvre. Ainsi, la fiscalité sur le tabac a déjà fait l'objet d'une harmonisation avancée dans l'Union. Il s'agirait de créer une tranche européenne sur les tabacs manufacturés à hauteur de 10 % du produit actuel, soit une rentrée fiscale de 7,5 milliards. La fiscalité sur les alcools fait aussi l'objet d'une harmonisation, quoique moins achevée que pour le tabac. Là aussi, 10 % des rentes actuelles représenteraient 3 milliards d'euros.

A partir du 1er janvier 2013, les quotas de gaz à effet de serre, qui sont aujourd'hui gratuits, seront mis aux enchères. En 2020, le produit estimé pourrait s'élever à 20 milliards d'euros : la moitié irait à l'Union et l'autre aux Etats membres.

Si l'on mettait en oeuvre la TVA voulue par la Commission, les taxes sur le tabac, l'alcool et les enchères des quotas de CO2 que je propose, et si l'on y ajoutait les droits de douane actuels, on parviendrait à un taux de ressources compris entre 50 et 60 %, sur la base des dépenses proposées par la Commission européenne pour la période 2014-2020.

Ce serait un excellent début qui ne nous exonèrerait pas de poursuivre notre réflexion sur les jeux en ligne, la taxe sur l'énergie, l'impôt sur les sociétés et la taxe sur le commerce des armes. En 2027, nous pourrions en arriver à un taux de ressources propres de 75 %, étant entendu que 25 % de RNB seraient nécessaires, puisque un ajustement serait indispensable en fonction des rentrées de ressources propres.

J'en arrive à l'importance et au rôle du budget européen. Aujourd'hui, il représente 1 % du RNB de l'Union. Comment rester crédible aux yeux du monde avec un tel montant ? Quel levier de croissance peut-on en espérer ? En intégrant toutes les dépenses de l'Europe dans le budget, il se monte, de fait, à plus de 1% du RNB. En effet, n'y figurent pas la réserve d'aide d'urgence, le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation, le Fonds de solidarité, l'instrument de flexibilité, la réserve pour les crises dans le secteur agricole, les investissements dans ITER, le FED, la participation au Fonds mondial de lutte contre le changement climatique, et le GMES (Global Monitoring for Environment and Security), puisque ces dépenses sont hors du cadre financier pluriannuel. Le budget européen se monte ainsi à 1,11 % du RNB. Je ne propose donc pas le doublement du budget en sept ans. Officiellement, l'Europe s'était donné un plafond budgétaire de 1,23 % qu'elle n'atteint même pas.

Pour la période 2014 - 2020, la Commission propose de stabiliser les crédits d'engagement à 1,05 % et les crédits de paiement à 1 % du RNB, en prix constants 2011, sachant que certains Etats estiment que c'est encore trop. Nous sommes donc en présence de deux options fondamentales entre lesquelles il faut choisir.

Les Etats sont confrontés à la crise, en particulier à celle de leurs dettes souveraines. Ils savent qu'ils doivent impérativement les réduire et, par un raisonnement analogique, ils n'admettent pas d'autre attitude pour l'Europe que l'extrême rigueur budgétaire qu'ils doivent eux-mêmes observer. Ils l'acceptent d'autant moins que le budget européen est alimenté directement par le leur. Ils ont tendance à le considérer comme une dépense qu'il faut contenir au maximum et ils demandent donc à l'Europe de se mettre au diapason. Or l'Europe n'est pas dans la même situation budgétaire que nos Etats, puisqu'elle n'a pas de dette.

S'il doit y avoir une relance, elle ne peut être impulsée par les Etats qui sont confrontés à leur dette souveraine, mais par l'Europe. C'est dans cette perspective que je préconise un budget européen à 2 % du RNB en 2020, ce qui représenterait un budget de 280 milliards en crédits de paiement. En accroissant les ressources propres du budget européen, les marges de manoeuvre de chaque Etat qui doivent réduire les dettes souveraines augmenteraient, puisque la cotisation RNB de chacun serait sensiblement réduite. Il conviendrait aussi d'augmenter le budget européen afin de donner des opportunités de relance. En développant le taux de croissance, cette relance permettrait de rembourser plus facilement les dettes nationales et de lutter contre le chômage. Ce transfert de dépenses engendrerait des synergies et des économies d'échelle : une politique européenne dans tel ou tel secteur coûte en effet moins cher que des politiques nationales juxtaposées.

