Mardi 14 janvier 2014

 - Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente -

Audition de M. Michel Hersemul, chef du département d'expertise des partenariats public-privé et de conduite de projets délégués au sein de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui M. Michel Hersemul, chef du département d'expertise des partenariats public-privé et de conduite des projets délégués au sein de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM).

Nous souhaitons notamment que M. Michel Hersemul nous explique les fonctions et missions de son département, ses moyens, son éventuel rôle dans la procédure d'élaboration et de passation du contrat Écomouv' et son suivi, ainsi que son appréciation de la procédure de partenariat public-privé utilisée pour contracter avec Écomouv', en comparaison avec d'autres opérations de même nature ou ampleur.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Hersemul prête serment.

M. Michel Hersemul. - Madame la présidente, vous avez souhaité m'auditionner, dans le cadre de la commission d'enquête, en tant que responsable, au sein de la DGITM, d'un département dédié à la dévolution des partenariats public-privé (PPP) des infrastructures de transport. Le terme de partenariat public-privé recouvre l'ensemble des contrats complexes, et notamment les contrats de concessions et de partenariat. Mon département est situé au sein de la DGITM, mais peut être sollicité pour intervenir sur l'ensemble des procédures de dévolution de contrats de concession ou de partenariats passés par la direction générale.

Les missions du département sont prioritairement ciblées sur la passation de ces contrats et sur leur dévolution. Dans ce cadre, mon département joue deux rôles différents : il est, d'une part, directement pilote de la dévolution des contrats liés aux infrastructures autoroutières, qu'elles soient réalisées en concession ou en contrat de partenariat ; d'autre part, mon département assure une expertise, et apporte une contribution au cas par cas, notamment dans les domaines juridique et financier, pour les contrats dont le pilotage est assuré par d'autres entités de la direction générale.

Pour mener ces missions, le département dispose de 14 agents de catégorie A et A +, dont moi-même. Il a vocation à être à la fois un lieu de mutualisation et de capitalisation des compétences, et de valorisation des expériences ; il constitue également, in fine, une entité de pilotage opérationnel pour le domaine routier.

Les agents sont répartis entre trois métiers principaux : la compétence juridique et la passation de contrats, la compétence financement -et plus spécialement le financement de projets- et le pilotage de procédures.

Par ailleurs, il est usuel, pour ce type de contrats, et selon les sujets, que le département ou l'entité pilote du contrat concerné s'entourent des compétences de conseils indépendants privés, notamment dans les domaines technique, juridique ou financier. C'est le cas pour l'écotaxe, dont le contrat a profité de l'appui d'un grand cabinet d'avocats parisien.

A ce moment de mon exposé, il me faut rappeler qu'au sein de la direction générale, une mission de la tarification a été mise en place afin de conduire le projet écotaxe, et notamment la passation du contrat et son suivi.

Mon département est intervenu en tant que de besoin en assistance auprès de cette entité, et en expertise spécifique, pour la mise en place de la structuration et de la dévolution du contrat de partenariat relatif à la taxe sur les poids lourds.

Je me permets de signaler que les expériences acquises au sein du département, à travers un certain nombre d'autres contrats, ont permis de faire bénéficier la mission de la tarification d'une structuration spécifique en termes d'organisation, avec la création d'une équipe projet présentant toutes les compétences utiles à la conduite de celui-ci, la mise en place d'assistants externes techniques, juridiques et financiers, par des réflexions structurées très en amont sur les modes d'achat disponibles pour mettre l'écotaxe en place et, in fine, la mise en oeuvre de la dévolution du contrat.

Dans ce cadre, nous avons insisté, en tant que conseils internes, sur la confidentialité nécessaire vis-à-vis des différents candidats, sur l'égalité de traitement entre ces derniers, sur la manière d'organiser le dialogue compétitif de façon optimale, ainsi que sur la mise en place d'une commission consultative, créée par décret, présidée par un conseiller d'Etat, et qui a été interrogée régulièrement.

On peut donc considérer, s'agissant de l'écotaxe, que les standards habituels de dévolution des contrats ont été mis en oeuvre.

Cette organisation confère néanmoins à la seule mission de la tarification la connaissance à la fois globale et précise du dossier, et la légitimité pour répondre aux questions spécifiques que la commission d'enquête pourrait soulever sur la mise en place du choix du contrat de partenariat et sur la dévolution ou le contrat lui-même, mon département n'en ayant qu'une vision partielle et n'étant intervenu qu'à titre d'expert sur les points à propos desquels il était sollicité.

Je comprends néanmoins que vous avez souhaité pouvoir disposer d'un éclairage sur les aspects plus généraux des contrats de partenariat. Au regard des champs d'investigation de la commission d'enquête, quatre points me semblent pouvoir être abordés préalablement à nos échanges, d'une part, les conditions de recours au contrat de partenariat, d'autre part, l'intérêt du dialogue compétitif, les modalités de rémunération d'un tel contrat, et le traitement contractuel des risques

Les personnes publiques peuvent librement, et dans le respect des lois et règlements, choisir en opportunité le mode d'achat qu'elles jugent le plus performant pour répondre à leurs besoins. Dans la panoplie de l'achat public, le contrat de partenariat est un dispositif à part, parfois baptisé du nom de « niche » par les spécialistes. Seuls 200 contrats de partenariat ont été signés dans ce cadre.

C'est surtout un dispositif d'achat dérogatoire au code des marchés publics, notamment du fait qu'il interdit l'allotissement et autorise un paiement différé. Cela justifie, pour l'Etat, la nécessité réglementaire de produire une étude dite d'évaluation préalable, qui doit elle-même être validée par un organisme compétent de la direction du Trésor, la mission d'appui des partenariats public-privé (Mappp).

Que comporte l'évaluation préalable conduite pour l'écotaxe ? Elle doit d'abord s'attacher à justifier le respect des conditions réglementaires de recours au contrat de partenariat, en montrant le respect d'une des conditions réglementaires imposées par l'ordonnance.

Les conditions sont au nombre de trois : le critère d'urgence, le critère de complexité, la démonstration d'un bilan coût-avantage favorable au contrat de partenariat.

J'attire votre attention sur le critère de complexité. La notion de complexité renvoie en effet à la directive européenne 2004/18/CE qui indique que « les pouvoirs adjudicateurs qui réalisent des projets particulièrement complexes peuvent, sans qu'une critique puisse leur être adressée à cet égard, être dans l'impossibilité objective de définir les moyens aptes à satisfaire leurs besoins, ou d'évaluer ce que le marché peut offrir en termes de solutions techniques ». Cette définition montre que la notion de complexité n'est pas considérée comme intrinsèque au projet, mais qu'elle doit être considérée eu égard aux compétences et aux moyens dont dispose la personne publique.

L'évaluation préalable doit également comporter une étude comparative, qui analyse, notamment en matière de coût global, de performance, de partage des risques et de développement durable, l'intérêt relatif d'un mode d'achat en contrat de partenariat par rapport aux autres modes d'achat disponibles.

En ce qui concerne l'écotaxe, cette étude préalable a été élaborée par l'Etat. Le recours au contrat de partenariat a été autorisé par la Mappp dans son avis n° 2009-4, rendu en 2009. Cet avis est public et disponible sur le site internet de la Mappp. Celle-ci y valide, concernant l'écotaxe, la notion de complexité, en évoquant plusieurs thématiques techniques, qui vont de l'envergure du dispositif à la difficulté, pour l'Etat, de choisir a priori entre les deux solutions proposées -satellitaire ou recours aux communications dédiées à courte portée (DSRC). Les DSRC sont des dispositifs de transmission par micro-ondes supposant d'implanter des bases fixes tout au long de la route, ce qui n'a finalement pas été retenu.

L'intérêt de ces contrats est de favoriser l'émergence de solutions techniques opérationnelles susceptibles d'optimiser la réponse aux besoins de l'Etat. Cette optimisation est particulièrement favorisée lorsqu'on met en place un dialogue compétitif, ce qui a été le cas pour l'écotaxe, ceci permettant, de manière itérative, entre la personne publique et le candidat, d'améliorer conjointement le projet, d'une part, par l'ajustement du cahier des charges fonctionnel pour ce qui est de la personne publique et, d'autre part, par des efforts d'innovation et de performance du côté privé.

Cette évolution se traduit par des phases normées, dites d'échange ou de remise d'offre initiale, qui aboutissent in fine au projet final de consultation. Cette évolution du cahier des charges est bien évidemment conduite dans le total respect de l'égalité de traitement des candidats, et des éventuelles propriétés intellectuelles ou industrielles.

Il serait maladroit de ne pas évoquer le sujet de la rémunération des partenaires dans ce type de contrat...

Les contrats de partenariat supposent la mise en place d'un financement du projet par le titulaire, le cas échéant partiel. Compte tenu de la durée et du périmètre de ces contrats, une telle disposition revêt un intérêt évident pour assurer la mobilisation du partenaire dans la durée, et permettre une éventuelle sanction financière en cas de performance insuffisante.

Elle possède aussi des vertus dans les éventuels arbitrages que le partenaire peut adopter dans la conception de son projet, entre la qualité initiale de l'investissement et le coût d'entretien ultérieur. Bien évidemment, ce financement privé contribue à l'approche en coût global du projet, qui est un point important du contrat de partenariat. L'ensemble du coût d'investissement, de fonctionnement et de renouvellement est pris en compte, et non le seul coût initial.

L'ordonnance de partenariat impose que la rémunération du financement soit différenciée au sein de la rémunération globale du partenaire, mais le jugement des offres intégrera systématiquement dans les critères de jugement, ainsi que je l'ai dit, l'analyse du coût global -investissement, financement, entretien et renouvellement.

La rémunération de ce type de contrat est généralement versée sous forme de loyers, trimestriels ou semestriels. En cas de retard, le dispositif habituellement prévu dans les contrats est une simple suspension du versement des loyers, qui sont libérés à la livraison effective des biens, assortie en général de pénalités de retard. Le partenaire est donc fortement incité à terminer les travaux dans les temps impartis par le contrat.

A noter que dans ce cas, de manière générale, la durée du contrat étant fixe, l'allongement de la durée de construction réduit d'autant le temps d'exploitation, entraînant potentiellement une perte financière pour le partenaire.

Le dernier point sur lequel je voulais attirer votre attention concerne les clauses contractuelles. La DGITM a forgé une grande partie de sa doctrine sur la gestion des contrats de concession de type autoroutier -environ dix ont été signés depuis 2000- dans lesquels la quasi-totalité des risques est assumée par le concessionnaire.

Aussi, en ce qui concerne les contrats de partenariat, la direction générale a une position plus dure que la plupart des autres maîtres d'ouvrage en matière de partage de risques. Ceci se traduit notamment, dans la rédaction des contrats, par une approche restrictive des événements pris en compte dans les clauses, comme la gestion des modifications, la définition des causes légitimes -ces dernières pouvant exonérer le partenaire de pénalités- ou le fait du prince, avec l'évolution ultérieure unilatérale du contrat.

Ceci se traduit par des rédactions exigeantes des clauses de fin de contrat, qu'il s'agisse de déchéance, d'imprévision, de force majeure ou de résiliation pour intérêt général, pour lesquelles, d'une manière générale, la jurisprudence du conseil d'Etat est privilégiée.

J'ajoute, à titre personnel, que je suis assez peu intervenu sur ce contrat, puisque je n'ai pris mon poste qu'en janvier 2011, époque à laquelle le candidat pressenti a été désigné. Je n'ai donc pas du tout assisté aux phases antérieures.

Je me tiens à présent à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Tout d'abord, pourrions-nous avoir le nom de votre prédécesseur, afin de l'entendre éventuellement ?

Par ailleurs, le contrat de partenariat public-privé, vous l'avez dit, est destiné à permettre à l'Etat d'investir dans des conditions très particulières. A votre sens, est-il bénéfique pour l'Etat d'y ajouter l'affermage d'une taxe ? Autrement dit, ce contrat de partenariat public-privé devait-il forcément aller jusqu'au recouvrement de la taxe ?

Pouvez-vous nous dire qui a pris la décision de passer par une solution technique complexe et non par une solution déclarative pour le recouvrement de cette taxe ? Qui a, d'autre part, pris la décision de retenir la technique du GPS ? Qui a tenu le rôle du pouvoir adjudicataire ? A-t-on la composition précise de la commission consultative que vous avez évoquée ? Qui a rédigé le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et autres documents liés à ce contrat ?

Que pensez-vous de la spécificité de ce contrat, hors affermage de la taxe, qui porte sur un investissement dont le coût, en onze ans, aura plus que doublé ? Les chiffres qui ont été cités la semaine dernière étaient de 650 millions d'euros d'investissement ; le loyer versé par l'Etat à la société Écomouv' se situe entre 1,2 et 1,8 milliard d'euros. On a fait valoir que l'Etat serait propriétaire du matériel au terme du contrat, mais cet équipement informatique complexe aura toutefois été entretenu grâce à 500 millions d'euros versés par l'Etat. Or, il sera techniquement obsolète dans onze ans ! On ne me fera pas croire qu'on effectuera encore à cette date les relevés de kilométrage avec le même matériel qu'aujourd'hui ! Etre propriétaire est une bonne chose ; lorsqu'il s'agit d'un matériel obsolète payé deux fois le prix, c'est beaucoup moins intéressant !

Enfin, pouvez-vous nous communiquer les coordonnées du cabinet d'avocats parisien qui a soutenu la mission ? Quel a été son rôle précis ?

Je laisserai notre collègue Jean-Pierre Sueur poser des questions concernant l'information des autres candidats, sujet qui lui tient particulièrement à coeur...

M. Michel Hersemul. - Le département que je dirige a été remanié quelques mois avant mon arrivée ; je vous ferai donc parvenir plusieurs noms, correspondant à plusieurs fonctions.

Vous m'avez demandé s'il était logique que le contrat de partenariat prévoie l'affermage d'une taxe. Qu'entendez-vous par-là ?

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Habituellement, un contrat de partenariat, vous l'avez dit, porte sur un investissement et sur son entretien. Dans le contrat signé entre l'Etat et Écomouv', on va jusqu'au recouvrement de la taxe. N'est-ce pas à l'Etat de s'en charger ? Cela ne coûte-t-il pas moins cher ? L'Etat n'avait-il pas les moyens de le faire lui-même -ou de le faire faire par les douanes, compte tenu des aspects de contrôle et de fiscalité que comporte ce sujet ?

M. Michel Hersemul. - Les contrats de partenariat peuvent fort bien comporter une part de services. Il faut évacuer l'idée que le contrat de partenariat n'est réservé qu'à des investissements immobiliers ou physiques.

