Mardi 26 mars 2013

- Coprésidence de M. David Assouline, président, et de Mme  Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -

Application de la loi du 20 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités - Examen du rapport d'information

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. - Le rapport d'information que nous examinons au cours de cette réunion commune de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois et de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication alimentera notre réflexion en vue de l'examen de la future loi sur l'enseignement supérieur. Il recense les avancées et les difficultés rencontrées dans la mise en place de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007 et évalue les engagements de tous les acteurs - État, équipes dirigeantes administratives et pédagogiques, étudiants, organismes de recherche, etc. - dans la mise en oeuvre du principe d'autonomie au sein des établissements d'enseignement supérieur.

Les rapporteurs ont auditionné plus d'une quarantaine de personnes, se sont déplacés dans quatre universités représentatives : une université de proximité, Avignon, deux universités intermédiaires, Angers et Amiens, et une grande université récemment fusionnée, Strasbourg, ainsi que dans les universités de leurs propres régions, celles de Caen et de Cergy-Pontoise. Notre mission consiste, comme nous l'avions fait lors des textes sur le terrorisme ou sur le milieu pénitentiaire, à réfléchir et proposer des pistes en amont, afin de légiférer de manière plus rationnelle et pertinente, forts des éléments d'analyse et d'évaluation des textes antérieurs. Cette réflexion est nourrie du regard objectif d'un binôme composé d'un rapporteur de la majorité et l'autre de l'opposition.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Ce rapport d'information sur l'évolution de l'application de la loi du 10 août 2007 résulte d'une demande conjointe de nos deux commissions. Conjuguée à la loi Goulard de 2006 et aux investissements d'avenir décidés dans le cadre du Grand emprunt, la réforme des universités a bouleversé les modes de gouvernance et de pilotage des établissements d'enseignement supérieur. Dans un contexte de concurrence internationale accrue, la définition d'une politique de formation et de recherche toujours plus innovante et attractive est devenue un enjeu fondamental. Parallèlement, de nouvelles entités sont apparues, rendant plus complexe le paysage institutionnel universitaire. Ce rapport d'évaluation nous permettra d'aborder sereinement le prochain projet de loi sur l'enseignement supérieur.

Mme Dominique Gillot, rapporteure. - Au mois d'octobre dernier, la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois nous a confié, à M. Ambroise Dupont et à moi-même, une mission d'évaluation de la mise en oeuvre de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU ». Cinq ans après son entrée en vigueur, il s'agissait de dresser un état des lieux de son application, en recensant les avancées et les difficultés rencontrées par la communauté universitaire dans la mise en place de la réforme visant à renforcer l'autonomie des universités.

Lors de mes travaux sur le rapport budgétaire annuel ou dans le cadre des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, des recommandations ont déjà été avancées, dans la perspective du prochain projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Notre mission de contrôle a identifié dans une démarche objective nourrie de points de vue opposables, aussi bien ce qui a fonctionné que ce qui a bloqué. Elle permettra le moment venu d'apprécier ce qu'il convient de supprimer, de conserver ou de modifier compte tenu des différentes expériences recueillies.

La loi LRU a introduit un nouveau paradigme : elle visait à mieux adapter les projets de chaque établissement aux besoins ou aux atouts en formation et recherche de son territoire, aux moyens disponibles, en même temps qu'aux exigences de la concurrence nationale et internationale. Elle cherchait à optimiser l'utilisation de l'ensemble des ressources dans le cadre d'un budget global, en s'appuyant sur un examen prospectif de la soutenabilité des projets portés par des équipes de direction responsabilisées dans l'emploi de leurs moyens.

Les textes d'application requis par la loi, soit 21 décrets, sans compter d'autres textes réglementaires connexes, ont été pris dans un délai rapide, sans soulever de contestation excessive, alors même que la loi LRU n'avait pas fait l'objet d'une étude d'impact préalable.

M. Ambroise Dupont, rapporteur. - L'autonomie a mis les universités dans l'obligation d'assumer des choix stratégiques adaptés aux besoins socioprofessionnels de leur territoire, en tenant compte de la concurrence internationale. Il leur a fallu trouver l'équilibre optimal dans la définition de leurs orientations stratégiques entre, d'une part, la nécessité d'affirmer leur identité propre, de l'autre, leurs missions de service public. A cet égard, la réussite des universités doit s'apprécier au cas par cas.

Au niveau national, l'autonomie a probablement suscité un emballement des universités dans la définition de leur politique de formation. Préoccupées d'abord par le souci de se distinguer à tout prix des autres, par des libellés de diplômes soit novateurs, soit fantaisistes et confus, certaines universités ne se sont pas penchées sur la soutenabilité financière et la pertinence pour leur environnement économique de ces nouvelles formations, provoquant ainsi une inflation de l'offre de formation, dans un paysage devenu complexe, voire illisible pour les jeunes, leurs familles et les entreprises.