Pour transférer des dépenses nationales au niveau européen sans en créer de nouvelles, il conviendrait de procéder à une revue générale des politiques publiques dans chaque Etat, afin d'identifier poste par poste les actions qui pourraient être moins coûteuses et plus efficaces au niveau européen qu'au niveau national. Il faudrait alors créer des groupes d'experts comprenant des experts de la Commission, du Conseil, des experts nationaux, des parlementaires européens et nationaux.

Une Europe plus forte, dotée d'un budget plus intégré, capable d'alimenter de façon autonome le mécanisme de stabilité européen, le MES, de relancer la recherche, de réaliser les interconnexions des grands réseaux routiers, ferroviaires, d'énergie, de télécommunications, d'aider au développement des PME, devrait aider les Etats à alléger leur dette et à relancer la croissance en Europe.

Cette politique pourrait être complétée par l'autorisation donnée à l'Europe d'emprunter - sagement - pour relancer la croissance.

Telles sont les nouvelles propositions que j'ai l'honneur de vous présenter dans le cadre de ce rapport d'information.

M. Simon Sutour, président. - Merci pour cet exposé très documenté.

M. Jean Bizet. - Je suis favorable à la création d'emprunts européens, afin de financer de grandes réalisations qui pourraient contribuer à faire aimer l'Europe. Nous en avons d'ailleurs parlé lors de la table ronde du 8 février organisée par la commission des finances, notamment avec M. Patrick Artus. Je n'ai d'ailleurs pas spécialement apprécié sa position sur le sujet.

Je suis tout à fait d'accord pour faire évoluer les ressources propres : on ne peut se contenter des 14 % actuels. La participation des Etats membres au budget européen est parfois vue moins comme un engagement que comme une obligation. En revanche, les 75 % que vous projetez pour 2027 pourraient déséquilibrer les relations entre le Parlement européen et les parlements nationaux. Si nous nous dirigeons vers un certain fédéralisme, il faut cependant conserver un équilibre entre les parlements nationaux et le Parlement européen, afin de favoriser la coopération et le travail en commun.

M. Aymeri de Montesquiou. - Pourquoi ne pas aborder la question sous l'angle de la subsidiarité ? Les enfants adultérins du non-respect de la subsidiarité sont des doublons qu'il convient de chasser. Il y a là une source d'économies importantes. Ainsi en est-il de la politique étrangère : chaque grand pays défend l'indépendance de sa diplomatie et pourtant l'Europe a nommé cette malheureuse Mme Ashton, ce qui génère des dépenses certaines. De même, pourquoi conserver des consulats à l'intérieur de l'Union ?

M. Jean Bizet. - C'est vrai !

M. Aymeri de Montesquiou. - Il faut tirer toutes les conséquences de la subsidiarité et mettre un terme aux doublons. Notre rapporteur nous a parlé de ressources et de dépenses supplémentaires, mais pas assez d'économies, ce qui est un tort.

M. André Gattolin. - Merci pour ce travail concret et prospectif. Je suis partisan de la TTF car elle s'inscrit dans une nouvelle lecture de l'économie : les flux l'emportent aujourd'hui sur les stocks. Je regrette que vos propositions complémentaires ne prennent pas en compte l'évolution de l'économie mondiale vers l'immatériel. Pourquoi ne pas chercher les ressources nécessaires à l'Europe dans les secteurs d'avenir ? Les taxes sur le tabac et l'alcool, déjà lourdes, développent les marchés gris.

Le marché de l'Union est le plus vaste au monde, avant celui de l'Amérique du Nord, de la Chine ou du Japon. Or, l'Europe, qui a adopté une politique très libérale sous l'impulsion de l'OMC, a ouvert en grand ses portes à la concurrence internationale. Peut-être des ressources pourraient-elles provenir d'une meilleure protection de ses brevets et ses licences.

Mme Bernadette Bourzai. - A mon tour, je félicite M. Bernard-Reymond. Comme lui, j'estime indispensable de mettre un terme à la notion de juste retour, qui n'est que le reflet d'un triste marchandage entre Etats, au détriment de la construction européenne. Lorsque des Etats ne veulent pas dépasser 1 % du RNB...

M. Simon Sutour, président. - Certains veulent même aller en deçà !

Mme Bernadette Bourzai. - ...tout en maintenant les politiques actuelles au même niveau, comment aller de l'avant, comment innover ? C'est tout simplement impossible !