La région Alsace a ainsi mis en place, dans le cadre d'un contrat de partenariat, un partage de données sur les déplacements. D'autres régions ont choisi de recourir à des infrastructures, en lien avec les nouvelles techniques de l'information et de la communication (NTIC). Les domaines peuvent être extrêmement variés, et la liste des avis rendus par la Mappp au Trésor montre la diversité des sujets qui peuvent être pris en compte...

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Certes, mais il faut démontrer que le contrat de partenariat est plus efficace pour les finances publiques que les autres dispositifs. En matière de services, on a une multitude d'autres possibilités, comme la délégation de service public (DSP), la régie intéressée, etc.

Quel était l'intérêt de l'Etat de prévoir le recouvrement de la taxe dans ce contrat ?

M. Michel Hersemul. - Je ne voudrais pas vous indisposer en me réfugiant derrière l'organisation de notre direction, mais cette question doit être posée à la mission de la tarification.

Néanmoins, le périmètre du contrat était clairement affiché dans la demande d'étude préalable, et a été étudié par mes collègues.

Je crois savoir que l'affermage -qui constitue en effet une DSP- a fait partie des hypothèses envisagées ; celui-ci posait cependant problème, car il supposait une rémunération de l'usager, ce qui, en matière de taxe, paraissait délicat. Il serait préférable que ce soit la mission de la tarification qui réponde à cette question...

Par ailleurs, la Mapp, dont l'avis est public, indique que le Conseil d'Etat a été interrogé sur la possibilité de confier le recouvrement d'une taxe aux partenaires dans le cadre d'un contrat de partenariat. Le Conseil d'Etat a répondu favorablement, en recommandant toutefois de respecter quelques précautions, notamment en matière de circuits comptables et de garanties financières.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Etait-ce là une première ?

M. Michel Hersemul. - Je le pense... Je rappelle néanmoins que les concessionnaires sont autorisés à recouvrir une redevance, ce qui, pour l'usager, n'est guère différent -même si j'admets qu'il existe là une différence juridique. Exceptée la perception de redevances, qui existe en régie intéressée ou dans le type de concessions que nous évoquons, je ne connais pas d'autres exemples de contrat de partenariat permettant de percevoir une taxe.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Même si l'équipement embarqué était remis gratuitement aux entreprises de transport routier, les frais d'installation restaient à leur charge. Celles-ci ont donc dû acquitter des sommes non négligeables, de l'ordre de 300 à 350 euros par camion. Peut-être auraient-elles préféré participer différemment -ou ne pas le faire du tout !

M. Michel Hersemul. - Je n'ai pas d'élément à vous fournir sur ce point...

Vous m'avez par ailleurs interrogé sur l'organisation de la consultation. C'est bien la direction générale, par le biais de la mission de la tarification, qui a conduit cette procédure. C'est bien elle également qui, par le biais et l'intermédiaire du dialogue compétitif et du choix des candidats, a finalement retenu le dispositif technique, en arrêtant l'offre. J'en suis désolé, mais il faudra, là encore, que vous interrogiez plus spécifiquement mes collègues sur ce point.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Pouvez-vous nous indiquer le nom du cabinet d'avocats parisien que vous avez évoqué, et nous dire quel a été son rôle précis ?

M. Michel Hersemul. - Ce n'est pas un secret. C'est le cabinet Clifford Chance qui a assisté l'Etat dans cette dévolution.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Quel a été son rôle précis ?

M. Michel Hersemul. - Il s'agissait d'assurer la sécurité juridique de l'ensemble de la procédure. Je ne connais pas exactement le dossier, puisque je n'y ai pas participé, mais on demande généralement à ces cabinets d'avocats de relire l'ensemble des documents et de les valider.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Quel est votre sentiment personnel à propos du coût que va représenter cet investissement pour l'Etat, même si celui-ci se retrouve finalement propriétaire d'un matériel dont j'ai dit que je craignais fort qu'il soit obsolète, ce qui, compte tenu du prix, est quelque peu gênant ?

M. Michel Hersemul. - J'ai dit que les contrats de partenariat nécessitent la mise en place d'un financement, apporté directement en partie par le secteur privé et complété, généralement, par un financement bancaire.

Il est bien évident que la mise en place de ce financement nécessite une rémunération ; celle-ci, issue de la mise en concurrence, intègre le niveau de risque pris par les différents acteurs.

Sans être trop caricatural, un contrat de partenariat comporte plusieurs partenaires. Les premiers sont les sponsors, qui amènent les fonds propres les plus risqués du projet, et qui, en cas d'incidents, de dérive des coûts ou des délais, vont amortir ces imprévus. Les seconds partenaires sont les banques qui, de manière générale, sont plus protégées en matière de remboursement, et qui sont rémunérées avant que les actionnaires ne soient remboursés. Elles-mêmes ont une certaine exigence de rendement et de sécurité.

Ce sont ces éléments qui vont construire le modèle financier qui sera proposé par le candidat au moment de l'appel d'offres.

Les risques de ces contrats sont relativement élevés. Je le disais, la DGITM refuse a priori des partages de risques opérationnels trop précis, considérant que ceux-ci sont bien plus facilement portés par l'opérateur. C'est ce qui explique l'importance des rémunérations.

Je crois que la Mappp considère qu'il existe d'une manière générale un rapport de 2 à 2,5 entre le coût de l'investissement initial et le coût final du contrat de partenariat, tous maîtres d'ouvrage confondus, qu'il s'agisse de contrats de collectivités territoriales, de l'Etat ou d'établissements publics. Il faudra vérifier leurs publications...

Mme Virginie Klès, rapporteur. - ... sur des périodes généralement plus longues. En l'occurrence, me semble-t-il, le risque porté par le consortium Écomouv' est assez limité.

Je n'ai pas encore eu le temps d'étudier le contrat en détail, mais on entend dire partout -à tort ou à raison- que l'Etat est de toute façon « pieds et poings liés », qu'il doit des indemnités, un loyer, que le système soit en place ou non, dès la mise à disposition du dispositif, etc. Je n'ai pas le sentiment qu'Écomouv' porte là un risque gigantesque, alors qu'il s'agit d'un contrat d'une courte durée !

Les chiffres qui nous ont été communiqués font état de 650 millions d'euros d'investissements et d'une rémunération fixe annuelle de 96 millions d'euros sur onze ans et demi, soit 1,1 milliard d'euros.

Je veux bien croire qu'il soit naturel de multiplier la mise par deux en deux ans et demi, grâce à une simple rémunération fixe, mais il s'agit cependant d'une entreprise qui, si elle doit être revendue, le sera avec un certain bénéfice, et ce assez rapidement, les clauses de revente au bout de deux ans prévoyant que l'Etat ne peut y trouver à redire ! Où est la part de risque prise par Écomouv' ?

Vous avez d'autre part évoqué la complexité du contrat, eu égard aux compétences et aux moyens dont dispose l'Etat français en matière d'infrastructures de communication et de transports. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir fait appel au ministère de la Défense, qui jouit d'une grande expérience dans ce genre de dispositif ?

M. Michel Hersemul. - Je me contenterai de vous répondre par des arguments de caractère général et vous voudrez bien m'en excuser.

En matière de rémunération, je ne puis que vous faire part des normes générales. La rémunération du risque, des fonds propres et des banquiers amène à ce que le montant total du coût sur la durée des loyers, excède largement le montant de l'investissement.

S'agissant de la mise à disposition, il est clair que l'Etat ne peut contracter à la légère. Nous prenons à ce sujet énormément de précautions, et il est vrai que la jurisprudence administrative ne part pas du principe que lorsqu'on signe un contrat, on ne va pas le conduire au bout. Ceci conduit à des engagements parfaitement clairs pour l'Etat. Lorsqu'on résilie un contrat de ce type, les conditions emportent en général compensation du manque à gagner du partenaire.

Ceci est encore plus violent pour un contrat de partenariat que pour un marché public ; de ce point de vue, les difficultés dont la presse se fait l'écho ne sont que la conséquence logique du statut de ce type de contrat.

Quant au choix du procédé, la complexité n'est pas uniquement technique. Il est difficile à l'Etat de dire si une solution est meilleure que l'autre, en termes de coût global, le satellitaire permettant de repérer les camions, alors que le système DCRC impose d'installer régulièrement des plots ou des portiques pour en vérifier le passage. L'organisation d'une consultation visant à ce que les industriels confrontés à ce genre de problématique et à la pointe de ce type de procédé puissent être mis en compétition ne me paraît donc pas critiquable.

En outre, du fait du caractère national du projet, dans le cadre du choix d'implantation des portiques, l'ensemble des services territoriaux de l'Etat a été sollicité par la mission de la tarification pour effectuer les visites sur place afin de répondre aux différents candidats, et tout ceci a généré des difficultés supplémentaires. Quant à la suggestion de faire appel au ministère de la Défense... aucun ministère n'a malheureusement aujourd'hui de moyens excédentaires, et je pense que la question n'a même pas été posée de cette manière...

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Les portiques ne servent pas au recouvrement de la taxe ! Ils ne sont là que pour contrôler le bon embarquement des dispositifs dans les camions... On n'est d'ailleurs pas encore parvenu à connaître la part de l'investissement qui leur est dévolue et celle qui est imputable au reste du dispositif prévu notamment pour le calcul et le recouvrement de la taxe.

Vous ne pourrez sans doute répondre à cette question, n'étant pas le bon interlocuteur, mais peu importe : je finirai bien par obtenir des réponses ! Ne pensez-vous pas que votre rôle était de conseiller l'Etat, de l'inciter à aller vers un système moins complexe et moins onéreux à mettre en place, de type déclaratif, comme pour les autres taxes et impôts, avec des contrôles aux sièges des entreprises ? Cela a-t-il été envisagé, alors qu'on est repassé à un système déclaratif, qui s'est répercuté sur les chargeurs ?

M. Michel Hersemul. - Je suis désolé de vous répondre que cette question est totalement en dehors de ma compétence ! Elle supposerait que j'ai été au coeur du projet, ce qui n'a pas été le cas.

J'attire simplement votre attention sur le fait que, lorsqu'on interroge les concessionnaires autoroutiers sur la mise en place d'une évolution technologique intéressante comme le « free flow », qui constitue un paiement par repérage du type de celui qui va être mis en place pour l'écotaxe, mais qui sera réservé aux camions, ceux-ci considèrent qu'ils risquent de perdre jusqu'à 20 % de leurs recettes.

Je vous laisse imaginer les conséquences d'une absence de contrôle avec le dispositif prévu pour l'écotaxe !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Ceci ne figurait-il pas dans l'étude préalable ?

M. Michel Hersemul. - Je ne l'ai pas conduite !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Vous ne l'avez pas lue non plus ?

M. Michel Hersemul. - Je ne la connais pas.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je vous rends attentif au fait qu'il ne faut pas mélanger les problèmes techniques avec les choix juridiques qui ont été faits ! Le partenariat public-privé, ce n'est pas une des questions techniques que vous nous avez rappelées. Le partenariat public-privé consiste à laisser faire le privé pour telle ou telle partie d'une opération. L'Etat aurait fort bien pu décider d'acquérir la technique et de la faire simplement gérer. C'est ce qu'a voulu dire, je crois, Mme le rapporteur -et c'est très important !

Vous nous dites que vous n'êtes arrivé qu'en 2011. C'est une précision importante, car vous n'avez donc pas les éléments pour nous répondre. Toutefois, le partenariat public-privé n'est pas attaché à une technique particulière, c'est un choix juridique et financier. Or, notre commission d'enquête cherche à établir si le recours au partenariat public-privé a constitué le bon choix, quelle que soit la décision technique retenue pour l'écotaxe.

Vous avez dit que vous aviez un rôle d'expertise et de conseil ; ceci comporte également un rôle de suivi. Sur ce point, les questions de Mme le rapporteur demeurent d'actualité.

M. Michel Hersemul. - La Mappp, à ma connaissance, en rend compte dans son avis public. Elle s'est interrogée, dans son étude comparative, sur les vertus d'une acquisition par le biais d'un contrat de partenariat ou par celui d'une organisation spécifique, sous l'égide de l'Etat, qui aurait supposé des équipes techniques, d'achat, de suivi. Ceci a été envisagé, mais l'étude n'a pas conclu que le contrat de partenariat n'était pas un moyen efficace pour répondre à ce besoin.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il faut donc que nous nous fassions délivrer ce document extrêmement important.

M. Jean-Pierre Sueur. - Monsieur Hersemul, vous avez rappelé que l'ordonnance relative aux PPP tenait compte de la complexité et de l'urgence du sujet. Vous le savez, ceci résulte de décisions du Conseil constitutionnel, qui ont ensuite été intégrées par l'Etat dans l'ordonnance de 2004, le rapport coût-avantage ayant été ajouté par la suite, avec la volonté d'élargir le recours au partenariat public-privé. Vous le voyez, il y a là quelque chose d'éminemment flou, ce rapport coût-avantage étant en effet un sujet dont on peut toujours parler longuement.

J'aimerais cependant vous poser deux questions, à propos desquelles j'éprouve une certaine perplexité.

La première concerne l'étude préalable. J'ai participé à d'innombrables débats avec la Mappp, au ministère des finances. C'est un service dont j'ai toujours considéré qu'il avait pour objectif de faire de la propagande en faveur des partenariats public-privé. Je le leur ai d'ailleurs souvent dit, et je le pense.

Il y a là quelque chose d'incompréhensible ! Vous avez dit que l'étude comparative a pour objectif de démontrer l'intérêt relatif des deux solutions, soit le recours au partenariat public-privé, soit le recours au marché public classique. C'est ce que tout le monde dit, mais je m'insurge profondément contre cette idée ! Je dois dire que les études que j'ai lues relèvent souvent d'une littérature assez plaisante, mais très largement contestable ! Pourquoi ? C'est très facile à comprendre...

En effet, lorsque cette étude préalable a été faite, on ne savait pas qui serait candidat, pour faire quoi, ni dans quelles conditions techniques, financières, etc. On ne savait pas non plus quelles entreprises seraient candidates en cas de marché classique avec allotissement...

On parle doctement d'une étude préalable comparative -vous l'avez dit- qui va permettre de juger de l'intérêt relatif des deux solutions. Tout le monde ici comprend que le comparatif s'établit entre une chose dont on ignore tout et une autre dont on ne sait rien non plus !

J'aimerais lire cette étude. Je pense que nous l'aurons. J'ai déjà procédé à la lecture d'un certain nombre de celles-ci. Je préférerais que l'on reconnaisse que le choix du partenariat public-privé est politique, plutôt que de s'abriter derrière cette étude -encore que, dans le cas de l'Etat, ce soit la Mappp qui intervienne, tandis que, pour les collectivités locales, l'étude peut être réalisée par n'importe quelle entité, compétente ou non.