Mais nos déplacements nous ont montré que certaines universités avaient pris la juste mesure de l'enjeu stratégique de la définition de l'offre de formation. L'université d'Avignon, avec 7 000 étudiants, est une « petite » université qui a su utiliser son autonomie stratégique pour tirer son épingle du jeu. Elle a développé des niches de spécialisation, en rapport direct avec les atouts et traditions de son territoire, qui en font une « orchidée » universitaire dans les domaines du patrimoine, de la culture et de l'agroalimentaire. Elle a également maintenu une offre pluridisciplinaire au niveau licence, afin de garantir le libre accès des bacheliers de la région à l'enseignement supérieur.

L'université de Strasbourg, « grande » université de plus de 43 000 étudiants, a pu garantir une pluridisciplinarité à tous les niveaux, tout en développant des niches de spécialisation, comme les langues rares ou le droit, qui font son identité dans un territoire caractérisé par de fortes interactions transfrontalières. La dimension de ses structures de recherche lui permet également de mener une politique scientifique très offensive.

En revanche, le positionnement est plus compliqué pour les universités de rang intermédiaire, partagées entre les exigences immédiates d'un environnement socio-économique parfois défavorisé et une ambition de rayonnement national et international. L'université de Picardie, par exemple, dans une région marquée par un des plus faibles taux d'accès à l'enseignement supérieur, se révèle incontournable pour le développement du territoire et se doit de maintenir la pluridisciplinarité au niveau licence, en dépit de coûts fixes très élevés dus à des antennes délocalisées. De même, l'université de Caen a développé la transversalité et les passerelles entre formations pour prévenir, autant que possible, l'échec en premier cycle. Elle a aussi renforcé son offre de formation pour les ingénieurs, dont le besoin est patent en Basse-Normandie.

Grâce à la loi LRU, les exécutifs des universités ont pris conscience de la nécessité d'un positionnement stratégique en matière de formation et de recherche, aussi bien par rapport à leurs missions de service public que par rapport aux besoins socioprofessionnels de leur territoire. Elle a également favorisé l'ouverture des universités sur le monde économique. Les collaborations sont encore balbutiantes, mais certaines universités ont pris des initiatives prometteuses et souhaitent qu'on les accompagne dans ce sens.

En matière d'orientation et d'insertion professionnelle, les résultats sont encore limités. Si beaucoup d'universités ont fait des efforts considérables dans la professionnalisation de leurs licences, la connaissance des milieux professionnels et l'importance de l'orientation ont encore du mal à s'imposer chez les enseignants-chercheurs. Malgré la généralisation des bureaux d'aide à l'insertion professionnelle et le renforcement de la continuité du parcours d'orientation du début du lycée à la fin de la licence, l'aide à l'orientation est insuffisamment valorisée au sein du personnel enseignant, à tous les niveaux.

Certaines universités s'illustrent cependant. L'université de La Rochelle a ainsi créé une « Maison de la réussite », dispositif d'orientation intégré du secondaire au supérieur, qui offre aussi une plateforme des stages et des parcours de formation continue... Le taux d'insertion professionnelle de ses diplômés est de 95 %.

Mme Dominique Gillot, rapporteure. - Avec le passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE), prévu par la loi, les établissements doivent développer des outils de pilotage et de gestion prospective pluriannuelle de leurs ressources humaines, financières et immobilières, ainsi que de leurs dépenses, en fonction des priorités fixées par leur contrat d'établissement. Les équipes dirigeantes et les services centraux s'appuieront ainsi sur des données comptables sincères et régulièrement réactualisées, grâce à des tableaux de bord pluriannuels et à une comptabilité analytique dégageant la vérité des coûts. Mais, à l'heure actuelle, moins d'une dizaine d'universités françaises ont mis en place une comptabilité analytique.

Le législateur avait pourtant conféré aux universités une maîtrise significative des subventions versées par l'État, au titre de la fongibilité asymétrique, dans le cadre d'un budget global dont le périmètre a été élargi pour recouvrir l'ensemble des dépenses de personnel. Mais, faute d'une d'évaluation du coût réel des transferts de charges et d'outils de gestion prospective, les universités ne sont pas en mesure de cerner leurs marges de manoeuvre budgétaires.