Lorsque j'ai été au Parlement européen, j'ai été assez sensible au discours de M. Alain Lamassoure sur les perspectives financières. Il estimait qu'il fallait mettre fin aux doublons. Pourtant, la Commission européenne propose de créer une agence en faveur des droits de l'Homme. Quel gâchis alors que nous avons la chance d'avoir un Conseil de l'Europe ! Ce doublon serait inacceptable. Il faut rationaliser le partage des compétences entre les Etats et l'Europe et imposer le plus rapidement possible la TTF et la mutualisation des dettes souveraines des Etats. En outre, la capacité d'emprunt de l'Europe permettrait de lancer des programmes de grands travaux qui redonneraient du sens à la construction européenne.

M. Alain Richard. - Je serais assez tenté d'adhérer aux propositions du rapporteur. Mais je suis partagé entre le souhaitable et le possible. Moi qui suis fédéraliste, je ne vois pas de mouvement en ce sens aujourd'hui en matière financière ou économique. Les traités sur lesquels nous allons délibérer resteront adoptés à l'unanimité, ce qui est le contraire du fédéralisme. Pour l'instant, l'idée de transferts supplémentaires de pouvoirs de décision se heurte à de multiples obstacles.

La plupart des gouvernements sont obligés de plafonner leurs dépenses publiques. Si l'on transférait 1 % du RNB supplémentaire des budgets nationaux vers le budget européen, d'un point de vue keynésien l'impact serait nul ! Il n'y aurait pas un euro de plus de richesse de créé.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Sauf pour les synergies et les économies d'échelle ! En outre, les agences de notation seraient obligées de tenir compte de cette évolution majeure.

M. Alain Richard. - Soit ! Le gain ne serait pourtant que de quelques dixièmes de points de croissance.

Sur l'affaire de l'endettement, je me demande si le plafond fixé à 3 % était vraiment nécessaire. M. Prodi, lorsqu'il était président de la Commission, n'avait-il d'ailleurs pas dit que la règle des 3 % était stupide ? Je ne le crois pas, mais c'est un simple outil qui permet d'éviter que le poids de la dette, qui est improductive par nature, n'augmente tendanciellement. Pour le reste, endettement de l'Europe ou endettement des Etats européens sont les deux visages d'une même réalité contre laquelle il convient de lutter.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je suis d'accord avec M. Bizet : les 75 % de ressources propres pour le budget européen en 2027 sont du domaine du voeu pieux. Où en sera l'Europe à cette date ? Nous n'en savons rien. J'avais voulu donner un objectif au-delà de 2020 et je voulais indiquer que les ressources propres n'atteindraient jamais 100 %. Par souci de consensus, je suis prêt à ne plus faire référence à ce taux ni à cette date.

M. Simon Sutour, président. - Nous ne discutons pas d'une proposition de résolution. Ceci dit, nous devrons autoriser la publication du rapport.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je suis sensible aux remarques qui ont été faites et j'éliminerai de mon rapport la référence à 2027. Si nous arrivions en 2020 aux 60 %, ce que je ne crois pas, ce serait déjà très satisfaisant.

Si nous augmentions le budget européen, monsieur de Montesquiou, il faudrait que chaque Etat se livre à une RGPP pour passer du niveau national à l'européen. Cela nous permettrait de savoir quelles seraient les dépenses qui, en passant à l'échelon européen, feraient gagner en économies d'échelle, en synergies, en productivité et en image auprès de nos concitoyens. Pourquoi ne pas supprimer les consulats en Europe et pourquoi ne pas avoir des consulats européens dans un certain nombre de pays ? Certains regroupements ont eu lieu, mais il s'agit plutôt de juxtapositions sous un même toit. Peut-être faudrait-il régulièrement se demander ce qui pourrait être mieux traité au niveau européen que national et en profiter pour couper les branches mortes, car il en existe aussi au niveau européen.

Je suis d'accord avec vous, monsieur Gattolin : peut-être faut-il prévoir de nouvelles taxes plus orientées vers les flux et les technologies nouvelles, même si j'ai la faiblesse de considérer que mes propositions restent valables. Faites-moi des propositions concrètes afin que je puisse les intégrer dans mon rapport.