C'est pour moi un grand sujet d'interrogation. Je ne comprends pas comment cette étude permet de fonder un choix. Si quelqu'un peut m'expliquer comment cela peut fonctionner, je suis très intéressé...

Ma seconde et dernière question concerne la notion de dialogue compétitif. Je l'ai posée à trois reprises lors de la précédente séance. Chacun pourra le constater dans le compte rendu, j'ai reçu trois réponses différentes selon les interlocuteurs, et je n'ai toujours pas d'explication ! Le dialogue compétitif est quelque chose de très complexe. Je suis pour ma part réticent à ce sujet. Etes-vous d'accord avec moi, Monsieur Hersemul, pour dire que ce dialogue compétitif consiste à ce que des personnes qui sont dans la compétition peuvent, à tout moment, en changer les règles du jeu ?

Le dialogue compétitif signifie à la fois un cahier des charges initial et de travailler avec chaque concurrent, qui a le droit de proposer des modifications. A partir du moment où un concurrent propose une modification, celle-ci doit être connue des autres.

J'ai demandé la dernière fois -et j'espère avoir des réponses- si l'on pouvait nous faire part des modifications successives proposées par les différents candidats, et nous confirmer qu'elles ont bien été communiquées aux autres, afin que l'on puisse suivre l'évolution du dossier.

Lors de nos auditions de la semaine dernière, le dernier intervenant a indiqué que l'on avait enregistré les questions et les remarques des concurrents au fur et à mesure, et que l'Etat avait proposé à la fin des modifications globales du cahier des charges.

Je ne sais si, à chaque étape, les modifications proposées ont été communiquées aux candidats qui ont répondu aux modifications, ou si ces modifications ont été enregistrées au fur et à mesure par l'Etat qui, à la fin, a proposé un nouveau cahier des charges intégrant ces différentes modifications. La réponse m'intéresserait !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je vous propose de répondre directement au président de la commission des lois, qui n'est généralement guère favorable aux partenariats public-privé.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je suis intervenu, en effet, à ce sujet un certain nombre de fois, et j'évolue dans un contexte géographique où j'ai l'occasion de suivre ce sujet.

Je précise que je suis favorable au fait que les partenariats publics-privés fassent partie de la panoplie des outils qui existent, mais je suis également partisan de faire appel aux partenariats public-privé dans des conditions relativement exceptionnelles !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Cette commission d'enquête a la chance de pouvoir étudier un cas de contrat de partenariat public-privé très précis ; nous allons le disséquer, je vous le promets !

M. Michel Hersemul. - Je préférerais, en ce qui concerne l'étude préalable, que ce soient mes collègues de la mission de la tarification qui vous répondent sur le fond. Je pense qu'il faudrait que vous les invitiez...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous allons le faire !

M. Michel Hersemul. - De manière générale, je n'ai pas à porter de jugement sur les autres administrations, mais la DGITM a engagé, depuis que l'ordonnance existe, trois procédures de contrat de partenariat ; l'une concerne la construction de 63 centres d'exploitation et d'intervention pour le compte des directions inter-régionales des routes, répartis dans toute la France. On a là un levier extrêmement intéressant d'économie de moyens. Nous avons, par ailleurs, conclu l'an dernier un contrat de partenariat public-privé pour la réalisation de l'autoroute urbaine de Marseille. Le contrat de partenariat écotaxe est le troisième. Nous avons donc une consommation somme toute assez mesurée de ces contrats, et je suis fier, en tant que fonctionnaire, de dire que nos études ne tiennent pas lieu de prétextes...

M. Jean-Pierre Sueur. - Pourrez-vous nous communiquer ce document ?

M. Michel Hersemul. - Il faudra poser la question à la mission de la tarification, mais cela ne doit, à mon sens, pas poser de problème...

Quant au second point, mon département est particulièrement attentif au respect de l'égalité de traitement entre les candidats. A ce titre, le dialogue compétitif présente, en effet, un risque qu'il faut pouvoir gérer. Je préfère que la mission de la tarification décrive dans le détail les différentes évolutions du dossier, mais je puis vous garantir que, d'une manière générale, il existe une phase d'échange durant laquelle le cahier des charges est encore en phase d'élaboration. Nous discutons alors avec les candidats des difficultés du projet ; suivent ensuite un ou deux tours relatifs aux offres initiales, puis finales, qui permettent aux candidats d'affiner leurs propositions.

Il est hors de question que nous confiions à d'autres candidats les bonnes idées qui seraient proposées par l'un d'entre eux. Il s'agit de rendre nos dossiers compatibles avec ces bonnes idées.

Tous les sujets relatifs à l'écotaxe ont fait l'objet de discussions, qui ont permis d'affiner le cahier des charges, et de répartir les risques de façon optimale, afin d'éviter que les candidats n'aient à gérer eux-mêmes des problèmes hors de leur portée. Je ne sais sous quelle forme, ni avec quel degré de liberté, mais je pense que la mission de la tarification sera tout à fait à même de vous faire part de la manière dont les choses ont été conduites...

Enfin, si les solutions techniques ou organisationnelles présentées par l'un ou l'autre des candidats deviennent tellement spécifiques qu'il apparaît impossible de conserver un dossier de consultation unique, la consultation dite « en tunnel » permet d'opter pour un dossier de consultation répondant aux exigences propres de chaque candidat. Cela n'a pas, à ma connaissance, été le cas s'agissant de l'écotaxe !

M. Roland Ries. - Il faut, dans la mesure du possible, essayer de rester simple. Elus du peuple, nous ne sommes pas techniciens, et je pense utile de pouvoir aller à l'essentiel.

Ma première question rejoindra largement celle de mon collègue Jean-Pierre Sueur. Je la poserai toutefois sous une forme quelque peu différente et, peut-être, de façon plus précise...

Vous nous avez dit que vous n'étiez pas présent en amont du projet. J'imagine toutefois que vous avez pris connaissance de l'étude préalable, dans laquelle, si j'ai bien compris, figurent les raisons pour lesquelles la procédure de partenariat public-privé a été choisie. Peut-être pourriez-vous nous en dire un mot, sous réserve de ce que pourront ajouter vos collègues, lorsque nous les interrogerons sur ce point...

J'ai le sentiment -mais je me trompe peut-être- qu'on s'est appuyé sur les expériences européennes pour mettre en place un dispositif de partenariat public-privé qui, juridiquement et techniquement, constituait sans doute le couronnement de ce qui s'est fait jusqu'à présent. Bien entendu, c'est ce qui coûte le plus cher, on le sait bien !

Jusqu'à quel point a-t-on poussé le benchmarking européen ? Est-il possible de mesurer les avantages et les inconvénients des différents systèmes, et d'expliquer pourquoi le nôtre, qui est certainement le meilleur de l'ensemble européen, est aussi le plus cher en investissement, et peut-être en fonctionnement ?

En second lieu, si nous sommes en charge d'éclairer le passé afin de comprendre comment les choses se sont déroulées, nous sommes aussi préoccupés par le présent et par l'avenir. Je suis un partisan convaincu de la mise en place de l'écotaxe, dont j'ai été le rapporteur au Sénat. Je pense que c'est une taxe vertueuse, qui permet d'injecter dans le circuit des produits financiers afin d'investir en faveur notamment des transports publics, qui, comme vous le savez, me sont chers.

Le système, tel qu'il existe aujourd'hui, après réparation et remise en place des portiques détruits, est-il adaptable ? En d'autres termes, ce dispositif peut-il être modifié, ou bien a-t-il été conçu pour ce seul cahier des charges ?

M. Éric Doligé. - J'aimerais tout d'abord connaître la finalité de la commission d'enquête. Il est intéressant de le savoir ! Il s'agit pour nous de déterminer si le partenariat public-privé était le meilleur système pour mettre en oeuvre l'écotaxe.

Or, j'ai par moment le sentiment que nous sommes plus là pour juger du bien-fondé du partenariat public-privé en tant que tel, ce qui n'est pas du tout la même chose ! Ce qu'il nous faut démontrer, c'est que ce n'était pas plus cher, et que cela pouvait fonctionner, même si on est aujourd'hui en pleine zone de risques.

Le partenariat public-privé est un outil. On n'utilise pas un tel outil en fonction de choix politiques, mais économiques. Pour ce faire, il existe des études préalables, et une mission d'appui. Les collectivités qui recourent au partenariat public-privé se rapprochent de la Mappp pour être certaines que leur choix est le meilleur. La loi définit un certain nombre de conditions, et j'ai aujourd'hui le sentiment que l'on remet quelque peu la loi en cause !

Je fais partie de ceux qui défendent le partenariat public-privé, alors que d'autres le critiquent. A la différence de beaucoup, j'en ai mis en place un certain nombre, et je sais donc comment cela fonctionne. Je puis vous remettre des documents comparatifs. Le dialogue compétitif prévoit l'évolution du cahier des charges qui reste le même pour tout le monde. On le remet à chaque fois dans le circuit, et tout le monde dispose des mêmes réponses. Les choses sont donc d'une clarté totale !

Je vous invite à rencontrer des équipes qui montent, suivent, étudient et font fonctionner des partenariats public-privé. Les études que l'on a pu faire six ou sept ans après les premiers montages confirment avec exactitude les économies considérables que l'on a pu réaliser dans certains secteurs, aussi bien en matière d'investissement que de fonctionnement. Il faut consulter des spécialistes...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous aurons des auditions qui vous donneront satisfaction !

M. Éric Doligé. - Je pense qu'il existe des a priori ! Ce marché de l'écotaxe ne fonctionne pas, et il est en grande difficulté. Cela pose évidemment des problèmes à l'entreprise Écomouv', à l'Etat et aux collectivités, voire à d'autres bénéficiaires des recettes. C'était un bon système dans son principe. Beaucoup de suspicions transparaissent à travers la plupart des questions. Je n'en ai aucune quant à moi tant que je n'ai pas confirmation de difficultés. C'est ce qu'il faut analyser.

A-t-on bien suivi les procédures ? Le dialogue a-t-il été bien mené ? Si tout le monde s'en était « mis dans les poches », cela se saurait ! Au moins l'Etat en bénéficierait-il au travers des impôts ! Ce n'est pas la réalité. Il s'agit d'une opération très difficile à monter, dont les coûts de financement peuvent être considérables, et qui mérite qu'on y prête attention. Rien ne justifie de jeter le bébé avec l'eau du bain !

Je demande que l'on regarde le fond du dossier : a-t-il été réalisé dans de bonnes conditions ? Y a-t-il un montage juridique ou financier non conforme à la loi ? Si c'est le cas, c'est à la commission d'enquête de le déterminer. Son rôle est de se pencher sur la réalité des faits. C'est ce que je réclame !

Je suis personnellement favorable au partenariat public-privé. Jean-Pierre Sueur est contre. Certains collègues de l'actuelle majorité, qui sont contre, viennent me voir la semaine prochaine pour réaliser leur collège en recourant à un partenariat public-privé ! Je me méfie donc des gens qui y sont hostiles : quand ils veulent monter un beau projet, ils deviennent favorables à cette technique !

Je voudrais comprendre ce qui a pu bloquer ce dossier, et pourquoi il semble que cela ait coûté aussi cher. On a parlé de 20 %. Cela semble faramineux ! On estime que l'on aurait pu le faire à moins : c'est ce point qu'il faut essayer de travailler. Cela aurait-il pu coûter 15 %, 18 % ? 20 % est-il le véritable prix, ou l'Etat s'est-il fait abuser ?

Si la question est de savoir si le partenariat public-privé est intéressant ou non sur un plan général, je n'ai pas à siéger dans cette commission d'enquête !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous avons bien compris l'avis d'Eric Doligé. Il a été précisé la fois dernière que cela n'avait pas de sens de parler de 10, 15 ou 20 %. Il ne s'agit pas d'une facturation au pourcentage, mais d'un rapport entre le loyer payé au titre du partenariat public-privé et le montant de la taxe fixé par l'Etat.

M. Philippe Leroy. - Je rejoins ce qu'a dit Eric Doligé. J'ai la même expérience que lui : j'ai été pendant vingt ans président de conseil général, et j'ai pratiqué toutes les formes de marché. Il y en a énormément : marché classique de travaux, marché de conception-réalisation, fort complexe, affermage, concession...

Les dernières formules de marchés publics autorisées sont les partenariats public-privé. Si on les a inventés, c'est que les formules anciennes ne suffisaient pas dans un certain nombre de dossiers.

Outre l'avantage du dialogue compétitif que comporte le partenariat public-privé, on a dit que les entreprises avaient tout intérêt à construire des installations efficaces, dans la mesure où leurs bénéfices dépendent de la qualité des installations. J'aimerais recueillir l'avis de l'expert de l'Etat : avez-vous mesuré les avantages du partenariat public-privé sous cet angle ?

En second lieu, notre rapporteur a dit craindre l'obsolescence des équipements à la fin du contrat. Or, je pense que le partenariat public-privé comporte toutes les clauses garantissant la performance constante des installations. Il serait ridicule que tel ne soit pas le cas ! Pouvez-vous nous rassurer et rassurer le rapporteur sur ce point ?

Ma dernière question aura une tonalité plus régionale. Vous n'ignorez pas que la société Écomouv' est installée à Metz. Nous devons d'ailleurs y aller prochainement... Les personnels qui ont déjà été recrutés -ou qui devaient l'être- sont très inquiets, dans la mesure où le gouvernement a tout arrêté. On est dans un flou complet. Certaines personnes, qui ont déjà été formées, ne sont toujours pas embauchées, et le préfet a demandé si le conseil général ne pouvait engager celles qui n'ont pas encore trouvé d'emploi dans Écomouv'...

Le partenariat public-privé prévoit des dates de mise à disposition. Il existe cependant des procédures qui lient les partenaires. Pourquoi l'Etat et Écomouv' ne se sont-ils pas mis d'accord pour respecter les échéances ? On est désormais plus qu'en retard, puisqu'on ne sait même pas quand les choses vont commencer !

M. Yves Krattinger. - Ces dispositifs font appel à des technologies de communication. On est là dans le domaine des services. Cette complexité technologique, que la sphère publique ne maîtrise pas au mieux, justifiait-elle, d'une part, que la construction et l'exploitation soient réalisées dans ce même cadre et, d'autre part, que la même entreprise élabore ce service et l'exploite ?

Par ailleurs, la durée de vie de tels dispositifs est généralement courte. La plupart d'entre eux vieillissent très rapidement. Le contrat est-il en adéquation avec la durée de vie probable de ce dispositif ?