Préalablement au passage à l'autonomie, l'État n'a pas défini de référentiel de gestion commun à l'ensemble des universités. Aucun outil de suivi n'a été mis en place afin d'accompagner les établissements dans la gestion d'une masse salariale qui représente parfois jusqu'à 80 % du total des moyens récurrents attribués. Dans ces conditions, l'Agence de mutualisation des universités et des établissements d'enseignement supérieur (AMUE) et les universités ont navigué à vue dans l'élaboration d'outils de gestion partagés. Finalement, nombre d'universités ont développé en interne leurs propres instruments de gestion, bien souvent en faisant appel à des prestataires extérieurs, ce qui complique l'harmonisation des échanges de données au niveau national.

La subvention versée par l'État destinée au renforcement des capacités de pilotage des universités accédant à l'autonomie, soit 250 000 euros, n'a pas été suffisante. Si des efforts ont été consentis par l'État dans la création d'emplois de catégorie A+, les établissements déplorent l'absence d'un vivier de compétences d'encadrement administratif de haut niveau et directement opérationnelles.

Le dialogue de gestion des universités avec leurs composantes - unités de formation et de recherche (UFR), laboratoires, instituts, etc. - est devenu incontournable avec la disparition de moyens directement fléchés sur les unités d'enseignement et de recherche. Or, dans certaines composantes, prévaut toujours une logique de moyens et non de projets, en raison soit d'un passage aux RCE encore récent, soit de résistances culturelles et de logiques facultaires persistantes.

Les comptes des universités font désormais l'objet d'une certification annuelle par un commissaire aux comptes, les contraignant à s'aligner sur les règles de la comptabilité publique. La plupart des universités sont désormais dotées d'un contrôleur de gestion.

Les universités considèrent le transfert de la gestion des personnels comme le défi le plus redoutable du passage à l'autonomie, car l'anticipation de l'évolution de la masse salariale reste difficile. Des progrès limités ont été accomplis dans l'élaboration d'outils de gestion pluriannuelle des emplois et des compétences. Le recours à une cartographie des emplois et à un schéma pluriannuel de recrutements est loin d'être systématique. La mise à jour régulière par chaque université d'enquêtes sur les effectifs est pourtant indispensable pour permettre la comparaison entre entités fonctionnelles.

Dans la limite d'un double plafonnement, la loi LRU a ouvert aux présidents d'université des marges de manoeuvre nouvelles en matière de recrutement. Si certains ont recruté des personnels administratifs supplémentaires afin de renforcer leurs services de pilotage, d'autres ont su recycler des postes et développer des compétences internes.

En outre, le nombre de contractuels dans l'enseignement supérieur, y compris chez les enseignants, a explosé pour atteindre désormais 30 %. Le recours significatif aux « post-doc » par les directeurs de recherche en tant que techniciens de laboratoire haut de gamme laisse craindre une précarisation croissante de ces emplois qualifiés, l'évolution de carrière de ces jeunes n'étant absolument pas prise en considération, pas plus que celle des enseignants du secondaire.

La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs a également été modifiée avec le recours obligatoire à des comités de sélection, dont la moitié au moins des membres doivent être extérieurs à l'établissement. Malgré quelques difficultés dans leur mise en place, les délais de recrutement ont été significativement réduits. De même, le phénomène du localisme ou de l'endo-recrutement, semble avoir diminué. Quant à la possibilité pour un président d'université de s'opposer à la nomination d'un enseignant-chercheur retenu par un comité de sélection, elle n'a concerné, de 2007 à 2011, que 47 cas, soit 0,25 % des postes publiés.

Les vices de conception du modèle SYMPA (SYstème de répartition des Moyens à la Performance et à l'Activité) d'allocation des moyens récurrents de l'État et l'arrêt rapide de son utilisation n'ont pas aidé les établissements à accéder à l'autonomie financière. Outre les insuffisances de la « critérisation », les universités regrettent la non-application du modèle qui leur aurait permis, à tout le moins, de construire des budgets sur la base d'hypothèses réalistes et de renforcer leur capacité de pilotage. Les établissements sous-dotés ou ceux qui se pensaient vertueux sont amers.

La diversification des sources de financement, objectif pourtant majeur de la loi LRU, a été extrêmement limitée. Les fondations, au nombre d'une cinquantaine, ont permis de lever des fonds d'une ampleur très modeste. Toutes les universités ne sont pas armées de la même manière pour attirer des partenaires puissants dans la création de fondations : l'université de Strasbourg, dotée de fortes structures de recherche, a su séduire les partenaires industriels, quand les universités de Picardie et d'Angers rencontrent des difficultés. Les inégalités liées à l'environnement économique, l'absence de méthodologie ou une recherche de fonds insuffisamment ciblée constituent autant de facteurs explicatifs.