M. Richard a prôné une approche réaliste, mais pour faire avancer l'Europe, une part d'utopie et de volontarisme est nécessaire. Il faut en revenir à l'inspiration des pères de l'Europe et ne pas trop se demander si ces rapports vont permettre de parvenir aux objectifs fixés, sinon, je crains de ne devoir mettre un terme à mes activités...

Les initiatives de M. Lamassoure vont dans le bon sens. Il faut tordre le cou à l'idée que l'Europe est une danseuse. Si l'on ne transgresse pas le réalisme, on n'avancera pas. En transférant des dépenses à l'Europe, celle-ci gagnerait en crédibilité auprès des grandes puissances. Kissinger disait : l'Europe, quel numéro de téléphone ? Il aurait également pu demander quel était le montant de son budget. Certes, l'unanimité est une barrière. Je me suis d'ailleurs exprimé pour la suppression complète de cette règle. La Commission et le Parlement européen doivent se saisir de ce problème. Il ne faut plus que des Etats prennent le prétexte de la crise pour réduire le budget de l'Europe. Par ce biais, on flatte les populismes, les nationalismes et les anti-européens pour de basses raisons politiciennes.

La RGPP européenne que je propose permettrait de lutter contre les doublons.

M. Simon Sutour, président. - Je vous félicite pour vos propositions courageuses : notre commission doit soutenir des objectifs ambitieux, c'est indispensable si nous voulons avancer un peu !

A l'issue du débat, la commission a décidé d'autoriser la publication du rapport.

Economie, finances et fiscalité - Marchés publics et concessions de services (textes E 6987, E 6988 et E 6989) - Proposition de résolution européenne de M. Bernard Piras

M. Simon Sutour, président. - Nous avons déjà abordé la question des marchés publics et des concessions de services au printemps dernier, après la publication du Livre vert de M. Michel Barnier, commissaire européen. J'étais moi-même intervenu devant notre commission. Depuis, la Commission européenne a présenté ses propositions de directive, sur lesquelles il convient que le Sénat se prononce, car elles concernent de près les collectivités territoriales.

M. Bernard Piras. - Le Sénat a adopté en avril et juin 2011 deux résolutions relatives à la législation communautaire en matière de délégation de service public et de marchés publics : sujets très techniques mais au coeur de la vie de tous les acteurs publics, en particulier de nos collectivités territoriales. Ces deux résolutions, proposées par notre commission, ont été adoptées par le Sénat sans modification. La résolution de juin sur les marchés publics faisait suite au Livre vert de la Commission européenne. La résolution d'avril sur les concessions de services - c'est-à-dire pour l'essentiel, en France, les délégations de service public - faisait suite aux annonces de Michel Barnier dans le cadre de son initiative «Vers un Acte pour le marché unique ».

Le Sénat exprimait son scepticisme sur l'opportunité de légiférer dans ces deux domaines. S'agissant des marchés publics, les deux directives de 2004 sont très complexes et commencent seulement à être pleinement maîtrisées par ses praticiens quotidiens. Un nouveau bouleversement des règles risquerait de déstabiliser aussi bien les pouvoirs adjudicateurs que les soumissionnaires. Pour ce qui est des concessions de services, la situation est différente, puisqu'il n'existe pas à l'heure actuelle de texte communautaire. La passation de concession n'est régie que par les grands principes du traité, à savoir les obligations de transparence, d'égalité et de non-discrimination. La jurisprudence de la Cour de justice les a interprétés et la législation française a trouvé un bon équilibre avec la « loi Sapin » du 29 janvier 1993. Notre assemblée doutait donc qu'un texte européen pût apporter une plus-value, et craignait qu'une réglementation excessive ne remît en cause l'équilibre de cette loi, objet d'un large consensus dans notre pays.

Cette inquiétude était renforcée par la concomitance des deux débats sur les marchés publics et les concessions de services. Le risque était que la Commission transposât la législation des marchés publics à celle des concessions, en méconnaissance de la nature particulière de la délégation de service public, qui obéit à une autre logique que la commande publique : c'est un mandat donné à un tiers pour fournir un service public, le mandataire assumant tout ou partie du risque économique lié à l'exploitation.

Toutefois, conscient de la faible chance d'arrêter la Commission dans sa volonté de légiférer, le Sénat lui demandait de respecter deux principes : la simplification des procédures et la liberté des autorités adjudicatrices. Les résolutions abordaient aussi d'autres points sur lesquels je ne reviens pas.

