Mercredi 20 mars 2013

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Situation intérieure et extérieure de la Chine - Audition de M. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po

La commission auditionne le professeur Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po, sur la situation intérieure et extérieure de la Chine.

M. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po - C'est un plaisir et un honneur pour moi de m'exprimer devant vous. Je commencerai tout d'abord par vous parler du denier congrès du parti communiste chinois, avant de vous exposer pourquoi à mon avis la Chine est aujourd'hui autant menacée par ses faiblesses que par ses forces.

Le dernier congrès a été décisif. Précédé par la sombre affaire impliquant Bo Xilai et son épouse, qui a montré qu'il se passait des choses très étranges au sommet du pouvoir chinois, il a toutefois débouché sur une transition politique réussie, dans un système où le rôle des dirigeants est tout à fait déterminant. L'affaire Bo Xilai n'a pas été qu'un scandale impliquant ce haut dirigeant et son entourage, elle a aussi mis en lumière de véritables luttes de factions à l'intérieur du pouvoir, au sein duquel les désaccords sur les problèmes fondamentaux sont très vifs, peut-être même plus que dans les démocraties. Le clivage décisif est celui qui oppose les partisans d'une croissante tirée par l'exportation, qui affaiblit les partenaires économiques chinois, compte tenu de la sous-évaluation du Yuan, et ceux qui souhaitent passer à une économie non seulement d'exportation, mais aussi de consommation. Une véritable lutte des classes se déroule autour de ce débat, qui oppose les provinces côtières exportatrices de Shanghai et Canton, en particulier, aux provinces plus pauvres qui souhaitent une transition vers l'économie de consommation. Malgré ce vif désaccord, la victoire du camp des « exportateurs » s'est faite paisiblement, ce qui illustre un mode de fonctionnement en vertu duquel les désaccords se déroulent encore dans l'intimité au sommet du pouvoir chinois.

Ce succès est peut-être aussi un échec, dans la mesure où il a contribué à cautériser les vrais problèmes. Jiang Zemin, le chef du clan des shanghaïens, à la tête de la résistance à l'économie de consommation, l'a emporté avec l'appui d'un deuxième clan, celui des « fils de prince » de la deuxième génération, celle précisément qui a conduit la réforme du régime qui fait le succès de la Chine aujourd'hui. Leur majorité au sein du Comité permanent du Bureau politique est très large : le rapport est de 5 à 2, ou de 6 à 1, suivant les analyses. Cette large majorité ne reflète toutefois pas les réelles divergences intellectuelles et politiques d'une aristocratie chinoise qui reste traversée par de profondes jalousies. N'oublions pas que le père de Xi Jinping, un homme remarquable, a subi une purge de la part du régime, sans obtenir aucun soutien de ses pairs, dont les fils sont aujourd'hui au sommet de l'État. Des rancunes existent donc certainement au sein de la classe politique.

La victoire du clan des exportateurs ne signifiera pas pour autant l'absence de progrès des politiques sociales en soutien de la consommation. La question est juste de savoir si ce sera une orientation majeure ou un simple aménagement de la politique économique. Dans tous les cas, la majorité confortable au Comité permanent assure aux dirigeants une réelle capacité à gouverner. Le Comité permanent restera sous le contrôle du Bureau politique, qui agit comme une sorte de petit parlement, et qui contrôlera son action. La plupart de ses membres sont des responsables des villes chinoises. Or, le grand problème et la grande ambition du nouveau pouvoir est aujourd'hui la modernisation du secteur rural. Les nouveaux dirigeants veulent en finir avec une paysannerie encore essentiellement vivrière et ils prévoient que le secteur agricole n'occupera plus à l'avenir que 10 à 20 % de la population active. Le futur modèle d'agriculture chinoise, qui sera à mi-chemin entre sovkhoze et grande ferme américaine, ne manquera pas de déstabiliser, au plan mondial, les marchés agricoles. La question est : les dirigeants chinois auront-ils le doigté nécessaire pour mener à bien cette ambitieuse réforme ?