Les recettes issues de la formation continue dispensée par les universités sont restées à des niveaux décevants. Il s'agit d'une mission nouvelle insuffisamment contractualisée avec l'État et les régions, pour laquelle les enseignants-chercheurs éprouvent encore peu d'appétence.

Seulement trois universités volontaires ont été sélectionnées pour expérimenter la dévolution de la gestion de leur patrimoine. Mais le processus a été suspendu, les établissements peinant à définir une politique patrimoniale et à renforcer leurs services de pilotage, tandis que l'État se trouvait dans l'incapacité d'assurer la remise à niveau des bâtiments dont il entendait confier la gestion aux universités.

M. Ambroise Dupont, rapporteur. - Avec la loi LRU, le conseil d'administration (CA) s'est imposé comme le seul organe délibératif chargé d'élaborer la stratégie et la politique de l'établissement. Le conseil scientifique (CS) et le conseil des études et de la vie universitaire (CEVU) ont été cantonnés à un rôle consultatif en amont.

Les séances du CA sont, en règle générale, précédées de travaux des services centraux de l'université en coopération avec l'équipe du président de l'université, en particulier les services financiers et comptables et les services des ressources humaines. Les organisations syndicales et étudiantes ont craint que le CA ne constitue qu'une chambre d'enregistrement. Aussi, certaines universités ont mis sur pied des instances de concertation, soit prévues par les statuts, soit en dehors de tout cadre réglementaire : tantôt des comités d'orientation stratégique ont été constitués, réunissant des personnalités qualifiées de la communauté scientifique, pédagogique ou du monde de l'entreprise, tantôt le conseil scientifique et le CEVU ont été renforcés.

Les réunions fleuves de CA consacrées à des dossiers très techniques, perçus comme très peu stratégiques ou parfois exclusivement catégoriels, suscitent un manque d'assiduité.

Les personnalités extérieures ne participent pas à l'élection du président, droit réservé aux seuls membres élus du conseil d'administration. Mais le débat reste ouvert. Les présidents d'université ne souhaitent pas être dépossédés de leur possibilité de recruter eux-mêmes les personnalités extérieures après validation du CA, car ils peuvent ainsi les sensibiliser au projet stratégique de l'établissement et les responsabiliser. Les organisations étudiantes, quant à elles, redoutent que ces personnalités participent à l'élection du président, ce qui amoindrirait leur poids relatif. D'autres enfin soulignent qu'il est anormal d'écarter les personnalités extérieures à cette occasion. Il faudrait alors les désigner autrement : par les organismes de recherche ou les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux par exemple, ce qui ne garantirait toutefois pas nécessairement leur responsabilisation sur les enjeux stratégiques de l'université.

Néanmoins, l'assiduité des personnalités extérieures tient moins à leur mode de désignation qu'au contenu de l'ordre du jour et à la durée envisagée des délibérations du conseil. Lorsque des débats stratégiques ont été clairement identifiés, sur la base de documents préparatoires pertinents, les personnalités extérieures se sentent concernées.

S'agissant des rapports entre le conseil d'administration et les composantes, l'autonomie n'a pas provoqué de défiance persistante, hormis quelques exceptions. Les présidents d'université restent attachés à la culture du débat et à la recherche du consensus. La stratégie de l'établissement est, en règle générale, élaborée en amont, en associant les directeurs de composante, et les décisions, parfois douloureuses, sont partagées, grâce à un travail d'explication et de responsabilisation approfondi.

En ce qui concerne le contrat d'établissement quinquennal, il apparaît de plus en plus comme un instrument stratégique, permettant aux établissements de définir leur trajectoire à moyen terme. Toutefois, les conséquences financières qui pourraient résulter de l'évaluation de son exécution restent faibles. En outre, il convient d'assurer une cohérence entre ce contrat, élaboré bien souvent selon un mode vertical entre l'université et sa tutelle, et les conventions, horizontales et transversales que l'université conclut avec les autres acteurs du site : organismes de recherche, collectivités territoriales, autres établissements d'enseignement supérieur et pôles de compétitivité.

Les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) demeurent encore trop peu structurants, seules quelques fonctions support, notamment en communication ou en montage de projets, ayant parfois été mises en commun. Les PRES qui ont réussi bénéficient de véritables délégations de compétences stratégiques de leurs entités constitutives, conduisant, en général, à la fusion des universités concernées, comme à Strasbourg ou à Aix-Marseille.

Mme Dominique Gillot, rapporteure. - J'en viens à l'évaluation. Les équipes dirigeantes des universités insistent sur la nécessité d'une évaluation externe et indépendante, considérée comme un levier d'amélioration du projet stratégique de l'établissement, et non comme une sanction. La notation est ressentie comme pénalisante aussi bien pour les équipes de recherche que pour les formations. L'AERES (Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur), créée en 2006, a tenu compte des critiques et fait preuve de souplesse. Les universités ne souhaitent pas revenir à l'état antérieur d'une évaluation interne déconnectée d'un cadre national régulé.