La Commission européenne a finalement présenté le 20 décembre 2011 trois propositions de directives : deux d'entre elles se substitueraient aux directives « Marchés publics » de 2004, la troisième encadrerait l'attribution de contrats de concession et comblerait ainsi un vide juridique supposé. Sur les deux premiers textes, la Commission et la présidence danoise veulent aboutir très vite.

Que faut-il en penser ? Les deux propositions relatives aux marchés publics ne modifient pas profondément le droit en vigueur, mais l'aménagent et le modernisent. La rédaction en est plus claire, ce qui facilitera leur interprétation. Les procédures sont simplifiées : les pouvoirs adjudicateurs seraient autorisés à inverser les phases de sélection des candidatures et d'analyse des offres ; les PME ne devraient fournir toutes les pièces nécessaires à leur candidature que si celle-ci était retenue ; la déclaration sur 1'honneur serait généralisée en lieu et place d'attestations ou de certificats de capacité ou de non-exclusion des marchés. Toujours afin de favoriser la participation des PME, l'allotissement des marchés deviendrait obligatoire au-delà de 500 000 euros, sauf exceptions dûment motivées.

On peut aussi se féliciter que les critères sociaux ou environnementaux soient mieux pris en compte. Ainsi, en cas d'attribution selon le critère du coût le plus bas, celui-ci pourrait être évalué soit sur la base du prix, soit sur la base du coût de cycle de vie, incluant les coûts d'usage, liés par exemple à la consommation d'énergie, les coûts de fin de vie - recyclage, etc. -, les coûts environnementaux externes comme le coût des émissions de gaz à effet de serre. En cas d'attribution selon le critère de l'offre économiquement la plus avantageuse, pourraient être pris en compte les qualifications et l'expérience du personnel affecté à l'exécution du marché ainsi que le processus de production et le respect des normes environnementales et sociales.

La Commission propose de réserver un chapitre spécifique aux marchés de services sociaux, qui continueraient à bénéficier d'un régime particulier très allégé, réduit à des obligations de publicité, et qui pour le reste devraient seulement respecter les principes des traités. Les Etats membres seraient donc libres d'aménager la procédure de passation la plus opportune. En outre, tous les services culturels seraient assimilés aux services sociaux. Leur spécificité est donc clairement reconnue, ce qui est une avancée notable : lors de l'examen en décembre du paquet « Almunia » sur le financement des services d'intérêt économique général, la Commission européenne n'avait reconnu que les spécificités des services sociaux, non des services culturels. Je l'avais moi-même déploré dans une proposition de résolution.

Malgré ces sujets de satisfaction, la déception domine. Le Livre vert laissait espérer un recours beaucoup plus large à la procédure négociée avec publicité préalable. L'expérience française des marchés à procédure adaptée (Mapa) plaide dans le sens d'une plus grande liberté des autorités adjudicatrices. C'est aussi leur faire confiance en les responsabilisant. La négociation permet très souvent d'aboutir à des offres plus intéressantes pour les acheteurs publics. Malheureusement, la proposition de directive ne fait qu'une timide ouverture, l'appel d'offres ouvert ou fermé demeurant la règle. Seuls les marchés de travaux pourraient recourir un peu plus facilement à la procédure négociée.

La phase de négociation est décrite très précisément, à tel point que le rapport de force entre l'acheteur public et le soumissionnaire pencherait plutôt en faveur du second. Or l'expérience montre que la négociation demande un peu de rouerie ou d'habileté. Il n'est pas sûr que ce soit encore possible.

Les seuils baissent d'environ 15 % : sans être considérable, cet abaissement augmente les contraintes.

On remarque une nouveauté : la définition des coopérations public-public - in-house, in-house conjoint, mutualisation de moyens entre collectivités... La Commission souhaite codifier ce genre de coopération, afin de l'exclure du champ de la commande publique. En France, on pense aux sociétés publiques locales, à l'intercommunalité ou aux mutualisations de moyens entre conseils généraux, communes, etc. Selon la Commission, il s'agirait d'une simple codification de la jurisprudence de la Cour de justice. En fait, les choses ne sont pas si simples : la jurisprudence de la Cour est trop récente pour que l'on puisse en tirer des conclusions définitives. En outre, la coopération public-public évolue en permanence et il serait dangereux de la figer. Enfin, la proposition de la Commission va au-delà de la jurisprudence de la Cour : elle prévoit qu'un pouvoir adjudicateur peut, sans mise en concurrence, confier une mission à un opérateur sous son contrôle et détenu à 100 % par des personnes publiques, si cet opérateur réalise pour lui au moins 90 % de ses activités. Or ce seuil de 90 % ne figure pas aussi clairement dans la jurisprudence : la Cour de justice, depuis son arrêt « Teckal » du 18 novembre 1999, demande seulement que l'opérateur effectue « l'essentiel » de son activité avec le pouvoir adjudicateur qui le contrôle. Voilà pourquoi la codification de la coopération public-public n'est pas opportune.