La volonté de lutter contre la corruption fédère beaucoup de Chinois, mais aussi bien le rattachement administratif que la composition du Bureau anti-corruption laissent planer le doute sur ses capacités réelles à endiguer un phénomène endémique, en dépit des déclarations très volontaristes du Président Xi Jinping.

Je relève enfin une mutation idéologique : les traditionnels objectifs révolutionnaires étant remplacés, dans les déclarations des nouveaux dirigeants, par l'affichage d'un nationalisme tempéré, qui se veut aussi culturel et d'influence.

Si la transition politique semble un succès, quatre problèmes me semblent pourtant révéler les faiblesses de la Chine aujourd'hui.

Le premier concerne la nature de l'économie. L'économie chinoise a fait des progrès extraordinaires, grâce à l'étonnante amabilité de la diplomatie américaine, qui a laissé la Chine rentrer à l'OMC tout en conservant une parité monétaire extrêmement faible. C'est d'ailleurs à mon sens une grande énigme historique, dont la Chine n'a pas fini de profiter, et qui encourage de façon un peu perverse la priorité donnée à l'exportation. Ce modèle comporte toutefois des risques, dans une période où les marchés occidentaux se réduisent. Les économistes chinois sont très lucides sur la question, et plusieurs sont partisans d'une compensation par la consommation intérieure, rejoints en cela par une néo-gauche au sein du parti communiste chinois prônant une plus grande justice sociale.

Le deuxième problème est celui de la corruption. Les Chinois attendent des progrès sur cette question qui corrode l'ensemble du système et qui est l'une de leurs principales préoccupations.

La troisième question, étonnement dans l'ombre aujourd'hui, est celle de la démographie. La réduction héroïque de la croissance démographique chinoise conduira inévitablement à une stabilisation voire à une baisse de la population dans les dix prochaines années. Or tous les démographes s'accordent pour dire qu'une baisse de la démographie coïncide avec ou engendre toujours des difficultés économiques. Nous l'avons bien vu au Japon, au début des années 90, pays qui n'est d'ailleurs pas sorti encore d'une crise économique qui fut précédée de deux ans seulement par la chute de sa démographie. Les dirigeants chinois semblent pétrifiés face à cette question, tant les affaires familiales ont d'importance en Chine et ils hésitent encore à ouvrir la porte à des millions de Chinois supplémentaires par une politique démographique plus libérale.

Mon quatrième et dernier point vise à constater que la Chine a atteint la fin d'un cycle qui lui a permis d'utiliser des moyens, avec l'accord des Etats-Unis et des Européens dans une certaine mesure, aux fins de réaliser une percée commerciale. Cette dernière l'a placée au rang des plus grandes puissances mondiales en une trentaine d'années. Cet essor constitue un des phénomènes les plus extraordinaires de l'histoire du monde.

Cela ne signifie pas pour autant que sa position est définitive. En effet, cette montée en puissance conduit à engendrer une certaine hostilité et créer de nouvelles difficultés avec ses pays voisins. A titre d'illustration, le Japon tend à forger une vague antichinoise qui répond à la vague antijaponaise qui avait été précédemment déclenchée. Il en est de même des Philippines qui ont acheté des sous-marins afin de se défendre.

D'un point de vue positif, le pays semble plus conscient de ses obligations et de ses responsabilités sur le plan mondial. Des mutations intellectuelles considérables se font jour notamment en matière d'écologie. En revanche, au titre des inquiétudes européennes, on peut citer le désespoir ou le refus de croire à l'Europe et à la France en particulier. La Chine se contente de relations avec l'Allemagne. A cet égard, la chancelière allemande, Angela Merkel, semble avoir mieux maîtrisé ses relations avec la Chine que la France. Toutefois cette maîtrise a été plus affirmée au début de son mandat. La chancelière n'apparaît plus aujourd'hui comme l'exemple de fermeté et de dynamisme qu'elle était encore hier.