Le décret statutaire des enseignants-chercheurs de 1984 a été modifié en 2009, pour instituer une procédure d'évaluation périodique individuelle. À l'heure actuelle, l'évaluation individuelle des enseignants-chercheurs est réalisée soit au niveau national par le Conseil national des universités (CNU), soit au niveau local par l'établissement. Les évaluations du CNU ne donnent pas lieu à un retour personnalisé systématique vers le candidat, et ne formulent pas de recommandations sur l'amélioration de la qualité de la candidature. Sujettes à caution et sources de frustration excessivement focalisées sur la recherche, elles servent rarement de levier de progression.

Il est capital de mieux valoriser les carrières des enseignants du second degré, qui dépendent du rectorat et se trouvent pénalisées s'ils font le choix d'intégrer l'enseignement supérieur : ils seront de plus en plus sollicités, en effet, pour assurer des enseignements transversaux et garantir la continuité du lien avec l'enseignement secondaire au sein d'équipes pédagogiques mixtes, comme le recommandent plusieurs rapports consécutifs aux assises.

M. Ambroise Dupont, rapporteur. - La maîtrise de l'autonomie ne se décrète pas, elle s'apprend. Cinq ans n'ont pas suffi pour prendre la mesure de leurs nouvelles RCE. Toutefois, une dynamique de progrès a été enclenchée.

Il est légitime que des universités se sentent désemparées pour assumer des fonctions d'employeur pour lesquelles elles ont été insuffisamment préparées. On peut comprendre les espoirs déçus quand des choix stratégiques sont remis en cause par un contexte budgétaire contraint. À l'évidence, les conditions de mise en oeuvre sont déterminantes dans le succès de cette loi.

Mais le changement de culture, s'il n'est pas achevé, s'est produit. Les universités ont perçu la nécessité d'une stratégie cohérente pour s'insérer dans leur environnement. L'importance de la professionnalisation des formations universitaires, pour l'insertion des étudiants dans la vie active, tout comme celle de la pédagogie et des conditions d'enseignement, placées au même niveau que l'excellence scientifique dans la recherche, sont reconnues.

Mme Dominique Gillot, rapporteure. - Chacun s'accorde à admettre que, à l'exception des quelques modifications ou rééquilibrages, la loi LRU et les nouvelles pratiques qu'elle a entraînées, en termes de collégialité, de maîtrise des fonctions support, de liberté d'action pour nouer des partenariats, sont à préserver.

Toutefois la demande de transparence, de sincérité budgétaire et de critères de dotation équilibrés est forte. Dévoués à leur mission, les universitaires réclament que leur rôle dans la structuration de notre société et dans l'effort de redressement de la nation soit reconnu.

Laissons le temps aux réformes d'ampleur de produire leurs effets dans la durée, surtout lorsqu'elles ont rencontré de fortes résistances culturelles et qu'elles ont été mal préparées. Un grand nombre d'établissements ont fait preuve, dans la mise en oeuvre de leur autonomie, de créativité, de maturité, d'ambition et de diplomatie auprès de leur communauté universitaire. Une abrogation pure et simple de la loi LRU serait perçue comme une perturbation de plus et donnerait un coup de frein à la modernisation des pratiques expérimentées jusqu'ici.

Il faut des moyens, des outils, des ressources qui donnent confiance dans l'avenir ; l'ambition n'y suffit pas. Les universités attendent une évaluation, transparente et impartiale, du coût des charges qui leur ont été transférées, ainsi qu'un rééquilibrage entre les universités traditionnellement sous-dotées et celles qui sont mieux armées. Prêtes pour la mise en place d'une « critérisation » indiscutable de l'allocation des moyens, elles en appellent à l'arbitrage de l'État, garant de l'équité de traitement. Elles assumeront de nouvelles responsabilités avec d'autant plus d'enthousiasme qu'elles disposeront, sur la durée, des moyens pour le faire.

M. David Assouline, président. - La loi LRU traitait de nombreuses questions telles celles liées à la vie étudiante, à l'orientation et aux débouchés professionnels, aux échecs en premier cycle, etc. Dans le souci d'approfondir, le rapport s'est concentré sur l'autonomie d'un point de vue fonctionnel et structurel.

M. Jean-Léonce Dupont. - Je félicite les rapporteurs. L'insertion professionnelle était un des objectifs nouveaux de loi : les résultats sont limités, donnant lieu à des situations contrastées. Dans ce domaine, comme dans les autres, il est impératif de disposer de statistiques claires, continues et transmises de manière régulière.