Enfin, le retour sur investissement est, dans les services, du fait de risques élevés, bien plus important que dans les domaines faisant appel à des équipements à très longue durée de vie. La rémunération qui a été accordée à Écomouv' est-elle justifiée par rapport à ce qui se fait d'habitude ?

M. Michel Hersemul. - Au risque d'indisposer la commission d'enquête, je n'ai pas la compétence pour répondre au fond sur la totalité des thématiques de ce dossier, n'étant intervenu que partiellement sur certains points.

En ce qui concerne l'étude préalable, c'est à la mission de la tarification de vous la présenter et de vous faire part de l'ensemble des hypothèses qu'elle a pu évoquer. Je pense qu'elle pourra également, bien mieux que moi, répondre à la question de M. Ries, pour savoir si l'Etat a, ou non, formulé des exigences hors de proportion. Elle sera, je pense, de la même manière, capable de vous apporter des éléments de comparaison entre ce qui se passe en France et ce qui se fait à l'étranger. Je me garderai bien, étant hors de mon domaine de compétences, de me hasarder sur ce sujet.

La mission devrait aussi être capable de répondre à vos questions sur l'adaptabilité du système qui, dès lors qu'on ne fait que changer les variables, doit être parfaitement possible, mais je préférerais que ce soit elle qui vous le dise, même si je pense que l'évolution des seuils de tonnage concernés, par exemple, devrait pouvoir se faire sans difficulté.

Par ailleurs, je rassure M. Leroy sur le fait que, d'une manière générale, les contrats de concession ou de partenariat de la DGITM prévoient des clauses extrêmement protectrices s'agissant de la qualité des ouvrages en fin de contrat. Elles sont bien évidemment doublées d'un certain nombre de clauses à caractère financier, et comprennent des garanties quelques années avant la fin du contrat, que l'Etat peut faire valoir si certains ouvrages s'avèrent de mauvaise qualité. Un diagnostic sur l'état du matériel est également prévu, ainsi que sur l'état du « gros investissement-renouvellement » qu'il serait utile de conduire durant les dernières années. Je ne puis vous préciser si c'est deux ou trois ans avant, ni combien la garantie prévoit de millions d'euros, mais ce dispositif existe et pourra, si vous le souhaitez, vous être présenté.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Pour paraphraser les propos de M. Doligé, nous ne sommes pas là pour juger des contrats de façon générale. Nous sommes tous convaincus que ces clauses existent, mais la question porte sur ce contrat précis. On est là face à un matériel technologique de pointe, qui évolue très vite. Comment le partenariat public-privé a-t-il protégé l'Etat dans ce domaine ?

M. Michel Hersemul. - Pour pouvoir répondre, il aurait fallu connaître la question auparavant, afin que je la prépare...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous avez tout de même une idée en tant que spécialiste ! La durée de ce contrat est de onze ans et demi. Estimez-vous qu'il s'agit d'une durée courte ou d'une durée longue, donc à risque ? C'est un avis que vous pouvez quand même donner ! Cela n'a rien à voir avec la négociation !

Vous vous retranchez systématiquement derrière le fait que vous n'étiez pas là au moment de la décision, et que vous n'êtes arrivé qu'en 2011. Je vous pose donc la question : en tant que spécialiste, la durée de onze ans et demi vous paraît-elle conforme à ce type de contrat ? Est-ce long, ou est-ce court, compte tenu de la technologie ? Vous ne pouvez pas ne pas répondre !

M. Michel Hersemul. - La durée de ce contrat est particulièrement courte par rapport à des contrats touchant les infrastructures, précisément pour tenir compte de la technologie mise en oeuvre, et du fait qu'il s'agit d'un service.

Bien évidemment, il est légitime, compte tenu de l'amortissement de ce genre d'équipement qui, ainsi que vous le dites, peut être conduit rapidement, que le contrat soit plus court.

Faute d'avoir préparé spécifiquement la question, je ne suis pas capable de vous dire exactement quelles conditions de garantie et de contrôle ont été mises en place à l'occasion de ce contrat. Il appartient, à mon sens, à la mission de la tarification d'en dresser l'état devant vous. Je pourrai éventuellement y contribuer, si elle me le demande.

En ce qui concerne la rémunération du capital, le contrat écotaxe n'a pas été négocié de gré à gré entre la direction générale et le titulaire. Il a été signé à l'issue d'une mise en concurrence, à l'occasion de laquelle plusieurs candidats se sont manifestés ; l'un d'eux a d'ailleurs présenté un recours. On peut donc raisonnablement considérer que la concurrence a bien été effective.

La règle du contrat de partenariat est notamment de juger les offres sur leur coût global, comme l'impose l'ordonnance, qui prend aussi en compte le montant des financements. Je n'ai pas à préjuger du fait que l'Etat aurait pu « se faire avoir », comme cela a été dit. J'ai le sentiment, au vu des informations dont je dispose, que la consultation a été conduite dans de bonnes conditions, et que l'on a obtenu le meilleur prix possible pour le projet que l'Etat a souhaité voir installer.

M. Yves Krattinger. - La complexité de la construction de ce système et de son exploitation justifiait-elle un même prestataire ? J'aimerais que vous répondiez à cette question. Or, vous prétendez systématiquement ne pas être en mesure de le faire !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je pensais que le chef du département d'expertise des partenariats public-privé et de conduite de projets délégués au sein de la DGITM était en capacité de nous répondre davantage ! Je dois vous faire part de notre insatisfaction !

M. Michel Hersemul. - Je ne peux me défendre qu'en disant que l'arrêté d'organisation de la direction générale montre clairement l'existence d'une mission de la tarification dédiée au projet écotaxe.

Je sortirai complètement de mes compétences si je formulais un avis sur la gestion actuelle du contrat. Je n'y suis d'ailleurs pas associé. Il faut solliciter soit le directeur général, soit la mission de la tarification. Je n'ai pas vocation à répondre à ce genre de questions !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Vous saviez que vous étiez auditionné aujourd'hui, non sur les contrats de partenariats public-privé de façon générale, mais sur celui-ci précisément. Je suis étonnée que vous ne nous ayez pas dit avant que vous n'êtes pas la personne compétente, et que vous ne nous ayez pas conseillé de convoquer la mission de la tarification d'entrée de jeu. Vous ne vous êtes pas penché sur le dossier, et vous n'avez pas interrogé les personnes sous vos ordres pour pouvoir répondre à un minimum de nos questions. Vous n'avez rien dit ! A chaque fois que nous vous interrogeons, vous mettez la loi en avant, et répétez que les contrats doivent prévoir telle ou telle chose, mais vous n'abordez jamais ce contrat précis. C'est assez surprenant !

M. Charles Guené. - Je rejoins Eric Doligé pour dire que nous ne sommes pas là pour discuter de l'opportunité des partenariats public-privé. On a déjà eu ce débat en séance publique, lors du projet de loi dont nous avons débattu.

A titre personnel, je pense néanmoins que, s'il existe bien un domaine adapté au partenariat public-privé, c'est bien celui-là ! Il s'agit en effet d'un sujet extrêmement complexe, qui comporte des facteurs de risque importants. Il ne m'apparaît donc pas totalement incongru d'avoir imaginé aller jusqu'au prélèvement de la taxe.

Je me demande même si une administration aurait été capable de poser les problèmes de manière aussi fine que le partenariat public-privé a pu le faire ! Je suis, en cela, en désaccord avec Jean-Pierre Sueur, car je pense que c'est une des finalités du partenariat public-privé que de parvenir à un rapport coût-avantage, et à un examen du coût global aussi précis.

Lorsque nous avons discuté du projet de loi, au moment où il est venu devant le Parlement, une des difficultés a résidé dans la capacité à disposer d'une administration formée aux partenariats public-privé, et qui ait la technicité suffisante pour s'adapter à la diversité des dossiers qui se présentaient. On en a peut-être ici un exemple : je m'attendais en effet à ce que le département d'expertise des partenariats public-privé soit capable de nous apporter les éléments dont nous avons besoin, de décortiquer ce contrat par étape, avec le chiffrage, les comparatifs, les options, le cheminement, de manière à ce que nous puissions vérifier si tout s'est déroulé convenablement. Or, j'ai l'impression que ceci est difficile à obtenir...

Monsieur Hersemul, quelqu'un serait-il capable de nous fournir les réponses dont nous avons besoin -même si cela doit prendre plusieurs séances ?

M. Michel Hersemul. - Les choses sont pour moi parfaitement claires : je pilote un certain nombre d'opérations de concessions autoroutières. Si vous aviez souhaité m'interroger à ce sujet, j'aurais eu honte de ne pouvoir répondre !

En l'espèce, j'interviens ici en termes d'assistance et d'expertise auprès d'une autre mission, la mission de la tarification, représentée par un chef de mission, M. Maucorps, et un adjoint, M. Quoy, qui ont assisté quasiment à l'ensemble de la procédure depuis ses débuts ; ils seront, je le pense, capables de répondre finement à vos questions et, par ailleurs, vous confirmeront que l'expertise que nous avons pu leur apporter a été précieuse. Il ne m'appartient pas, n'ayant pas conduit cette opération, de répondre dans le détail à vos questions, sous peine d'apporter des réponses erronées, dans la mesure où je ne suis pas directement concerné par ce projet.

J'aurais dû faire part de cette difficulté, mais je n'ai pas eu le sentiment d'y être invité, les questions qui m'ont été communiquées restant par ailleurs générales !

M. Vincent Capo-Canellas. - Mes questions seront plutôt d'ordre général, mais porteront peut-être aussi sur le cas d'espèce.

Je voudrais que l'on se penche sur les conditions d'exécution de ce type de contrat. Existe-t-il des dispositions précises en cas de report, notamment lorsqu'on peut s'interroger sur leur imputabilité ? Je pense au problème de montée en charge de l'équipement des camions, qui doivent accomplir un certain nombre de formalités. Est-ce un tort de l'Etat ou de l'entreprise ? Comment l'Etat garantit-il habituellement ses droits ? Il serait précieux pour la commission d'enquête de le savoir... Écomouv' nous a expliqué, la semaine passée, que le dialogue ne semblait pas optimal -en clair, qu'il n'y avait pas eu d'échange...

D'autre part, qu'en est-il quand ce type de contrat se trouve dans une phase où le dispositif n'est pas totalement réceptionné ?

Enfin, un recours a été formé ; une décision a semblé attester la régularité de la procédure : doit-on comprendre que la question a déjà été tranchée par la justice ?

M. Michel Hersemul. - Les contrats sont globalement assez rigides, la mise en place du financement étant très structurante. Il est donc toujours compliqué de prévoir les ajustements. Néanmoins, cela fait partie des compétences et de l'expertise d'un service d'intégrer la prise en compte des évolutions.

Trois dispositions majeures sont prévues aujourd'hui par les contrats. En cas de retard imputable au seul partenaire, et lorsque la mise à disposition ne peut avoir lieu à une date donnée, le dispositif prévoit généralement de suspendre le versement du loyer de rémunération du partenaire, et d'attendre la mise à disposition définitive pour libérer les loyers. Le partenaire est alors doublement touché : il reçoit ses premiers loyers plus tardivement, et se voit appliquer des pénalités ; en outre, le système étant mis en service plus tard que prévu, la rémunération de l'exploitation est réduite, la durée globale du contrat ne pouvant évoluer.

En second lieu, certaines clauses prévoient des modifications en cours de contrat. Il est toujours compliqué, dans des contrats fondés sur un volume de financement et d'investissement prévu au début par le partenaire, d'introduire une modification unilatérale de la part de l'Etat. Les clauses de modification organisent donc la manière dont on peut se mettre d'accord sur le coût de ces évolutions et sur leur rémunération.

Enfin, il existe une obligation de service public, et nous rappelons dans les contrats aux cocontractants de l'Etat qu'en cas de modification unilatérale de la part de l'Etat au titre du service public, ils doivent se plier à ces évolutions, leur rémunération n'étant pas un préalable à leur action.

On est, de fait, s'agissant de la taxe sur les poids lourds, dans une situation délicate, avec une mise à disposition retardée, à cause d'une contestation du partenaire sur sa part de responsabilité et sur celle de l'Etat. Ce dernier, dans le cadre d'une mise à disposition, doit intervenir pour constater le fonctionnement adéquat. Il existe donc une possibilité pour le partenaire de rechercher la responsabilité de l'Etat par ce biais.

Une autre difficulté est liée au fait que ce dispositif de report de loyer ne pourrait être appliqué, à cause d'une trop longue durée du financement bancaire associé au contrat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le montant des fonds propres s'élève à 30 millions d'euros. Comment juger ce montant par rapport à la redevance totale de 132 millions d'euros ?

M. Michel Hersemul. - La part de fonds propres peut être variable au sein des contrats. Traditionnellement, elle est plus faible dans les contrats de partenariat que dans les concessions, le risque étant plus encadré. Dans un contrat de concession, il n'est pas rare d'avoir des fonds propres qui se montent à 25 ou à 30 % du besoin de financement. Cela correspond à des situations où le partenaire subit un risque, même sur ses recettes, qui vont dépendre du trafic.

Il s'agit ici d'un contrat de partenariat qui, une fois signé, est garanti aux pénalités de performance près. Les pénalités de performance traduisant la qualité de prestation sont plus facilement contrôlables par le partenaire qu'un trafic extérieur.

A ce titre, les exigences de fonds propres sont souvent moins importantes -entre 5 et 10 %. Ce chiffre ne me choque pas. On est parfois tenté de demander à augmenter ce pourcentage. C'est contre-productif par rapport au montant du loyer. Comme je vous l'expliquais, ce sont les fonds propres qui sont les plus risqués dans le montage, et qui, à ce titre, demandent la rémunération la plus élevée.

Si vous augmentez le pourcentage de fonds propres, vous augmentez automatiquement la subvention en concession, ou la redevance en contrat de partenariat...

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Vous avez tout à l'heure avancé l'hypothèse qu'il s'agirait d'un contrat à fort risque ; or, j'ai compris le contraire à l'instant. Ai-je mal entendu ?

M. Michel Hersemul. - Ces contrats sont, par construction, moins risqués que les contrats de concession. Cela se traduit par une nécessité moins élevée de fonds propres, niveau qui est également contrôlé par les exigences des banques qui interviennent comme prêteurs.

Les banques évaluent les risques. Les fonds propres contribuent à amortir le risque bancaire ; si le risque global est élevé, elles exigeront des fonds propres élevés. Si on est sur un contrat de partenariat où les loyers sont quasiment garantis, elles exigeront un pourcentage moins important -ce qui ne veut pas dire que le risque lié à la conception et à la construction n'est pas important pour un dispositif de ce type.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Quelle est la rémunération d'un cabinet d'avocats pour ce genre de dossier ?