En résumé, on assiste à une certaine transition dans les comportements des dirigeants chinois passant d'une ignorance des grands problèmes mondiaux à une certaine prise de conscience. Celle-ci met en évidence des objectifs stratégiques chinois tels que parvenir à un partage du monde avec les Etats-Unis, ce qui ne sert pas les intérêts de l'Europe.

M. Jean-Pierre Raffarin. - Pouvez-vous nous indiquer si en matière de corruption, la Chine a atteint un point de non retour ? Des leaders politiques ont été condamnés mais l'affaire Bo Xilai a été contenue. Quelle est donc la réalité de la lutte contre la corruption. Est-elle devenue une priorité ou demeure-t-elle au stade de la tentative de séduction politique?

Je m'interroge également sur l'influence mondiale de la Chine. Quel peut être son impact sur la stratégie des pays émergents appartenant au groupe des BRIC (Brésil, Russie et Inde) ? Nous avons, en effet, rencontré avec le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, lors de sa visite à Paris. Je remarque que le Brésil tient un discours relayant certains des principes défendus par la Chine, tels que l'affirmation des pays continents ou encore la pensée des contraires qui conduit par exemple à s'affirmer à la fois pollueur et défenseur de l'écologie, centralisateur et fédéraliste. Nous avons pu également constater leur puissance lors du Rio plus 20. Cette stratégie de l'influence domine-t-elle l'action diplomatique chinoise?

M. Gilbert Roger. - Quelles sont les incidences des crises souveraines, en particulier sur les exportations chinoises ? Le marché intérieur chinois s'ouvre-t-il à l'émergence d'une classe moyenne ? Le parti l'organise-t-il ?

S'agissant du dossier de la Corée du Nord, la Chine a approuvé la résolution du Conseil de sécurité. Quelles en sont les conséquences ?

M. Jacques Berthou. - Je vais me livrer à un exercice de politique fiction en vous interrogeant sur l'avenir de la Chine dans quinze ou vingt ans, en termes de puissance, de démographie, d'agriculture .... Autrement dit, à quelle puissance serons-nous confrontés dans vingt ans ?

M. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po - Tout d'abord, je souhaite rappeler l'image forte de la France donnée par Jean-Pierre Raffarin lorsqu'il était Premier ministre lors de ses visites à Pékin. S'agissant de la corruption, sans présager de l'avenir, le pays ne semble pas avoir atteint le point culminant de sa lutte contre ce fléau. Sans porter atteinte au caractère sérieux de l'effort entrepris, il convient d'observer que jusqu'à présent, les mesures prises ont été dirigées vers des cibles symboliques, se limitant à des personnes appartenant à des niveaux très élevés. Or, dans ce contexte, il est aisé de remplacer une personne par une autre. Cette politique d'éradication de la corruption deviendra toutefois significative lorsqu'elle conduira à une purge massive de cadres moyens ou moyens supérieurs. La maladie est en effet si répandue qu'elle concerne des milliers de cadres. La question se posera alors de régler le problème de la légitimation de la punition imposée par des agents dont certains sont connus pour être corrompus. Il eut fallu modifier le nom et le rattachement de l'organe en charge de cette politique afin d'en accroître la légitimité.

En ce qui concerne les BRIC, j'adhère totalement à votre analyse, je la complèterai par le constat selon lequel les dirigeants chinois n'ont toutefois aucune illusion quant à leurs partenaires.

En ce qui concerne l'impact des dettes souveraines sur les exportations chinoises, la crise du marché européen ainsi que les incertitudes pesant sur le marché américain constituent une préoccupation considérable pour les dirigeants chinois. En effet, la paix sociale chinoise requiert une croissance rapide, de l'ordre de 7 % selon certains. Tout rythme de croissance inférieur ne permettrait pas de contenir le mécontentement de la population chinoise. Les pays européens ont donc une carte à jouer dans le domaine commercial, s'ils procèdent de manière unie.