Le rapport souligne la difficulté des universités pour recruter un encadrement capable d'assumer les nouvelles fonctions. Or nous avions anticipé ces problèmes de ressources humaines, de gestion patrimoniale ou de contrôle de gestion. L'autorité centrale, qui a délégué ses fonctions aux autorités de terrain par le fait de l'autonomie, a-t-elle eu réellement la volonté de transformer ce transfert en une réussite ?

Le système de financement montre ses insuffisances. Dans le système antérieur, le montant des dotations dépendait de deux critères : la superficie et le nombre d'étudiants. Il en avait résulté une « inflation des mètres carrés » et du nombre d'étudiants inscrits en début d'année universitaire, dont le suivi n'était pas assuré dans le temps - avec même, dans certains cas, le recours à des inscriptions massives d'étudiants étrangers... Le changement de critères est une affaire délicate et ceux-ci, en outre, doivent évoluer dans le temps. Il s'agit de trouver des critères objectifs pour aider les établissements vertueux. Or l'égalité des universités est un leurre, tant les situations de départ sont différentes : certaines universités sont bien dotées, d'autres beaucoup moins. La péréquation ? Elle se heurte à une impossibilité concrète, les universités riches s'y opposant naturellement. Il existe ainsi une difficulté dans la mise en oeuvre de critères objectifs.

Un mot sur la diversification des financements. Certes, certains environnements se prêtent mieux que d'autres à la création de fondations. Cependant, parfois, l'absence de volonté est patente...

Mme Dominique Gillot, rapporteure. - ...ou l'absence de savoir-faire !

M. Jean-Léonce Dupont. - Sans doute, mais prévaut aussi une approche dogmatique.

En tant que membre du comité de suivi de la LRU, j'ai rencontré les présidents des trois universités - universités de tailles différentes - qui ont eu recours à la dévolution patrimoniale. Ils m'ont fait part des difficultés techniques rencontrées pour mettre en place cette dévolution, mais ils ne le regrettent pas et indiquent même qu'elle leur a permis de surmonter certains problèmes, notamment d'accueil des étudiants, qu'ils n'auraient pu résoudre autrement vu le contexte financier. La suspension du processus me choque : pourquoi ne pas laisser cette possibilité à toutes les universités ?

Une des difficultés de notre pays tient à la succession rapprochée des réformes qui s'annulent. Laissons du temps au temps. Les réformes ne doivent pas obéir à une logique de remise en cause systématique mais être inspirées par la recherche d'améliorations. Garantissons aux décideurs un cadre juridique permanent, il en va des universités comme du reste !

M. Jacques-Bernard Magner. - Si l'autonomie comporte des réussites, comme la mise en place de niches dans les petites universités ou en matière de recherche, d'initiative et de créativité, son échec est patent pour la formation des maîtres, même si des inégalités territoriales existaient déjà...

M. Jean-Léonce Dupont. - La formation des maîtres ne figure pas dans la loi LRU !

M. Jacques-Bernard Magner. - Mais cette loi a eu des effets directs. Les universités ont mis en place des modules de formation. Or on constate de fortes inégalités entre instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), universités et académies. Est-ce une conséquence de l'autonomie ou d'un manque de consignes du ministère ? La création récente des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) comble un manque. Les inégalités territoriales de formation se sont accrues alors que les enseignants ont vocation à travailler sur tout le territoire. L'Etat doit fixer un cadre national précis.

M. Jean-Jacques Lozach. - La recherche de niches de spécialisation est au coeur de la stratégie de développement des universités. Leur répartition donne-t-elle lieu à une coordination au niveau national pour éviter les redondances ou, au contraire, les vides dans certains territoires ?

Les disparités de moyens humains et financiers entre universités sont importantes. Existe-t-il des dispositifs de péréquation ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Les difficultés rencontrées sont-elles liées à des problèmes de mise oeuvre sur le terrain, que le temps résoudra, ou résultent-elles, plus fondamentalement, de la logique d'organisation de l'enseignement supérieur découlant de la loi LRU ? Celle-ci induit en effet un bouleversement, voire une déstructuration : l'appel à des financements extérieurs, en période de restriction budgétaire, aura des implications sur les choix. Je suis inquiète de l'existence de liens trop exclusifs avec l'économie.

En outre, les universités ont une capacité inégale à mettre en oeuvre la réforme, et on constate que les universités de taille moyenne, moins attractives, ont tendance à se développer grâce à des niches.

Enfin, le nombre des contractuels explose : quel sera leur avenir ? Cette situation est-elle vraiment profitable à l'enseignement supérieur et à la recherche dans notre pays, cette réforme s'ajoutant à d'autres ?