M. Michel Hersemul. - Il faudra que nous recherchions le contrat. Je ne puis vous répondre à brûle-pourpoint...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je pense que la part qu'a prise ce cabinet est un des points clés...

M. Michel Hersemul. - Ces cabinets assistent généralement aux réunions qui ont trait au dialogue compétitif, dans le but d'en garantir la sécurité juridique. C'est d'ailleurs ce même cabinet qui a défendu l'Etat lors du référé présenté par un concurrent évincé.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il serait bon que nous les auditionnions !

Mercredi 15 janvier 2014

- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente -

Audition conjointe de MM. François Lichère, professeur de droit et Frédéric Marty, économiste

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous auditionnons deux universitaires spécialistes du partenariat public-privé (PPP) : M. François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence et M. Frédéric Marty, économiste, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice - Sophia Antipolis. Messieurs, merci d'avoir répondu à notre invitation. Nous avons souhaité vous entendre pour que vous nous rappeliez les conditions du recours au PPP, en particulier pour le recouvrement d'une taxe, et la manière dont un tel partenariat est géré dans le temps.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Lichère et Frédéric Marty prêtent serment.

M. François Lichère, professeur de droit à l'Université d'Aix-en-Provence. - Merci pour votre accueil. Ma connaissance de ce dossier se fonde exclusivement sur des données publiques : je n'ai été impliqué dans aucune de ses phases.

Quelles sont les conditions du recours au contrat de PPP ? Il s'agit d'une dérogation au droit commun de la commande publique, qui interdit le paiement différé et la dissociation entre maître d'oeuvre et entrepreneur. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 26 juin 2003, a limité son utilisation au cas dans lequel un motif d'intérêt général, tel que l'urgence ou la complexité, la rend indispensable. En 2008, le législateur a ajouté une troisième condition : l'efficience ou le bilan favorable.

Sommes-nous dans un tel cas ? Les documents dont j'ai eu connaissance, y compris l'avis de la mission d'appui aux PPP (Mapp), ne laissent aucun doute : le caractère novateur des techniques, notamment satellitaires, mises en oeuvre nous place dans des conditions de complexité correspondant aux termes de l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat. Mais la décision du Conseil constitutionnel du 26 juin 2003 a aussi posé une condition négative : un PPP ne doit pas déléguer une mission de souveraineté. Concernant ce contrat, la question aurait mérité d'être posée au Conseil constitutionnel.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il y a eu un avis du Conseil d'État.

M. François Lichère. - En effet, en décembre 2007, il s'est prononcé sur la constitutionnalité du dispositif, mais sans faire mention de cette réserve formulée par le Conseil constitutionnel, se contentant d'évaluer les modalités du contrôle par l'État de son cocontractant. L'avis de la Mapp fait état de comparaisons entre des procédés contractuels et il valide le choix de l'État. Il envisage deux possibilités : PPP ou marché public global, de même périmètre que le PPP retenu, comprenant l'exploitation du système. Pourtant, il aurait été possible de passer un marché public pour la mise en place du système puis de confier à une régie son exploitation. L'hypothèse d'une délégation de service public a été écartée au motif qu'aucune rémunération n'aurait été possible. Elle aurait pourtant pu être calculée en fonction des taxes perçues.

Les modalités de passation du contrat ont été minutieusement analysées par le Conseil d'État, qui cependant intervenait dans le cadre d'un référé précontractuel et ne menait donc pas un contrôle exhaustif. Le raisonnement se tient, même si je formule une réserve sur la question de l'impartialité des conseils privés de l'État.

Ce contrat est exceptionnel à plusieurs titres. D'abord, il a été autorisé par le législateur, en loi de finances. Il se situe dans le cadre d'un contrat de partenariat de service, ce qui n'est pas fréquent mais qui est juridiquement possible. La formule de PPP retenue est-elle adaptée à la gestion d'un service de recouvrement de taxes ? Ni plus ni moins que la formule d'un marché public global. La vraie question est le choix de l'externalisation du recouvrement, plus que la formule choisie pour mettre en oeuvre cette externalisation. Est-il pertinent pour l'État de déléguer ce recouvrement ? Certes, un préfinancement était nécessaire, mais l'État ne pouvait-il pas faire l'avance ?

Quelles sont les conséquences, pour chaque partie, de la suspension du contrat ? L'entreprise Écomouv' a-t-elle des moyens de pression sur l'État ? La situation est inédite. En droit, la suspension de contrat n'existe pas. Il y a simplement une décision de l'État de ne pas exécuter ses obligations contractuelles, qui n'annule pas la situation contractuelle elle-même. En droit privé, il existe l'exception d'inexécution : si une partie n'exécute pas ses obligations, l'autre n'est plus tenue aux siennes. Mais le législateur lui-même a qualifié ce contrat de contrat administratif : en cas d'inexécution de ses obligations par une partie, l'autre n'est pas dégagée des siennes. Écomouv' peut donc tout à fait engager une action en responsabilité de l'État pour le préjudice lié à la suspension de l'exécution de ses obligations contractuelles. Une action en reprise des relations contractuelles serait également envisageable ; ce serait une première car elle n'est admise à ce jour qu'en cas de résiliation du contrat par une personne publique, sous réserve qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose pas. Ici, il s'agit de suspension des relations contractuelles.

M. Frédéric Marty, économiste, chercheur au sein du Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion au CNRS et à l'Université de Nice. - Pas plus que M. Lichère, je n'ai eu accès au contrat lui-même. Je me fonderai donc moi aussi sur des données publiques. Il est indubitable que c'est la complexité de l'opération qui explique le recours au PPP : il s'agit d'une mission globale, sur un service innovant, qui requiert la mise en place d'un protocole d'interface, une interopérabilité, la minimisation du taux de fraude... Il n'est pas certain que les services de l'État auraient été en mesure de produire un cahier des charges détaillé.

Quelques problèmes subsistent. Il s'agit d'un contrat dérogatoire, le Conseil constitutionnel exige donc un examen des voies alternatives. Or, la seule voie alternative qui a été examinée est une mission globale, et non une succession de contrats. Nous ne pouvons donc pas savoir si la dissociation des phases de conception, construction et exploitation aurait présenté un intérêt pour l'État. Ce contrat porte, ce qui est possible mais assez rare pour un PPP, sur un service, qui est de surcroît un service technologique complexe, innovant et évolutif. Rares sont les contrats de PPP portant sur ce type de service : l'opération RDIP-Air (réseaux de desserte Internet Protocol des bases de l'armée de l'Air) pour la DGA, la vidéo-protection pour la préfecture de police de Paris... D'un point de vue économique, le choix contraint d'une maturité courte est problématique. Pour de tels montants d'investissement, une maturité plus longue aurait été logique et aurait fait diminuer les loyers. Mais plus la technologie est évolutive, plus il est risqué de contracter sur le long terme : un contrat technologique dure rarement plus de dix ou quinze ans, avec des loyers assez élevés, donc. Si l'on avait passé un contrat sur une plus longue durée, la somme actualisée des loyers à verser aurait été plus importante, car les frais financiers auraient été plus importants. Le mécanisme des clauses d'indexation aurait aussi accru le niveau des loyers d'exploitation. Dans un contrat court, les loyers sont plus élevés. Il y a toujours un arbitrage à opérer.

La question de la mise en concurrence par le marché public doit être traitée en prenant en considération le nombre d'entreprises susceptibles de répondre à l'appel d'offre : moins elles sont nombreuses, moins il faut espérer une minimisation du coût d'acquisition. En l'espèce, la complexité du service était telle que peu d'entreprises pouvaient répondre.

En France, peu de PPP portent sur ce type de service de haute technologie, mais ils ont été plus nombreux au Royaume-Uni, surtout au cours des dix dernières années, où des private finance initiatives ont porté sur la fabrication des passeports ou l'informatisation des tribunaux... Chaque fois, les résultats ont été plutôt négatifs : économies budgétaires faibles, retards et, dans certains cas, échecs. Ce n'est pas parce qu'une administration ne sait pas faire qu'une entreprise le saura automatiquement mieux. Les rapports faits par l'office d'évaluation des choix technologiques du Parlement ou par le Trésor britannique recommandent donc des contrats de court terme relativement flexibles. La capacité de la personne publique à évaluer les offres est déterminante, ainsi que son aptitude à accompagner le contrat en surveillant le prestataire et, à terme, en remettant le contrat en concurrence ou en internalisant la gestion.

Un PPP est-il adapté à un service de recouvrement des taxes ? Cela rappelle les fermes générales sous l'Ancien Régime... Mais la situation est différente. Les revenus de la société gestionnaire ne sont pas liés aux taxes perçues mais à la disponibilité du système, à sa performance et à la qualité du service. Ainsi, plus le produit de la taxe est élevé, moins la part relative du coût de gestion l'est. Il existe des PPP pour des fonctions-support de missions régaliennes, dans la défense ou la vidéo-protection.

La gestion dans le temps du PPP pose le problème de l'évolution de la définition du service attendu par la personne publique. Les technologies évoluent aussi, et peuvent être dépassées. La personne publique doit pouvoir gérer les différends et prendre en compte les interdépendances. Les paiements doivent commencer lors de la mise à disposition des actifs.

Comment apprécier la rémunération du consortium privé ? Le coût de collecte semble important, puisqu'il représente 20 % du montant de la taxe. En Allemagne, il est de 15 % environ - mais il atteint 40 % en République Tchèque. En principe, le coût de collecte d'une taxe est compris entre 5 % et 10 % : généralement le coût d'opportunité des fonds publics est estimé à 20 %, mais ce chiffre comprend aussi les effets de distorsion et d'éviction de l'impôt. Pourquoi avons-nous un taux supérieur au taux allemand ? La technologie est différente : le système allemand ne satisfait pas l'exigence européenne d'interopérabilité. L'assiette n'est pas la même : les Allemands taxent essentiellement 13 000 kilomètres d'autoroutes, puisqu'elles sont pour la plupart gratuites. En France, le réseau non concédé taxable est plus étendu, 5 000 kilomètres de routes départementales et 10 000 kilomètres de routes nationales, sur lesquelles le trafic de poids lourds est moindre : l'assiette de la taxe est donc plus faible, ce qui renchérit le coût de collecte. Il est donc difficile de dire si le taux de 20 % est excessif, mais il est normal qu'il soit supérieur à ce qu'il est en Allemagne.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Était-ce le bon choix pour l'État que d'externaliser ce recouvrement ? Plus l'assiette diminue, plus le coût de recouvrement augmente. Or, les études d'impact ont montré qu'il y aurait un report de trafic vers les autoroutes concédées. L'État ne pouvait pas l'ignorer ! La complexité, alléguée pour justifier le choix du recours au privé, en est au contraire la conséquence : nul ne sait comment les agents d'Écomouv' recevront l'agrément pour effectuer le recouvrement et constater les infractions. Le préfet a compétence sur un département, mais les camions se déplacent sur tout le territoire, et le siège de leur entreprise est à l'étranger... C'est un véritable imbroglio ! Comment les douanes ou la gendarmerie pourront-elles arrêter les camions qui n'auront pas le dispositif embarqué ? Qui se mettra en travers de la route ? Ces modalités sont celles qui permettront le moins de limiter la fraude, il me semble.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Pour comparer les taux de 20 % et de 15 %, ne faudrait-il pas les ramener aux kilomètres parcourus ?

M. Frédéric Marty. - En effet, la rémunération du consortium privé n'est pas calculée en fonction de l'assiette. Plus celle-ci sera étroite, plus le coût de gestion relatif sera important. Mais cette fiscalité se veut incitative : elle vise à favoriser le report modal, même si elle a aussi pour vocation de financer les infrastructures de transport. Plus on élargira l'assiette, plus les coûts de collecte augmenteront en valeur absolue mais pourront se réduire en valeur relative. En fait, la taxe fonctionne par une technologie satellitaire, les portiques ne sont pas indispensables en eux-mêmes, ils sont implantés pour détecter la fraude et ainsi limiter les distorsions de concurrence. C'est cela qui est onéreux.

Quelles étaient les alternatives pour instaurer une fiscalité écologique ? Une augmentation de la TIPP ? Elle aurait engendré des distorsions : les camions étrangers peuvent traverser la France sans faire le plein. Il est vrai que le contrat de partenariat induit une complexité propre. Mais l'administration n'avait peut-être pas la capacité de déployer aussi rapidement un tel réseau. Avait-elle réellement le choix ?

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Le choix d'un PPP pour recouvrer une taxe induit, en lui-même, de la complexité. Nous avons interrogé Écomouv' sur sa rémunération. Ses dirigeants nous ont indiqué que leur loyer comprenait une première partie fixe, ferme, non révisable et non indexée, de 96 millions d'euros par an, qui correspond à l'investissement ; une deuxième partie, fixe également, correspondant à la maintenance, de 47 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent 8 millions d'euros par an pour les travaux de gros entretien ; et, ce qui est plus étonnant, une partie variable de 64 millions d'euros, qui sera ajustée en fonction de la montée du trafic. Or, on annonce que celui-ci va diminuer. Je ne comprends pas cette disposition.

M. François Lichère. - Tout dépend du contenu du contrat. Il aurait été beaucoup plus incitatif de prévoir une délégation de service public, avec une rémunération corrélée au montant de la taxe perçue : si sa rémunération est globalement fixe, quel est l'intérêt du cocontractant à lutter contre la fraude ? Sans doute des clauses garantissent-elles qu'Écomouv' s'y attellera ; mais la garantie aurait été totale si la rémunération y avait été liée. Même si le PPP induit une complexité, la situation de départ était juridiquement complexe. Le dialogue compétitif était nécessaire, mais je rappelle qu'il peut aussi bien être organisé dans le cadre d'une procédure de marché public.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je recommande à mes collègues la lecture de l'avis de la Mapp. Je cite : « le choix par le partenaire public de la meilleure option ne pourra être opéré qu'à l'issue du dialogue compétitif ».

M. François Lichère. - Il s'agit du choix technologique. Le choix du type de contrat est fait en amont.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Le choix technologique est le premier à faire...

M. François Lichère. - Il aurait été possible d'imaginer un contrat de partenariat pour l'entretien du système mais non son exploitation. L'intérêt du PPP, c'est le préfinancement privé. Je considère, avec de nombreux autres, qu'un PPP ne saurait confier à un gestionnaire privé un service public - tout au plus une mission de support. Surtout, je ne comprends pas pourquoi la Mapp a validé la comparaison entre deux options seulement, alors qu'il y en avait au moins quatre.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Déléguer un service public sous forme de PPP vous paraît-il logique pour une période limitée à onze ans et demi ? Certes, l'investissement initial est important. Mais l'obsolescence prévisible du matériel après dix ans n'aurait-elle pas dû conduire à prévoir des clauses spécifiques de mutabilité, comme on dit dans le bâtiment ?