En réponse à vos interrogations sur le marché intérieur et sur l'émergence d'une bourgeoisie, le camp des exportateurs est parvenu à résister à toute politique sociale visant à favoriser le marché de la consommation. En effet, ce dernier est plus difficilement contrôlable qu'un marché de production, d'investissement, ou d'exportations. Le développement de petites entreprises est imprévisible. En outre, il introduit un risque de prévalence des modèles occidentaux, par le biais des échanges, qui inquiète les dirigeants chinois.

Concernant la Corée du Nord, je tiens à souligner que c'est une affaire sino-chinoise qui donne lieu à des divisions au sein du pays. Une position minoritaire craint les excès de ce pays. Cependant, la position dominante a, jusqu'à présent, pour objectif de protéger le système nord coréen et empêcher la réunification du pays. En effet, l'armée chinoise est pro-coréenne depuis toujours en raison notamment des liens noués entre leurs services de renseignements respectifs. En outre, le maintien d'un pays divisé conduit à empêcher de faire émerger un concurrent économique redoutable.

Quant à l'avenir de la Chine dans quinze ans, nul ne peut le prévoir. Ce pays n'est caractérisé par aucune constance des phénomènes politiques à court terme ou à long terme. Ainsi, entre le VIème et VIIIème siècle, sa population a varié de deux millions à cent millions. La Chine est parvenue à rebondir et retrouver un chemin de développement après chacune des crises qu'elle a connues. De nombreuses incertitudes demeurent quant à son avenir en raison du manque de données la concernant. Enfin, les facteurs d'optimisme la caractérisant aujourd'hui peuvent se révéler être des éléments d'évolution négative.

M. Joël Guerriau. - Je souhaiterais vous poser plusieurs questions concernant la politique étrangère chinoise.

Tout d'abord, comment expliquer la « balkanisation » des pays d'Asie du Sud-est incapables de se fédérer contre le voisin chinois ? Peut-on envisager un règlement des litiges frontaliers par recours au droit international ?

Jusqu'à présent les contentieux territoriaux « traditionnels » de la Chine en mer de Chine orientale avec le Japon, la Corée ou Taïwan restaient contrôlés, maîtrisés. Aujourd'hui, avec la fameuse ligne « en langue de boeuf » exprimant les revendications territoriales de la Chine en mer de Chine méridionale, avec la tension sur les ressources naturelles et l'explosion du trafic maritime, avec la montée des nationalismes, est-on au bord d'une vraie crise en mer de Chine ?

Notre dispositif diplomatique et consulaire vous semble-t-il bien dimensionné en Chine ? La nouvelle diplomatie économique obtient-elle des résultats ? Symétriquement, où la Chine met-elle les « pions » de son action extérieure, officielle et non officielle : en Afrique et dans les grands émergents ?

Enfin, l'intervention occidentale en Libye n'est-elle pas devenue une contre-référence pour nos interlocuteurs chinois qui estiment avoir tenté de "jouer le jeu" par un vote positif et une abstention à New York, pour voir ensuite la situation leur échapper. Est-ce que l'exemple libyen, ou ce que l'on pourrait qualifier de « syndrome de la résolution 1973 » en Chine, n'explique pas en partie la position chinoise actuelle sur le dossier syrien ?

M. Jean Besson. - Je partage entièrement votre analyse selon laquelle le problème majeur de la Chine dans les prochaines années sera la question sociale. La situation actuelle de la Chine, qui se caractérise par la coexistence de plusieurs centaines de millions de pauvres avec quelques centaines de milliardaires, ne sera pas tenable à terme.

Je regrette aussi le faible intérêt des journalistes français pour ce pays. Certes, notre assemblée, et le groupe d'amitié France-Chine du Sénat que je préside, qui est le groupe d'amitié qui compte le plus de membres au sein de notre assemblée, dont nos collègues MM. Jean-Pierre Raffarin et Jean-Pierre Chevènement, est très actif. Mais, je regrette le faible intérêt et l'image négative véhiculée par les médias français.