M. André Gattolin. - Universitaire en charge de masters professionnels, j'ai pu constater à quel point les profils des cadres administratifs recrutés au nom de la rationalisation étaient parfois inadaptés à la réalité du fonctionnement des universités.

S'agissant des masters professionnels, ces diplômes explosent car ils répondent à la demande des étudiants et permettent aux universités de bénéficier plus facilement de ressources externes, notamment au titre de la formation professionnelle et de l'alternance. Mais exiger - comme c'est de plus en plus fréquent - qu'ils soient rentables en deux ans, c'est méconnaître les aléas liés au marché du travail.

La situation est paradoxale. La moitié des cours sont assurés par des intervenants extérieurs, et encore davantage dans les universités parisiennes - qui sont hélas peu évoquées dans le rapport - où 80 % des étudiants sont en forte demande dans ce domaine. Mais, de l'autre côté, ces intervenants sont, à la différence des enseignants-chercheurs, traités de manière très disparate. Ils sont en moyenne rémunérés entre 32 et 34 euros de l'heure, c'est-à-dire sans rapport avec l'importance de leur contribution. Je m'interroge aussi sur l'adaptation de l'enseignement supérieur aux attentes des citoyens, à celles des étudiants eux-mêmes et aux besoins de l'économie.

M. David Assouline, président. - Je salue le fait que chacun fasse l'effort de se limiter au contrôle de l'application de la loi. Sans mettre nos convictions dans nos poches, il ne faut pas refaire le débat qui avait eu lieu lors de l'examen du texte, au cours duquel nous avions par exemple dénoncé le fait que l'on ne traitait pas des principaux problèmes de l'université, à commencer par celui de l'échec en premier cycle. Nous avions déjà réussi cet exercice difficile avec M. Legendre à propos de la loi sur l'audiovisuel et je trouve que, là encore, nous ne nous en sortons pas mal.

Lors du débat sur la loi LRU, j'étais assez fier d'avoir convaincu Mme Pécresse d'adopter un amendement créant, à l'instar des grandes écoles, dans chaque université, un bureau des étudiants, confié à un fonctionnaire de catégorie A et notamment en charge des débouchés professionnels. A-t-il été effectivement mis en place et quel bilan peut-on en tirer ?

Mme Dominique Gillot, rapporteure. - Notre rapport consacre un chapitre à la vie étudiante pour constater que les situations sont très diverses et que les bonnes pratiques résultent tant de la loi que d'initiatives prises par les équipes sur le terrain.

Ambroise Dupont et moi-même avons veillé à ne pas faire passer nos opinions politiques avant le contrôle de l'application de la loi.

Monsieur Gattolin, c'est volontairement que nous n'avons pas cité beaucoup d'universités parisiennes car on n'entend généralement qu'elles et leur discours très typé. Si nous avons voulu sortir de ce cadre, nous avons tout de même recueilli les témoignages de grands porte-parole qui voient les choses de Paris.

M. Ambroise Dupont, rapporteur. - De plus, nous n'avons pas voulu revenir sur un thème déjà largement traité par le rapport de la Cour des comptes en 2001 sur le passage aux RCE de sept universités parisiennes.

Accueil des étudiants, bureaux d'aide sociale, santé, sport : j'ai été frappé par le volontarisme manifesté par l'ensemble des acteurs pour mettre l'université dans la ville et la ville dans l'université.

Jean-Léonce Dupont a tout à fait raison d'évoquer la publication des statistiques car c'est une obligation qui est inégalement remplie.

Juste une remarque : dans une discussion sur les rythmes solaires tenue au sein ma communauté de communes il y a trois jours, les enseignants se plaignaient d'une formation devenue trop universitaire et peu adaptée à leur pratique professionnelle.

L'université est encore choisie par défaut par les bacheliers qui ne peuvent accéder aux filières sélectives et les enseignants-chercheurs, très occupés par leurs recherches, n'ont peut-être pas encore pris conscience de la demande de professionnalisation des étudiants.

Selon une organisation étudiante, encore 68 % des premiers emplois sont obtenus grâce aux réseaux personnels des étudiants, traduction en creux du manque de structuration des bureaux d'aide à l'insertion qui, s'ils existent partout, ne sont pour certains que des coquilles vides.

Monsieur Lozach, il n'y a effectivement pas de véritable coordination nationale des formations ; l'État ne remplit pas son obligation et l'absence de carte nationale des formations est dénoncée par le comité de suivi de la LRU. Quant aux « orchidées », elles résultent souvent d'un positionnement très particulier comme à Avignon où la spécialisation sur le patrimoine a été très aidée, ou comme à Strasbourg où l'étude des langues rares, pratiquée de longue date, tient aussi bien au passé qu'à la situation géographique de la ville, au carrefour de différentes cultures.