M. Frédéric Marty. - L'hypothèse implicite a été que seul le concepteur du système peut l'exploiter - on parle de « technologie propriétaire ». Il faudrait tester cette hypothèse. Dans certains cas, cela fait sens, notamment dans l'immobilier. Dans dix ans, la technologie déployée par Écomouv' sera obsolète. Comme l'est aujourd'hui le système allemand, lancé en 2005. Quelle garantie a la puissance publique que les installations qui lui seront alors transférées ne seront pas inutilisables ? L'exploitation pourra-t-elle éventuellement être transférée à un autre contractant ? Cela pose la question de la compétence de la personne publique et de la qualité de ses conseils privés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Pouvez-vous revenir sur les temps successifs du contrat ? Aujourd'hui, il a été signé et n'est pas suspendu. Il s'exerce donc, en dépit de la décision de reporter l'entrée en vigueur de l'écotaxe. La mise à disposition est un moment clé, qui emporte des conséquences majeures. Pourquoi le partenaire privé n'accélère-t-il pas sa demande de mise à disposition ? Cela doit vouloir dire qu'il n'est pas prêt, et qu'il cherche à camoufler des retards et à s'épargner ainsi des pénalités.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - C'est possible : la philanthropie du privé, je n'y crois pas !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Si la société Écomouv' est prête, elle doit demander la mise à disposition, qui n'a rien à voir avec la mise en service, laquelle sera faite par l'État. Qu'en pensez-vous ?

M. Éric Doligé. - Quelle est votre analyse sur le report modal ? Les rentrées financières sont estimées à 1,2 milliard d'euros par an. S'il y a moins de trafic, la rentabilité sera moindre. Mais le report modal, c'est le but ! Si la rentabilité était nulle, cela signifierait que le système fonctionne. Les collectivités territoriales le souhaitent, quand bien même les sommes dont elles doivent être attributaires en seraient diminuées : 5 000 camions de moins sur un itinéraire coûteux à entretenir, cela représente des économies considérables ! Ne nous arrêtons pas au fait que le coût de gestion au kilomètre serait plus élevé.

Tant qu'un PPP n'est pas signé, rien n'est joué !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il est signé.

M. Éric Doligé. - On a le sentiment que puisque la procédure est engagée, que le dialogue compétitif est lancé, il faut aller au bout. C'est faux : il est possible de ne pas signer.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est comme déclarer un appel d'offres infructueux.

M. Éric Doligé. - C'est plus rare pour un PPP, mais c'est possible. Par ailleurs, j'aimerais connaître votre estimation du coût global.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Bien sûr, le report modal est souhaité. Mais nous allons payer fort cher une entreprise pour mettre en place un dispositif qui entraînera ce report au profit d'autres entreprises privées, les sociétés concessionnaires d'autoroute. Il faut prendre en compte les conséquences.

M. Éric Doligé. - Je connais bien ce problème : toutes les routes nationales, dans mon département, sont devenues départementales, et elles supportent un gros trafic de camions car elles sont gratuites. Elles seront équipées par le système Écomouv' : les camions devraient donc se rabattre sur les autoroutes. Tant mieux ! Cela profitera bien à d'autres entreprises privées, mais ce n'est pas le problème des collectivités territoriales !

Mme Virginie Klès, rapporteur. - C'est celui de l'État !

M. François Grosdidier. - Ne refaisons pas le débat sur l'écotaxe : le Parlement y a largement participé, et nous étions tous d'accord pour faire assumer par les utilisateurs (transporteurs) le coût de l'entretien des infrastructures. Lorsqu'ils empruntent des routes nationales ou départementales, il faut donc le leur faire payer, comme c'est le cas sur les autoroutes. Dans des régions frontalières comme la mienne, nous souhaitons que les camions qui transportent des cochons de Bretagne en Allemagne pour l'abattage, puis d'Allemagne en Italie pour la transformation en charcuterie fine, avant de les rapporter dans nos supermarchés, ne passent pas forcément par nos routes, par exemple pour aller d'Allemagne vers l'Italie. Certes, si le système est efficace, il rapportera moins à l'État et davantage aux sociétés privées. Mais l'objectif est de faire financer le coût des infrastructures par les transporteurs y compris étrangers, pour relocaliser certaines activités. C'est l'enjeu principal, que les bonnets rouges n'ont pas vu !

Le cadre juridique pose un seul problème, il me semble : la perception. L'État était-il fondé à faire appel à ce type de contrat ? Ce n'est qu'une fois le cadre juridique connu que l'on peut établir si une régie directe, par exemple, serait plus appropriée.

J'ignore si Écomouv' diffère la mise à disposition pour masquer son impréparation, mais il semble que l'on cherche des torts au partenariat public-privé, depuis l'annonce de la suspension du contrat, pour des raisons qui lui sont tout à fait étrangères.

À combien s'élève le préjudice d' Écomouv' que l'État aurait à réparer en cas de report de l'exécution du contrat ? Le juge peut-il contraindre l'État à remplir ses obligations ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les travaux antérieurs de la commission des finances répondent en partie à ces questions.

M. François Lichère. - Le cas de figure dont nous discutons est inédit. Les suspensions de contrat sont rares. Le prestataire privé n'est fondé à invoquer un préjudice qu'à partir du moment où il s'acquitte de ses propres obligations.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - S'il n'est pas prêt, il ne peut donc invoquer de préjudice.

M. François Lichère. - En effet. En d'autres termes, il a tout intérêt à demander à l'État de prendre ses responsabilités. S'il ne le fait pas, il ne pourra pas s'abriter derrière la suspension puisqu'il reste tenu de remplir ses obligations.

Il existe cependant une responsabilité contractuelle de l'État : s'il n'exécute pas ses obligations contractuelles et si son partenaire prouve qu'il remplit les siennes, il y a faute contractuelle. La question qui se pose est de savoir à partir de quand court le préjudice.

Le critère de la complexité exigé par les contrats de partenariat est en l'espèce rempli. La réponse est moins nette s'agissant de la réserve de souveraineté, car le recouvrement de l'impôt fait l'objet d'un partage de tâches, les douanes étant par exemple compétentes en matière de recouvrement forcé. Le législateur a certes autorisé l'État à déléguer la mission de recouvrement de l'impôt, mais il n'a pas précisé si cela pouvait se faire au moyen d'un contrat de partenariat. Selon moi, il ne le peut pas, mais l'on peut en débattre.

M. Charles Guené. - J'avais compris différemment le critère de souveraineté. Au Royaume-Uni, on considère qu'il est porté atteinte à la souveraineté de l'État lorsque le prestataire manque à ses obligations - en matière de transport militaire par exemple. En l'espèce, je ne vois pas que la délégation du recouvrement de l'impôt porte atteinte à la souveraineté de l'État.

M. François Lichère. - La question est : l'Etat peut-il recourir à un PPP pour une mission de souveraineté ? Le Conseil constitutionnel pose des critères et une réserve de souveraineté. En l'espèce, a-t-on délégué une mission de souveraineté ? Compte tenu du fait que les douanes sont compétentes pour le recouvrement forcé, j'incline à penser que non, mais la question demeure posée.

La procédure de passation elle-même peut faire l'objet d'un débat. Le Conseil d'État a fait preuve de souplesse en ne tirant aucune conséquence du fait que le conseil privé de l'État conseillait concomitamment Autostrade sur un contrat analogue en Pologne. Une jurisprudence plus stricte eût été envisageable. D'une manière générale, il faut poursuivre les réflexions engagées par le rapport Sauvé sur les conflits d'intérêts.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il faut reconnaître que le conseil de l'État était un très grand cabinet d'avocats.

M. François Lichère. - Je parle du bureau d'études, le cabinet Rapp.

M. Éric Doligé. - L'État délègue bien aux entreprises la perception de la TVA.

M. François Grosdidier. - D'autres taxes sont déléguées aux acteurs privés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les conflits d'intérêts sont inévitables dans les gros cabinets, bien que les avocats travaillent indépendamment les uns des autres. Nous lirons l'arrêt du Conseil d'État avec intérêt.

M. Frédéric Marty. - Par hypothèse, la mise en place d'une fiscalité incitative, en modifiant les comportements, vise l'attrition même des recettes fiscales créées. En l'occurrence, cela pose problème puisque le produit de la taxe poids lourds finance les infrastructures de transport.

Dans un contrat de partenariat, au contraire d'une délégation de service public, les loyers rémunèrent non le service lui-même, mais la mise à disposition des équipements qui concourent à le fournir. Le prestataire serait alors payé, que la taxe soit collectée ou non. En l'espèce, le prestataire n'a pas mis ses équipements à disposition. Dans le cadre d'un contrat financé sous forme de projet, c'est-à-dire avec très peu de capitaux propres...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - 30 millions d'euros.

M. Frédéric Marty. - ...et un recours massif à la dette - 90 % en moyenne -, c'est inexplicable. En effet, le prestataire s'endette dès le début des travaux, et ne peut alors compter que sur ses recettes d'exploitation pour faire face au service de sa dette : il n'a aucun intérêt à retarder la mise à disposition de son infrastructure.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Au 1er juillet 2013, Écomouv' n'était pas prêt. La mise à disposition a été reportée deux fois : d'abord au 1er octobre 2013, puis au 1er janvier 2014. Lors de la dernière audition, nous avons appris que seuls 190 000 camions sur 800 000 étaient équipés.

M. François Lichère. - Ce n'est pas entièrement de leur faute.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Certes, mais tout le monde semble avoir intérêt à différer cette mise à disposition ; or, je ne suis pas certaine que ce soit bon pour l'État. Les responsabilités sont sans doute partagées : il faut déterminer la part de chacun au 1er janvier 2014, date à laquelle les dernières dispositions du contrat sont applicables.

M. Jean-Luc Fichet. - Certains artisans se voient facturer l'écotaxe par leurs livreurs depuis le 1er octobre dernier. Ils sont plus nombreux qu'on le croit. Comment est-ce possible ?

Après plusieurs reports, le dispositif de l'écotaxe risque d'être remanié. Quelles modifications le contrat devrait-il subir, et avec quel impact financier ? Quel coût aurait pour l'État un arrêt définitif du contrat originel ?

M. François Lichère. - Difficile de vous répondre sans connaître les clauses du contrat. La doctrine d'accès aux documents administratifs est assez restrictive, le secret industriel et commercial est invoqué pour justifier des refus. La responsabilité de l'État pourra être engagée à compter du 1er janvier 2014, sous réserve que le cocontractant ait fait les diligences nécessaires.

Les exigences des livreurs que vous citez me surprennent, elles ne semblent pas légales. La loi autorisant la répercussion de l'écotaxe par les prestataires de transport a fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité. Reste qu'il faut d'abord acquitter la taxe...

Le Conseil constitutionnel a admis par une décision du 28 décembre 1990 que des personnes privées recouvrent l'impôt (il s'agissait en l'espèce de la CSG), sous réserve qu'elles soient strictement contrôlées par l'État. Elles remplissent alors une mission de service public.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Les personnes privées recouvrant l'impôt, par exemple les commerçants qui reversent la TVA à l'État, ne sont pas rémunérées. Il en va différemment pour l'écotaxe.

M. Frédéric Marty. - Un contrat est une obligation de faire ou de payer. En cas d'inexécution, le cocontractant peut être indemnisé des sommes auxquelles il aurait pu prétendre si le contrat avait été exécuté, soit de la valeur actuelle nette des flux de ressources qu'il aurait perçues. Le dédit doit être spécifié dans le contrat.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Dix-huit mois étaient prévus pour faire. La date du 1er janvier 2014 est capitale : c'est celle choisie par l'État pour la mise en service, qui succède à la mise à disposition. Or, ces dix-huit mois sont passés. Nous interrogerons l'État mais, en toute hypothèse cette question du retard dans la mise en service est capitale.

M. Frédéric Marty. - L'État peut également invoquer les compensations budgétaires qu'il va devoir débloquer au bénéfice de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Le coût externe du contrat n'est pas négligeable.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous avons évoqué ce point en commission des finances.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Pouvez-vous revenir en détail sur la procédure de dialogue compétitif ?

M. François Lichère. - Le dialogue compétitif est une procédure spécifique introduite par la directive de 2004 pour ce type de contrats. Elle vise à allier flexibilité et transparence. On ne définit plus un cahier des charges mais un programme fonctionnel qui dresse la liste des objectifs à atteindre. Le dialogue compétitif doit faire émerger les moyens de les réaliser. Ici, c'est la demande qui s'adapte à l'offre, en fonction des possibilités techniques qui émergent au cours de la procédure, alors que dans le marché public, les offres doivent répondre à une demande figée dès l'origine. L'ajustement se fait en cours de dialogue. Il conduit à faire évoluer y compris le programme fonctionnel d'origine que l'on appelle parfois cahier des charges. C'est le principe même de cette procédure.

La difficulté consiste à garantir la transparence du dialogue et l'égalité entre les candidats. La charte du dialogue compétitif, établie en 2007 par la Mapp et les associations d'élus locaux, recommande la traçabilité du dialogue : l'État doit consigner l'ensemble des questions posées par l'Etat aux candidats et les réponses apportées. La confidentialité impose en principe que les propositions d'une entreprise ne soient communiquées à d'autres qu'avec l'accord de la première.

Le tribunal administratif avait identifié trois motifs susceptibles d'entacher d'irrégularité la procédure de dialogue compétitif : le fait que l'entreprise candidate retenue ne soit finalement pas l'entreprise signataire, un changement juridique étant intervenu entre temps, ce qui ne me choque pas par principe ; l'imprécision du critère de crédibilité, laissant trop de marge à l'État pour apprécier les candidatures ; et la méconnaissance de l'objectif d'impartialité. Ce sont les trois motifs d'annulation. Le Conseil d'État, statuant en référé précontractuel, a rejeté la demande en annulation qui était notamment fondée sur le fait que la demande par l'État, en cours de dialogue compétitif, d'un nouveau démonstrateur aurait avantagé le candidat retenu. Le Conseil a estimé que la rupture d'égalité n'était pas manifeste.

M. François Grosdidier. - Quelle est la force obligatoire des préconisations de traçabilité du dialogue compétitif ? Ces informations sont-elles communiquées a posteriori, ou tous les candidats sont-ils informés en temps réel des ajustements du programme fonctionnel ?