En ce qui concerne les relations avec la France, comment expliquez-vous la faible présence économique française en Chine, qui se situe loin derrière l'Allemagne, et même derrière l'Italie ?

Enfin, quel est votre sentiment à propos des relations entre la Chine et le Japon, en particulier dans le contexte du contentieux autour des îles appelées Senkaku par les Japonais et Diaoyu par les Chinois ? Faut-il craindre une montée des tensions voire un conflit ouvert à propos de ces îlots ?

M. Bernard Piras. - Je voudrais vous poser deux questions.

D'une part, que vont devenir les 600 millions de chinois ruraux appelés à quitter les campagnes ?

D'autre part, quelles vont être, d'après vous, les conséquences du rééquilibrage de la stratégie américaine vers la zone Asie-Pacifique, du « pivot » vers l'Asie, et en particulier du renforcement de la présence militaire américaine dans cette zone ?

M. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po - Concernant les pays de l'Asie du Sud Est, s'il y a bien un sujet qui les rassemble c'est la crainte devant ce qu'ils considèrent comme une menace chinoise. Cette crainte est si forte qu'elle peut même justifier à leurs yeux un renforcement de la présence américaine dans cette zone, y compris dans des pays comme la Thaïlande. De manière générale, les dirigeants chinois sous-estiment les craintes de ces pays, qu'ils ont tendance à regarder de haut, et ils adoptent une attitude contre-productive à l'égard de ces pays, alors qu'ils se montrent par ailleurs de parfaits manipulateurs dans leurs relations avec les Etats-Unis ou les pays européens, et notamment les responsables français.

La montée en puissance de la Chine, conjuguée à l'attitude condescendante et même parfois hautaine des dirigeants chinois, a suscité chez la plupart des pays de l'Asie du Sud Est un fort sentiment de crainte et de rejet, qui a été utilisé avec une très grande habileté par l'ancienne Secrétaire d'Etat américaine Mme Hillary Clinton pour renforcer l'influence et la présence américaine dans cette région et pour faire apparaître les Etats-Unis comme un recours face à la puissance chinoise. Cela a été une grande erreur de la diplomatie chinoise, qui pourrait créer de graves incidents dans cette région, par exemple avec le Vietnam.

Concernant l'interprétation chinoise de l'intervention occidentale en Libye et son influence sur l'attitude actuelle de la diplomatie chinoise à l'égard de la Syrie, je partage votre analyse. Toutefois, sur le dossier syrien, le véritable blocage au Conseil de sécurité des Nations Unies vient moins de la Chine que de la Russie. Les dirigeants chinois ne manquent jamais une occasion de souligner que le dossier syrien n'est pas un sujet central pour eux. La position chinoise sur ce dossier semble surtout s'expliquer par l'étroite concertation entre la diplomatie chinoise et la diplomatie russe au Conseil de sécurité des Nations unies, chacune se montrant solidaire des intérêts de l'autre et attendant en retour la même solidarité pour la défense de ses propres intérêts.

S'agissant de notre dispositif diplomatique en Chine et de notre faible présence économique, le talent et les compétences de nos diplomates ne sont pas en cause, puisque nous disposons de personnalités de très grande qualité et de fins connaisseurs de la Chine, à l'image de l'actuel Conseiller diplomatique du Président de la République, M. Paul-Jean Ortiz, ou de l'actuel ambassadeur de France à Pékin, Mme Sylvie-Agnès Bermann.

La vraie explication du faible niveau de nos relations tient au fait que nous nous sommes trompés dès le départ concernant le positionnement du Général de Gaulle à l'égard de la Chine. Contrairement à une idée largement répandue, en établissant des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine, le Général de Gaulle n'a pas cédé aux dirigeants chinois. Il a négocié parfois très durement avec eux. Or, les responsables politiques français qui lui ont succédé se sont sans doute montrés trop complaisants, ce qui fait qu'aujourd'hui la France n'est pas une priorité aux yeux de la diplomatie chinoise, contrairement par exemple à l'Allemagne.