Le dernier volet problématique concerne la lutte contre les fraudes et les conflits d'intérêt. Tout d'abord, la définition que la Commission propose des conflits d'intérêt est extraordinairement large et pourrait remettre en cause la sécurité juridique des marchés. L'article 21 dispose en effet que « la notion de conflit d'intérêt couvre au moins toutes les situations où [les membres du personnel du pouvoir adjudicateur et les membres des organes décisionnels du pouvoir adjudicateur] ont un intérêt privé direct ou indirect dans le résultat de la procédure de passation. [...] On entend par « intérêt privé » tout intérêt familial, sentimental, économique, politique ou autre partagé avec les candidats ou soumissionnaires. ». Le pouvoir adjudicateur doit prendre des mesures pouvant aller jusqu'à l'exclusion du candidat. On imagine quelles difficultés ces dispositions pourraient poser dans de petites collectivités. Toutefois, je ne vous propose pas de nous prononcer sur ce point. La commission des Lois, compétente au fond, a fait un travail important sur les conflits d'intérêt, et examinera ces propositions en tant que de besoin.

Les Etats membres seraient également tenus de créer un organe indépendant unique, dénommé « organe de contrôle », aux pouvoirs très larges. Les pouvoirs adjudicateurs auraient l'obligation de lui transmettre tous les marchés supérieurs à un certain seuil. Il pourrait saisir la justice s'il constatait une infraction, signaler les cas de fraude, de corruption et de conflits d'intérêt. Il aurait pour mission d'examiner les plaintes des particuliers et des entreprises, et contrôlerait les décisions juridictionnelles et administratives pour vérifier qu'elles sont compatibles avec les décisions de la Cour de justice. La Commission pourrait aussi faire appel à lui dans certains cas. Le groupe de travail « subsidiarité » n'a pas jugé contraire au principe de subsidiarité la création de cet organe de contrôle, estimant qu'il pourrait être utile pour faire respecter la législation sur les marchés publics dans certains Etats membres. J'entends cet argument réaliste, mais, dans le paysage institutionnel français, cet organe hybride, mi-administratif, mi-judiciaire, détonnerait ; il serait coûteux et d'une utilité limitée, puisque les marchés publics sont déjà soumis dans notre pays à un contrôle rigoureux. Je propose donc que le principe d'un organe de contrôle soit maintenu, mais que chaque Etat puisse, avec l'accord de la Commission, choisir une autre formule mieux adaptée à sa situation. La proposition de directive offre la même souplesse sur d'autres points, autorisant par exemple les Etats membres à ne pas introduire la procédure négociée dans leur législation s'ils ne la jugent pas utile ou opportune.

Je serai plus rapide sur la proposition de directive relative aux concessions de services, dont l'esprit même est contestable. Contrairement aux assurances de la Commission, le cadre proposé n'a rien de léger : le texte comporte 53 articles et des annexes. Des pans entiers sont purement et simplement calqués sur les directives « Marchés publics », notamment en ce qui concerne la publication, la coopération public-public, le contrôle... Le seuil d'application est relativement bas : 5 millions d'euros calculés sur le cycle de vie de la concession.

Les dispositions les plus contestables concernent la négociation et l'attribution. La « loi Sapin » laisse une grande liberté aux autorités adjudicatrices dans le respect des grands principes des traités. Elle ne prévoit pas de pondération ex ante des critères d'attribution, ce qui place le délégant dans une position de force lors de la négociation. La proposition de directive bouleverse cet équilibre. Reprenant très exactement les textes « Marchés publics », elle règle dans le détail la phase de négociation et impose la pondération des critères, sauf exception. Pourtant, la Commission n'a cessé de répéter dans la phase préparatoire que la loi française était le modèle à suivre... Je vous propose donc de réitérer notre nette opposition à ce projet.