Mme Dominique Gillot, rapporteure. - Si la volonté d'un meilleur encadrement a été affichée, nous n'avons trouvé nulle trace d'une aide de l'État aux établissements pour acquérir les compétences de gestion des fonctions support. Ces compétences n'existaient pas et il fallait les créer ; certaines universités ont fait de bons recrutements mais d'autres ont dû changer trois ou quatre fois de directeur général des services avant de trouver véritablement un remplaçant opérationnel au secrétaire général. L'enseignement supérieur est la seule administration française dépourvue d'une école de formation spécifique ; c'est une question sur laquelle il faudra sa pencher car on ne gère pas une université comme un hôpital ou une collectivité territoriale, surtout lorsque les budgets ont triplé voire quadruplé. Il y a eu des difficultés non parce que les gens étaient mauvais mais simplement parce qu'ils ne savaient pas faire et que le ministère ne les a pas accompagnés, croyant que les choses se feraient d'elles-mêmes.

Il est vrai que mettre en oeuvre un système de rééquilibrage est difficile lorsque les moyens n'augmentent pas car il y aurait alors des gagnants et des perdants. Faute de carburant dans la machine, le système de répartition des moyens à la performance et à l'activité (SYMPA) s'est bloqué au bout de deux ans. Plutôt qu'à une véritable redistribution, le ministère a procédé à des compensations assez peu transparentes au travers de contrats qui n'ont apporté d'aide que pendant un an ou deux ans, laissant ensuite les établissements retomber dans leurs difficultés structurelles.

Seuls trois établissements ont accepté la dévolution patrimoniale. Cette dernière est extrêmement compliquée dans la mesure où le ministère n'a, pas davantage aujourd'hui qu'avant les élections, les moyens de remettre en état le patrimoine à transférer. De plus, les universités manquent de compétences : elles commencent juste à savoir mettre en place des programmes pluriannuels de contrôle des fluides et des contrats de maintenance. Une nouvelle culture peut se développer grâce à la mutualisation, mais nous n'en sommes qu'au début. Pour un seul chercheur, certains établissements ouvrent un laboratoire et allument le chauffage et la lumière dans tout le bâtiment... Il faudra du temps et aussi, selon nous, un accompagnement du ministère.

Madame Gonthier-Maurin, nous n'avons pu que constater la solitude des établissements les moins bien dotés. Nous nous sommes alors tournés vers l'AMUE, en principe là pour les aider, pour constater qu'elle était certes animée des meilleures intentions, mais qu'elle ne disposait pas des référentiels de base, notamment pour mettre au point des systèmes d'informations utiles aux universités, le ministère n'étant pas lui-même en mesure de définir ce qu'il entend par autonomie financière. Pour quelles raisons ? Nous avons notre petite idée sur la question, une mission avec M. Adnot m'ayant déjà amenée à constater que le ministère ne maîtrisait pas un certain nombre de fonctions support qu'il avait dévolues à d'autres en se disant peut-être « advienne que pourra »... Aujourd'hui, les choses se construisent à partir de réflexions qui ont pu aboutir à certains endroits mais cela ne peut se faire que progressivement.

S'agissant de la formation des maîtres, force est de constater que l'absorption des IUFM par les universités a été presque exclusivement perçue par ces dernières comme une augmentation du nombre d'étudiants et du budget. Après la suppression de la formation - en 2010 - et des 15 000 postes de support là où la formation des maîtres avait disparu, il ne restait donc plus que de la recherche pédagogique de haut niveau.

M. Jean-Jacques Lozach s'interroge sur le type de redistribution. Des solutions seront peut-être apportées par la future loi. En tous cas, de façon surprenante mais très claire, les porte-parole du milieu universitaire nous ont indiqué qu'il revenait à l'État de prendre ses responsabilités. Même si c'est douloureux, ils veulent connaître le cap et avoir l'assurance que les arbitrages seront opérés de manière transparente et équitable. Rien ne changera, tant que les universités espèreront obtenir des rallonges financières en dehors des cadres par des plaidoyers, des manifestations et des pétitions. Il faut que s'arrête la course aux subventions supplémentaires !

La publication du rapport est autorisée à l'unanimité.

M. David Assouline, président. - Merci à tous. Le 16 avril, je vous invite à un forum sur le contrôle de l'application des lois qui réunira tous les acteurs du processus, dont le Secrétaire général du Gouvernement, des universitaires, des représentants des préfets, des maires ou encore des avocats.