Aujourd'hui, si la diplomatie française voulait retrouver une influence à l'égard de la Chine, il faudrait sans doute nous concerter d'abord avec les Allemands et les Britanniques et faire preuve d'une véritable unité au niveau européen.

Une autre explication à la faible présence économique française en Chine tient au fait que les relations économiques entre nos deux pays sont restées fondées sur la base de grands contrats, négociés au niveau des responsables politiques et avec les grands groupes, laissant à l'écart les PME. Il existe certes des secteurs qui ont connu une véritable réussite, à l'image de l'industrie du luxe, par exemple Hermes, ou encore le vin. Mais il est très difficile pour une PME française de s'implanter ou d'exporter vers la Chine.

La question sociale c'est le vrai défi de la Chine. Le modèle de croissance économique actuel, fondé sur l'excédent commercial grâce à l'exploitation d'ouvriers sous-payés, ne sera pas tenable à terme.

Je partage également votre sentiment sur le faible intérêt des médias français à l'égard de ce pays et l'image souvent déformée donnée par ces médias de la réalité chinoise. On surestime souvent en occident l'influence réelle des dissidents chinois au sein de la société chinoise. Entendons-nous bien, je suis naturellement un défenseur de la démocratie et des droits de l'homme et je n'hésite pas à dénoncer ouvertement les atteintes aux droits de l'homme, au Tibet ou les camps de rééducation. Mais il faut être bien conscients qu'au sein de l'opinion publique chinoise, la voix des dissidents politiques ne rencontre quasiment pas d'écho. Les véritables préoccupations de l'opinion publique, ce sont l'économie et la corruption.

Concernant les relations entre la Chine et le Japon, elles traversent certes des tensions autour de ces îles, qui pourraient entraîner des violences, mais il ne faut pas partir de l'idée que ces deux pays sont condamnés à ne pas s'entendre. Par le passé, les relations sino-japonaises n'ont pas toujours été conflictuelles et il existe même un courant pro-japonais au sein du ministère des affaires étrangères chinois. Les relations historiques et culturelles entre ces deux pays sont anciennes et on trouve de nombreuses passerelles. Il est ainsi frappant de rappeler que dans la langue chinoise, les mots « société », « révolution » et « démocratie » viennent du japonais. De nombreux dirigeants chinois, y compris sous la période communiste, ont étudié au Japon et au retour d'un voyage au Japon en 1978 Den Xiaoping a fait l'éloge de ce pays avant de lancer les réformes que l'on sait.

S'agissant du renforcement de la présence militaire américaine dans la zone Asie-Pacifique, elle annonce le duel final entre les deux puissances, les Etats-Unis et la Chine.

Que vont devenir les 600 millions de chinois ruraux qui sont appelés à quitter les campagnes ? Il est question de construire 200 nouvelles villes, comptant chacune 3 millions d'habitants. Il va falloir bâtir des logements, des écoles, des usines, des transports, des loisirs, etc.

Les terrains qui seront ainsi libérés devraient remplir trois différentes fonctions. D'abord, ils seront regroupés en vastes exploitations agricoles. A cet égard, il faut s'attendre à ce que dans l'avenir la Chine devienne une puissance agricole mondiale.

Une partie de ces terres sera également consacrée à d'immenses programmes touristiques.

Enfin, une autre partie sera laissée en jachère ou accueillera des forêts, servant ainsi de « respiration écologique ».

M. Jean-Pierre Chevènement. - Vous avez dit que la Chine accédait à la puissance, notamment du fait de la complaisance des Etats-Unis. N'y a-t-il pas de la part du Président Obama aussi une réaction face à la montée en puissance de la Chine ? Il y a depuis longtemps en Chine un débat entre un modèle de croissance endogène et un modèle de croissance tourné vers les exportations. Considérez-vous que les partisans du modèle exportateur sont encore majoritaires au sein des instances chinoises ?

Mme Nathalie Goulet. - Les investissements chinois à l'étranger correspondent-ils à une stratégie préétablie ? Quelle est la situation des populations chinoises chrétiennes et musulmanes ?