Deux autres points de moindre importance méritent notre attention. Le premier concerne les services culturels. Les propositions de directive relatives aux marchés publics les soumettent, je l'ai dit, à un régime allégé, au même titre que les services sociaux. Le texte sur les concessions prévoit lui aussi un régime allégé pour les services sociaux, mais il est ambigu sur les services culturels, comme me l'a signalé le groupe de travail sur le financement des services culturels récemment créé par la commission de la culture, et dont notre collègue Catherine Morin-Desailly est membre. Il convient de lever cette incertitude.

J'évoquerai enfin la situation particulière de GrDF et d'ErDF. La législation européenne a confirmé le monopole des opérateurs traditionnels pour la distribution de gaz naturel en zone de desserte historique et pour la distribution d'électricité. Afin de ne pas remettre en cause ces monopoles dans l'Union européenne, l'article 8 de la proposition de directive exclut de son champ ce type de concession de services, mais il est rédigé de telle manière que les opérateurs exclus doivent être eux-mêmes des entités adjudicatrices. Or ni GrDF, ni ErDF ne sont des entités adjudicatrices, mais des concessionnaires. Ce sont les communes qui concèdent la distribution de gaz à GrDF et d'électricité à ErDF. C'est un point de détail technique, mais assez sensible.

Pour toutes ces raisons, je vous propose d'adopter la proposition de résolution qui vous a été transmise mardi.

M. Alain Richard. - M. Piras soulève des problèmes économiques et juridiques très importants. Je suggère de renforcer un peu la formulation de la proposition de résolution sur deux points. S'agissant de l'organe de contrôle, il faudrait d'abord s'assurer que tous les Etats membres ont correctement transposé la directive « Recours ». En France - je le sais pour avoir travaillé au Conseil d'Etat sur la transposition de cette directive, et pour avoir l'expérience de ce contentieux - quelqu'un qui tenterait d'arranger un marché public aurait presque toutes les chances de se voir opposer un recours immédiat. Tout notre système se fonde sur le recours avant signature, dans des délais qui se comptent en jours, et les tribunaux administratifs consacrent beaucoup d'énergie à traiter des demandes de suspension ou d'annulation de marchés publics douteux. Dans ces conditions, je ne vois donc pas de raisons de créer un organe de plus.

En ce qui concerne les concessions, il faut avouer que le système français est un peu sur la bordure, lorsqu'il s'agit de concilier la liberté de négociation et l'égalité entre candidats. Ce n'est pas toujours évident. Il suffit de lire Le Canard enchaîné pour s'en convaincre... Mais proposer un seuil de 5 millions d'euros, c'est se moquer du monde : un compromis a été trouvé il y a quelques années pour fixer ce même seuil pour les marchés publics de travaux, où il n'y a qu'une dépense en capital, alors qu'un concessionnaire qui fait fonctionner l'ouvrage qu'il a construit doit aussi supporter des dépenses d'exploitation. Il y a donc une incohérence entre ces deux seuils.

M. Yann Gaillard. - La proposition de résolution de M. Piras est astucieuse : elle fait mine d'approuver certains aspects des textes de la Commission, qu'elle désapprouve en fait presque entièrement. Sur le fond, je suis tout à fait d'accord avec lui !

M. Simon Sutour, président. - En France, les standards sont assez élevés, et l'harmonisation européenne ne doit pas nous entraîner vers le bas : il en va de même pour la sûreté nucléaire ou la protection des données. La proposition de résolution de M. Piras ne contient donc pas de contradiction à accepter le principe d'une harmonisation tout en critiquant les modalités prévues.

M. Bernard Piras. - Le contrôle des marchés publics est efficace dans notre pays, dans d'autres pays il l'est moins. Voilà pourquoi je propose que chaque Etat puisse conserver le cas échéant un système de contrôle qu'il juge efficace, en accord avec la Commission européenne.

M. Alain Richard. - Mais il faut dire clairement que, chez nous, le contrôle est strict.

M. Bernard Piras. - Pour ce qui est des concessions, vous avez raison de dire que le seuil de 5 millions d'euros est inadapté : la Commission a calqué sa proposition sur le droit en vigueur pour les marchés publics de travaux, alors que les réalités sont différentes.