M. François Lichère. - Distinguons modification du programme fonctionnel et précisions. Une modification substantielle, comme le changement d'un dispositif satellitaire en un dispositif de portiques par exemple, doit être portée par le pouvoir adjudicateur à la connaissance de tous les candidats. De fait, un programme fonctionnel est à l'origine assez général. L'État assure ensuite l'égalité entre entreprises pour faire prospérer les propositions.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Une proposition n'a aucune chance de prospérer si l'État ne la communique pas aux autres candidats. C'est bien l'Etat qui décide d'informer ou non tous les candidats, il conserve la main sur la procédure.

M. François Lichère. - Dans la première version du code des marchés publics, la personne publique établissait un cahier des charges à l'issue du dialogue compétitif. Cette disposition, susceptible de favoriser le pillage commercial, ou cherry picking, a été abandonnée. Le pouvoir adjudicateur compare désormais des propositions hétérogènes entre elles - pour franchir un estuaire, par exemple, un pont et un tunnel - et demeure garant de l'égalité entre les candidats. Le juge du référé précontractuel contrôle le respect de la procédure, mais est incompétent sur le choix de la solution technique.

M. Charles Guené. - Seriez-vous surpris que le calcul du coût global du contrat ne se limite pas à la lettre de celui-ci, mais prenne en compte les évolutions modales et les effets d'une fiscalité incitative ?

M. Frédéric Marty. - Non, il est légitime de combiner les deux analyses : celles du coût du contrat - la value for money comme disent les Anglo-saxons -, et celle de l'efficacité de la politique publique portée par l'écotaxe.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Dans une délégation de service public, le délégataire supporte une partie du risque de l'opération. Ici, la loi impose-t-elle au prestataire de prendre en charge certains risques ?

M. Frédéric Marty. - Les risques résident dans l'allongement du délai avant la mise à disposition des équipements, qui retarde d'autant le paiement du cocontractant. Il y a un manque à gagner. De plus, la rémunération différée ne rembourse pas l'investissement réalisé. Les surcoûts en construction ou en exploitation sont entièrement à sa charge.

M. François Lichère. - Une délégation de service public suppose un risque d'exploitation du service lui-même. Les sociétés d'autoroutes, par exemple, sont financées par les redevances des usagers. Si le trafic diminue, les rentrées sont plus faibles. Dans le cas d'un contrat de partenariat, le cocontractant n'est pas exposé au risque d'exploitation à proprement parler, mais il supporte tous les autres : géologiques, archéologiques, grèves...

M. Jean-Luc Fichet. - Inflammabilité des portiques...

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Au 1er janvier 2014, Ecomouv' n'était pas prêt. Ce retard ne doit pas entraîner, avant cette date, l'augmentation des loyers versés par l'État, ni l'allongement de la durée du contrat.

M. François Lichère. - Il reste à apprécier les responsabilités de chaque acteur dans ce retard. Dans ce type de contentieux, chacun les reporte évidemment sur l'autre.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Mais s'il n'y a pas eu mise à disposition...

M. Frédéric Marty. - Il faut regarder attentivement les clauses du contrat. Dans certains contrats, les paiements commencent dès la phase de construction, et non au démarrage de l'exploitation, ce qui n'incite guère le prestataire à livrer l'équipement dans des délais satisfaisants. Mais procéder ainsi réduit le besoin de financement du prestataire, donc les loyers versés par l'État.

M. François Lichère. - Cette hypothèse est rare. En général, la rémunération n'intervient qu'à compter de la mise en service. Dans un récent colloque à l'ENA - auquel vous participiez, madame la présidente, ainsi que M. Sueur -, il était révélé que le taux de livraison dans les délais des ouvrages publics était de 51 % dans la maîtrise d'ouvrage publique classique, contre 89 % pour les private finance initiatives britanniques.

M. Frédéric Marty. - Prudence cependant, le National audit office - la Cour des comptes britannique - établit ces chiffres essentiellement à partir de projets immobiliers. Dans le domaine des services de haute technologie, les contrats de partenariat sont moins performants.

M. Ronan Dantec. - L'État et Écomouv' ont intérêt à se mettre d'accord, nous l'avons compris. Mais si un nouveau retard est constaté après le 1er janvier 2014, quels sont les moyens de recours à la disposition des citoyens pour contester l'accord amiable ?

M. François Lichère. - En vertu de la jurisprudence administrative, les citoyens ont un intérêt à agir, en qualité de contribuable local, contre les décisions des collectivités territoriales entraînant un surcoût pour les finances publiques, mais pas contre celles de l'État en qualité de contribuable national. C'est malheureux, car c'est un instrument très efficace.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Dans le cas de collectivités territoriales, seule la délibération de l'assemblée locale est attaquable, n'est-ce pas ?

M. François Lichère. - Toute décision entraînant des dépenses publiques : celle de suspendre un contrat rentrerait dans cette catégorie. Le Conseil d'État a même récemment admis qu'une décision entraînant de moindres recettes était attaquable sur ce fondement.

M. Ronan Dantec. - L'État a donc les mains libres pour signer un accord à l'amiable avec Écomouv'.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Personne ne semble, en effet, disposé à s'engager dans un contentieux. Nous vous remercions.

Audition de M. Romaric Lazerges, avocat au Barreau de Paris (Cabinet Allen & Overy)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous accueillons maintenant M. Romaric LAZERGES, avocat au Barreau de Paris et maître de conférences à Sciences Po, où il anime un séminaire sur les PPP. C'est donc à un juriste praticien que nous demanderons, sans trahir le secret professionnel, de nous éclairer sur la manière dont se passe concrètement un PPP et de nous présenter les avantages et les risques que cette formule présente pour l'État.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Romaric LAZERGES prête serment.

M. Romaric Lazerges, avocat au barreau de Paris. - Je tiens à apporter d'abord deux précisions. Je n'ai pas été partie prenante au projet Écotaxe ; mon propos sera donc prudent et général. Je suis par ailleurs associé dans le cabinet Allen & Overy, responsable du département droit public, dans lequel j'ai une activité contentieuse et transactionnelle. En matière de contrats publics, j'interviens dans le cadre de grandes délégations de service public (DSP) ou de contrats de partenariat. Au sens étroit, les PPP ont presque dix ans. Je suis intervenu depuis le début de cette épopée en étant conseil du ministère de la justice pour les prisons, de Voies navigables de France (VNF) pour le canal Seine-Nord, pour le moment à l'arrêt, mais aussi d'opérateurs privés, que ce soit de groupements titulaires de contrats ou de banques finançant ces contrats. Chaque acteur - personne publique, consortium, institutions financières telles que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou les banques - se fait en effet assister par un ou plusieurs cabinets. Nous avons ainsi assisté Vinci pour la DSP consacrée au TGV Tours-Bordeaux - le plus gros projet de ce genre, d'un montant de sept à huit milliards d'euros - ou d'autres acteurs, par exemple pour des stades, des hôpitaux, ainsi que les banques pour le Global System for Mobile communications - Railways (GSM-R).

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous êtes donc le spécialiste des PPP dont nous avons besoin.

M. Romaric Lazerges. - Je suis un spécialiste ... pas le seul. J'ai compris que vos interrogations portent sur quatre champs : les critères justifiant le recours aux PPP ; les conditions de passation et, le cas échéant, le rôle de conseil ; le coût ; enfin, les conditions d'exécution du contrat, sur lesquelles je serai prudent, n'ayant pas plus d'éléments sur l'écotaxe que ce que j'ai pu en lire dans la presse.

Le PPP est un outil très décrié dans les médias, presque diabolisé. Il est surtout très mal connu. Ce n'est pas, comme on l'a dit, une privatisation ; c'est un outil de la commande publique parmi les autres que sont les marchés publics ou les DSP. Les PPP se distinguent des marchés publics proprement dits par trois points - même s'ils sont eux-mêmes des marchés publics : la globalité de la mission - encore que certains marchés sont aussi globaux - la durée et surtout l'association entre financement et rémunération - s'opposant ainsi à l'interdiction du paiement différé dans le cadre d'un marché public. Ils se distinguent des DSP par une rémunération non indexée sur le résultat d'exploitation - quoiqu'il puisse exister dans certains PPP des revenus annexes - mais constituée par un loyer fixe sans intéressement. L'idée initiale des PPP était ainsi de créer des contrats globaux tels que des DSP pour les cas où la rémunération liée au résultat était impossible, comme dans le cas des prisons. Sans PPP, il aurait fallu passer plusieurs marchés ; le PPP permet de passer un marché global avec un paiement différé.

Le processus de passation d'un PPP est long et complexe, comme peuvent l'être les procédures de passation de gros marchés publics ou des DSP : pour le TGV Tours-Bordeaux, la procédure a duré de 2007 à 2011. Du côté de la personne publique, il s'agit de ménager plusieurs objectifs : l'efficacité de la procédure - travailler avec les candidats pour que leur réponse réponde le mieux à l'objectif ; l'égalité des candidats, qui implique un certain formalisme ; l'incitation à l'innovation - mais il faut parfois renoncer aux bonnes idées d'un candidat pour respecter l'égalité ; le maintien de la concurrence : pour cela, il faut conserver un cahier des charges unique le plus longtemps possible.

N'étant ni un financier, ni un économiste, je serai très prudent sur le coût ; je ne peux donc pas dire si un contrat est cher ou non en nominal. Ce que j'ai remarqué, c'est que les comparaisons faites n'étaient pas toujours pertinentes, oubliant souvent que le coût d'un PPP n'est pas un simple coût de gestion, mais un coût de remboursement d'un investissement augmenté d'un coût de gestion. Sur l'écotaxe comme sur le dossier du Tribunal de grande instance de Paris ou sur les prisons, cela n'a ainsi aucun sens de comparer un contrat de gestion d'un ouvrage déjà construit et un PPP. Par ailleurs, lorsque l'on compare un dispositif de type PPP et un dispositif de type maîtrise d'ouvrage publique ; et c'est vertueux de le faire ; il faut prendre en compte l'ensemble des coûts pour l'un et l'autre dispositif, y compris des coûts internes à la personne publique.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Pouvez-vous nous donner quelques exemples de cette complexité qui justifie le recours à un PPP, notamment dans le domaine des services, le recours à cette formule juridique pour des investissements ne faisant pas débat ?

M. Romaric Lazerges. -La complexité, cela peut être, pour la personne publique, de préparer un cahier des charges qui soit d'emblée assez précis, notamment dans les domaines technologiques. Mais cette difficulté peut être contournée : on peut choisir de faire plusieurs marchés de maîtrise d'oeuvre avant de lancer la procédure. Le critère principal qui justifie à mes yeux un PPP est le lien entre construction et exploitation. Dans une maîtrise d'ouvrage publique, la personne publique aura la maitrise de la construction, mais elle peut recevoir une livraison conforme et ne se rendre compte de certains problèmes qu'au moment de l'exploitation. Un PPP est de ce point de vue vertueux en reportant totalement le risque de la construction et partiellement le risque d'exploitation sur le partenaire, en exigeant de lui qu'il délivre une installation qui fonctionne sur plusieurs années conformément à des critères de performance. Un autre avantage est de faire baisser le cas échéant le coût financier : dans une maîtrise d'oeuvre publique, la personne publique paie des acomptes au fur et à mesure de la construction alors que, dans un PPP, elle ne paie rien avant la réception de l'ouvrage. Mais le grand avantage, c'est surtout de payer moins en période d'exploitation si ça marche mal.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Dans un PPP, la rémunération n'est pas indexée sur le résultat ?

M. Romaric Lazerges. - Pas sur le résultat financier, mais sur des indices de performance. Une entreprise construisant un stade en DSP bénéficiera généralement de subventions, mais sera ensuite rémunérée sur l'exploitation, de manière substantielle selon la jurisprudence du Conseil d'État (au moins pour 30 à 40 % de ses revenus). Dans un contrat de partenariat, si elle réalise le stade, elle sera rémunérée en fonction de critères de performance - même si le loyer est parfois diminué par des revenus annexes. Par exemple, dans une prison construite en PPP, à chaque fois qu'une ampoule cassée n'est pas remplacée pendant un certain nombre de jours, la rémunération de l'entreprise sera diminuée, conformément au contrat.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Écoumouv' nous déclare qu'une partie non négligeable de sa rémunération - 64 millions d'euros - est indexée sur la montée en charge du dispositif. Vous nous dites l'inverse : qu'une rémunération peut diminuer mais pas augmenter.

M. Romaric Lazerges. - Je ne connais pas le contrat ; ce que j'ai compris, c'est que la rémunération n'est pas liée au montant de recettes que le titulaire collecte.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Dans le cas d'espèce, c'est lié au nombre de taxations. C'est logique.

M. Romaric Lazerges. - Dans le cas d'une prison construite en contrat de partenariat, une exploitation non performante entraînera des pénalités prévues au contrat. On parle alors de risque de disponibilité, différent du risque trafic, lié au volume. Le deuxième avantage, observé au Royaume-Uni par des statistiques, et par certains ministères en France, est un respect généralement plus strict des délais de construction. Un titulaire de contrat de partenariat qui ne livre pas à temps se voit en effet soumis à des pénalités de retard de la part de la personne publique, mais aussi, compte tenu du fait que ces projets sont le plus souvent financés à 10 % par les actionnaires et à 90 % par les banques, à des frais financiers considérables, fixés dans le contrat de crédit : dans des projets à plusieurs milliards d'euros, ces frais peuvent s'élever à plusieurs centaines de milliers d'euros par jour. Le troisième avantage est, du point de vue des ministères dépensiers - mais le ministère du budget ne serait pas d'accord sur ce point - de sanctuariser la dépense publique et d'éviter des régulations budgétaires qui touchent les dépenses de fonctionnement, et de garantir ainsi que l'ouvrage soit en meilleur état au terme de quelques décennies d'exploitation. Un autre argument est la planification : le PPP permet de connaître le coût de l'exploitation au cours du temps, ce que ne permet pas la maîtrise d'ouvrage publique.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Je prends l'exemple d'un PPP sur quinze ans prévoyant une construction sur trois ans et une exploitation sur douze ans. Si le titulaire met deux ans de plus à construire, alors, les loyers initialement prévus ne lui seront versés que sur dix ans pour un montant total identique ?

M. Romaric Lazerges. - Je ne sais pas si c'est le cas, mais les signataires de certains PPP ont été soumis à ce que d'aucuns appelaient la triple peine, un retard entraînant des pénalités, des frais financiers, mais aussi une perte du loyer. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, la situation ayant été considérée comme non acceptable par les différents acteurs. Les contrats prévoient le plus souvent des pénalités comprises entre 5 et 10 % du coût d'investissement, des frais financiers, mais soit la durée d'exploitation est fixe - et le retard prolonge donc la durée du contrat - soit les échéances perdues sont remboursées en une seule fois à la date de mise à disposition de l'ouvrage. Cela assure la « bancabilité » du projet, pour employer une expression peu élégante. Les industriels ont pris des risques qu'ils ne prennent plus.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Mais il y a toujours des indemnités de retard ?