M. Jeanny Lorgeoux. - N'assiste-t-on pas, avec la montée des ambitions politiques de la Chine, à un renforcement du pouvoir de l'armée ? Pouvez-vous nous éclairer sur la nature des relations entre les comités permanents du parti et l'état-major des armées ?

M. Jean-Claude Peyronnet. - Y a-t-il une véritable prise de conscience écologique en Chine ? Qu'en est-il des finances locales ? De nombreux observateurs ont souligné l'augmentation considérable de l'endettement des collectivités territoriales.

M. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po - Le réveil américain arrive très tard. Le lobby prochinois est aujourd'hui très puissant au sein de la classe politique américaine. J'observe par ailleurs que les capacités d'espionnage chinoises sont aujourd'hui considérables, notamment dans le domaine industriel. De ce point de vue, la vigilance des pays occidentaux en général et de la France en particulier me paraît beaucoup trop faible.

La stratégie d'investissement chinoise à l'étranger correspond avant tout au besoin d'approvisionnement du pays en matières premières. C'est particulièrement le cas en Afrique, où les investissements chinois sont massifs, et rencontrent parfois la résistance des populations locales.

S'agissant de l'Islam, les autorités chinoises ont des difficultés avec un islamisme radical dans certaines provinces chinoises. Il y a par ailleurs un irrédentisme spécifique des régions turcophones qui ne s'appuient pas spécifiquement sur une revendication religieuse. En ce qui concerne le christianisme, on observe un assouplissement de l'attitude des autorités à l'égard de la chrétienté, dans un pays qui ne contient que dix millions de catholiques et vingt millions de protestants. En revanche, on assiste à une montée en puissance du christianisme évangélique.

Dans un système politique qui connaît autant de divergences que le système chinois, l'armée a naturellement vocation à jouer un rôle croissant. Depuis quelques années, les militaires jouent un rôle de plus en plus important, grâce à une élite militaire compétente qui a de plus en plus tendance à prendre des positions politiques, notamment dans le domaine diplomatique.

Le poids des provinces est un élément déterminant de l'avenir de la Chine. Il y aura vraisemblablement une fragmentation croissante du pays, compte tenu de la puissance acquise des certaines provinces. D'ores et déjà, cinq à six provinces pourraient être considérées parmi les quinze premières puissances mondiales. Le centralisme chinois devra faire face à une volonté d'autonomie croissante des provinces.

Si la Chine ne souhaite pas s'engager dans des traités internationaux contraignants en matière d'écologie, la prise de conscience des dirigeants dans ce domaine est manifeste. La nomination au ministère de l'environnement d'un responsable politique de premier plan, très engagé dans le domaine de l'écologie, en témoigne.

La question sociale est évidemment au coeur de l'avenir du pays. Les revendications sociales conduiront nécessairement à une amélioration de la condition des salariés et à terme à une perte de compétitivité travail des industries chinoises.

Nomination de rapporteurs

La commission nomme rapporteurs :

- M. Marcel-Pierre Cléach sur la proposition de loi n° 256 (2012-2013) portant actualisation de certaines dispositions de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- M. Daniel Reiner sur le projet de loi n° 416 (2012-2013) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg pour le développement de la coopération et de l'entraide administrative en matière de sécurité sociale ;

- M. André Dulait sur le projet de loi n° 417 (2012-2013) autorisant la ratification de l'accord-cadre global de partenariat et de coopération entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République d'Indonésie, d'autre part ;

- M. Christian Cambon sur le projet de loi n° 418 (2012-2013) autorisant l'approbation de l'entente entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Québec relative à l'Office franco-québécois pour la jeunesse ;

- M. André Vallini sur le projet de loi n° 419 (2012-2013) autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme.

Jeudi 21 mars 2013

- Présidence de M. Jean-Louis Carrère, président -

Situation au Mali - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Cette audition n'a pas donné lieu à un compte rendu.