M. Simon Sutour, président. - Passons donc à l'examen du texte de la proposition de résolution. La rédaction de l'alinéa 11 me paraît satisfaisante : le Sénat « souhaite que chaque Etat membre puisse, avec l'accord de la Commission, choisir une autre formule que la création d'un organe de contrôle indépendant, mi-administratif, mi-judiciaire, qui serait chargé de s'assurer de la bonne mise en oeuvre de la directive ».

M. Alain Richard. - Pourquoi ne pas écrire que la France est déjà dotée d'un système de contrôle strict ?

M. Simon Sutour, président. - Il s'agit d'une norme européenne. Sans mentionner explicitement la France, le texte de M. Piras s'applique à tous les Etats placés dans la même situation.

M. Bernard Piras. - Je propose de reprendre l'observation d'Alain Richard dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution. Ainsi, le sens de notre démarche sera plus clair.

M. Simon Sutour, président. - A l'alinéa 24, je vous propose de préciser que le seuil de 5 millions d'euros, calculé sur la durée de la concession, est incohérent avec le seuil retenu pour les marchés publics.

La proposition de résolution, ainsi modifiée, est adoptée à l'unanimité.

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la passation des marchés publics (E 6988),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la passation des marchés par des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (E 6987),

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l'attribution de contrats de concession (E 6989),

Vu la résolution n° 128 du Sénat du 2 juin 2011,

Vu la résolution n° 96 du Sénat du 14 avril 2011,

Sur la réforme des marchés publics :

- constate que les deux principes qui devaient guider les réflexions de la Commission européenne, à savoir la simplification des procédures et la liberté des autorités adjudicatrices, n'ont été que partiellement suivis ;

- regrette en particulier que le recours à la procédure négociée avec publication préalable d'un avis de marché demeure limité à quelques types de marchés ;

- souhaite que chaque Etat membre puisse, avec l'accord de la Commission, choisir une autre formule que la création d'un organe de contrôle indépendant, mi-administratif, mi-judiciaire, qui serait chargé de s'assurer de la bonne mise en oeuvre de la directive ;

- s'oppose à une codification des critères de la coopération public-public, au risque de figer une jurisprudence encore en construction, et estime qu'une communication de la Commission européenne serait plus judicieuse sur ce point ;

- approuve en revanche la modernisation des critères d'attribution des marchés, afin notamment de prendre en compte les coûts liés au cycle de vie d'un marché ou les qualifications et l'expérience du personnel ;

- se félicite du maintien d'un cadre juridique allégé pour les marchés relatifs à des services sociaux ou des services culturels ;

- juge également positives les dispositions tendant à réduire les charges administratives pour les soumissionnaires et celles imposant l'allotissement des marchés pour encourager l'accès des PME aux marchés publics ;

- reconnaît enfin l'effort de pédagogie et de clarté par rapport aux deux directives en vigueur ;

Sur les contrats de concession de services :

- prend acte de la volonté de la Commission européenne de légiférer malgré les fortes réticences exprimées par les pouvoirs publics français ;

- déplore l'initiative de la Commission européenne qui, contrairement à ses déclarations, n'a pas fait le choix d'un cadre juridique léger et adapté aux particularités des concessions de services ;

- constate au contraire que le régime des concessions de services serait calqué sur celui des marchés publics ;

- juge en particulier que la liberté de négociation des offres par l'autorité publique délégante, qui est au coeur de l'équilibre trouvé par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 dite loi « Sapin », est remise en cause par, d'une part, l'encadrement formaliste et disproportionné de la phase de négociation et, d'autre part, l'obligation de pondération des critères d'attribution ;

- considère que cette conception de la négociation méconnaît la nature particulière de la délégation de service public qui n'est pas comparable à celle de l'achat public ;

- souhaite que les concessions de services culturels bénéficient sans aucune ambiguïté d'un régime juridique allégé au même titre que les concessions de services sociaux ;

- estime que le seuil de cinq millions d'euros, calculé sur la durée de la concession, est trop bas, car il ne tient pas compte de la nature des concessions ;

- demande que les concessions de distribution de gaz naturel en zone de desserte historique et d'électricité demeurent clairement hors du champ de la proposition de directive, afin de ne pas remettre en cause le monopole, reconnu par la loi et admis par le droit européen, de GrDF et de ErDF sur ces concessions ;

- demande au Gouvernement de défendre ces orientations auprès des institutions européennes.