M. Romaric Lazerges. - Oui.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Quels conseils donnez-vous à l'État ?

M. Romaric Lazerges. - Je les détermine au cas par cas.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Quels sont les risques pour l'État ? Comment cela se passe-t-il avec les banques ? En quoi consiste la cession de créance ?

M. Romaric Lazerges. - Dans chaque dossier, il faut procéder à une analyse globale : étudier le risque lié à la complexité du projet, comme pour un bâtiment les risques environnementaux, les risques de recours, les risques techniques ; étudier la capacité des banques à le financer, différente selon les périodes, et naturellement moindre depuis 2008 : elles analyseront l'allocation des risques dans le contrat principal, celui que prend la société de projet et le niveau d'acceptabilité de celui qui peut être transmis aux industriels, prestataires de la société de projet. La société de projet titulaire d'un contrat de partenariat est en effet généralement une « coquille » - ce n'est pas le cas d'Écoumouv' - avec des actionnaires, qui passe des contrats avec un constructeur et des exploitants. Ce qui compte pour les banques, c'est que la société de projet, qui est l'emprunteur, garde un minimum de risque, même s'il reste toujours un risque résiduel, lié à l'obtention du financement. L'industriel, de son côté, fixera un plafond de responsabilité : de 30 % de sa rémunération par exemple pour un constructeur ; dans le pire des scénarios, il ne remboursera pas plus en cas de défauts qui lui seraient imputables. Au cours du dialogue compétitif, la société de projet cherchera donc à baisser le risque dans le contrat de partenariat, pour le rendre acceptable pour elle, pour les industriels et pour les banques.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les sous-traitants d'Écoumouv' sont devenus ses actionnaires. Cela est-il courant ?

M. Romaric Lazerges. - Dans tous les contrats de partenariat, la société de projet compte des actionnaires qui sont aussi des prestataires. Un contrat tel que la ligne Tours-Bordeaux a pour titulaire une société de projet qui a pour actionnaires un industriel, un exploitant - dans ce cas, c'est Vinci pour les deux - et des financiers, la CDC ou AXA. Vinci est ainsi à la fois actionnaire, constructeur et exploitant, tandis que AXA et la CDC ne sont qu'actionnaires. Chacun a un intérêt et prend un risque différent.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Dans le contrat écotaxe, c'est donc Thales, SFR, Steria et la SNCF qui ont en théorie pris tous les risques ?

M. Romaric Lazerges. - Dans le schéma classique, l'industriel prend beaucoup de risques. Mais l'actionnaire prend également des risques : par exemple, il perd sa mise si le contrat est résilié pour faute.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - C'est minime.

M. Romaric Lazerges. - En comparaison avec l'ampleur du projet, sans doute, mais pas en valeur absolue.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Il s'agit de moins de 10 %, soit 30 millions d'euros.

M. Romaric Lazerges. - Si on prend l'exemple d'un contrat d'un milliard d'euros d'investissement, si 900 millions d'euros sont prêtés par les banques, et 100 millions d'euros fournis par trois actionnaires, chacun des actionnaires peut perdre plus de 30 millions d'euros : c'est colossal !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Comment la banque intervient-elle ?

M. Romaric Lazerges. - Dans un dialogue compétitif, elle doit fournir au moment de l'offre finale une lettre d'engagement dans laquelle elle promet son soutien inconditionnel au projet. Cela nécessite une intervention très précoce de la banque, qui se fait assister d'un conseil technique et d'un conseil juridique propre pour arriver à deux conclusions : financer ou ne pas financer, et à quel prix.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Et la cession de créance ?

M. Romaric Lazerges. - La plupart des contrats de partenariat ont mis en place un tel système pour faire baisser le coût du contrat pour l'État : le titulaire du contrat est titulaire d'une créance de la personne publique qu'il cède avec l'autorisation de cette dernière aux banques, au maximum à 80 %, la contrepartie pour les banques devenant ainsi partiellement la personne publique au moment de la livraison de l'ouvrage.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Cela ne concerne donc pas seulement Écomouv' et les banques : la puissance publique est impliquée.... Il nous faudra interroger les banques.

M. Romaric Lazerges. - La puissance publique doit signer une acceptation d'engagement qui devient inconditionnelle à partir de la livraison : cette partie du loyer ne peut alors plus être remise en cause.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Dans le cas de l'écotaxe, la livraison n'a pas eu lieu.

M. Romaric Lazerges. - La livraison est toujours un acte très puissant ; mais elle ne peut être acceptée que si l'ouvrage a été réalisé conformément au cahier des charges. Une fois la livraison effectuée, il faut bien rembourser l'investissement, à un moment donné.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Plus ça traîne, et plus ça coûte.

M. Romaric Lazerges. - Non, cela n'a pas d'impact si c'est la personne privée qui est responsable : c'est alors l'industriel ou les actionnaires qui en supporteront le coût. La pénalité est toujours possible à la fois sur la redevance liée à l'exploitation et sur la partie de la redevance liée à la construction qui n'a pas fait l'objet d'une cession de créances acceptée (sur les 20 % restant au moins). De toute manière, tout dépend de la livraison, comme dans une maîtrise d'oeuvre publique où, une fois que vous avez payé, les comptes sont soldés. La cession de créance a fait baisser le coût du financement des projets en points de base de manière très significative, car la signature de l'État est plus forte que celle des groupes industriels, quelle que soit leur taille.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - C'est au maximum 80 %...

M. Romaric Lazerges. - C'est ce qui est prévu dans le code monétaire et financier.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Est-ce toujours le cas ?

M. Romaric Lazerges. - C'est variable. C'est souvent 80 % ; en tout cas, ce n'est jamais 20 % : plus la part cédée augmente, plus le coût du financement diminue, puisque le risque potentiel d'exploitation diminue. Le risque subsiste sur au moins 20 % de la rémunération liée à la construction, ainsi que sur la rémunération additionnelle liée à l'exploitation.

M. Éric Doligé. - La question est donc de savoir si la livraison a lieu ou non par Écomouv'. J'ai le sentiment que tout le monde s'observe, parce que tout le monde a des reproches à se faire. Nous devons obtenir des éclaircissements. Nous ne connaissons pas le cahier des charges, et ne savons donc pas s'il prévoit des pénalités pour la personne publique si elle retarde la mise en exploitation. C'est peut-être la raison pour laquelle il n'y a pas de date de livraison prévue. Des cas de force majeure sont-ils prévus ? Dernier point, les collectivités territoriales, pénalisées, ont-elles voix au chapitre ?

M. Romaric Lazerges. - En l'absence d'éléments factuels, il m'est difficile de répondre. Il faudrait déterminer qui est responsable du retard. Ce type de contrat prévoit souvent des « causes légitimes » qui peuvent être invoquées par la partie privée, impliquant des régimes d'indemnisation. Ces causes peuvent être manifestement imputables à l'État ou imputables à aucune des deux parties, telles qu'une intempérie exceptionnelle. La conséquence en est l'exemption de pénalités de retard ou, dans certains cas, l'obligation pour l'État d'assumer les frais financiers liés au retard. C'est ouvert.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - On ne peut pas parler de suspension du contrat. Ce dernier existe, il devra donc s'appliquer.

M. Romaric Lazerges. - En effet.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Connaissez-vous un cas similaire ?

M. Romaric Lazerges. - Je ne connais pas de précédent.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est donc un cas exceptionnel.

M. Ronan Dantec. - Pour les entreprises privées et pour les banques, les PPP sont-ils des opportunités ? Se battent-elles pour les obtenir, car la garantie de l'État fait que le risque est relativement modéré ? Ou bien la complexité des montages fait-elle que peu de groupes sont capables de participer à la compétition ? L'État se retrouve alors avec peu d'entreprises capables de répondre et elles bénéficient en conséquence de marges élevées et de risques faibles.

M. Romaric Lazerges. - J'aurais du mal à vous répondre sur les marges.

Le risque n'est pas faible : ces grosses entreprises prennent un risque de construction sur les ouvrages complexes. Elles doivent porter le financement sur des périodes parfois très longues. Par exemple, pour la liaison Tours-Bordeaux, le groupe doit construire 300 km de ligne TGV d'ici 2017 : c'est une réalisation extrêmement complexe, et le risque n'est pas faible.

Les grands groupes ne sont pas spécifiquement attirés par ces contrats : des groupes comme Vinci, Bouygues ou Eiffage sont intéressés par des ouvrages emblématiques et souhaitent garantir le plus longtemps possible un revenu à l'entreprise, mais l'objectif est le même, qu'il s'agisse d'un contrat de partenariat ou d'un gros contrat de construction.

L'intérêt d'un PPP, c'est de figer dans un compte pendant des années un résultat, ce qui est toujours intéressant pour une entreprise. Mais est-ce plus intéressant que de conclure un contrat de maîtrise d'ouvrage public où le risque de construction est beaucoup plus faible ? Je ne le crois pas.

Qui est capable de répondre à ces contrats ? Dans l'univers des BTP, compte tenu du risque, le marché est fermé, mais que l'on passe un contrat d'un milliard d'euros en contrat de partenariat ou en maîtrise d'ouvrage publique, les mêmes répondront. Les entreprises de plus petite taille seront sous-traitantes, quel que soit le contrat conclu.

De fait, ces contrats ne sont pas ouverts à toutes les entreprises, mais la concurrence entre les grands groupes demeure féroce.

M. Ronan Dantec. - L'intérêt de ces auditions est de nous permettre de juger d'autres PPP, y compris certaines prolongations de partenariats. La rentabilité est souvent calculée sur 10 ans, parfois 8 ans quand les négociations sont serrées. Mais les grands groupes ont figé, tel un principe, un certain taux de rémunération de l'investissement. Ils n'ont pas intérêt à remettre en cause ce qui a été accepté par l'État et à provoquer une concurrence effrénée. Peut-être l'État a-t-il plus de marges de manoeuvre que les 10 % qui ont été actés.

M. Romaric Lazerges. - Je puis vous assurer que la compétition est âpre. Je n'ai jamais vu un groupe perdre de bon coeur.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - La constitution de sociétés de projet n'est pas étonnante. Y a-t-il des critères qui président à la création de ces consortiums ? Puisque c'est avec une société de projet, Écomouv', qu'a été signé le PPP, pourquoi les négociations ont-elles commencé avec Autostrade et non pas avec le consortium ? Les banques font peser une part du risque sur l'industriel mais, s'il n'est pas là au moment de la négociation avec l'État, comment peut-on obtenir l'accord des banques ?

M. Romaric Lazerges. - L'industriel est là dès le départ. Lors du dialogue compétitif, les membres du groupement, actionnaires et industriels confondus, sont déjà présents. Cela dit, je ne peux pas parler d' Écomouv' : je ne connais pas le dossier.

Le groupement est une notion informe dans une candidature, mais les actionnaires et ceux qui vont réaliser la prestation sont présents. Le groupement serait bien incapable de remettre une offre s'il n'y a pas un dialogue intense avec l'ensemble des prestataires.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - La Mapp a comparé deux contrats, un marché public et un PPP : l'un et l'autre intégrés, comprenant la conception, la construction et l'exploitation. Selon vous, compte tenu de la complexité du projet, était-il judicieux de comparer uniquement des contrats intégrés ? N'aurait-il pas été intéressant de comparer des contrats non intégrés ? Pourquoi ne pas avoir comparé quatre projets plutôt que deux ?

M. Romaric Lazerges. - Dans le code des marchés publics, il n'est pas facile de conclure un marché global. La Mapp a retenu cette hypothèse, malgré des incertitudes au niveau juridique, pour les besoins de l'analyse. C'était sans doute justifié à ses yeux, dans la mesure où, sur ce contrat complexe, il était difficile d'imaginer un processus avec un constructeur et un exploitant séparés, du fait des risques que j'ai déjà évoqués : lier l'exploitation à la construction était logique. L'approche de la Mapp paraît donc justifiée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ce contrat est assez exceptionnel.

M. Romaric Lazerges. - Tout à fait. Si l'on parlait d'un contrat bâtimentaire, il aurait été possible de procéder à des comparaisons entre d'un côté un contrat de partenariat et de l'autre plusieurs marchés publics portant sur la construction et sur l'exploitation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les ministères sont-ils capables de suivre ces dossiers ?

M. Romaric Lazerges. - J'ai assisté deux grands ministères : à la justice, il y a un établissement public, nommé l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij), composé d'ingénieurs des corps de l'Etat et dirigé par un polytechnicien : le niveau des compétences techniques y est extrêmement élevé.

Le ministère des transports dispose du même type d'organisation : j'ai travaillé pour VNF, sous la tutelle vigilante du ministère des transports : les équipes étaient composées de grands professionnels. Dans les contrats que j'ai suivis, je n'ai pas observé de dissymétrie de compétences entre le privé et le public.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - En matière de complexité qui s'apprécie, non pas au regard du dossier lui-même, mais des capacités de la puissance publique à l'assumer, n'aurait-il pas fallu que tous les ministères unissent leurs forces plutôt que de laisser le ministère des transports gérer seul ce contrat ? Ainsi, par exemple, le ministère de la défense aurait pu apporter son expertise.

Doit-on reprocher à l'État d'avoir choisi un PPP au motif que le projet était complexe alors que la mutualisation des moyens des ministères aurait permis de réaliser ce projet ?

M. Romaric Lazerges. - Quelle que soit la solution retenue, PPP ou marché public global, il s'agissait de confier à une seule entité l'ensemble de la construction et de l'exploitation de ce marché. Dans les deux cas, le rôle de la personne publique est relativement similaire : contrôle vigilant pour vérifier la bonne exécution du contrat.

Les deux types de contrats diffèrent essentiellement du fait de leur financement. Dans le cas d'Écomouv', l'État a dû estimer que, face à un dispositif d'une extraordinaire complexité, il était judicieux de faire peser le risque sur le partenaire privé en concluant un PPP.

Le ministère de la justice a mené en parallèle des constructions en maîtrise d'ouvrage public et en PPP. Ce choix permettra de disposer dans quelques années d'éléments de comparaison extrêmement intéressants.

La complexité est-elle une condition de recours aux contrats de partenariat ? Je crois qu'elle l'est dans certains cas. L'État doit évaluer les avantages de conclure un marché global.

Mme Virginie Klès, rapporteur. - Merci pour vos réponses précises.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci d'être venu nous éclairer.